Avril

La chambre de Sally-Anne Perks était exactement telle que Théodore Nott l'avait imaginée. Il y avait des artefacts partout, qui pendaient du plafond. Des cristaux, des plantes, des runes gravées sur des galets, des écritures partout sur les quatre murs, des livres, des manuels entassés en des piles posées à même le sol…. Le lit était inondé de parchemins et de vêtements chiffonnés. Le seul endroit qui était organisé et proprement rangé était la petite coiffeuse, sur laquelle étaient alignés différents tubes de rouge-à-lèvre et autres produits cosmétiques dont Sally-Anne raffolait.

Théodore resta debout et contempla Sally-Anne, toujours en pyjama, elle qui était toujours si bien apprêtée. Elle s'était vautrée dans son lit et ne semblait pas vouloir en bouger.

— Quand tes parents doivent-ils rentrer ? demanda-t-il.

— Pas avant un long moment, je suppose.

— Tu supposes ?

— Je n'en sais trop rien.

— Que diraient-ils s'ils nous surprenaient ici, dans ta chambre, sans personne pour nous surveiller ? se désola-t-il.

— Ils me demanderaient probablement avec espoir si nous avons déjà eu des relations sexuelles.

Théodore se mit à rougir furieusement et lui lança un regard assassin, qu'elle ignora.

— Je leur mentirai, bien sûr, en leur assurant que non. Si je venais à leur avouer que oui, tu peux être assuré qu'ils feraient tout pour nous marier dans l'heure en priant Merlin et Morgane pour que je sois déjà enceinte. Et on serait coincés pour toujours, l'un avec l'autre…

Elle soupira comme si cette éventualité était la pire chose au monde pour elle.

Théodore avait décidé depuis longtemps qu'il ne souhaitait plus en être vexé. Pourtant, il l'était chaque fois un peu plus, lorsqu'elle évoquait un hypothétique mariage avec lui.

Sally-Anne plongea sa main dans un carton et en ressortit des photographies.

— J'ai peur d'y trouver les Carrow sur plusieurs d'entre elles, avoua-t-elle.

Théodore hocha la tête et commença à les examiner les unes après les autres, alors qu'elle s'affairait à lire plusieurs échanges épistolaires.

— Elle était effectivement partisane de l'idéologie selon laquelle les sorciers de Sang-Pur avaient de plus grandes capacités magiques que les nés-moldus et les sang-mêlés.

— Tu as déjà trouvé quelque chose ?

Il fronça les sourcils.

— Oui.

— Je croyais que nous étions d'accord pour que tu n'affrontes pas cela seule.

— Ce qui est paradoxal, c'est que son opinion a commencé à changer lorsqu'elle s'est tournée vers les sciences moldues pour prouver sa théorie.

— Comment cela ?

— La médecine moldue, à l'époque, faisait quelques progrès dans la génétique. Ma tante a fait des expériences sur le sang de plusieurs sujets. Tout est noté ici, indiqua Sally-Anne en désignant un vieux grimoire qui reposait sur son lit. Elle n'a trouvé aucune différence notable entre les différents échantillons, et a été incapable de distinguer le sang d'un sorcier de celui d'un moldu.

— La magie est héréditaire, dans une grande majorité des cas, observa cependant Théodore. A l'exception des cracmols et des nés-moldus, je suppose…

— Elle n'a trouvé aucune explication logique à l'origine de la magie. Et elle a finit par comprendre que c'était le sens même de la magie, de n'avoir aucune explication, aucune loi tangible …

— Sinon, on appellerait ça de la science, nota Théodore.

— Exactement.

Théodore fit défiler de nouvelles photographies et s'arrêta sur l'une d'elle.

Selina Perks avait un sourire rayonnant et les mêmes cheveux que sa nièce. Elle semblait plus joyeuse, plus insouciante que Sally-Anne ne l'avait jamais été, et elle tournait sur elle-même pour faire voler ses jupons, sous les yeux lumineux et pétillants d'Alecto Carrow, qui l'imitait, mais perdait l'équilibre en tombant dans ses bras qui ne manquaient jamais de la rattraper. Amycus Carrow était très sérieux mais avait un sourire amusé, presque attendri.

Les voir ainsi était quelque peu perturbant.

Devant le mutisme soudain de Théodore, Sally-Anne quitta son lit et lui arracha la photographie de ses mains, qui se mirent à trembler.

— Elle a été prise sur le quai de la gare…

— Ils avaient probablement notre âge, tout au plus…, ajouta Théodore.

— Elles étaient donc vraiment amies, marmonna Sally-Anne. Elles étaient amies, et je ne l'ai jamais su.

— Ta tante avait des secrets.

La voix de Sally-Anne partit dans les aiguës, et il recula, pour s'en protéger.

— Aucun pour moi. Elle disait que les secrets étaient la mort de la confiance !

— Tu avait quatorze ans lorsqu'elle est morte. Tu ne pouvais pas tout savoir ! Encore moins des choses aussi sombres qui t'auraient fait changer d'avis sur elle. Elle avait sûrement peur …

— Tu ne la connaissais pas, grommela Sally-Anne. Elle n'avait peur de personne et elle se moquait bien de ce que l'on pensait d'elle. Elle aurait dû me parler de son passé ! J'aurais pu comprendre !

Théodore haussa un sourcil, sceptique :

— Vraiment ?

Sally-Anne serra les poings.

Sur la photographies, Alecto Carrow et Sélina Perks continuaient de se dévorer des yeux comme si elles étaient les deux personnes les plus importantes dans la vie de l'autre.

— Sally-Anne… Elle n'était qu'une adolescente ! Elle a grandi dans une famille qui lui a toujours dépeint un portrait des moldus qui correspondant à l'idéologie de la pureté du sang.

— Exactement comme moi !

— Et exactement comme moi ! s'écria Théodore à son tour.

— Je n'ai jamais approuvé de telles idées. Ce n'est pas une excuse.

— Tu ne peux pas lui en vouloir d'avoir été manipulée, ou de ne pas avoir toujours été celle que tu as connu ! Les gens changent ! Ils font des erreurs !

Sally-Anne avait les larmes aux yeux.

Cette photographie sur le sol, était la preuve irréfutable que la personne qu'elle avait le plus aimé au monde lui était en fait étrangère.

— Sally-Anne…, chuchota doucement Théodore.

— Je ne veux pas me disputer avec toi, fit-elle d'une voix tranchante.

— Ne sois pas en colère contre elle…

— Et comment pourrais-je ne pas l'être, Théodore ?! sanglota-t-elle.

Elle porta une main à sa bouche et le corps secoué de nausée, partit en trombe, toute tremblante, jusqu'à la salle de bain attenante à sa chambre, pour vomir. Théodore retint un haut-le-cœur et resta dans l'embrasure de la porte, les yeux fermés. Il l'entendit déverser tout ce qu'elle avait en elle, et pleurer d'épuisement. Lorsqu'il rouvrit les yeux, elle était agenouillée devant la cuvette des toilettes, pâle et le front couvert de sueur.

— Je ne peux pas pardonner une morte. Elle n'a plus de parole, rien à me dire pour m'expliquer ce qui se passait dans sa tête, marmonna-t-elle.

Théodore s'assit à ses côtés et prit son pendentif entre ses doigts, le levant jusqu'à hauteur de leurs yeux.

— La Sélina que tu as connu est celle qui t'a élevée et qui a fait de toi celle que tu es. Une personne courageuse, pleine de conviction, ambitieuse, intelligente et bienveillante. Quelqu'un qui n'a jamais été influencée par les idées de sa famille, parce qu'on lui a appris à penser par elle-même. C'est cette personne là que tu as aimé, et c'est celle-ci que tu dois pardonnée. Elle t'a probablement épargné de ses erreurs de jeunesses, et a tout fait pour que tu ne les répètes pas…

La réalité frappa Sally-Anne avec force.

— Est-ce que … Si je n'avais jamais connu ma tante… Penses-tu que j'aurais pu être… comme Malefoy ? Comme Greengrass ?

Elle ne le dit pas. Mais elle le pensa.

« Comme toi, Théodore ? ».

— C'est elle qui m'a toujours dit de me faire mes propres opinions, elle qui m'a parlé des moldus, de la magie runique. C'est elle qui m'a fait découvrir tant de choses…

Elle se laissa tomber, la tête en avant, sur son torse et il encercla son corps de ses bras.

— Je ne veux pas être en colère, murmura-t-elle contre lui.

— Ne le sois pas.

Cela semblait si facile dans sa bouche…

Et sur la photographie, Sélina et Alecto continuaient de rire et de tourner, heureuses, et si différentes de celles qu'ils connaissaient…

Sur le quai d'une gare que Théodore et Sally-Anne connaissaient par coeur, elles étaient deux étrangères qu'ils ne voulaient pas connaître.