Avril
Théodore n'avait jamais manqué de confiance en lui.
Il avait été élevé dans l'idée qu'il était supérieur au reste de son entourage. Il était un Nott. Il était un héritier. Il était le détenteur d'un devoir familial, d'une mission. Celle de faire perdurer la richesse et la pureté de son sang, de sa lignée.
Il essaya de vider son esprit.
Les genoux tremblants, il tenta de faire taire toutes ses pensées, toutes ses émotions pour que la peur, la terreur, l'horreur et l'injustice soient étouffées en lui.
Mais Sally-Anne l'habitait. Il l'avait dans la peau et dans l'âme.
Elle n'approuverait pas.
Il continuait de se tenir droit et de faire illusion.
Le Seigneur des Ténèbres était devant lui et le surplombait, faisant peser sur ses épaules un poids immense, qui lui comprimait les organes et comprimait sa structure osseuse.
Théodore se rappelait à peine comment respirer.
— Mon fils est digne d'une telle distinction. Il saura prendre la suite et faire honneur au nom des Nott. C'est une jeune homme brillant qui ne manque pas d'ambition.
Théodore n'avait jamais entendu son père vanter avec autant d'arrogance ses qualités, et faire comme si elles étaient siennes. Et si Théodore s'en serait enorgueilli quelques mois auparavant, aujourd'hui, il avait envi de s'enfuir, et de hurler.
Devait-il soutenir le regard du Seigneur des Ténèbres ?
Ou devait-il au contraire, l'éviter ?
Qu'est-ce qui était le plus respectueux ?
Qu'est-ce qui était le moins lâche ?
Théodore Nott n'avait pas beaucoup de courage.
Le courage, il était à Sally-Anne Perks. Pas à lui.
— Tu me serviras bien, j'en suis convaincu…
Cette voix sifflante était terrifiante et menaçante.
Théodore resta droit, lorsqu'il s'avança jusqu'à lui. Il le demeura, lorsqu'il enfonça la pointe de sa baguette dans son avant-bras. Il retint ses larmes et ses tremblements, lorsqu'il sentit le sort et la marque des ténèbres se dessiner dans sa chair.
Puis il se réveilla.
Théodore rouvrit les yeux dans la salle commune des Serpentard, et par réflexe, baissa la manche de sa chemise pour examiner sa peau.
Il frissonna.
— Alors tu es l'un d'eux, maintenant…, commenta une voix derrière lui.
Il rabaissa la manche de son vêtement avec précipitation et fit face à Zabini.
— Non.
— J'ai vu la marque.
— Tu n'as rien vu, fit Théodore d'une voix froide.
Parce qu'il n'y avait rien à voir. Blaise haussa les épaules et s'installa dans le fauteuil en face de celui que Théodore occupait.
— Il est venu te voir, n'est-ce pas ?
— Je ne souhaite pas en parler, répondit Théodore.
Il sentait encore le poids du pouvoir du Seigneur des Ténèbres sur ses épaules. Il sentait encore sa chair le picoter et son sang bouillonner, prêtant allégeance à cet homme, qui n'en était plus un depuis longtemps.
— Il n'a jamais terminé son sort. Il a été appelé ailleurs, sans que la marque n'ait eu le temps de s'achever, soupira Théodore.
— Alors… Tu n'es pas l'un d'eux ?
— Je n'en sais rien.
— Est-ce que ça fait mal ?
Théodore hocha péniblement la tête.
— Elle réclame quelque chose. Je ne sais pas quoi… Mais elle réclame quelque chose.
— Je suis désolé, fit simplement son camarade.
Théodore ne répondit rien. Crabbe et Goyle l'auraient félicité. Malefoy lui aurait peut-être adressé un regard.
S'il avait été courageux, il aurait refusé cette marque. Mais cela aurait été stupide. Il aurait sûrement été tué, et Théodore Nott goûtait très peu, à l'idée de mourir.
— Il viendra la terminer, un jour ou l'autre.
— Tu ne pourras pas lui échapper, approuva Zabini.
Sauf s'il suivait Sally-Anne au Canada.
Mais… Sally-Anne ne le laisserait jamais faire. Pas avec cette moitié de marque sur le bras. Pas alors qu'il ne s'était pas battu pour ne pas devenir l'un des partisans du Seigneur des Ténèbres. Elle ne lui pardonnerait jamais cela… Il la connaissait bien.
Elle luttait déjà avec elle-même. Ce qu'elle avait appris sur sa tante l'avait assez chamboulée. Elle dormait peu, était souvent malade depuis qu'ils étaient revenus à Poudlard. Il ne voulait pas l'accabler. Et égoïstement, il savait que si elle venait à voir cette marque sur son bras, ce qu'ils avaient tous les deux serait définitivement terminé.
Sally-Anne ne comprenait pas. Elle, elle préférait mille fois goûter la mort que de se vendre à des valeurs qui n'étaient pas les siennes.
Théodore aurait souhaité être pareil.
Mais des valeurs, il n'en avait pas.
Il était perdu.
Il avait lu les études et les recherches de Sélina Perks sur le sang moldu. Elles entraient toutes en pleine contradiction avec ce qu'on lui avait toujours enseigné et Théodore avait besoin de comprendre. Les observations de Sélina étaient intéressantes, rigoureuses et d'une logique implacable. Les sang-purs n'avaient rien de plus que les moldus.
Mais Théodore n'avait que dix-sept ans.
Il voulait lire. Il voulait étudier. Il voulait apprendre.
Cette guerre, au fond, elle ne changeait rien à sa vie et lui-même, ne pouvait rien y faire.
Ce n'était pas ses petites forces, ses petites convictions, aussi neuves soient-elles, qui pourraient changer ce monde que les adultes leur léguaient comme un fruit pourri. Le Seigneur des Ténèbres avait une armée, des partisans qui pratiquaient une forme de magie plus puissante que celle avec laquelle l'Ordre du Phénix et ses opposants se battaient. Harry Potter n'était qu'un gamin, comme eux, et il était porté disparu depuis des mois maintenant…
Il n'y avait aucun combat à mener.
La guerre était terminée.
Les Mangemorts avaient gagné.
Alors pourquoi lutter ?
Il songea à ces premières années que l'on torturait.
Nathaniel Crimson. Le petit gamin que Sally-Anne avait protégé. Que deviendrait-il ?
Pour eux. Peut-être que pour eux, on doit se battre.
Il ferma les yeux, chassant cette pensée.
Ces gens devaient fuir. Comme Sally-Anne. Il n'y avait pas d'autre issue.
— Sally-Anne ne doit jamais savoir que tu as cette marque, commenta Blaise.
— Je sais.
Il avait tenté de la camoufler, de la cacher. Mais rien n'y faisait. Les traits noirs revenaient toujours se dessiner sur sa peau blafarde.
— Tu as juste le serpent ? Pas le crâne ?
Théodore hocha la tête de nouveau.
— Je n'avais pas le choix…
— Il t'aurait tué, marmonna doucement Blaise. Et s'il ne t'avait pas visité toi, c'est moi, qui serais à ta place.
— Voilà qui m'apporte un grand réconfort.
Blaise ricana tout doucement.
— Tu n'avais pas le choix, répéta Blaise. Beaucoup ne le comprendront sans doute jamais. Mais ils ne sont pas à ta place, et ne l'ont jamais été.
— Beaucoup aurait préféré mourir que de la porter…
— Mourir de ses convictions et de ses valeurs… Voilà qui est beau. Voilà qui est cependant très inutile… Si un jour cette folie se termine, tu auras la vie pour te pardonner, à défaut d'avoir une mort martyr que des sorciers et sorcières qui ne t'auront jamais connu, célébreront avec hypocrisie tous les ans jusqu'à ce que ton nom soit oublié.
— On me traitera de lâche.
— C'est ce que tu es. C'est ce que je suis.
Mais ils étaient bien plus.
— Il faut attendre que l'ouragan passe, termina Blaise.
— Quel ouragan ?
— Celui dans lequel on est prisonnier.
Blaise se pencha vers Théodore et fit tourner son index dans le vide :
— Celui dans lequel on tourne, sans pouvoir s'en sortir. Celui dans lequel on est pourtant bien à l'abri, tant qu'on reste dans son œil. Celui qui nous déchiquetterait en mille morceaux de chairs si on s'en échappait.
Théodore ferma les yeux.
La marque, la demi marque à son bras, lui faisait mal.
— Sally-Anne ne me pardonnera jamais de ne pas être mort…
— Reste dans l'œil de l'ouragan, Théodore…
Il sourit à cette pensée.
Sally-Anne, elle, ne se contenterait jamais de vivre prisonnière entre tout ces vents contraires et dans une tempête meurtrière pour elle.
Tout était déjà terminé.
Il avait seulement besoin d'un peu plus de temps, pour la tenir dans ses bras, et l'aimer comme les adolescents qu'ils étaient encore.
