Mai

Sally-Anne était en train de pleurer.

Milicent attendait à l'extérieur de la salle de bain des Serpentard.

La blonde loucha sur la potion qui venait de virer au vert et elle eut envie de vomir.

— C'est pas possible. C'est pas possible. Non. Non, c'est pas possible, répéta-t-elle.

Elle se releva, et réajusta sa jupe avant de sortir de la cabine des toilettes et de se laver les mains.

Elle frotta.

Et lorsqu'elles furent propres, elle les frotta encore.

Elle les secoua, au-dessus du miroir et commença à faire les cent pas.

Putain.

Mais quelle idiote.

Elle posa une main sur son ventre.

Elle ne s'était jamais imaginée avoir des enfants. Pas avec les parents qu'elle avait. Ils ne lui avaient jamais appris l'amour et la bienveillance.

C'était sa tante qui lui avait enseigné tout ça.

Et sa tante était morte.

Sally-Anne était seule.

— C'est pas possible. C'est pas possible. Non. Non, c'est pas possible, répéta-t-elle.

Elle n'avait que dix-sept ans. Ce monde était en guerre, et elle fuirait demain pour le Canada.

Personne ne devait savoir.

Personne.

— C'est pas possible. C'est pas possible. Non. Non, c'est pas possible, répéta-t-elle.

Elle décida qu'elle devait arrêter de pleurer.

Cela ne résoudrait en rien ce problème.

— Théodore, balbutia-t-elle.

Il fallait qu'elle en parle à Théodore.

Non.

Ou si.

Il se sentirait responsable.

Parce qu'il l'était.

Avec lui, elle serait moins seule.

Mais cette décision, ce problème… Il était à Sally-Anne et à personne d'autre.

Elle baissa le regard sur son ventre.

— C'est pas possible. C'est pas possible. Non. Non, c'est pas possible, répéta-t-elle.

Quelle idiote.

Tomber enceinte, à son âge…

Ses parents allaient la renier, c'était une certitude. Mais ça, elle s'en fichait. Et Théodore lui… Il lui demanderait de l'épouser encore une fois, et cette fois-ci, elle n'aurait pas le courage de refuser.

Ce n'était pas cette vie, qu'elle voulait.

Elle ne serait jamais la femme, l'épouse de quelqu'un. Elle serait libre. Comme sa tante l'avait été.

Sally-Anne voulait découvrir le monde et le parcourir.

— Je ne peux pas le garder…

Elle posa une main sur ce ventre, légèrement rebondi.

Elle aurait dû le sentir. Son envie de manger des meringues au citron depuis des semaines, la fatigue, les nausées… Elle avait placé tout ça sur son anxiété et le climat actuel qui régnait et qui la rendait aussi malade qu'angoissée.

Elle sourit et leva les yeux vers son reflet.

— Qu'est-ce que je vais faire ?

Ses genoux tremblaient.

— Sally-Anne… Nous allons être en retard ! se plaignit Milicent.

— J'arrive, marmonna la blonde de l'autre côté de la porte.

Elle passa ses doigts dans ses mèches pour les démêler.

Comment cela avait-il pu arriver ?

A elle ?

Ils étaient si jeunes…

— SALLY-ANNE !

Milicent entra et Sally-Anne se précipita dans la cabine des toilettes qu'elle avait quitté, pour vider la potion dans la cuvette. Mais sa camarade l'avait suivi et à l'air aussi apeuré que coupable de Sally-Anne, à cette autre main posée sur son ventre, Milicent comprit très rapidement.

Elle fit claquer la porte d'un mouvement sec de sa baguette et fronça les sourcils, attendant des explications.

— Ce n'est pas ce que tu crois.

— Ne me prends pas pour une idiote, cracha Milicent.

— Loin de moi cette idée, déclara Sally-Anne en souriant de toutes ses dents.

— Tu es enceinte.

Sally-Anne tira la chasse d'eau et pointa un doigt menaçant vers la brune, tout en s'avançant vers elle d'un pas déterminé :

— Non. Je ne le suis pas. Je. Ne. Le. Suis. Pas. C'est bien compris ?

Milicent croisa les bras sur sa poitrine.

— Je ne dirai rien.

— Non. Évidemment. Parce qu'il n'y a rien à dire !

Sally-Anne serra les mâchoires.

— Tu ne peux pas ignorer ça. Qu'est-ce que tu comptes faire ?

Sally-Anne retourna se laver les mains et aspergea son visage.

— Tu n'es pas mariée.

— Finement observé, grommela Sally-Anne.

— Aucune famille de Sang-pur ne voudra jamais de toi.

— Encore faudrait-il que je veuille d'eux, renchérit la blonde.

— Tu seras reniée et seule.

— J'ai des ressources. Ma tante m'a léguée un héritage plus que confortable, assez pour que je m'en sorte.

— Et assume un bébé ?

Un bébé.

Un tout petit être qui grandissait en elle, qui n'était qu'un amas de cellule…

— Depuis combien de temps es-tu enceinte ?

— Je n'en sais rien, répondit Sally-Anne.

— Tu n'en sais rien ?

— Je n'ai pas besoin que tu me juges.

Milicent décroisa les bras et lui offrit un sourire compatissant.

— Tu devrais en parler avec Théodore.

— Il n'est pas le père.

— Ne me prends pas pour une idiote.

— Je fais de mon mieux, je t'assure ! la taquina Sally-Anne.

— Tu devrais en parler à Théodore, insista Milicent.

— Je ne peux pas, marmonna-t-elle. Il … Il se sentira responsable. Il voudra assumer cet enfant avec moi.

— Tu sais… Tu n'es pas obligée de mener cette grossesse jusqu'à son terme si tu n'en as pas envie.

— Je ….

Oui, elle le savait. Mais cela lui faisait du bien de l'entendre.

— Je n'ai jamais … Je n'ai réfléchi à si je voulais des enfants ou non.

— Tu as tout le temps de penser à cette question, Sally-Anne.

— Plus vraiment, maintenant.

Elle baissa la tête et soupira.

— Je doute d'être une excellente mère.

Pas avec celle qu'elle avait eu, et maintenant qu'elle savait que sa tante n'avait jamais été le modèle de vertu que Sally-Anne avait toujours pensé connaître…

Grandir, ça craignait.

On se rendait compte que les adultes qu'on idolâtrait et en lesquels on avait confiance n'étaient pas meilleurs qu'eux.

Ils étaient humains, et faisaient des conneries.

— T'es quelqu'un de bien.

— Beaucoup de personnes sont des gens biens. Ce n'est pas pour autant qu'ils sont de bons parents, observa Sally-Anne.

— Est-ce que tu aimeras cet enfant ? Est-ce que tu voudras son bonheur ? Est-ce que tu te battras pour qu'il ait toujours le meilleur ?

La Serpentard caressa distraitement son ventre.

Elle avait peur et pourtant… Pourtant, elle ne se sentait pas seule.

— Oui, bien sûr…

— Tu seras une bonne mère.

— Tu n'en sais rien.

— Mon cousin travaille dans un hôpital moldu. Je pourrais te mettre en contact avec lui.

— Et comment je sortirai de Poudlard ? Les Carrow me surveillent plus que jamais. Et …

— Et tu es censée partir au Canada d'ici demain, n'est-ce pas ?

Sally-Anne se figea.

— Comment …

— Ne me prends pas pour une idiote, s'amusa Milicent en imitant sa propre voix. Je sais observer. Tu n'as pas défait ta valise depuis que nous sommes rentés des vacances de printemps. Tu as laissé le parchemin d'un passeur sur ton lit, il y a un mois maintenant…

— Tu as fouiné dans mes affaires ?

— Tu devrais en parler à Théodore.

— Il sait que j'ai prévu de partir.

— Alors que tu es enceinte de son enfant ?

— Ne me fais pas culpabiliser. Si je reste, les Carrow finiront par avoir ma peau. Je ne peux pas … Je ne peux pas continuer à faire semblant, à voir mes camarades souffrir et être torturer parce qu'ils sont nés-moldus ou sang-mêlés. Je ne peux plus. Je ne peux pas non plus me soumettre à mes parents et m'enfermer dans un mariage que je ne souhaite pas.

— Tu pourrais être heureuse avec Théodore…

Sally-Anne se mit à sourire, tout doucement.

— Oui. Je pourrais…

Il la laisserait voyager. Il la laisserait étudier les runes. Il aurait de quoi subvenir à leurs besoins. Théodore Nott était quelqu'un de bien.

Sally-Anne aimait la liberté et la solitude.

Théodore s'en contenterait-il ?

Et cet enfant, le supporterait-il ?

La vie était pleine de choix et de sacrifice. De chemins que l'on empruntait pas et d'autres dans lesquels on se jetait à corps perdus. Sally-Anne le réalisait maintenant.

— Cette décision t'appartient. Mais ce n'est pas pour autant que tu es obligée de la prendre seule… Tu n'as pas à porter toute cette responsabilité sur tes épaules, fit enfin Milicent en posant une main sur l'épaule de ce qu'elle aurait pu appeler son amie si Sally-Anne le lui avait permis.

Mais Sally-Anne demeurait perdue.

Finalement, elle décida de pleurer encore un peu, et elle lâcha-prise dans les toilettes des Serpentard.