Salut à toutes et à tous ! Comme vous le voyez, un chapitre sauvage vient de surgir des hautes herbes.

Avertissement : Ce chapitre contient une scène de violences physiques dont la lecture peut s'avérer difficile pour certains lecteurs ou certaines lectrices. À bon entendeur…

Bonne lecture à tous !

Chapitre 3 : Maladie

Ce soir-là, le tonnerre grondait sur la ville de Magnolia et la pluie tombait abondamment. Les habitants s'étaient depuis longtemps réfugiés chez eux et les passants se faisaient rares dans les rues pavées de la métropole fioréenne.

Pourtant, malgré cette météo exécrable, une silhouette encapuchonnée et revêtue d'un manteau de pluie remonta l'une des ruelles de la cité à vive allure, tâchant d'échapper autant que possible au déluge qui sévissait dans toute la ville.

Arrivée devant l'un des immeubles et abritée par le haut-vent fixé au dessus de l'entrée, elle abaissa son couvre-chef. Une longue chevelure blonde apparut.

Lucy Heartfilia se hâta de pénétrer dans le hall de l'immeuble et monta quatre à quatre les escaliers en colimaçon qu'il abritait.

La jeune mage venait tout juste de rentrer d'une mission à Onibas et avait appris la nouvelle une fois arrivée à la guilde. Dès l'instant où Mirajane lui avait communiqué le message, elle n'avait pas hésité et s'était précipitée ici.

Après avoir grimpé plusieurs étages, la constellationniste arriva finalement devant une imposante porte en acier contre laquelle elle toqua. Son pied droit tapait nerveusement sur le paillasson se trouvant devant l'entrée, témoignant de la nervosité qui l'habitait à cet instant.

Quelques secondes plus tard, la porte métallique s'ouvrit, laissant apparaitre dans l'entrebâillement un chat ailé au pelage noir et au regard faussement dur.

« Bonsoir Lily. Mirajane m'a mis au courant de ce qui se passe. J'ai fait aussi vite que j'ai pu, annonça la mage avec un soupçon d'inquiétude dans la voix.

- Merci d'être venue aussi vite Lucy, répondit poliment l'Exceed. J'ai réclamé ton aide car j'espère que tu parviendras à la convaincre. Entre, je t'en prie.

L'héritière de la famille Heartfilia hocha la tête avant de pénétrer dans l'appartement à la suite du félin. Lucy n'y était jamais venue avant aujourd'hui mais Levy lui avait décrit sommairement les lieux lors de l'une de leurs discussions dans les locaux de la guilde. Unies par une profonde amitié, les deux jeunes femmes n'hésitaient pas à se confier l'une à l'autre et ce sujet n'avait pas fait exception.

C'est donc tout naturellement que Lucy emprunta le couloir situé à gauche de l'entrée et se dirigea vers la pièce située au fond.

« Il faut que tu saches quelque chose… déclara Lily en suivant la jeune femme. Elle l'a veillé sans interruption depuis deux jours entiers.

- Ça ne m'étonne pas. C'est l'une des personnes les plus obstinées que je connaisse, répondit Lucy à la fois fière et contrariée.

La maîtresse des esprits posa ensuite sa main sur la poignée de la porte devant laquelle elle se trouvait et l'ouvrit prudemment.

En pénétrant à l'intérieur, elle remarqua immédiatement la présence de sa meilleure amie, assise sur une chaise tout près du lit installé au centre de la pièce.

Gajeel était allongé sur le lit près duquel était assise Levy. Comme elle le redoutait, le chasseur de dragon n'avait vraiment pas l'air en forme. Torse nu, sa peau était maculée de sueur et il tremblait de tous ses membres. Les frissons qui l'animaient paraissaient totalement incontrôlables. Lucy vit ses larges mains se cramponner par instinct aux pans de la couverture qui reposait au niveau de son ventre. Ses longs cheveux noirs étaient complètement défaits et s'étendaient sur le coussin placé derrière sa tête. Sa mâchoire était fermement serrée, déformée par une douleur qui semblait le tenailler de l'intérieur. Le coeur de la jeune femme rata un battement lorsqu'elle vit qu'un filet de sang s'était échappé de l'une de ses narines pour se répandre au creux de sa lèvre supérieure.

Afin de chasser cette horrible vision, le regard de Lucy se reporta instinctivement sur le visage de sa camarade d'ordinaire si lumineux. Hélas, ce qu'elle vit ne la rassure pas non plus.

En effet, Levy paraissait elle aussi considérablement affaiblie. La jeune femme avait hâtivement noué ses cheveux en une queue de cheval quelque peu désordonnée. Son teint était blanchâtre, semblable à celui d'une personne qui n'a pas mis le nez dehors depuis longtemps. Mais surtout, de grosses cernes violettes maculaient les yeux de la mage des mots et la rendaient méconnaissable.

Les yeux de Levy se dirigèrent à son tour vers son amie dès qu'elle l'aperçut.

« Lucy… murmura la mage aux cheveux bleus. Je suis contente de te voir.

- Je suis venue dès que j'ai appris de quoi il retournait, indiqua la constellationniste.

Levy esquissa un faible sourire avant de tremper un gant de toilette dans une bassine d'eau située à proximité. Elle essora le linge et l'utilisa ensuite pour nettoyer le visage de Gajeel avant que le sang qui le maculait ne se mette à sécher.

- Tu sais, Natsu et Wendy auraient aimé m'accompagner mais…

- Ils ne peuvent pas se le permettre, compléta Levy. Je comprends. S'ils venaient ici, ils seraient affectés eux aussi et c'est absolument hors de question.

Lucy hocha la tête. La petite Wendy avait très été contrariée de ne pouvoir se rendre au chevet de l'un de ses grands frères de coeur mais Polyussica avait insisté sur le fait qu'elle se mettrait en danger en venant et qu'elle ne pourrait rien faire de plus pour le chasseur de dragon de toute façon.

- Comment va t-il ? demanda Lucy en se rapprochant à son tour du lit.

- Il a refait une crise, il y a une heure… répondit Levy avec une voix qui trahissait sa fatigue.

- Polyussica nous en a parlé. C'est la deuxième phase, c'est ça ?

Levy acquiesça silencieusement. Elle se leva ensuite péniblement pour rejoindre la commode en chêne placée dans un coin de la pièce et sur laquelle reposait un cahier relié de cuir. La mage des mots s'en saisit et se rassit sur la chaise en bois qu'elle occupait.

- Nous disposons d'assez peu d'informations sur cette maladie mais grâce à mes recherches et aux connaissances de Polyussica, nous savons à peu près de quelle manière elle évolue.

La mage aux cheveux bleus décrivit à son amie le mal qui touchait Gajeel.

La fièvre de Kiryk. Une maladie très ancienne ayant affecté un grand nombre de dragons lorsque ces derniers régnaient encore sur le continent, des décennies avant la célèbre Fête du Roi Dragon. Elle avait été baptisée du nom du premier dragon à avoir été infecté.

Compte-tenu de son statut de chasseur de dragon et de sa magie directement liée à celle des créatures ailées, Gajeel avait contracté cette fièvre qui, d'ordinaire, n'affectait pas les simples humains.

Levy relut ses notes à voix haute.

La maladie dont souffrait l'ancien mage de Phantom Lord se caractérisait par deux phases successives.

La première se manifestait par une incommensurable fatigue qui assommait littéralement le malade, le plongeant dans une profonde léthargie. Les sens du patient se retrouvaient complètement anesthésiés et sa perception du temps était grandement altérée. Cette phase-là semblait être la plus courte et avait duré chez Gajeel presque une demi-journée.

La deuxième phase de la maladie, de loin la plus terrible et la plus longue, se caractérisait à l'inverse par son extrême brutalité. Le malade commençait d'abord par ressentir de terribles maux de tête, rapidement accompagnés de vomissements et de vertiges. Suivait ensuite une variation rapide et imprévisible de la température corporelle, passant du chaud au froid en l'espace de quelques minutes. Enfin, le patient était plongé dans une sorte de coma et soumis à une série de douleurs psychiques et d'hallucinations perturbant son esprit, à tel point qu'il pouvait être amené à parler tout seul et à revivre des souvenirs plus ou moins enfouis dans sa mémoire comme s'il y était.

« Gajeel est entré dans la deuxième phase de la maladie depuis plus d'une journée, indiqua Levy. Au début, il était simplement nauséeux… Puis il s'est mis à parler tout seul et à s'agiter. Il tenait des propos complètement incohérents. Il n'arrêtait pas de se débattre et de cogner dans des meubles avec ses poings et ses pieds. Lily et moi… on a dû le sangler pour éviter qu'il se fasse du mal.

La mage des mots baissa la tête, honteuse d'avoir dû attacher comme un animal celui qu'elle considérait comme l'un de ses plus proches amis.

- Vous l'avez fait uniquement pour son bien, la rassura Lucy. Gajeel sera certainement capable de le comprendre lorsqu'il ira mieux.

Levy acquiesça, sentant une immense vague de tristesse la submerger. Face au mal qui affectait le chasseur de dragon, elle se sentait particulièrement impuissante et elle détestait cela.

Constatant la détresse de son amie, Lucy se rapprocha et posa une main réconfortante sur son épaule. La constellationniste savait que Levy tenait beaucoup à Gajeel. Elle s'en était aperçue depuis un moment.

« Il va s'en tirer… assura Lucy avec conviction. C'est quelqu'un de fort.

- Je sais bien mais… je ne peux pas m'empêcher de redouter le pire. C'est plus fort que moi. Je n'arrive pas à me sortir ces pensées de la tête.

- C'est compréhensible. Mais tu dois faire confiance aux soins de Polyussica. Ils sauront soulager Gajeel de ces symptômes et le guérir de cette maladie.

Les deux amies restèrent un moment ensemble à veiller le chasseur de dragon. Lucy se chargea de lui faire respirer le mélange de sels des Monts Zonia préparés par Polyussica et Levy apporta de nouvelles compresses froides qu'elle apposa sur le front de Gajeel.

Du coin de l'oeil, Lucy s'aperçut que les gestes de Levy étaient tous empreints d'une certaine lenteur, trahissant la fatigue colossale que ressentait la jeune mage.

- Levy… il faut vraiment que tu te reposes et que tu laisses quelqu'un d'autre veiller sur lui, au moins pour quelques heures. Tu n'as rien mangé et tu n'as pas dormi depuis plus de deux jours. Tu tiens à peine debout.

Levy secoua immédiatement la tête, rejetant en bloc l'idée énoncée par son amie.

- Je ne peux pas le laisser… Je ne veux pas l'abandonner Lucy…

- Tu sais très bien qu'il ne s'agit pas de ça, contra la partenaire de Natsu. Il faut que tu te ménages et que…

- Tu ne comprends pas… coupa Levy, soudainement au bord des larmes. C'est à cause de moi qu'il est dans cet état…

Les yeux de Lucy s'écarquillèrent sous la surprise.

- Si tu savais Lucy… Il n'avait jamais été aussi gentil que ce jour-là, reprit Levy, la voix tremblante. Il y a quelques jours de cela, il est venu me proposer son aide pour une mission que je devais effectuer et dont personne ne voulait. Nous sommes allés dans un village abandonné de Bashgar, l'une des neuf provinces de l'ancien royaume de Dragonof. Je devais me rendre dans de vieilles ruines à l'extérieur de la ville pour y récupérer des parchemins précieux… Alors que nous cherchions les fameux rouleaux dans ce qui semblait être la bibliothèque de ce village, le sol en pierre s'est dérobé sous nos pieds et nous sommes tombés tous les deux dans une profonde cavité. Nous n'avons pas été blessés, heureusement. Lorsque j'ai éclairé la pièce dans laquelle nous avions chuté à l'aide d'un sort, il nous est apparu quelque chose de terrifiant… Une multitude de squelettes de dragons. Il y en avait des dizaines Lucy. C'était vraiment terrible à voir. À ce moment-là, on ne savait pas du tout de quoi étaient mortes ces créatures, ni comment elles avaient atterri là.

- Ça a dû être terrible pour Gajeel… souffla Lucy, médusée par l'histoire que son amie lui racontait.

- Il est resté totalement muet devant cette vision, confirma Levy en acquiesçant. Je pense qu'il avait terriblement peur d'y retrouver les restes du corps de Métallicana, son père adoptif. Il s'est un peu apaisé lorsque nous avons fait le tour de l'endroit sans l'y trouver. Après ça, nous sommes restés plus de trois heures dans ce souterrain avant de finalement parvenir à trouver une sortie. Une fois rentrés à Magnolia, une dizaine d'heures plus tard, il commençait déjà à ressentir les premiers symptômes.

- Tu penses que c'est dans cet endroit que Gajeel a attrapé cette fièvre ? demanda Lucy.

- J'y ai beaucoup réfléchi pendant que je le veillais. Je suis convaincue que tous les dragons qui se trouvaient là-bas ont succombé à cette maladie. Les squelettes ne portaient aucun coup de griffe, aucune trace de mâchoire, pas même une éraflure. Grâce à Polyussica, je sais à présent que cette maladie draconique se transmet dans l'air et la pièce où nous nous trouvions semblait complètement fermée avant notre arrivée. Elle devait être imprégnée de spores depuis des dizaines d'années. Gajeel les a sûrement inhalé pendant tout le temps où nous y sommes restés. Et nous y sommes allés à cause de moi. Je suis donc responsable de son état.

Lucy comprenait mieux à présent. L'ardeur que mettait Levy à prendre soin de Gajeel et à veiller sur lui n'avait pas pour seule origine son attachement à l'ancien mage de Phantom Lord. Elle ressentait également une puissante culpabilité et se mettait sur le dos tout le malheur du chasseur de dragon.

- Levy… tu n'es responsable de rien, assura Lucy. Tu n'auras pas pu prévoir ce qui s'est passé. Personne n'aurait pu. Et te reprocher des fautes imaginaires ne fera pas avancer les choses. Ce n'est pas ça qui aidera Gajeel.

Le regard de Levy se porta à nouveau sur le chasseur de dragon. Pour le moment, son état restait stable mais il pouvait basculer dans une nouvelle crise d'une seconde à l'autre.

- Sois raisonnable, insista Lucy. Laisse Lily et moi veiller sur lui pendant quelques heures, le temps que tu reposes. Tu pourras reprendre le relais tout de suite après.

La mage des mots secoua obstinément la tête.

Elle ne pouvait pas faire ça. Elle ne pouvait pas laisser Gajeel souffrir alors qu'elle-même allait bien. Il l'avait tant de fois tirée d'affaire, il l'avait protégée à de si nombreuses reprises, sans jamais rien demander en retour et sans jamais exprimer la moindre lassitude. Et elle, en retour, qu'est-ce qu'elle lui avait apporté ? Une horrible peste à laquelle il allait peut-être succomber. Elle faisait décidément une bien piètre partenaire…

Se retournant sur sa chaise, Lucy adressa un regard presque désespéré à Lily. L'Exceed avait espéré que la meilleure amie de Levy allait réussir à la convaincre de lâcher du lest. Mais il avait visiblement sous-estimé la détermination de la mage des mots. En d'autres circonstances, le chat ailé en aurait éprouvé de l'admiration. Mais à cet instant, une profonde inquiétude prenait toute la place dans son petit coeur animal.

Déployant ses ailes et voletant au dessus du lit de Gajeel, le félin d'Edolas se rapprocha de Levy. Il se positionna juste devant elle, de sorte qu'elle n'ait pas d'autre choix que de le regarder.

« Tu sais Levy… commença le félin. Je n'ai pas grandi avec Gajeel. Je ne le connais que depuis quelques mois. Je ne l'ai pas vu dans ses heures les plus sombres que beaucoup m'ont rapporté. Mais ce que j'ai vu en revanche, et ce que je vois tous les jours, c'est tout ce que toi, tu lui apportes. Depuis plusieurs semaines, Gajeel est plus calme, plus raisonnable et même plus souriant. Il a appris à mieux maitriser sa magie et à faire davantage confiance aux autres. Et ça, c'est principalement à toi qu'il le doit. Ta simple présence ici lui est précieuse. Lucy et moi ne te demandons pas de partir, simplement de nous laisser prendre le relais pendant que tu te reprends des forces toi aussi. C'est ce que Gajeel souhaiterait. Et c'est ce que tu dois faire, si tu veux continuer à lui apporter autant. ».

Les paroles profondes de l'Exceed agirent comme un baume sur les inquiétudes et les doutes de Levy. Les muscles des épaules de la jeune femme se détendirent et le rythme de sa respiration s'apaisa nettement. Après des heures à se faire du mauvais sang et à redouter le pire, Levy acceptait enfin de relâcher un peu la pression.

Hochant doucement la tête, la mage des mots reposa les remèdes délivrés par Polyussica qu'elle tenait dans ses mains. Ses amis avaient raison. S'il était à sa place, Gajeel ne voudrait pas qu'elle se laisse dépérir de la sorte pour lui.

« Tu fais le bon choix Levy, commenta sa meilleure amie.

- Nous allons nous relayer pour veiller sur lui, annonça Lily. Je prends le premier tour de garde ».


Entouré par une sorte de brouillard épais, Gajeel ne savait pas où il était. Il n'en avait pas la moindre idée. Il avait uniquement la désagréable sensation que son esprit s'était replié sur lui-même pour faire face à toute la douleur qui l'assaillait.

Devant ses yeux, un nombre incalculable d'images défilaient. Des scènes qu'il avait vécu dans un passé plus ou moins lointain. Les visages de ses compagnons et de parfaits inconnus. Des souvenirs, parfois récents, parfois très anciens. Il n'arrivait plus à se concentrer et à faire le tri dans ses pensées. Son esprit semblait animé de sa propre volonté, déchargeant sur lui un flot d'informations qu'il n'arrivait pas à interpréter.

Pourtant, au milieu de ce chaos psychique, un souvenir particulier se détacha des autres et remonta à toute allure, comme une bulle d'air qu'on aurait libérée au fond des abysses et qui se fraierait un chemin jusqu'à la surface. Très vite, le souvenir devint clair, fluide, aussi limpide que du cristal, à tel point que le chasseur de dragon fut en mesure d'y replonger sans le moindre effort.

Flash-back

Guilde des Phantom Lord - Six ans plus tôt

Ce jour-là, par une chaude matinée d'été, le hall du château abritant la guilde des Phantom Lord grouillait littéralement de monde. Le bâtiment d'ordinaire si calme et mystérieux était animé par un brouhaha que peu de vétérans pouvaient se vanter d'avoir connu.

En effet, la guilde venait tout juste de connaître l'une de ses plus importantes vagues de recrutement et tout un tas de nouveaux mages y avaient fait leur apparition. Impressionnés par la grandeur du lieu, les nouveaux venus faisaient docilement la queue près du bar de la guilde pour se faire tatouer un à un la marque des Phantom Lord.

Appartenir à cette guilde et pouvoir revendiquer cette appartenance était après tout une immense source de fierté pour ces mages débutants. Partout sur le contient, les Phantom étaient à la fois craints, respectés et admirés. Dans la rue, les gens s'écartaient pour les laisser passer et personne n'aurait été assez fou pour ne pas payer grassement leurs services une fois leur mission accomplie.

À l'écart de toute cette agitation et bien loin de ces futiles préoccupations, Gajeel Redfox s'était installé pour déguster son repas, l'un de ses passe-temps favori. Le mage de rang S piochait avidement dans l'assiette remplie de boulons et de vis qui lui faisait face et enfournait les pièces métalliques dans sa bouche avant de les mâcher goulument sans aucune retenue. Ingérer tout ce fer lui faisait un bien fou et l'aidait grandement à entretenir ses pouvoirs.

Alors que le chasseur de dragon d'acier était occupé à dégager un bout de vis coincé entre deux de ses dents, une silhouette se rapprocha de sa table et une voix masculine pleine d'assurance s'éleva :

« Yo ! C'est bien toi Gajeel de l'Acier ? ».

Le susnommé détourna les yeux de sa pitance et les releva en direction de celui qui avait commis l'affront de le déranger pendant sa dégustation. Il le détailla ensuite de haut en bas pour voir à qui il avait affaire.

Le type semblait à la fois plus jeune et plus petit que le chasseur de dragon mais était doté malgré tout d'une assez bonne carrure. Ses cheveux étaient coiffés en bataille et viraient sur une teinte très particulière, quelque part entre le noir et le bleu nuit. Ses yeux étaient formés en amande et avaient une couleur se rapprochant de celle de sa chevelure. Il était habillé en débardeur bleu marine et portait de nombreux bracelets en cuir et en minéraux aux poignets. Du coin de l'oeil, Gajeel distingua dans son dos une large épée enfermée dans un fourreau.

« Ça dépend qui le demande. J'te connais pas toi, répondit le chasseur de dragon avec dédain avant de se focaliser à nouveau sur son déjeuner.

Gajeel était de mauvais poil. Ce gamin était sans nul doute l'un de ces nouveaux mages qui venaient de débarquer. Et à peine arrivé, il osait l'interrompre dans son repas. Une manoeuvre à la limite de l'inconscience.

Ignorant la remarque acerbe dont il avait été le destinataire, le mage à l'épée tendit sa main droite à Gajeel avec un grand sourire.

« Je suis Sokka ! affirma t-il avec entrain.

Le chasseur de dragon ne prit même pas la peine de tourner la tête.

- Et qu'est-ce que tu veux que ça me fasse, minus ? Tu crois peut-être que j'ai la moindre envie de retenir ton blase ? répliqua t-il en gobant un nouveau clou.

À cet instant, le visage de Sokka s'éclaira d'un sourire encore plus grand, comme s'il venait juste d'obtenir la réaction qu'il attendait. Sans se démonter, le jeune mage prit une chaise sur la table d'à côté et s'installa nonchalamment à celle du chasseur de dragon, pile en face de lui.

- Si tu savais comme je suis content de te rencontrer ! s'exclama t-il. Bon sang, t'es une vraie légende ! Il parait que tu utilises la magie anti-dragons et que tu es super balèze !

Le chasseur de dragon grimaça. En plus d'être collant, il avait une voix qui portait un max. Tout bonnement insupportable.

- Pas la peine de me faire de la lèche, j'ai horreur de ça. Les ptits maigrichons comme toi, je m'en fais cinq au petit-déjeuner. Je pourrais te casser en deux avec mon petit doigt si je voulais.

D'abord incrédule, Sokka éclata de rire face à la remarque de Gajeel. Les rumeurs n'avaient rien d'exagéré. Le chasseur de dragon faisait indubitablement partie de la catégorie de mages que le jeune homme admirait et qui lui avaient donné envie d'intégrer Phantom Lord.

- T'es un vrai marrant toi ! souffla Sokka en s'essuyant le coin des yeux. Bon écoute, je te propose un marché. Si tu arrives à me mettre au tapis en une minute montre en main, je te ficherai la paix et t'entendra plus jamais parler de moi dans cette guilde. Mais si j'arrive à tenir face à toi pendant ce délai, je pourrais rester avec toi pour le reste de la journée. Marché conclu ?

Les yeux carmins de Gajeel se levèrent à nouveau et son regard croisa celui de son interlocuteur. Le gamin était vraiment sérieux là ?

S'il y avait bien une chose que Gajeel adorait plus que tout, c'était qu'on lui lance des défis, surtout lorsqu'ils impliquaient des combats Il soupçonnait le mioche d'avoir eu vent de cette info avant qu'il ne le provoque de la sorte.

Soit. Il allait rabattre le caquet de ce jeune insolent sur le champ.

Empoignant l'un des rebords de la table à laquelle il était installé, le chasseur de dragon projeta le meuble sur le côté et l'expédia à l'autre bout de la pièce, sous les regards médusés des mages alentours.

Pas la peine d'attendre plus longtemps. Le hall de la guilde serait parfait pour une petite baston improvisée. Ou plutôt pour la correction en règle qu'il allait infliger à ce garnement.

D'un geste rapide, Gajeel transforma son bras droit en une imposante masse et s'élança sur son adversaire qui n'avait toujours pas esquissé un mouvement.

Alors que le mage d'acier s'apprêtait à faire mouche, le corps de Sokka se mouva en un éclair pour esquiver et le jeune homme se propulsa sur l'épaule gauche du chasseur de dragon. Avec agilité, il effectua un salto avant et dégaina son épée alors que Gajeel amorçait déjà sa riposte. Les deux aciers s'entrechoquèrent et les combattants s'éloignèrent l'un de l'autre.

À cet instant précis, Gajeel considéra son adversaire d'un autre oeil. Le gamin avait joliment esquivé. Il n'était peut-être pas complètement nul. Peut-être allait-il pouvoir le distraire un peu avant de s'incliner.

Le chasseur de dragon s'élança à nouveau après avoir converti son bras gauche en épée tranchante. Il tenta d'asséner plusieurs coups au mage qui lui faisait face et ce dernier para les attaques avec une vélocité stupéfiante.

« La rapidité de ce gamin est anormale, songea Gajeel. Sa magie doit être basée sur la vitesse. Et il doit encore avoir d'autres tours dans son sac. C'est parfait, vraiment parfait ! ».

Le chasseur de dragon afficha un large sourire. Pendant le temps de ce duel, le môme était devenu sa proie. Il ferait tout pour l'avoir, tout pour le vaincre. Il était un chasseur de dragon. Celui devant lequel les autres perdaient, celui devant lequel ils s'inclinaient.

Personne ne pouvait lui résister.

« Viens par là ! s'exclama Gajeel d'une voix forte, émaillée de rires. Ramène-toi que je te fasse ta fête ! Tu crois pouvoir me battre alors que tu viens tout juste te débarquer ? Tu te prends pour qui, nabot ? AMÈNE-TOI ! ALLEZ ! ».

Levy sursauta à l'entente des paroles du chasseur de dragon et manqua de tomber du petit tabouret sur lequel elle était de nouveau assise. La respiration de Gajeel était soudainement devenue haletante et sous ses paupières, ses yeux semblaient s'agiter dans tous les sens. Se rapprochant du lit, la jeune femme vit que Gajeel recommençait à s'agiter et tirait sur ses sangles de façon frénétique.

Elle comprit immédiatement.

Il faisait une nouvelle crise.

Il revivait l'un de ses souvenirs de façon si réaliste qu'il en venait à bouger son corps et à parler tout seul.

Inquiète, la mage des mots posa sa main sur l'épaule nue du chasseur de dragon et la frotta doucement.

« Gajeel ? souffla t-elle. C'est Levy, est-ce que tu m'entends ?

Le chasseur de dragon continua à s'agiter, tirant encore plus fort sur ses liens qui étaient pourtant bien serrés. Les muscles de ses bras se contractèrent, exerçant une pression incroyable sur les lanières de cuir. Les veines présentes sur ses poignets devinrent encore plus visibles et les jointures de ses mains devinrent rapidement blanches.

- T'es pas mauvais, je te l'accorde ! s'écria à nouveau Gajeel d'une voix rauque. Mais si tu crois pouvoir me battre, tu te fourres le doigt dans l'oeil, sale morveux !

Douloureusement, Levy continua à caresser l'épaule de Gajeel, espérant lui apporter à la fois lucidité et réconfort.

Polyussica l'avait prévenu qu'il ne l'entendrait probablement pas lorsqu'il ferait ce genre de crises.

Les patients dans le coma entendent bien souvent les personnes présentes à leur chevet. Mais ce que vivait Gajeel à cet instant n'avait rien d'un coma.

Son esprit était totalement submergé par les souvenirs de son passé, ne laissant plus aucune place à ses sens ancrés dans le présent.

Pour autant, Levy ne se découragea pas. Même si cela était inutile, elle ne comptait pas le laisser affronter ça tout seul. Elle lui apporterait son aide, quoi qu'il en coûte.

Gajeel continua à s'époumoner contre son adversaire imaginaire pendant encore plusieurs minutes. Puis, petit à petit, ses cris diminuèrent en intensité jusqu'à ce qu'il sombre à nouveau dans l'inconscience, le front recouvert de transpiration.

Levy lui appliqua à nouveau une compresse fraiche sur le visage et constata que le mage d'acier était brûlant de fièvre.

De nouveaux souvenirs allaient probablement émerger à nouveau de son esprit dans les minutes ou les heures à venir. Levy en était consciente. Elle se réinstalla ainsi au plus près du malade pour être prête au cas où.


Flash-back

Quartiers Sud de Magnolia - 5 ans et demi plus tôt

« Gaj' ! Gaj' ! Attends-moi !

Le chasseur de dragon poussa un long soupir excédé. Ce gamin était décidément une vraie plaie. Plus collant que toute la glue du monde réunie.

Gajeel se retourna pour apercevoir Sokka qui courait derrière lui pour le rattraper. Il portait toujours sa fidèle épée derrière le dos et était revêtu d'une tenue de combat plutôt légère, adaptée à la chaleur environnante de cette fin d'été.

- Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler avec ce surnom ridicule… gronda le chasseur de dragon. Ça me donne envie de te frapper et de ne pas m'arrêter…

- C'est plus fort que moi ! s'exclama l'épéiste levant les mains en guise d'excuse. J'adore donner des surnoms aux gens que j'apprécie.

Le chasseur de dragon leva les yeux au ciel. Mais pourquoi diable avait-il consenti à ce que ce gamin fasse équipe avec lui ?

En effet, six mois plus tôt et contre toute attente, Sokka avait remporté son défi contre Gajeel en réussissant à tenir face aux assauts du mage. Gajeel répétait d'ailleurs à qui voulait l'entendre que ce « nabot » ne l'avait en aucun cas battu et qu'il s'était simplement contenté d'esquiver comme un « pauvre rongeur effrayé ».

Pour autant, le mage d'acier avait tenu sa parole et permis à la nouvelle recrue de le suivre pour la journée. Et il avait suffit de seulement vingt-quatre heures pour que le jeune homme parvienne à convaincre son aîné qu'il était un bon candidat pour l'assister dans certaines de ses missions.

D'abord réticent, Gajeel avait fini par reconnaitre au jeune garçon une certaine valeur au combat. Sa magie était fondée sur le maniement des armes et la manipulation de sa vitesse et de sa gravité pour effectuer des acrobaties. Même si les pouvoirs de Sokka étaient bien moins impressionnants que ceux de Gajeel, il réussissait malgré tout à suivre son rythme et s'était révélé plusieurs fois utile lors des expéditions du mage plus expérimenté.

C'était probablement la seule raison qui empêchait Gajeel de l'écrabouiller lorsqu'il l'affublait de surnoms ridicules ou lorsqu'il le privait sans vergogne de tout instant de tranquillité.

- J'ai entendu dire que tu partais combattre une guilde noire près d'Hosenka, s'exclama Sokka. Je viens avec toi ! Ça promet de l'action !

- Une seconde gamin, contra Gajeel. Qui t'a dit que tu pouvais m'accompagner ?

- Primo, on a que deux ans de différence. Et deuxio, j'ai demandé l'autorisation au maitre. Il est d'accord.

Immédiatement, les paupières de Gajeel se plissèrent et ses iris pourpres s'aiguisèrent.

Le gamin mentait sur le deuxième point, c'était évident. Et avec un sacré aplomb, qui plus est !

Mais contre toute attente, cela ne contrariait pas vraiment le chasseur de dragon. À vrai dire, Sokka avait une sacrée dose de cran et ça lui plaisait. Il préférait cela plutôt que d'avoir affaire à un groupie pleurnicheur qui n'aurait pas su dans quoi il s'embarquait. À la vérité, Sokka était tellement fougueux que Gajeel le comparait sans cesse à une « foutue boule de feu que toute l'eau du monde n'arriverait pas à éteindre ». Autant essayer de faire avec.

- Mmm… Okay, tu peux venir, concéda le fils de dragon. Mais je te préviens, t'as vraiment pas intérêt à…

- Oui je sais, j'ai pas intérêt à te gêner, compléta Sokka qui commençait à connaitre par coeur le caractère bourru de son équipier. Bon, on y va ou on reste plantés ici comme des piquets ?

Le chasseur de dragon ne répondit rien et se contenta de tourner les talons pour reprendre sa marche derechef. De l'extérieur, on aurait pu croire que l'empressement de son partenaire irritait Gajeel au plus haut point.

Pourtant, ce fut bel et bien un léger sourire amusé qui se peignit sur le visage du chasseur de dragon alors qu'ils reprenaient tous les deux la route.


La nuit de calvaire avait enfin pris fin et les premiers rayons du soleil vinrent peu à peu illuminer la chambre où demeurait alité Gajeel. Grâce à l'invervention de Lucy et Lily, Levy avait pu se reposer à intervalles réguliers, si bien que la fatigue ne la tenaillait plus autant que la veille.

Elle avait même eu le temps et la motivation de préparer un petit-déjeuner sommaire qu'elle apporta à ses camarades de guilde.

Et alors qu'elle avait repris sa place au chevet du pauvre Gajeel, plusieurs coups retentirent contre la porte de la chambre avant que celle-ci ne s'entrouvre doucement.

L'identité du visiteur surprit quelque peu Levy. En ce tout début de matinée, Makarof se tenait à l'entrée de la chambre du chasseur de dragon, enveloppé dans son manteau portant le symbole du groupe des Mages Sacrés.

Le maître de Fairy Tail s'avança dans la pièce et Levy se leva immédiatement de sa chaise.

« Non, non, reste assise Levy je t'en prie, rassura Makarof d'un geste de la main. On m'a dit que tu avais eu une nuit éprouvante ma chère enfant.

Levy ne pouvait pas vraiment donner tort au vieil homme, bien qu'il ne fut un secret pour personne qu'elle était habituée à veiller tard à la bibliothèque de la guilde pour étudier des manuscrits.

Le grand-père de Laxus se rapprocha du lit pour observer le chasseur de dragon qui y était allongé. Levy perçut clairement la tristesse qui déforma le visage du vieil homme. S'il y avait bien une chose que tous les Magnoliens pouvaient reconnaître à Makarof, c'était son dévouement sans faille pour les membres de sa guilde.

« Polyussica est venue à plusieurs reprises pour lui administrer des remèdes, informa Levy. Elle a dit qu'il devrait être rétabli dans peu de temps, si tout va bien.

Le maître de Fairy Tail poussa un léger soupir.

- Si c'est ce qu'elle a dit, je lui fais confiance. Je ne connais personne de plus qualifié qu'elle pour ce qui concerne les afflictions magiques.

Makarof observa encore quelques instants le visage du malade avant de prendre une chaise pour s'asseoir également à son chevet. Le patriarche de la guilde resta silencieux un long moment, plongé dans une profonde introspection.

- Je me souviens du jour où je suis allé à sa rencontre dans les vestiges du château de José… souffla t-il finalement. La bataille entre nos deux guildes avait pris fin quelques jours plus tôt. Tous les autres membres de sa guilde étaient partis aux quatre vents, mais lui était toujours dans ces ruines, en train de manger du fer, vêtu uniquement de haillons. Il émanait de lui une telle solitude… un désespoir sous-jacent.

Levy écoutait attentivement le maître de Fairy Tail. Comme tous les autres membres de la guilde, elle avait appris que c'était Makarof qui avait recruté Gajeel à la demande de Juvia. Pour autant, elle ne connaissait pas toute l'histoire. Et elle sentait grandir en elle une certaine curiosité à l'idée de connaître la suite.

- Ce jour-là, nous avons discuté un moment tous les deux et je lui ai laissé le choix. Venir avec moi et rejoindre Fairy Tail, ou bien demeurer cloîtré dans sa solitude. À ce moment-là, je l'avoue, j'ai bien cru qu'il allait refuser mon offre, qu'il allait m'envoyer paître comme il avait l'habitude de le faire avec tout le monde. Je m'étais préparé à cette possibilité. Mais ce jeune homme m'a donné tort. Il a pris la main que je lui tendais et nous sommes repartis ensemble, sans un mot. Il a conforté mon opinion selon laquelle tout le monde peut revenir dans la lumière après s'en être écarté.

Levy inclina respectueusement le buste face au maître de Fairy Tail.

- Vous êtes de loin celui qui incarne le plus la lumière parmi nous, maître, affirma la mage des mots. Vous avez invité Gajeel à nous rejoindre après tout ce qu'il a fait, ce qu'il nous a fait à Jett, Droy et moi.

- J'y avais réfléchi tu sais. Je savais que toi et tes camarades étiez suffisamment ouverts d'esprit pour lui laisser une seconde chance. Et l'avenir m'a donné raison.

Le regard de Makarof s'arrêta un instant sur la lumière du soleil transparaissant à travers les fenêtres puis revint sur le malade alité.

- Il tient beaucoup à toi tu sais, affirma Makarof d'une voix claire.

Immédiatement, Levy baissa la tête, gênée. Sa relation ambiguë avec Gajeel n'était pas vraiment le genre de sujet qu'elle aurait cru aborder un jour avec le maître.

Prenant conscience de son embarras, le vieil homme esquissa un petit sourire.

- Je ne dis pas cela pour te mettre mal à l'aise. Mais c'est pourtant la vérité. Une fois, peu de temps après que Laxus et l'unité de Raijin aient semé la pagaille dans Magnolia, il est venu me voir pour me demander où tu étais passée car il ne t'avait pas vue durant plusieurs jours à la guilde. Quand je lui ai répondu que tu étais partie en mission avec ton équipe, une immense déception s'est peinte sur son visage et il s'est mis à grommeler dans sa barbe en me tournant le dos. Je crois qu'il reprochait à tes deux camarades d'être trop « faiblards » pour veiller sur toi.

Les joues de Levy se colorèrent davantage à l'entente de l'histoire racontée par Makarof. Cela faisait plusieurs mois que la bataille de Fairy Tail avait pris fin. Elle n'aurait pas cru que Gajeel s'inquiétait de sa sécurité depuis aussi longtemps.

- Mon intuition s'est confirmée lorsqu'il s'est proposé pour être ton binôme lors de l'examen de mage de rang-S, poursuivit Makarof. Il est venu quérir ma permission de participer avec toi à cet examen. J'ai hésité à lui donner mon autorisation mais il semblait farouchement décidé à t'accompagner. Sa détermination m'a finalement convaincu d'accepter.

- Gajeel était très impatient de participer aux duels sur l'île de Tenro, reconnut Levy.

- Cela allait bien au delà du simple goût de la compétition. C'est la perspective d'y participer avec toi qui l'a motivé à y participer.

Le coeur de Levy se mit soudainement à battre plus fort. Elle se souvenait des mots qu'elle avait balancé à la figure de Gajeel alors qu'ils déambulaient dans la forêt touffue de l'île de Mavis.

« Et être avec moi, ça tu t'en moques, hein ? »

À ce moment-là, elle n'avait pas conscience d'avoir été blessante et injuste avec le chasseur de dragon. Elle l'avait cru lorsqu'il lui avait affirmé vouloir uniquement affronter des adversaires comme Natsu et Erza. Elle réalisait à présent que non seulement il lui avait menti mais qu'elle s'était également trompée.

- Quoi qu'il en soit, conclut le vieux maître, je suis heureux de voir que les choses se passent mieux entre vous et que vous veillez l'un sur l'autre. C'est cette entraide entre ses membres qui fait aussi la force de notre guilde.

Prenant appui sur le bord du lit, le maître de Fairy Tail se leva de sa chaise et tapota la jambe du malade.

- C'est un jeune homme robuste avec une détermination sans faille. Il saura surmonter cette épreuve. Je te souhaite bon courage Levy. N'hésite pas à contacter à nouveau Polyussica si le besoin s'en fait sentir. Je sais qu'elle peut paraitre peu avenante au premier abord mais je la connais bien. Rien ne lui fera plus plaisir que de se sentir utile en contribuant à remettre ce grand gaillard sur pied.

Sur ces paroles, le maître de Fairy Tail salua la mage des mots et prit congé. À travers la fenêtre, Levy le regarda sortir du bâtiment et remonter la rue.

Cette discussion avec Makarof lui avait fait du bien. Le maître avait raison. Même si cette maladie était d'origine draconique et générait de sérieux symptômes, Gajeel allait s'en tirer. Il possédait la force des dragons et une volonté aussi solide que l'acier qu'il avait coutume d'ingérer.

Les prochaines heures allaient être dures. Les crises allaient probablement revenir. Mais elle avait confiance. Tout irait bien.


Flash-back

Sud-Est du royaume de Fiore - 5 ans et demi plus tôt

Sans grande surprise, les choses avaient tourné exactement comme Gajeel l'avait anticipé. Les membres de la guilde noire n'avaient pas du tout flairé son piège et s'étaient tous rués comme des imbéciles vers l'extérieur de l'usine désaffectée qui leur servait de quartier général.

Après d'âpres combats, Sokka et lui avaient neutralisé à eux seuls la quasi-totalité de leurs troupes, non sans avoir épuisé pas mal de magie. Mais malgré cela, Gajeel demeurait satisfait. Ces salopards n'avaient rien eu dans le bide. Il en était venu à bout en deux temps-trois mouvements.

Cette facilité l'attristait même un peu. Il aurait voulu s'amuser plus longtemps avec ses adversaires. Mais hélas, c'était toujours pareil, il n'arrivait jamais à trouver d'ennemi à sa hauteur.

Il était si puissant, si dévastateur. Un vrai cauchemar pour quiconque se dresserait en travers de sa route.

« C'était vraiment intense ! s'enthousiasma Sokka en polissant son épée à l'aide d'un sort. Quels combats fabuleux !

- Tu parles, ils ne valaient rien du tout, souffla Gajeel, blasé. Pas la peine de s'extasier face à ça. Allez viens, on rentre.

Sokka haussa les épaules et suivit sans broncher le mage de rang S qui se dirigeait vers l'extérieur de l'enceinte.

Mais juste avant qu'ils n'y parviennent, un épais rayon noir fusa au travers du champ de vision de Gajeel qui eut tout juste le réflexe de parer l'attaque avec son bras métallique. Aussitôt, Sokka et lui aperçurent de nombreuses silhouettes se déplacer à la vitesse de l'éclair tout autour d'eux. Les deux Phantoms appuyèrent chacun leur dos contre celui de l'autre et tournèrent sur eux-mêmes afin d'avoir ensemble la vision la plus large possible. Et ils comprirent rapidement que la partie était loin d'être finie.

« Ils nous encerclent… Bon sang, c'est qui eux ? s'exclama Sokka.

Gajeel réfléchit quelques secondes avant de se remémorer les détails inscrits sur sa feuille de mission.

- C'est sûrement leur unité d'élite. Ils étaient censés être partis en expédition pour plusieurs jours à une trentaine de kilomètres. Apparemment ils sont revenus plus tôt que prévu.

- On les a peut-être prévenus de notre arrivée, suggéra le jeune garçon, prêt à dégainer à nouveau son épée

- Possible. En tout cas, ça tombe bien. J'avais vraiment besoin de me divertir après les pauvres mises en bouche qu'on a eu auparavant.

Les lèvres de Sokka esquissèrent un sourire. Voilà pourquoi il avait voulu devenir l'apprenti de Gajeel Redfox. Ce type ne reculait jamais face au danger, il ne désespérait jamais lorsqu'une situation se corsait. La peur le galvanisait au lieu de le paralyser. Un vrai mage guerrier.

Hélas, les nouveaux arrivants ne laissèrent pas le temps aux Phantom Lord de tergiverser davantage. Dans l'instant qui suivit, des sorts offensifs obscurs furent projetés sur le duo qui dût se séparer pour les esquiver. Gajeel roula en avant et changea ses deux bras en lames aiguisées tandis que Sokka réalisa un salto parfait et fit tourner son épée, prête à s'abattre sur ses ennemis.

« J'en compte cinq ! annonça Gajeel en s'élançant vers les arrivants. J'en prends trois et toi les deux autres ! ».

Sokka hocha la tête et ne protesta pas. Il se devait de suivre les ordres de celui qu'il considérait comme son mentor.

Le jeune homme courut en direction de l'un de leurs ennemis qui s'était étrangement maintenu immobile dans un coin de la pièce. Après s'être stoppé à bonne distance, il l'examina attentivement.

L'individu qui lui faisait face était revêtu d'une longue cape noire dotée d'une capuche qui cachait l'intégralité de son corps et de sa chevelure. Le reste du visage, à l'exception de deux yeux inexpressifs, était dissimulé par un masque sur lequel était inscrit à l'encre rouge un étrange signe étoilé.

« Un symbole démoniaque, remarqua Sokka. Ces types sont bien plus qu'une guilde clandestine. Ce sont des adorateurs de démons.

Quittant ses pensées, Sokka vit l'adversaire qui lui faisait face lever le bras gauche dans sa direction, tenant dans sa main un poignard à la lame courbée rougeâtre. L'objet semblait entouré de vapeur noire et cette vision arracha un frisson à l'élève de Gajeel.

Une voix gutturale parut soudainement émerger du masque sombre.

- Vous n'auriez jamais dû venir ici… Ceux que vous avez combattu n'étaient que de vulgaires humains que nous avions ensorcelés pour garder notre repaire et que nous espérions offrir en sacrifice. Leur mort allait nous permettre d'invoquer nos maîtres et leur douleur allait servir à les rassasier. À présent, c'est vous et votre ami que nous allons devoir faire souffrir et conduire dans l'autre monde pour réussir notre invocation. Ce soir, votre sang va couler et servir une grande cause.

- Tu peux toujours courir, sorcier de mes deux, cracha Sokka. Amène-toi, je t'attends ! Prépare-toi à dérouiller !

Avec aisance, Sokka dégaina et fit tournoyer son épée, autant pour gagner en confiance que pour déstabiliser son ennemi.

- Tu ne peux me cacher ta peur, pauvre déchet inutile. Malgré tous tes efforts, je la ressens au plus profond de toi. Et tu as raison d'avoir peur. Nous allons t'envoyer dans le gouffre noir et éternel.

Alors que Sokka s'apprêtait à répliquer avec un langage des plus fleuris, le mage noir réduisit en un instant l'écart qui le séparait du jeune garçon et asséna un rapide coup de poignard dans sa direction, de la vapeur rougeâtre s'élevant dans l'air.

D'un mouvement circulaire ample, Sokka bloqua le coup d'estoc. Ses sens l'alertèrent aussitôt et lui firent ressentir l'apparition d'une autre présence dans son dos. Il se déporta très vite sur le côté mais, hélas, une seconde trop tard.

La lame de son second adversaire lui avait légèrement entaillé l'épaule droite. Très rapidement, les deux adversaires de Sokka combinèrent attaques au poignard et sorts de combat, probablement dans le but de le submerger. Le jeune mage parvint à esquiver et à parer les attaques de ses ennemis mais cela lui coûta grandement. Il mobilisait bien trop d'énergie magique et n'avait même pas le temps de riposter. Allait-il parvenir à tenir le coup ?

Oui, il allait le faire. Il le devait. La réputation de la guilde des Phantom Lord était en jeu. La plus puissante guilde du pays ne connaissait pas l'échec et il en était parfaitement conscient.

De son côté, Gajeel vivait un moment de pure extase. Les trois adversaires qu'il affrontait étaient vraiment coriaces. Il avait l'impression constante de se battre contre des ombres et pour leur faire face, il devait mobiliser bien plus de magie que d'habitude. Il allait peut être même devoir recourir aux techniques secrètes anti-dragon que son père lui avait enseigné. Le pied total.

Le chasseur de dragon esquissa un large sourire. Enfin un combat à sa hauteur. Enfin une occasion de s'amuser. Enfin une chance de démontrer qu'il était le meilleur. C'était vraiment pas trop tôt.

Le combat dantesque dura pendant de longues minutes et pendant tout ce temps, Gajeel s'amusa comme jamais auparavant. Ces enfoirés avaient réussi à le blesser à plusieurs endroits. Il pouvait sentir ses plaies au niveau de la cuisse gauche, du bras gauche et de la hanche droite.

Mais la douleur qui l'irradiait ne le dérangeait pas. Bien au contraire. Elle le galvanisait. Elle le faisait se sentir vivant.

Il allait leur faire mordre la poussière, il allait leur montrer qui était le plus puissant mage de Fiore.

Oh ça oui, il allait…

« GAJEEEEL ! »

Un cri strident retentit dans toute la salle et parvint aux oreilles de Gajeel avec une netteté qui figea instantanément ses muscles et le pétrifia d'effroi. Instinctivement, la tête du chasseur de dragon se tourna vers l'origine du cri.

La première chose qu'il vit fut l'épée de Sokka projetée au loin.

Le regard de Gajeel s'aiguisa et la vision d'horreur le frappa de plein fouet.

Immobile, la silhouette de Sokka était entourée par deux des cinq mages noirs qui s'attelaient à le poignarder de toutes parts avec une frénésie bestiale. La bouche ouverte en un cri muet, Gajeel vit les lames de leurs couteaux entrer et sortir du corps de son élève, secoué de soubresauts. Il entendit avec terreur le bruit de la chair que l'on pénètre sans relâche et les halètements de douleur qui s'échappèrent de la victime.

Cinq fois, huit fois, douze fois…

Giclant par grosses gouttes, le sang de Sokka macula très vite le sol de la salle dans laquelle Gajeel était en train d'assister au pire spectacle de sa vie.

Le chasseur de dragon garda la bouche ouverte, incapable de réagir. Le temps semblait s'être arrêté autour de lui. Il regarda fixement le visage de celui qui l'avait accompagné tant de fois en mission. De la souffrance pure, voilà ce que le jeune homme ressentait à cet instant. Tous les traits de son visage exprimaient cette émotion.

Sans crier gare, une fureur destructrice et indomptable s'empara du chasseur de dragon d'acier.

Gajeel sentit irradier dans chaque cellule de sa peau une puissance que lui-même n'avait jamais soupçonnée. Les particules d'ethernanos présentes dans son corps s'accumulèrent en une poignée de secondes et sa magie se déchaina avec une intensité incommensurable. Des jets d'énergie grisâtres déferlèrent sur les trois adversaires postés autour de lui et les projetèrent contre les murs de la salle avec une violence inouïe. Les corps des trois mages noirs s'écroulèrent au sol, comme des pantins désarticulés à qui on aurait coupé les fils.

Sans même remarquer que des écailles étaient apparues sur son visage, Gajeel s'éleva à travers la salle d'un bond prodigieux et atterrit juste à côté des deux monstres qui poignardaient son ami.

Avant même qu'ils ne puissent esquisser le moindre mouvement, il les empoigna par la gorge, écrasant sans retenue leur trachée, avant de les projeter en l'air. Le mage d'acier planta fermement ses deux pieds dans le sol, prit une profonde inspiration et relâcha en un seul sort toute la magie dont il était doté à cet instant.

« FUREUR HURLANTE DU DRAGON D'ACIER ! »

Une tornade dévastatrice s'échappa de la bouche de Gajeel et vint frapper de plein fouet les deux tortionnaires de la guilde clandestine. Leurs corps inanimés s'écrasèrent avec violence et roulèrent sur plusieurs dizaines de mètres. Gajeel entendit leurs os se briser sous l'impact avant qu'ils ne rejoignent les carcasses des trois monstres qu'il avait précédemment vaincu.

Le mage d'acier contempla les cinq corps qui s'étalaient à sa vue avant de rejoindre Sokka avec empressement.

Le jeune homme était allongé sur le sol et haletait bruyamment, peinant à respirer. Une mare de sang s'étendait déjà autour de lui. Le liquide rougeâtre commençait même à s'écouler de sa bouche, lui colorant macabrement les dents.

« Gaj'… articula difficilement Sokka. Tu… as… réussi…

- Ferme-là, ordonna Gajeel en retirant à la hâte son t-shirt. Tu dois garder tes forces pour le retour.

Le chasseur de dragon retira son haut et l'utilisa pour tenter de compresser les plaies de son élève. Mais les plaies étaient bien trop nombreuses et bien trop profondes. Le sang avait déjà imbibé presque intégralement le tissu.

« Gaj'…

- Je t'ai dit de la boucler, insista Gajeel qui s'agitait frénétiquement pour trouver une solution. Je vais t'emmener à Hacalifa. Il y a une vieille là-bas, elle arrive à pratiquer les sorts de guérison. Elle pourra te soigner, elle peut le faire…

- Gaj'… répéta Sokka. Tu sais… comme moi… qu'il n'y a plus rien… à faire…

- La ferme ! hurla le chasseur de dragon. Je t'ordonne de la boucler ! Tu m'entends ?! C'est un ordre !

La mâchoire serrée à s'en faire mal, Gajeel passa ses mains sous les aisselles de Sokka et tenta de le relever. Le jeune mage poussa un puissant cri de douleur et Gajeel le relâcha.

Le chasseur de dragon regarda ses mains et ses yeux s'écarquillèrent. Elles étaient recouvertes de sang. Le sang d'un être humain. Le sang de son élève. Le sang de quelqu'un qui allait bientôt mourir.

Les doigts de Gajeel se mirent à trembler, sans qu'il ne puisse rien y faire. Il était en train de perdre tout contrôle sur ses émotions, pour la première fois de sa vie.

- Gajeel… Regarde-moi… S'te plait…

Tétanisé, le chasseur de dragon plongea ses yeux carmins dans les orbes marrons de son compagnon de route. La seule chose qui l'empêcha de détourner aussitôt le regard fut la sérénité qui se dégageait de ces prunelles. Une forme de plénitude qui atteignit Gajeel en plein coeur.

- Tu n'as pas… à t'en faire… C'est pas grave. Je n'ai pas… de regret. J'ai accompli… mon objectif. J'ai pu… intégrer… ta guilde. Je t'ai… rencontré. Tu as été… mon mentor… mon ami…

- Ne parle pas au passé, souffla Gajeel. Je te l'interdis. Tu vas t'en sortir.

Le sourire empreint de tristesse sur les lèvres de Sokka s'élargit. Tous deux savaient que la dernière phrase de Gajeel était un mensonge. Mais cela mettait quand même du baume au coeur au mage mourant.

- Merci pour tout… Gajeel… Et merci de m'avoir… rendu… f… fort…

Quelques secondes plus tard, le souffle entre les lèvres de Sokka se tarit et ses paupières se fermèrent doucement.

Les yeux de Gajeel s'écarquillèrent encore plus.

Non… Ce n'était pas possible… Ça ne pouvait pas être vrai… C'était sûrement un rêve, une foutue illusion projetée par ces enfoirés d'adorateurs.

Le chasseur de dragon secoua l'épaule de son élève. D'abord doucement, puis de plus en plus vigoureusement. Voyant qu'il n'obtenait pas de résultat, il empoigna ensuite les deux omoplates et agita le corps étendu au sol en hurlant. Mais malgré tous les efforts de son mentor, les yeux de Sokka restèrent définitivement clos.

Une chape de plomb s'abattit sur les épaules de Gajeel. Le mage s'assit lourdement à côté de son ami, incapable de bouger. Il resta de longues minutes à le fixer, avant de se rendre compte qu'un étrange liquide salé s'écoulait abondamment de ses yeux et maculait ses joues.

C'était la première fois que ça lui arrivait. Et ça faisait bien plus mal que n'importe quelle blessure.

Dans le monde réel, Levy et Lily étaient stupéfaits. Cela faisait maintenant plusieurs minutes qu'une nouvelle crise était survenue et que Gajeel semblait avoir replongé dans l'un de ses souvenirs.

Et à présent, un flot de larmes coulait de ses yeux et ses poings agrippaient désespérément les draps défaits. Le chasseur de dragon semblait en proie à une détresse infinie.

La jeune femme sentit l'émotion l'étreindre. Cette fichue maladie était en train de faire revivre à Gajeel un épisode de sa vie particulièrement triste. Peut-être l'un des plus tristes de son passé. Et elle ne pouvait rien y faire.

Prudemment, la mage des mots s'assit sur le rebord du lit et prit la main de Gajeel dans la sienne. Elle la serra doucement et en caressa le dos avec son pouce, décrivant de petits cercles. Levy espérait que où que soit son esprit, Gajeel pourrait ressentir ce geste et en être apaisé.

Quelques minutes plus tard, les larmes arrêtèrent progressivement de couler et le visage de Gajeel se détendit quelque peu. Puis la voix du mage d'acier s'éleva dans la pièce sur un ton solennel, comme s'il s'adressait directement à ses occupants.

Perdu, Lily fronça les sourcils.

« Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il dit, déclara l'Exceed. Il parle une autre langue ?

Levy acquiesça, tentant de retenir chacune des paroles prononcée par le mage.

- C'est du draconien antique. La langue que parlaient les dragons il y a 400 ans. Son père a sûrement dû lui apprendre.

- Je vois. Et tu en comprends le sens ?

- À peu près, oui.

Même si Levy connaissait une grande quantité de langues presque oubliées, les dialectes comme le draconien antique demeuraient particulièrement difficiles à déchiffrer en raison de la différence d'alphabet et de phonétique. Fermant les yeux, la leader des Shadow Gear tâcha de retenir chaque mot prononcé par Gajeel et de les traduire le plus fidèlement possible.

- « Puisses ton esprit rejoindre les cieux où volent nos semblables et ceux qui les ont précédé. Puissent tes ailes s'agrandir et te porter au royaume de la félicité perpétuelle. Puisses-tu demeurer fort, puissant et redoutable malgré les âpres du temps et l'impétuosité de la nature sur ton corps et ton esprit. Puisses ton essence parcourir les mers, les terres, connues ou inconnues, et les faire siennes pour l'éternité. Que ton souvenir demeure dans la mémoire de notre espère et que ta descendance porte fièrement l'héritage que tu lui as laissé. ».

Une fois la tirade de Gajeel terminée, Levy rouvrit les yeux et adressa un regard peiné à Lily. Maintenant qu'elle les avait traduites, elle reconnaissait parfaitement les paroles que Gajeel venait de prononcer. Elle les avait déjà lues dans un livre consacré aux rites suivis par les dragons au cours des siècles.

- Gajeel vient de prononcer les paroles rituelles de commémoration des dragons, annonça t-elle. Celles que ces créatures prononçaient lorsqu'elles perdaient l'un des leurs. En d'autres termes… il vient de se remémorer la mort de l'un de ses proches… ».


Trois heures s'étaient écoulées depuis la dernière crise de Gajeel. Le mage d'acier commençait petit à petit à reprendre des couleurs malgré le fait qu'il soit toujours plongé dans l'étrange sommeil provoqué par la fièvre de Kiryk.

À l'instar de Polyussica, Levy pensait que la guérison du mage était proche et cela lui réchauffait plus que jamais le coeur. Elle avait hâte que Gajeel se remette et que tout redevienne comme avant. Mais d'un autre côté, elle se demandait si cela allait être réellement possible.

La convalescence de Gajeel lui avait appris quelque chose qu'elle savait déjà mais qu'elle avait toujours inconsciemment occulté.

La vie de Gajeel avait été particulièrement dure avant qu'il ne rejoigne Fairy Tail. Le chasseur de dragon avait manifestement vécu de terribles épreuves et ne les avait pas complètement surmontées.

Pourtant, depuis le début, la jeune femme avait toujours vu le chasseur de dragon comme un véritable roc, une personne sur qui on peut se reposer en permanence parce qu'on sait que rien ne peut le faire s'effondrer. Mais elle savait à présent que tout ceci était faux. Terriblement faux.

Comme tout le monde, Gajeel avait ses faiblesses, des doutes, des fissures plus ou moins profondes creusées par son passé tumultueux. Qu'importe la façon dont évoluerait leur relation, Levy devait à présent en tenir compte.

La mage des mots se fit mentalement la promesse d'être davantage à l'écoute du mage d'acier à l'avenir, de l'épauler quoi qu'il en coûte et d'être un soutien indéfectible pour lui, comme il l'était pour elle. Elle en faisait le serment.

Plusieurs coups timides retentirent à la porte de la chambre. Levy quitta sa place pour aller ouvrir.

Une jeune femme aux cheveux aussi bleus que sa tenue et à la peau blanche comme neige se tenait sur le pas de la porte.

« Bonsoir Levy. Juvia a fait aussi vite qu'elle a pu lorsqu'elle a reçu ton message.

La mage des mots esquissa un aimable sourire.

- Je te remercie d'être venue Juvia. Tu peux entrer.

La magicienne aquatique ne se fit pas prier et pénétra dans la pièce. Comme tous les précédents visiteurs, elle fut très peinée de l'état dans lequel se trouvait le chasseur de dragon. Levy la rassura. La guérison de Gajeel était pour bientôt, elle en était certaine.

« En vérité… confessa Levy à son amie, je t'ai fait venir pour une raison… un peu égoïste.

L'ancienne membre des Quatre Éléments pencha la tête sur le côté.

- Juvia doute que Levy puisse se montrer égoïste mais elle l'écoute malgré tout.

Levy narra alors à son amie la dernière crise vécue par Gajeel et les paroles finales que ce dernier avait prononcé. Il était évident que le chasseur de dragon s'était remémoré la perte d'un proche et Levy souhaitait en savoir plus.

Ayant fait parte de la guilde des Phantom Lord à l'instar de Gajeel, Levy espérait que Juvia pouvait lui fournir davantage d'explications.

« Il est en effet arrivé quelque chose de terrible à Gajeel il y a plusieurs années. Juvia n'était pas arrivée à Phantom Lord depuis très longtemps, elle n'a entendu que des rumeurs mais… il lui semble que Gajeel a perdu son premier partenaire de mission lors d'une expédition contre une guilde clandestine.

Levy porta la main à sa bouche, choquée. C'était encore pire que ce qu'elle redoutait. Gajeel avait vécu l'une des pires choses qui puisse arriver à un mage.

« Et que s'est-il passé ensuite ?

- Gajeel a dû aller rapporter l'incident à Maître José.

- Je vois… murmura Levy en se rappelant la cruauté de l'ancien adversaire de Fairy Tail. Et comment a t-il réagi ?

Le visage de Juvia se voila instantanément après que Levy eut posé sa question.

Ce jour-là, la fille de la pluie revenait de l'une de ses premières missions. Chaque nouveau membre de la guilde des Phantom Lord se devait de faire un rapport détaillé au maître en personne pour que celui-ci s'assure que le nouveau venu n'ait pas déshonoré l'image de la guilde au cours de sa mission. Une coutume retorse mise en place par le premier maître de la guilde, l'impitoyable Geoffrey.

Juvia s'était donc docilement rendue devant le bureau de Maître José et avait patienté sur l'un des fauteuils rembourrés installés dans le couloir. Au bruit qui régnait dans la pièce d'à côté, elle avait compris que quelqu'un était déjà avec le maître dans son bureau.

Il s'agissait de Gajeel.

Même s'ils étaient faits de pierre épaisse, les murs du château de la guilde ne parvenaient pas à bloquer suffisamment le son. La conversation qui se tenait dans le bureau de José n'échappa donc pas à la mage de l'eau.

Et aujourd'hui encore, elle regrettait amèrement d'avoir écouté…

Flash-back

Guilde des Phantom Lord - 5 ans et demi plus tôt

Assis dans son épais fauteuil en cuir pourpre, José tentait tant bien que mal de contenir sa colère. Debout face à lui, Gajeel essayait de garder un visage impassible, malgré le récit qu'il venait de livrer.

« Et donc, tu dis que le mioche qui t'accompagnait dans cette mission a rendu l'âme sous les coups des types de cette guilde clandestine ?

- Oui maître. Il s'est éteint quelques instants après la bataille.

- Tu appelles ça une bataille ? s'exclama José. J'appelle ça un véritable fiasco. Bon sang, tu peux me dire ce qui t'as pris d'emmener un gamin aussi inexpérimenté que lui dans cette mission ?

Les poings de Gajeel se serrèrent. Il n'avait pas choisi d'emmener Sokka avec lui pour cette mission. Mais il l'avait laissé l'accompagner. Et cette erreur avait mené le garçon à sa mort.

- J'ai pensé qu'il serait bien pour lui de gagner en expérience en m'accompagnant. J'ai fait une erreur. J'en assume la responsabilité.

Poussant un soupir, José se leva de son fauteuil et contourna son bureau en ébène pour se placer devant son élève.

- Tu es un mage puissant Gajeel. Peut-être le plus puissant que j'aie vu depuis que je dirige cette guilde. La magie des dragons coule dans tes veines et nous savons tous les deux qu'elle est absolument sans pareille. Les autres mages sont des insectes pour toi. Tu aurais très bien pu accomplir cette mission sans t'encombrer d'un boulet pareil. La preuve en est que tu as vaincu ces cinq mages noirs à toi tout seul.

Gajeel s'apprêta à hausser les épaules mais se retint juste à temps. Avant ces évènements, il aurait sans aucun doute éprouvé une immense fierté pour avoir réussi à battre ces mages à plate couture. Cela aurait sûrement flatté son ego et l'aurait conforté dans sa position auto-proclamée de mage le plus puissant du continent. Mais plus maintenant. Pas après tout ça, pas après ce qu'il s'était passé.

Prenant son silence pour un regret dans l'accomplissement de sa mission, José posa sa main sur l'épaule de son champion.

- Tu n'as pas à te reprocher quoi que ce soit. Ce gamin était faible, je l'ai su dès que je l'ai vu. Avant de casser sa pipe, la vieille bique qui s'en occupait a versé une généreuse contribution à notre guilde afin qu'il y soit intégré. C'était la seule et unique raison de sa présence parmi nous. Il va de soit que si j'avais su qu'il te allait te coller aux basques ainsi, je serais intervenu avant. Un nuisible comme lui n'avait rien à faire avec un mage aussi fort que toi.

Les poings de Gajeel se serrèrent une nouvelle fois, mais pour une toute autre raison. Alors que depuis presque une journée son esprit semblait complètement vide et anesthésié, il se surprit à ressentir une émotion envahir sa conscience. Une colère sourde dirigée contre son maître, contre celui à l'égard duquel il s'était toujours montré loyal, à qui il avait toujours obéi.

Pourquoi ressentait-il cela ?

- Cet incident doit nous servir de leçon à l'avenir, poursuivit José. Nous n'accepterons plus les mages de cette espèce, susceptibles de ternir l'image de notre guilde. Nous sommes les plus puissants et nous devons le rester. Dis-moi à présent, où se trouve le corps du gamin ?

Les yeux de Gajeel se reportèrent brusquement sur le visage de José. Pourquoi voulait-il savoir cela ?

- Je l'ai ramené à la guilde maître. Je pensais lui offrir une sépulture dans l'enceinte du château.

Le mage sacré secoua immédiatement la tête et la sentence tomba comme un couperet.

- Il est hors de question que ce minable soit enterré aux côtés des nobles guerriers qui ont jadis fait la réputation de Phantom Lord. Une telle action serait une insulte à leur héroïsme et à toute notre histoire. Prends la dépouille avec toi. Brûle-là, enterre-là, jette-là aux ordures, aux chiens ou à la mer… Fais ce que tu veux mais fais-le le plus loin possible de ce château. Je ne veux plus jamais entendre parler de ce gamin. Me remémorer la présence d'un faiblard pareil dans nos rangs me donne envie de rendre mon repas.

Face au refus sans appel exprimé par son maître, Gajeel ferma les yeux quelques secondes, suffisamment pour que le visage de Sokka s'impose derrière ses paupières. Il le revit, souriant, l'appelant au loin, le suppliant de ralentir le rythme pour lui laisser le temps de balancer une vanne à la chute douteuse. Puis il imagina le visage de son élève consumé par le feu, gonflé par l'humidité, maculé par un mélange d'herbe et d'humus.

En rouvrant les yeux, Gajeel avait pris sa décision.

Le chasseur de dragon d'acier hocha lentement la tête devant son mentor.

- Entendu… maître. Je ferai selon votre volonté.

Il tourna ensuite les talons pour se diriger vers la sortie du bureau. Mais la voix de José résonna derrière lui,

- Gajeel ?

Le chasseur de dragon se retourna, affichant sur son visage un air passablement détaché.

- Éprouvais-tu de la sympathie pour ce gamin ? demanda José sur un ton suspicieux. Ressens-tu de la tristesse maintenant qu'il a rejoint l'autre monde ?

Le mage d'acier ne répondit pas pendant plusieurs secondes, avant de finalement secouer la tête de droite à gauche.

- Non, maître. L'attachement comme la tristesse sont des sentiments qui me sont étrangers. Ils sont réservés aux faibles et je ne souhaite pas en devenir un.

Un large sourire empli de fierté perverse et de cruauté assumée se dessina sur les épaisses lèvres de José. Il avait vraiment trouvé la perle rare en la personne de ce garçon. Une arme redoutable que bientôt, tous les autres maîtres de guilde redouteraient et lui envieraient.

- C'est très bien, approuva le mage sacré. Vraiment très bien. Tu es réellement exceptionnel mon garçon. Un combattant, un soldat comme on en voit qu'un par siècle. Je suis très fier de toi. Tu peux disposer à présent.

Désirant plus que tout obéir à ce dernier ordre, Gajeel s'inclina respectueusement avant de prendre congé. En sortant, il croisa le regard de la fille qui patientait dans le couloir. La fille de la pluie, s'il se souvenait bien.

Il s'engagea ensuite dans le corridor adjacent et descendit les escaliers, le visage fermé.

Oui, il était un combattant, un soldat qui se devait d'obéir aux ordres.

Mais parfois, même le soldat le plus obéissant se contente de dire à son supérieur ce qu'il veut entendre. Et de cela, José n'en était absolument pas conscient.

Quelques jours plus tard, en plein coeur d'une clairière verdoyante et lumineuse de la forêt de l'Est, un couple de randonneurs magnoliens découvrit ce qui s'apparentait à une sépulture récente.

La tombe, entièrement faite d'acier, était magnifiquement ouvragée. L'alliage composant la sépulture semblait réfléchir les rayons du soleil et d'élégantes arabesques enrobaient les angles de la plaque commémorative . Sculpté sur le dessus, un imposant dragon aux ailes déployées semblait prêt à prendre son envol pour rejoindre nonchalamment les cieux.

Curieux, le couple lut ensemble l'inscription en italique gravée sur l'épitaphe :

« Ici repose le plus grand épéiste de la vénérable guilde de Phantom Lord.

Parti en éradiquant les ténèbres de ce monde pour faire triompher la lumière.

Ne l'oublions pas ».


La première chose que Gajeel sentit au moment de son réveil fut la lourdeur située au niveau de ses globes oculaires. Comme si on les avait remplacés par deux grosses billes en acier. Il tenta d'ouvrir les paupières. Immédiatement, une sensation de picotement désagréable l'assaillit. Il ferma à nouveau les yeux et la douleur s'apaisa.

Reprenant lentement conscience, il tenta à nouveau d'ouvrir les paupières afin de discerner l'environnement qui l'entourait. Il échoua une nouvelle fois et recommença. Encore et encore. Chaque nouvelle tentative lui sembla plus dure que la précédente, la lumière du jour agressant sans pitié ses yeux demeurés trop longtemps fermés.

Après de nombreux efforts, le chasseur de dragon parvint finalement à recouvrir sa vision et prit alors conscience de l'endroit où il se trouvait.

Son appartement. Son chez-lui.

Il était allongé sur son lit, dans sa chambre dont il reconnaissait sans peine le plafond traversé de poutres en acier caractéristiques.

Le chasseur de dragon tenta de se lever mais l'ensemble de son corps le freina immédiatement.

Sa tête lui paraissait lourde comme du plomb et il avait l'impression qu'une barre de fer avait été plantée dans son crâne d'une tempe à l'autre pour qu'un sadique puisse la faire tourner très lentement afin de lui faire ressentir une par une chacune des terminaisons nerveuses de son cerveau.

Changeant de stratégie, il essaya de bouger les bras mais fut frappé par la même incapacité. Ses muscles étaient complètement endoloris, comme s'il avait été tabassé en règle par un groupe de types enragés ou piétinés sans vergogne par un troupeau de Balkans des forêts. Il arrivait à peine à remuer la pointe de ses orteils sans qu'une douleur lancinante ne fasse son apparition.

Enfin, sa bouche lui semblait pâteuse et il mourrait véritablement de chaud, comme s'il venait de passer de longues heures en plein soleil un jour de canicule.

Prenant conscience qu'il ne pourrait pas faire grand chose dans son état, Gajeel tenta de se remémorer les derniers évènements dont il se souvenait.

Il venait de finir une mission avec Levy dans un village ayant autrefois été administré par des dragons. Ils avaient tous les deux chuté dans une immense cavité et avaient fait des pieds et des mains pour en sortir durant plusieurs heures. Au cours de leur périple, ils avaient trouvé des cadavres de dragons. Des dizaines de squelettes parfaitement intacts. Cette découverte l'avait vraiment perturbé.

Durant toute son enfance, il avait été persuadé que les dragons étaient des êtres si puissants que même la mort ne pouvait les atteindre. Il s'était trompé. Le seul point positif de leur mésaventure fut la découverte des parchemins que Levy était venue chercher dans une salle adjacente à la nef où ils avaient retrouvé les dépouilles des créatures. Ne parvenant pas à dénicher une sortie, ils avaient dû crapahuter durant des heures dans un véritable labyrinthe avant de parvenir à s'extraire des souterrains.

Ensuite… il ne s'en souvenait plus trop. Ils étaient tous les deux rentrés à Magnolia et il lui semblait qu'il avait commencé à ressentir des immense fatigue puis… plus rien.

Mettant de côté ses maigres bribes de souvenirs, Gajeel tourna la tête et remarqua la présence d'une personne à ses côtés.

Assise sur un fauteuil, le visage rentré dans ses bras pliés sur le bord du lit, Levy somnolait paisiblement. La jeune femme avait retiré le foulard fleuri qui retenait habituellement sa chevelure bleutée et cette dernière dégringolait à présent en cascade sur ses épaules nues. Plongée dans un profond sommeil, son visage semblait parfaitement détendu et sa respiration lente et profonde.

De multiples questions envahirent en un instant l'esprit du chasseur de dragon.

Qu'est-ce que Levy faisait chez lui, dans sa chambre ? Est-ce qu'il était tombé malade ? Est-ce qu'il s'était blessé ? Ou bien avait-il fait un malaise ? Est-ce que Levy l'avait appris ? L'avait-elle veillé durant tout ce temps ? Si c'était le cas, pourquoi avait-elle fait ça ? Et Lily ? Et les autres ? Où étaient-ils ?

Gagné par une vive impatience, Gajeel tenta à nouveau de se relever mais ses muscles ne purent soutenir l'effort et il retomba lourdement contre l'oreiller qui maintenait sa tête. Les vibrations extirpèrent Levy du sommeil dans lequel elle était plongée. Elle ne tarda pas à découvrir que ses prières avaient été exaucées.

« Tu es réveillé… souffla la mage avec soulagement.

Le mage d'acier porta son attention sur les prunelles noisettes qui l'observaient à leur tour.

- Levy… murmura péniblement Gajeel. Qu'est-ce… qu'est-ce qui s'est passé ?

La jeune femme se pencha en avant et posa sa main sur le front du chasseur de dragon. Sa fièvre semblait être tombée mais il ne fallait pas pour autant se réjouir trop vite.

- Dis-moi d'abord comment tu te sens, demanda Levy. C'est très important.

- J'ai mal au crâne… et j'ai des courbatures, répondit Gajeel. Mais ça a l'air de diminuer petit à petit. Bordel… dis-moi que j'ai seulement pris une grosse cuite au bar de la guilde.

Levy étouffa un petit rire, imaginant sans peine un Gajeel à l'esprit embrumé par l'alcool déambulant devant la guilde une pinte de bière à la main.

- J'aurais nettement préféré, crois-moi, affirma la mage. En réalité, tu as été malade durant plusieurs jours. Tu as contracté une maladie draconique. La fièvre de Kiryk.

Le visage de Gajeel blêmit en un instant.

- Oh merde…

- Tu connais cette maladie, on dirait… devina la jeune femme.

- Oui… mon père m'a raconté pas mal d'histoires à propos de ce truc. À ce qu'il parait, cette saloperie a décimé pas mal de ses compagnons dans le temps. Il m'interdisait de l'accompagner dans les Anciennes Terres à cause de ça. Tu crois que c'est ce qui a tué tous les dragons que nous avons aperçus ?

- J'en ai discuté avec Lucy et ça me parait plus que probable oui.

Gajeel demeura pensif. L'ancien royaume de Dragonof était connu pour avoir abrité des dragons bienveillants envers les humains, qui les aidaient dans leur quotidien et les protégeaient contre les ennemis extérieurs. Cette maladie avait ainsi causé une véritable tragédie en affectant des êtres aussi charitables.

- Je suis navrée, murmura Levy. C'est moi qui t'aies incité à m'accompagner pour cette fichue mission. Si tu n'étais pas venu avec moi à Bashgar, tu n'aurais pas attrapé cette fièvre.

Gajeel secoua immédiatement la tête, un air renfrogné sur le visage.

- Dis pas de conneries. Tu ne pouvais pas savoir à ce moment-là, pas plus que moi. Ce jour-là, on accomplissait tous les deux notre devoir de mage. On savait très bien dans quoi on s'embarquait, on connaissait les risques. En plus de ça, cette maladie s'est répandue très largement sur l'ancien territoire des dragons, ce qui signifie que j'aurais pu chopper ce truc n'importe où ailleurs dans Fiore et durant n'importe quelle autre mission. Tu n'as donc pas à te torturer à propos de ça. Pigé ?

Levy acquiesça face au plaidoyer de son partenaire de mission. Elle était heureuse de voir que Gajeel avait retrouvé suffisamment de forces pour lui faire une leçon de morale dans les règles de l'art.

Attirés par la voix grave émanant de la chambre, un petit groupe composé de Polyussica, Lucy et Lily pénétra dans la pièce. Tous affichèrent une mine soulagée en voyant que le chasseur de dragon était réveillé et en pleine possession de ses moyens.

« On est très contents de voir que tu vas mieux, assura Lucy en s'avançant.

- Tu nous as fichu une sacrée frousse, renchérit Lily. Ton état était tel qu'il nous a fait craindre le pire.

- Désolé… s'excusa le mage d'acier en levant sa main droite engourdie. Je suis content de vous voir aussi, même si pour moi notre dernière rencontre ne remonte qu'à quelques heures.

De son côté, Polyussica se rapprocha du malade et se mit à l'examiner avec la plus grande attention.

À l'aide de plusieurs de ses instruments soigneusement rangés dans sa mallette en cuir, la vieille femme l'ausculta, prit sa température et examina le fonctionnement de ses principaux organes vitaux sous le regard attentif des autres mages présents.

Une fois son examen terminé, elle recula pour laisser un peu d'air au malade.

« Je pense que le pire a été traversé, affirma la pharmagicienne avec conviction. Les principaux symptômes de la maladie semblent avoir disparus et je ne doute pas que les plus mineurs s'estomperont très vite. Ta condition de chasseur de dragon et ton niveau de magie ont dû certainement y contribuer. Toutefois, un autre facteur bien plus important explique ta rapide guérison.

Gajeel leva un de ces sourcils métalliques, attendant la suite.

- Tes camarades ici présents se sont relayés à tour de rôle pour s'occuper de toi et t'administrer scrupuleusement les médicaments que j'avais prescrit. Surtout cette jeune fille qui t'a veillé jour et nuit ces trois derniers jours, en dépit de mes avertissements répétés.

Tout en parlant, la pharmagicienne avait pointé son index en direction de Levy. Les yeux de Gajeel se tournèrent alors vers la désignée et son regard s'accrocha instantanément au sien.

La mage des mots put sans peine y lire toute la reconnaissance que ressentait l'ancien mage de Phantom Lord à son égard.

À cet instant précis, tout comme cela avait été le cas dans la grotte où ils avalaient réalisé leur pénultième mission, les orbes rougeoyants du chasseur de dragon et les prunelles noisettes de la mage des mots s'unirent pour ne former qu'un seul et unique regard. Un regard à travers lequel une myriade de sentiments s'exprimaient sans aucune barrière, sans la moindre frontière.

Affection, admiration, attachement, fascination, tendresse…

Chacun des deux mages semblait tout simplement hypnotisé par le regard de l'autre, comme si rompre le lien visuel qui les unissait eut été le pire sacrilège à commettre à cet instant.

Rapidement, des expressions gênées prirent place sur le visage des autres personnes présentes.

- Eh bien… hum… je pense personnellement qu'il y a bien trop de monde dans cette pièce, affirma Lucy sur un ton qui se voulait subtil et innocent. Laissons donc notre malade se reposer comme il se doit.

Polyussica et Lily approuvèrent son idée et ils quittèrent silencieusement la pièce afin de laisser les deux autres mages seul à seul.

Sans réfléchir, Gajeel prit la main de Levy dans la sienne et joignit ses doigts aux siens. La peau douce et chaude de la mage des mots rencontra une nouvelle fois l'épiderme rugueux et froid du chasseur de dragon. La complémentarité résultant de ce simple contact arracha un agréable frisson à l'un comme à l'autre.

- Merci… Levy, souffla Gajeel. Merci d'avoir veillé sur moi.

La jeune femme haussa une épaule.

- Tu aurais sûrement fait la même chose si j'avais été à ta place et toi à la mienne.

- Oui, sans aucun doute, affirma le chasseur de dragon. Parce que c'est la philosophie de ma nouvelle guilde. Veiller les uns sur les autres, et particulièrement sur ceux qui nous sont chers.

Face à la confession du fils de Métallicana, les joues de Levy se colorèrent d'une jolie teinte rosée.

- Gajeel… reprit doucement Levy. Il faut que je te dises quelque chose…

- Je t'écoute.

Levy se mordit la lèvre, hésitante. Elle savait que ce qu'elle s'apprêtait à dire perturberait probablement le chasseur de dragon. Mais elle voulait être honnête avec lui sur ce qu'elle avait entendu.

- Je suis au courant de ce qui est arrivé à Sokka…

Comme elle l'avait prévu, la phrase de la jeune femme aux cheveux bleutés semble prendre complètement au dépourvu le chasseur de dragon et son visage se couvrit d'un voile de tristesse.

- La fièvre de Kiryk t'a fait revivre des souvenirs et Juvia m'a raconté le reste de l'histoire, expliqua Levy. Ne lui en veux pas, j'ai insisté pour qu'elle me raconte toute l'histoire. J'avais besoin de comprendre… ce que tu as traversé.

Les pièces du puzzle s'assemblèrent dans l'esprit de Gajeel. Il comprenait à présent d'où provenaient ces visions si réalistes de son funeste passé. Cette foutue maladie les lui avait fait revivre avec un réalisme saisissant.

- Désolée, je suis maladroite, s'excusa Levy en se levant de sa chaise. Tu ne dois sûrement pas avoir envie de te replonger dans ce genre de souvenirs. Je vais te laisser te reposer.

Alors que la mage des mots s'apprêtait à s'éloigner pour sortir de la pièce, la main de Gajeel lui retint l'avant-bras avec détermination. Visiblement, une partie de ses réflexes lui était revenue.

- Reste… s'il te plait… demanda le chasseur de dragon, presque suppliant.

Devant l'insistance de celui qu'elle avait veillé durant des jours, Levy consentit à se rasseoir à ses côtés.

- J'ai gardé ce passé en moi pendant bien trop longtemps, affirma le mage. Ce qui m'est arrivé ces derniers jours, je l'interprète comme un signe. Il faut que j'arrête de fuir les mauvaises choses que j'ai vécu. Je dois y faire face et m'en libérer en les racontant.

Levy adressa à son partenaire de mission un sourire empli de fierté.

Gajeel avait parcouru tant de chemin depuis son arrivée à Fairy Tail. À cette époque, jamais il n'aurait accepté de partager la moindre histoire, la moindre pensée ou le moindre de ses ressentis avec qui que ce soit. Et aujourd'hui, il acceptait de se décharger d'une partie de son fardeau et de se confier à elle.

Le chasseur de dragon se racla la gorge et commença son récit :

- Sokka et moi, nous nous sommes rencontrés alors qu'il venait à peine d'intégrer Phantom Lord. Je m'étais installé dans un coin du réfectoire de la guilde lorsqu'il est venu me voir…


Une semaine plus tard, alors que le soleil entamait sa longue descente vers l'arrière des montagnes entourant Magnolia, une silhouette sombre parcourut le dédale naturel de la forêt de l'Est, composé à la fois d'arbres centenaires, de buissons épineux et de rochers massifs.

L'individu poursuivit sa promenade jusqu'à une petite clairière à la végétation abondante, connue uniquement des initiés ayant l'habitude de fouler ces terres sylvestres dissimulées.

Après avoir effectué une méticuleuse inspection des alentours afin de s'assurer qu'il était seul, Gajeel marcha jusqu'à atteindre la tombe en acier qu'il avait installé et gravé à cet endroit, cinq ans en arrière.

Le fils de Métallicana n'était pas revenu à cet endroit depuis très longtemps. Il constata ainsi que la sépulture avait été recouverte ça et là par plusieurs enchevêtrements de lierre et quelques parcelles de mousse verdâtres. Il entreprit alors de nettoyer scrupuleusement l'ouvrage afin de redonner toute sa brillance à l'acier dont était constitué la tombe et et de conserver la lisibilité des plus délicats caractères qui y étaient inscrits.

Une fois son labeur achevé, les yeux rougeoyants de Gajeel restèrent fixés un long moment sur la stèle métallique, avant qu'il ne s'avance pour prendre la parole.

« Écoute… commença t-il d'une voix incertaine. Je sais que je ne me suis pas pointé depuis un long moment, et je m'en excuse. Je ne sais pas du tout… où tu te trouves en ce moment et si tu es capable de m'entendre ou non. Peut-être que tu es parti dans une sorte de paradis depuis lequel les mortels ne peuvent pas être entendus. Peut-être que ton esprit s'est fait la malle depuis longtemps et que je me retrouve juste devant un bout de métal totalement inanimé. Ou peut-être que tu es juste au dessus de moi, assis sur un foutu nuage en train de te payer ma tête en me voyant parler tout seul comme un idiot. Peu importe.

Le chasseur de dragon dandina légèrement sur un pied, mal à l'aise à l'idée de devoir continuer. Tout ça, toutes ces mielleries, ce n'était pas vraiment son truc. Mais il n'avait pas le choix. Il s'était fait la promesse de venir ici une fois rétabli. Et il tenait toujours ses promesses.

- Tu sais… poursuivit Gajeel, quand je t'ai rencontré la première fois, j'étais un mage solitaire et implacable. Je ne pensais qu'à exprimer ma force et ma férocité à travers des combats sanglants desquels je ressortirais toujours vainqueur. J'avais une vision binaire du monde qui m'entourait. Pour moi, il y avait les forts d'un côté et les faibles de l'autre. Le monde était aussi simple que ça. Il n'y avait pas de question à se poser. Et puis… tu es arrivé. Avec ton audace, ta bougeotte et ton sourire un peu niais. Et même si je jouais souvent au type bourru et agacé, il faut que tu saches que je prenais toujours plaisir à t'écouter palabrer sur toutes sortes de sujets et à t'entendre raconter des vannes qui, la plupart du temps, ne faisaient rire que toi.

Gajeel se stoppa. Il pouvait presque entendre son ami s'indigner contre la dernière phrase qu'il venait de prononcer.

- Quoi ? s'exclama le chasseur de dragon en levant la tête. C'est la vérité, tu as toujours eu un humour pourri !

Le mage d'acier ricana. Si son élève était toujours de ce monde, nul doute qu'il l'aurait houspillé pendant un bon quart d'heure à ce sujet.

- Bref, durant les six mois que nous avons passé ensemble, je me suis ouvert à toi comme jamais je ne l'avais fait auparavant. J'ai gagné un ami alors que je n'en avais jamais vu l'utilité avant ton arrivée. Et puis… tu es parti.

Au souvenir de cette terrible journée, les poings de Gajeel se serrèrent. Il ne devait pas craquer ici, pas dans le seul endroit où il pouvait communier avec son ancien partenaire. Il devait se montrer fort devant lui. Coûte que coûte.

- Quand c'est arrivé, j'ai ressenti un flot d'émotions comme je n'en avais connu, avoua Gajeel. Je n'avais encore jamais expérimenté la tristesse, la perte, le chagrin. C'était des émotions que mon père ne m'avait jamais permis d'appréhender, tout comme notre maître de guilde après lui. J'ai laissé tous ces sentiments inconnus m'envahir pendant plusieurs jours et leurs effets sur moi ont été terribles. J'ai chialé, cogné, hurlé à n'en plus pouvoir… Bordel, ça faisait tellement mal, si tu savais… J'avais l'impression qu'au plus profond de moi, un immense barrage avait cédé et que je me retrouvais englouti dans un déluge sans fin. Lorsque j'ai finalement recouvert mes esprits, je me suis fait une promesse. Ne plus jamais ressentir de pareilles émotions. Plus jamais. L'expérience avait été bien trop éprouvante et bien trop avilissante pour un mage de ma trempe. Petit à petit, je me suis convaincu que Maître José avait raison. Je devais me focaliser sur ce que je savais faire le mieux. Vaincre au lieu d'être vaincu, dominer au lieu d'être dominé et ne plus jamais laisser place au moindre affect ou à la moindre émotion. J'ai vécu comme cela pendant des années. Et je sais à présent que c'était une erreur.

À court d'air après sa longue tirade, Gajeel prit son temps pour inspirer et expirer de nouvelles bouffées d'air. L'ancien Phantom Lord conservait encore quelques séquelles de sa contamination par la fièvre de Kiryk et l'essoufflement qu'il ressentait à cet instant en était l'une des manifestations. Polyussica l'avait informé que ces réminiscences de la maladie mettraient plusieurs semaines à s'estomper définitivement.

- Aujourd'hui, je fais partie de Fairy Tail, annonça le chasseur de dragon. Tu dois probablement trouver ça dingue de là où tu es. Mais tu peux me croire, je ne regrette pas un instant d'avoir rejoint cette bande d'allumés. Parce que… parce que…

Gajeel se mordit l'intérieur de la joue. Il s'était promis de tout raconter à son défunt compagnon, même ce qui lui paraissait inavouable.

- Parce que parmi eux, j'ai fait la connaissance d'une fille… une fille vraiment exceptionnelle… Elle t'aurait sûrement beaucoup plu. Elle est très belle. Ses cheveux sont de la couleur des vagues qui s'écrasent sur le bord des rivages d'Akane et ses yeux sont de la couleur du bois tendre de la forêt près de Shirotsume. Elle peut être animée à la fois par la douceur d'une plume et par la force d'un ouragan. Mais surtout, elle possède une gentillesse et une force d'âme que je n'avais encore jamais vu chez un autre être humain auparavant.

Le chasseur de dragon se gratta la tête avant de poursuivre.

- Il y a peu de temps, elle m'a sauvé la vie. Elle a veillé sur moi durant des jours et m'a tiré des limbes dans lesquels j'étais enlisé. Et depuis ces évènements, je n'arrête pas de penser… que la vie est courte, bien trop courte pour avoir le moindre regret. C'est pourquoi j'ai pris une décision.

Le fils de Métallicana prit une profonde inspiration avant de lâcher à voix haute :

- Je vais annoncer à cette fille… ce que je ressens. Il faut qu'elle sache… que je l'aime depuis longtemps…

La dernière phrase prononcée par Gajeel resta un long moment en suspens, alors que l'herbe fraîche de la clairière paraissait plus que jamais balayée par le vent. Un battement de cils plus tard, une nouvelle brise s'éleva dans les airs et sembla envelopper le corps du chasseur de dragon, lui faisant ressentir une légère pression.

Comme si une main invisible venait de se poser sur son épaule pour lui dire qu'il avait pris la bonne décision…


C'est ainsi que s'achève le troisième chapitre de ce recueil à la taille tout bonnement titanesque ! J'espère sincèrement que vous n'avez pas trouvé le texte trop long et que les nombreux flash-backs ne vous ont pas trop perturbé. Je sais en effet que beaucoup d'entre vous n'en raffolent pas particulièrement, mais je trouvais assez intéressant de creuser plus profondément le passé de Gajeel tout en vous faisant découvrir un mal affectant les chasseurs de dragons. J'espère aussi avoir suffisamment développé la relation de Gajeel et Levy, même si cette dernière est restée un peu plus en retrait que dans les chapitres précédents.

Par ailleurs, certain(e)s d'entre vous auront peut-être repéré la petite référence à la série d'animation « Avatar : Le dernier maître de l'air » que j'ai glissé dans ce chapitre. J'ai en effet regardé la série avec mon petit cousin il n'y a pas très longtemps et j'ai une nouvelle fois totalement surkiffé. Cette série est, selon moi, la preuve que l'on peut créer des oeuvres magnifiques s'adressant à la fois à un public jeune et adulte. Si vous ne connaissez pas cette merveille et que vous possédez l'aspirateur de soirées baptisé Netflix, je vous invite donc fortement à aller la découvrir, vous ne perdrez pas votre temps.

Sur ces bonnes paroles, je vous donne rendez-vous pour un nouveau chapitre de cette fiction ou bien d'une autre. Portez-vous bien ! La bise !