Mai
Un volcan restait un volcan, même s'il était endormi. Il pouvait toujours se réveiller et entrer en éruption, noircir le ciel de sa colère et plonger le sol sous sa lave incandescente. Certaines choses étaient intrinsèquement dangereuse, même si elles semblaient endormies. Leur nature ne changeait pas et avec le temps, on oubliait ce dont elles étaient capables, ces choses dangereuses.
Théodore Nott était le volcan endormi de Sally-Anne Perks aussi sûrement qu'elle était le sien.
Il tremblait et elle fulminait. Alors que tout le monde courrait dans les couloirs, que les uns étaient évacués et que les autres se préparaient silencieusement à la bataille, ils se regardaient dans le blanc des yeux, perdus au milieu des cachots des Serpentard presque désert.
— Je n'arrive pas à y croire, marmonnait en boucle Sally-Anne.
L'après-midi même, elle apprenait qu'elle était enceinte et maintenant…
Théodore était un état pitoyable et grattait la peau de son bras qui le démangeait. il suait à grosses gouttes. Quelque chose l'appelait. Il pouvait y résister, il pouvait l'ignorer, mais la voix du Seigneur des Ténèbres l'appelant à lui était bien là, dans son esprit et dans sa chair, qui reconnaissait cet ordre.
— Il faut qu'on parte, annonça Théodore.
Elle fut prise d'un mouvement de recul et il l'implora en silence.
— Je ne vis pas dans ton monde, où on peut se permettre de mourir pour ses idées.
— Et je ne vis pas dans le tien, où on peut se permettre de vivre pour seulement subir ! cracha-t-elle avec mépris. Lève ta manche.
Théodore secoua la tête, si timidement, si doucement, que cela fut presque imperceptible.
— Lève ta manche ! ordonna une fois de plus Sally-Anne d'un ton sec. Je veux voir. Je veux la voir. Je n'y croirais pas, si je ne la vois pas. Parce que j'ai encore confiance en toi, parce que … Parce que je suis conne, d'avoir l'espoir de me tromper, de ne pas avoir été assez stupide pour …
Théodore la fit taire d'un mouvement sec, empoignant la manche de sa chemise qu'il releva seulement pour dévoilé sa peau blanche et terne, noircie d'une moitié de serpent qui se devinait à peine.
— Pour quoi ? Sally-Anne ? Assez stupide pour quoi ?
— Pour penser que je pouvais t'aimer, acheva-t-elle.
— Je ne suis pas un Mangemort.
Sally-Anne comprit qu'elle était stupide et qu'elle le serait encore, s'agissant de Théodore.
— Tu …. Tu n'avais pas le choix. N'est-ce pas ?
Il savait qu'il fallait mentir.
S'il voulait encore qu'ils aient une chance, il fallait qu'il mente. Qu'il lui dise qu'il n'avait effectivement pas eu le choix. Mais au fond de lui, Théodore savait. Il l'avait eu ce choix. Il aurait pu se battre. Il aurait pu protester. Fuir sa maison. Refuser de rentrer chez son père et partir. Cela aurait été compliqué, mais certainement pas impossible.
Ce n'était pas ce qu'il avait fait.
— Sally-Anne… Cette guerre, on va la perdre. Ça ne sert à rien de se battre.
— Harry Potter est ici ! L'Ordre du Phénix est ici ! Ils protègent le château ! Le Professeur Rogue est parti. C'est maintenant qu'il faut se battre !
la foi de Sally-Anne, telle un volcan endormi, s'était réveillée alors qu'elle avait été en sommeil durant ces derniers mois où elle avait perdu espoir.
Peut-être qu'elle aurait un avenir ici. Peut-être qu'elle n'aurait pas besoin de fuir la Grande-Bretagne pour un pays qu'elle ne connaissait pas. Peut-être qu'elle pourrait participer à libérer, à protéger tout ceux qui souffraient par la faute du Seigneur des Ténèbres et de ses Mangemorts. Peut-être que c'était maintenant, qu'il fallait se montrer courageuse. Peut-être que le point de bascule aurait lieu cette nuit.
— Mais que penses-tu qu'il ferait, face à un mage noir ? s'écria Théodore.
C'était la première fois qu'il perdait réellement patience avec elle, qu'il désespérait de lui faire entendre raison.
— Tu voulais toi-même partir ! Tu voulais fuir !
— Si on me donne de quoi espérer, je resterais, affirma Sally-Anne. S'il faut que tu fasses un choix, c'est maintenant.
Elle lui donnait encore une chance.
Mais Théodore n'avait pas envie de la saisir. Il n'avait pas envie de faire semblant de croire en quelque chose pour une autre personne que lui-même.
Alors il recula à son tour.
Il recula, les yeux fermés, pour ne pas affronter le regard de Sally-Anne, désemparée, comme si l'idée même qu'il puisse refuser son offre ne lui avait jamais traversé l'esprit.
Sally-Anne ne s'était jamais accrochée qu'à sa tante, dans sa vie et après sa mort, elle s'était noyée pendant très longtemps, avant de retrouver quelqu'un d'autre, à qui s'ancrer.
Théodore putain de Nott.
Et lui, il essayait de se souvenir de leur dernier baiser. De leurs derniers câlins. De la dernière fois qu'il avait caressé sa peau nue.
Il savait que ça lui manquerait.
Ils auraient dû n'être que des adolescents.
Il rouvrit les yeux, pour retrouver les siens. Elle le regardait pour la dernière fois, il le savait. Alors, elle attacha ses longs cheveux blonds presque blancs et sans se servir d'un miroir, écrasa une couche généreuse de rouge-à-lèvre carmin sur ses lèvres avant de saisir sa baguette. Après ça, elle ne le regarda plus, ses prunelles perdues dans le vide. Elle passa à côté de lui, et lui tourna le dos, sortant de la Salle commune des Serpentard.
— Sally-Anne ! Sally-Anne !
Il l'appela à plusieurs reprises, sans qu'elle ne lui réponde. Il la vit de profil et elle souriait, avant de tourner à droite. Il déambula à sa suite, dans les couloirs, conquis pas le chaos des élèves terrifiés, déterminés, tremblant ou hurlant. Théodore rentra dans un première année, les mains sur les oreilles et les yeux fermés, en train de se bercer.
Nathaniel Crimson.
Il prit les deux mains du garçon dans les siennes, et se mit à sa hauteur :
— Ne reste pas immobile ! Dégage d'ici ! Maintenant !
il n'y avait aucun adulte pour guider cet enfant. Rien. Il était perdu dans cette masse et les pierres du château se mirent à trembler.
Théodore ne retrouverait jamais Sally-Anne. Pas dans cette guerre. Pas dans ce fouillis, où tout le monde courrait dans tous les sens sans savoir où aller. Cet endroit était devenu un labyrinthe dont quelques uns sortiraient peut-être, mais où d'autres, très certainement, se perdraient pour toujours.
Alors Théodore Nott prit Nathaniel avec lui.
Ils évitèrent les premières accromentules, les premiers sorts, les premières morts, et une fois arrivés dans l'enceinte extérieure du château éclairé par les maléfices et les sortilèges, ils quittèrent Poudlard sans se retourner.
Ils ne virent pas Sally-Anne lutter, se battre, perdre sa baguette et la retrouver juste à temps pour se protéger. Ils ne la virent pas pleurer la mort de Crivey, qui était juste à ses côtés, ni même celle de Rhiannon qui avait le visage figé dans une éternelle expression terrifiée.
Ils ne la virent pas tuer Alecto Carrow et vomir juste après.
Ils ne la virent plus jamais.
Plus personne ne la revit plus jamais.
