Les retrouvailles avec son seigneur et père ainsi que ses frères et sœur sont plus amères que ce à quoi s'attendait Ned.
Évidemment, ils sont heureux de se revoir – Benjen saute carrément au cou de son loup taiseux d'aîné et Brandon ne ménage pas les claques affectueuses sur les épaules tandis que Lyanna commente sur la taille qu'il a atteint non sans jalousie admiratrice, même lord Rickard se fend d'un sourire pareil à une entaille pratiquée dans l'écorce d'un barral ou dans un mur de glace. Cependant, il existe une distance entre Ned et le reste de la famille Stark, une distance établie lorsque le patriarche a jugé bon d'envoyer son second fils dans le Sud, dans les Eyriés, et une qui ne s'effacera jamais entièrement même quand Ned retournera dans le Nord pour ne plus le quitter.
« Tu vois, je n'ai pas fondu » lance-t-il à Lyanna pour cacher son malaise en face de cette révélation. « Es-tu rassurée, maintenant ? »
« Comme si je m'inquiéterais jamais à ton endroit » proclame la louve, le nez en l'air et aussi hautaine et cruelle que les chutes de neige en plein cœur de l'hiver, quand les paysans glacés et affamés décomptent les provisions restant dans le garde-manger et se demandent qui sacrifier afin de survivre jusqu'au printemps.
La dernière fois que Ned a vu sa sœur en chair et en os, celle-ci était encore une gamine tout en coudes et en genoux, le visage trop long pour être réellement gracieux et empestant fréquemment les écuries et la boue. Vraiment, il aurait du mal à la décrire comme belle – elle est sa sœur, de toute façon, ce sont les filles qu'il faut trouver belles et Ned ne pense pas qu'il arrivera à considérer Lyanna comme une fille pour la simple raison qu'elle est née des mêmes parents que lui.
Mais objectivement, Lyanna à quinze ans s'avère de manière surprenante le genre de beauté qui pousse les hommes à s'arrêter en chemin. Elle n'est pas exactement délicate – d'accord, elle est à mille lieues d'une lady du Sud, rien dans ses mouvements ni dans ses traits n'évoque la délicatesse ou la fragilité qui inspirerait une armée de chevaliers à prendre les armes pour courir à sa rescousse – mais Lyanna est saisissante, voilà le mot, saisissante comme une épée parfaitement forgée qui étincelle au soleil, saisissante comme une flèche qui abat sa cible malgré une trajectoire précaire.
Lyanna est belle à la manière de l'hiver – car l'hiver a ses moments de sublime, de grandiose, en dépit d'apporter la mort et la faim et les membres engourdis qu'il faut trancher car ils ne se réveilleront pas. Belle d'une manière un peu cruelle, un peu indifférente – et indifférente, elle l'est certainement envers Robert.
Il faut dire que le jeune suzerain des Terres de l'Orage ne laisse pas exactement la meilleure impression quand il est présentée à sa future épouse, tout d'abord ouvrant largement et stupidement la bouche, un poisson échoué sur la berge de la rivière en voulant sauter trop haut, puis en déclarant que leur nuit de noces sera encore plus redoutable que de participer à la mêlée sans casque ni armure.
Lyanna ne sourit pas à son promis – elle lui montre les dents, aussi longues et blanches que les crocs d'un loup se préparant à égorger le berger venant de lui flanquer un coup de bâton pour le chasser loin du troupeau de proies grasses et bêtes.
« Suis-je donc un adversaire si redoutable ? » demande-t-elle, vaguement hargneuse mais un soupçon de vanité flattée derrière ses mots.
Et c'est là que Robert gâche tout.
« Pas si redoutable que ça. Les femmes finissent toutes par s'attendrir quand on sait les entreprendre, et j'ai une sacrée expérience dans ce domaine ! »
Mauvais choix, très mauvais choix de rappeler à Lyanna que Robert a un tel appétit pour la chair qu'une épouse légitime ne suffira vraisemblablement pas à le rassasier et qu'il continuera à courir la gueuse une fois ses noces célébrées sous le regard des dieux et des hommes. La louve ne le gifle pas à la volée, mais seulement car Benjen s'empare de sa main et s'empresse de foudroyer des yeux le grand gaillard aux cheveux noirs et aux yeux bleus qui pèse facilement le triple du louveteau et pourrait le casser en deux s'il décidait de le renverser sur son genou.
Même Brandon pince les lèvres pour exprimer sa désapprobation, et Brandon ne vaut pas mieux que Robert en ce concerne la conquête des charmes féminins.
Heureusement que Sebas est là pour rattraper la situation et faire oublier la grossièreté joviale de Robert par sa courtoisie impeccable, en bon jeune seigneur issu du Val d'Arryn.
« Lady Lyanna, j'ai malheureusement le regret de ne pas pouvoir vous inviter à chasser avec mes rapaces puisque mon seigneur et père n'a pas trouvé la place pour les emmener, mais je sollicite néanmoins une course à cheval dans le bois sacré si le cœur vous en dit, et si vous êtes assez miséricordieuse pour me laisser croire qu'il est possible d'être plus rapide que vous en selle. »
La fille de lord Rickard penche la tête, une étincelle amusée dansant à l'intérieur de ses prunelles gris sombre.
« Et si je vous humiliais abjectement de ma supériorité à la place, lord Sebas ? » demande-t-elle avec grand sérieux.
« Je serais contraint de me consoler dans le vin, ce pour quoi votre frère vous maudirait copieusement car l'alcool me pousse à loucher et Ned est le support parfait pour tituber jusqu'à mon lit afin de cuver. »
« Il ne ment pas » confirme lugubrement Ned – Sebas ne boit qu'en très petites quantités car il ne supporte absolument pas le vin, un seul verre suffit à le rendre somnolent pour la plus grande incompréhension de Robert qui ingurgite des seaux et des tonnelets de bière et autres liqueurs afin de vaciller et de mâcher ses mots.
« Voilà qui rend la perspective encore plus alléchante » sourit Lyanna, le sourire qu'elle a depuis toute petite et qui annonce qu'elle s'apprête à vous jouer un méchant tour par ennui, même pas car elle se considère offensée.
« Pitié pour notre Ned, madame » implore Sebas d'un ton jovial qui contredit son expression granitique. « N'est-il pas de votre meute ? »
« Oh, ça dépend de sa conduite dans les jours à venir. N'est-ce pas, Ned ? »
Elle a raison, après des années de séparation, c'est difficile de se sentir proche de sa fratrie. Si Ned désire renouer les liens qu'ils entretenaient avant que le minot de huit ans ne devienne le pupille de lord Arryn, il devra se montrer des plus attentifs et prévenants pendant le tournoi, dès qu'il trouvera le temps entre les activités prévues pour distraire les spectateurs et convaincre la noblesse de s'amuser au jeu des trônes.
Alors qu'il rumine ce constat, une autre pensée fuse dans l'esprit du loup taiseux, et c'est qu'il est navrant que la main de Lyanna soit promise à Robert plutôt qu'à Sebas, vu comment la rencontre entre la louve et les deux jeunes gens s'est déroulée.
Enfin, ce qui est fait est fait, et les signes portaient à laisser croire que Robert serait un bon mari pour Lyanna, un qui apprécierait son caractère et sa sauvagerie – et ça semble le cas, c'est simplement dans un sens plus négatif que prévu.
Ned priera dans le bois sacré pour que cette négativité ne s'aggrave pas, en dépit du soupçon qui lui mordille les tripes et susurre que ce ne sera pas le cas.
