- … Allo ?

Noah porta son téléphone à son oreille après avoir retiré le haut-parleur – de cette façon, il entendrait plus clairement cette voix aussi chevrotante que faible.

- Oui, Stiles ? Répondit-il.

A l'autre bout du fil, une respiration plus qu'irrégulière. Le shérif fronça les sourcils.

- Je… J'ai soif.

Légère pause.

- Je suis désolé de te… De t'appeler, de te déranger juste pour ça, mais j'ai oublié de prendre une bouteille en montant et je… Enfin… J'ai mal, s'expliqua rapidement l'hyperactif.

Noah retint un soupir, de sorte à ne pas alarmer son fils.

- Je t'apporte ça tout de suite.

Et il raccrocha.

Noah déposa son téléphone sur la table basse du salon et se dirigea vers la cuisine. De là, il s'empara d'une des bouteilles d'eau dans le frigo et entama la montée des escaliers. Une ride d'inquiétude profonde barrait son front. Disons que le shérif n'aurait jamais cru penser cela un jour, mais… Oui, Stiles le préoccupait. Son moral le préoccupait. Il avait l'habitude des frayeurs inhérentes aux activités surnaturelles de son fils, à quelques blessures parfois… Mais tout cela restait de l'ordre du physique, de la survie.

Au fil des années, Stiles ne lui disant rien mais paraissant toujours sûr de lui, Noah avait appris à oublier certaines choses… Dont l'idée que son fils puisse avoir des insécurités et un moral changeant. C'était pourtant quelque chose d'aussi logique que naturel... Qui ne lui sautait aux yeux que depuis que Stiles se retrouvait victime de « ce » problème – aussi incongru qu'embêtant. Si Noah était compréhensif et empathique concernant les femmes et la douleur que pouvait leur occasionner leurs règles, il savait que la situation allait le forcer à ouvrir davantage son esprit. Qu'il le veuille ou non, Stiles expérimentait ce phénomène et… C'était fort. Assez, en tout cas, pour qu'il ouvre involontairement une faille à portée de son père, une faille qui laissait entrevoir certaines de ses fragilités. De fait, Noah prenait donc conscience de ces choses qu'il n'aurait pas dû oublier – il s'en mordit les doigts. Parce qu'il n'avait pas du tout aimé la manière dont Stiles lui avait parlé au téléphone, la manière dont il l'avait, si Noah lisait correctement entre les lignes, supplié de ne pas lui en vouloir. Il avait aussi la fâcheuse habitude de toujours minimiser ce qu'il pouvait ressentir et qui lui faisait mal. Stiles n'irait jamais lui dire qu'il souffrait le martyr, mais le simple fait qu'il avoue la douleur en tant que telle était un marqueur inquiétant en soi. En ce qui le concernait, tout ce qui sortait des clous habituels montrait que quelque chose n'allait réellement pas.

Noah devait reconnaître qu'il n'avait pas été trop présent pour son fils ces dernières années et cet évènement on ne peut plus surréaliste lui en faisait graduellement prendre conscience. Néanmoins, il connaissait malgré lui la façon dont Stiles fonctionnait – il n'en voyait le côté malsain qu'actuellement, alors qu'il lui paraissait plus démuni que jamais.

Mais Noah ne montra rien de sa préoccupation à son fils lorsqu'il pénétra dans sa chambre et qu'il lui tendit la bouteille. Stiles le remercia sans le regarder dans les yeux et le shérif nota la pâleur de son visage, les cernes qui s'y creusaient une place, ses gestes d'une lourdeur étonnante. L'hyperactif but deux grandes goulées d'eau et se rallongea dans le lit en pressant la bouillotte contre son bas-ventre sans un mot de plus. Et Noah, plus que quiconque, savait qu'un Stiles silencieux n'était pas bon signe.

- Fils, l'appela-t-il doucement en s'asseyant au bord du lit.

Stiles releva un regard peu assuré dans sa direction… Et Noah y perçut malgré lui quelque chose qui ne lui plut pas. Sans pouvoir identifier clairement ce que c'était, il pouvait néanmoins rapprocher ça d'une forme de peur, ou d'appréhension. Or, Stiles ne devrait pas être ainsi en sa présence. Après tout, Noah était son père : il ne fallait pas qu'il le craigne.

- Est-ce que tu sais que tu peux me demander ce que tu veux ?

C'était la question qui lui était venue en premier, d'instinct, celle qu'il désirait poser le plus tôt possible. Noah voulait que Stiles comprenne que sa retenue n'avait pas lieu d'être : en tant que père, il ferait tout pour le soulager de ses maux ou, le cas échéant, l'aider à mieux supporter la situation.

Stiles détourna un instant le regard mais hocha la tête. Silencieux.

- Tu sais que tu n'as pas besoin de t'excuser pour une bouteille d'eau ?

L'hyperactif lâcha un discret soupir.

- Je sais, juste… Normalement je pense à en prendre une.

La réponse paraissait un peu hors-sujet selon Noah, mais il n'en fit pas cas : Stiles lui paraissait suffisamment gêné pour qu'il essaie de ne pas en rajouter une couche en lui faisant la remarque.

- Ça n'a pas d'importance, continua le shérif. Tu n'as pas à t'excuser de quoi que ce soit… Tout comme tu n'as pas besoin de te justifier quand tu me demandes quelque chose.

Stiles baissa les yeux presque aussitôt, adopta malgré lui l'attitude d'un gamin pris en faute. Pourquoi continuait-il de révéler ce qu'il cherchait désespérément à cacher depuis toujours ? Parce qu'il n'arrivait pas à faire semblant : impossible pour lui de contenir ce mal-être qui l'habitait en permanence. Le pire, c'est qu'il ne comprenait pas pourquoi le moindre effort à ce sujet lui paraissait monumental. Il se sentait… Triste. Triste d'embêter son père, triste d'être dans un tel état, triste de se retrouver seul… D'autant plus que cela lui semblait très soudain, peut-être même un peu trop. Arrivait-il pour autant à s'adapter en conséquence ?

Non.

Alors, il ne dit rien, ne répondit pas. Lorsqu'il l'avait appelé, il s'était imaginé que Noah lui apporterait sa bouteille et repartirait aussi sec, pas qu'il… Ferait le gentil papa. Pas que ça lui déplaise, simplement… Il se trouvait tout de même dans une position particulièrement délicate – et honteuse, soit dit en passant. Stiles détestait se sentir aussi faible, ramollo, inutile… S'occuper relevait du défi. Il traînait sur son téléphone, tout simplement parce qu'il était dans l'incapacité de faire quoi que ce soit de constructif, d'autant plus que la douleur était conséquente.

Impossible pour lui de l'ignorer.

La chaleur de la bouillotte limitait les dégâts et rendait sa souffrance suffisamment supportable pour qu'il ne s'évanouisse pas comme la fois précédente, mais… Ça restait difficile. Pour autant, Stiles n'irait pas l'avouer. Simplement dire qu'il avait mal avait été un gros effort en soi, alors décrire l'intensité de la douleur… Non. Pas la peine de se montrer plus pitoyable qu'il ne l'était déjà. Noah n'avait pas besoin de ça. D'un autre côté, son attitude chaleureuse et inquiète donnait tout simplement envie à l'hyperactif de se réfugier dans ses bras et de lui dire à quel point c'était douloureux… Mais aussi peur. L'air de rien, ce qu'il traversait était une épreuve terrifiante, à lui qui vivait ses premières règles – et elles n'y allaient pas de mainmorte avec lui. Il ne connaissait rien de tout ça à part ce qu'il avait appris en cours sur le sujet. Alors forcément, il peinait à imaginer la suite, à se projeter après ça. C'était dans ce genre de moments qu'il redevenait un petit Stiles, un garçonnet perdu. Était-il normal qu'il ait besoin de se sentir rassuré à son âge ? Oui, mais il pensait le contraire – à tort.

- Je… Suis désolé, dit-il seulement.

Parce qu'il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il pouvait faire pour pousser son père le laisser, à sortir de la chambre. Parce que repousser toute aide qui lui venait était une très vieille habitude dont il ne pourrait pas se débarrasser tout de suite. Des années qu'il la mettait en pratique, persuadé qu'il pouvait se débrouiller tout seul. Dans un sens, il n'avait pas tort : il y arrivait toujours.

Mais jamais sans en payer le prix.

Et Noah n'apprécia pas du tout ce comportement qui, en plus de lui serrer le cœur, l'énerva au plus profond de lui. Pourquoi ? Parce qu'il en vint à se dire qu'il avait réellement manqué quelque chose avec Stiles… Qu'il n'avait pas été suffisamment proche de lui par le passé – ni même récemment. C'était bête, mais il suffisait parfois d'une situation un peu nulle comme celle-ci pour qu'il ouvre les yeux. Ainsi, le shérif ressentit le besoin d'arranger ça. Il serra les dents, ravala ses émotions en rangeant ses pensées négatives de côté. Il n'était peut-être pas un bon père à proprement parler, mais… Ne pouvait-il pas tenter de s'améliorer ? Il se mordit la lèvre, en pleine réflexion, puis soupira.

- Stiles… Je pense qu'il faut qu'on discute, toi et moi.