Chapitre 8 : Le début de la guerre
Après la défaite du Phacoche, il ne faut que peu de temps pour achever les derniers monstres, et nous retournons à la salle du trône, pour que Cid y attribue la récompense au vainqueur de la Fête. Dagga me prend à part pendant le trajet :
« Il me faut te prévenir, tu risques d'être surprise par l'apparence de mon oncle Cid.
- Pourquoi ? Je demande en faisant de mon mieux pour paraître parfaitement ignorante.
- C'est un grand monarque, et nul ne saurait en douter, mais... Il fut victime d'une attaque sournoise, qui vit la reine Hilda se faire enlever, et le roi subir un sort peu enviable : il doit désormais passer ses jours sous la forme d'un puluche. »
À nouveau, je fais semblant d'être surprise et choquée, même si je sais parfaitement que la version des faits que Cid leur a servie est quelque peu embellie par rapport à la réalité : il trompait sa femme, et quand elle l'a surpris en plein acte, elle s'est vengée en lui jetant un sort, avant de partir avec un autre homme. C'est effectivement peu glorieux, et je comprends que non seulement il garde sa transformation secrète, mais qu'il évite aussi d'en révéler la cause.
Une fois de retour au palais, le souverain se lance dans un grand discours sur l'honneur et la gloire échue au vainqueur, qui sera immortalisé, blablabla. Freyja s'incline humblement devant lui pour qu'il pose la Diane d'or sur sa tête : c'est un magnifique diadème ouvragé qui doit valoir une petite fortune. Ça ne va pas du tout au chevalier-dragon, mais elle remercie tout de même Cid pour cet honneur, et se voit octroyer en prime un anneau qui étincelle — littéralement, car il est chargé d'électricité : la Coraline. Djidane, qui est beau joueur, félicite son amie, mais il est interrompu lorsqu'un garde entre en catastrophe dans la salle, accompagné d'un homme-rat mal en point. Il s'avance vers le trône en boitant tandis qu'un de ses bras pend à son côté, inerte. Il a visiblement été gravement blessé à l'épaule, et une tache sombre s'étale sur son uniforme, qui a sans doute été bleu à une époque. Du sang s'écoule des plaies qu'il a sur tout le corps et tombe au sol en tachant le tapis.
« Pardonnez mon intrusion, sire, commence-t-il d'une voix faible. J'apporte un message urgent du roi de Bloumécia. »
Il doit s'interrompre car il est pris d'une quinte de toux, qui lui fait cracher du sang, mais il parvient à reprendre contenance, et poursuit tandis que Cid, visiblement inquiet, s'approche de lui.
« Notre royaume est attaqué par une armée inconnue, qui a vaincu toutes nos forces jusque-là. Notre capitale résiste tant bien que mal, mais nous avons un besoin urgent de renforts. Je vous en supplie, apportez-nous votre aide !
- Lindblum et Bloumécia sont alliés depuis des générations, s'exclame le roi avec colère. Notre flotte se joindra à vous dès que possible, je vous le promets !
- Excusez-moi, je demande avec hésitation, mais cette armée, à quoi ressemble-t-elle ? »
Je jette un coup d'œil à Bibi, mal à l'aise : je sais que la révélation que ce sont des Mages Noirs qui ont participé à cette invasion va le secouer, mais c'est une information dont les autres ont besoin à tout prix.
« Les attaquants portaient des chapeaux pointus, souffle le soldat.
- Ne vous inquiétez pas, le rassure Cid. Nous vous aiderons.
- Je vous remercie, le Roi Obéron vous en sera... reconnaissant... »
Sa voix s'éteint dans un murmure et il tombe au sol. Freyja s'approche de lui avec précaution et annonce avec douleur :
« Il est mort. »
Elle lui ferme les yeux d'un mouvement délicat. Je crois que je vais me sentir mal. Le voir dans cet état était déjà une épreuve à laquelle le jeu ne m'avait pas préparée, mais c'est la première fois que je vois quelqu'un mourir. Pas un monstre ou une créature hostile, mais une personne à part entière, qui avait une vie bien à elle, peut-être une famille. Je titube en arrière, et je suis prise d'un violent haut-le-cœur. J'ai juste le temps de me pencher sur un des pots de fleur qui décorent la pièce et je me mets à vomir. Djidane s'approche de moi pour me soutenir et me rassurer, mais je m'aperçois qu'il est lui aussi pâle comme la mort. Le souffle court, j'essaie tant bien que mal de pointer Bibi du doigt, car le petit mage est resté immobile depuis tout à l'heure. Le voleur s'assure que je vais bien, puis il va l'aider comme il peut. Dagga s'est blottie dans les bras de Steiner, visiblement aussi marquée que moi par la situation, tandis que Freyja murmure quelque chose qui ressemble à une prière. Enfin, Cid prend la parole :
« Conseiller Olmetta, envoyez un message à la flotte de la frontière : il faut les rapatrier au plus tôt afin de porter secours à Bloumécia, pulu !
- Mais sire, voudriez-vous arrêter de surveiller Alexandrie ? Objecte le ministre.
- Je sais que cela nous laisse dans une position vulnérable, mais nos soldats sont trop occupés par la Fête de la Chasse pour armer les vaisseaux qui sont restés ici. Je refuse de les laisser détruire nos alliés, pulu ! »
Pendant, ce temps, j'entends Freyja réfléchir à haute voix :
« Des chapeaux pointus... On dirait des Mages Noirs comme Bibi.
- Pas comme Bibi, j'interjecte avec colère en relevant la tête de ma plante couverte de vomi. Ils n'ont rien à voir avec lui. Ce sont les mêmes qu'on a vus à Dali, plutôt : des pantins qui obéissent aux ordres sans réfléchir ! »
Le jeune mage baisse la tête, visiblement confus et troublé par la situation. Je m'approche de lui et j'affirme à nouveau avec toute la force dont je suis capable :
« Tu n'es pas responsable de tout ça, tu m'entends ? C'est Bra... C'est la personne qui les utilise pour tuer des gens qui est coupable. Je sais que c'est difficile pour toi, mais on est avec toi, d'accord ? »
Il hoche la tête sans conviction, mais il serre fort la main que j'ai posée sur son épaule. Dagga souffle alors :
« Mère aurait attaqué Bloumécia... »
Je ferme les yeux, désespérée : j'ai essayé de rassurer Bibi, et tout ce que j'ai fait, c'est réveiller les angoisses de Grenat. Je sais bien que je n'ai pas trop les idées claires, et qu'il n'y avait pas moyen que ce moment se passe bien, mais je suis envahie par le découragement : comment est-ce que je suis censée faire pour tout gérer à la fois ? J'ai l'impression qu'à chaque fois que j'essaie de faire quelque chose pour améliorer la situation, je ne fais que créer trois problèmes supplémentaires. Je sens la panique monter en moi, quand Freyja s'avance avec détermination :
« Permettez-moi de me retirer. Je pars devant.
- Je viens avec toi, Freyja, fait Djidane en hochant la tête. »
Le chevalier-dragon essaie de le décourager, mais le voleur lui tient tête : il lui est tout simplement impossible d'abandonner une amie comme ça. Bibi propose de se joindre à eux, et Dagga également, mais Steiner s'y oppose fermement :
« C'est trop dangereux pour vous, princesse !
- Le capitaine a raison, ajoute Cid avec douceur. Après tout, nous ne savons pas ce qui s'est réellement produit, ni qui est l'agresseur.
- Si ce sont bien des Mages Noirs, ma mère est certainement impliquée ! Comment pourrais-je rester oisive dans ces conditions ! Je dois l'arrêter !
- Je peux pas t'emmener sur un vrai champ de bataille, rétorque Djidane avec fermeté. Reste ici, s'il te plaît...
- Je sais que c'est dangereux, s'exclame la princesse en tapant du pied ! Mais je peux me défendre, je...
- La guerre, c'est juste... la coupe le voleur. Ça n'a rien à voir avec ce qu'on a vu jusque-là. Tu as vu ce qui est arrivé au pauvre gars de Bloumécia tout à l'heure ? Tu t'es pas dit qu'il pouvait t'arriver la même chose ?
- Mais je... souffle Dagga en baissant la tête.
- C'est plus le moment de discuter avec ta mère si c'est elle qui est responsable. Tout ce qu'on peut faire, c'est se battre, et espérer que les dégâts seront réparables. Mais dans tous les cas, ça va être l'horreur absolue, littéralement l'enfer sur terre, et je ne veux pas que tu voies ça.
- Djidane a raison, Grenat, fait Cid d'un ton rassurant. Tu es encore trop jeune pour faire face à des horreurs comme celles-là.
- Ce n'est plus le moment de discuter ! s'exclame Freyja avec impatience ! Sire, pourriez-vous ouvrir la Porte du Dragon Terrestre afin que nous partions sur-le-champ ?
- Bien sûr, mais cela prendra un peu de temps. En attendant l'ouverture de la porte, profitez donc du festin que nous avions préparé pour célébrer la fin de la Fête de la Chasse. Je sais bien que l'heure n'est pas à la joie, mais vous aurez besoin de toutes vos forces pour faire face à ce qui vous attend.
- Mon oncle, essaie une nouvelle fois Dagga, avant d'être coupée par le roi :
- Je comprends que tu souhaites partir aussi, ma chère Grenat, mais je ne peux te laisser courir un tel risque. Tu resteras ici jusqu'à ce que nous puissions déterminer ce qui s'est produit et, le cas échéant, convaincre ta mère de la folie de son entreprise. »
Dagga semble s'apprêter à protester, mais elle finit par céder. Je suis sans doute la seule à remarquer qu'elle glisse la main dans sa poche : elle est en train de décider qu'elle va utiliser les somnifères que lui a donnés Djidane pour nous endormir et partir tout de même.
Cid nous fit descendre dans la salle de réception, qui se situe juste en-dessous du trône (je trouve d'ailleurs qu'il exagère : il aurait pu nous faire profiter de son trône ascenseur, au lieu de nous forcer à emprunter les escaliers, mais bon), où un magnifique festin est dressé. Le roi nous explique que c'est le repas traditionnel à l'issue de la Fête de la Chasse, et Dagga nous tend des plats en insistant pour que nous en profitions autant que nous le pouvons. Freyja est initialement réticente, mais elle finit par céder et dévore elle aussi la nourriture, que chacun juge délicieuse. Je n'ai pas réussi à voir si Dagga avait mis des somnifères dans mon assiette aussi, mais je l'ai vue en glisser au moins à Djidane et à son oncle, et je préfère être prudente, donc je me contente de faire semblant de manger.
Après quelques minutes, je vois que Bibi commence à piquer du nez, et Cid tombe de la table juste après. Djidane et Freyja titubent à leur tour, et avant de tomber lourdement en arrière, le voleur a le temps de lancer un regard surpris à la princesse, qui a la bonne grâce de paraître gênée. Pendant ce temps, Steiner se met à paniquer et à s'agiter sur place en s'excusant de ne pas avoir su protéger Grenat de l'empoisonnement, et en s'étouffant sur place. J'esquisse un sourire, car je sais que Dagga ne lui a pas donné de somnifères. Elle compte sur sa loyauté et veut qu'il l'accompagne jusqu'à Alexandrie pour parler avec sa mère.
Quand elle voit que je ne suis pas affectée, la princesse fronce les sourcils :
« Comment... ? »
Je me gratte la tête d'un air gêné et j'invente rapidement un mensonge :
« Désolée. Je visitais le château, et je t'ai entendue demander des somnifères à Djidane. Alors quand tu as cédé au lieu de tout faire pour les convaincre de te laisser parler à Branet, je me suis méfiée... »
Elle soupire avec résignation et demande à Steiner d'arrêter ses simagrées. Le chevalier est surpris, mais reprend vite contenance. Lorsqu'elle lui explique qu'elle est la princesse d'Alexandrie et qu'il est de son devoir de faire ce qu'elle peut pour éviter une guerre qui ne fera que causer du des souffrances à tout le continent, le chevalier recommence à protester :
« Non, princesse, vous ne comprenez pas. Je connais l'horreur de la guerre, et bien que j'aie juré de vous être fidèle en toutes circonstances, si vous m'ordonniez de vous emmener à Bloumécia, je ne le ferais pas ! Expliquez-lui, mademoiselle Claire, je vous en prie, faites-lui entendre raison ! »
La princesse se tourne vers moi, l'air farouche et déterminée (et absolument craquante), mais je hausse les épaules :
« Tu n'as pas l'intention d'aller à Bloumécia, pas vrai ?
- Pardon ? S'exclame Steiner, choqué.
- Tu veux retourner voir Branet — le chevalier corrige automatiquement « la reine Branet » — pour lui demander de ne plus envahir de pays, je me trompe ? »
Elle hoche la tête et me demande avec un ton de défi :
« As-tu toi aussi l'intention de m'en dissuader, Claire ? Prétends-tu aussi me donner des ordres alors que tu affirmes être mon amie ?
- Doucement sur les accusations, s'il te plaît. Je ne t'ai rien fait, que je sache. Et si Djidane et Cid veulent te retenir ici, c'est parce qu'ils croient que c'est pour ton bien. En ce qui me concerne, ça en fait des machos à la gomme, mais ça ne veut pas dire qu'ils ne t'aiment pas. Et, j'ajoute avec hésitation, ça ne veut pas dire qu'ils ont tout à fait tort. Je veux dire, tu viens d'avoir seize ans, comme moi, et après tout, on est juste des gamines dépassées par les événements, non ? En tout cas, c'est l'impression que j'ai, constamment, depuis qu'on a quitté Alexandrie.
- Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend pas le nombre des années, répond Grenat en ignorant le sourire que j'esquisse lorsque je reconnais la citation. Ton âge ne t'a pas empêchée de te battre à nos côtés jusque-là, et ma jeunesse ne m'empêchera pas non plus de faire mon devoir ! Et je ne peux m'empêcher de remarquer que tu n'as pas répondu à ma question : comptes-tu me retenir ici toi aussi ?
Je dois avouer que je trouve sa fougue particulièrement séduisante, mais j'ai conscience que ce n'est pas le moment, et je secoue la tête pour m'éclaircir les idées :
« Je n'en avais pas l'intention, non. Pour ne rien te cacher, j'hésite même à te proposer de t'accompagner si tu le souhaites.
- Vraiment ? Demande la princesse avec surprise.
- Je te dis, je n'en sais rien. Je ne pense pas t'être très utile, et tu t'en sortiras sans doute mieux sans moi. Je veux dire, jusqu'à ce que tu arrives à Alexandrie, tu vas avoir besoin de discrétion, et je sais bien que ce n'est pas la spécialité de Steiner, mais ce sera sans doute mieux à deux qu'à trois. »
Je jette un regard au chevalier pour m'assurer qu'il n'est pas blessé par ma remarque, mais il paraît plutôt tirer une certaine fierté de ne pas être capable de subtilité et de discrétion. Après tout, pourquoi pas, tant que ça lui convient, hein...
« Alors tu ne penses pas que je suis ridicule de vouloir empêcher cette guerre ?
- Pas du tout ! se me récrie. Je t'admire beaucoup de faire ce que tu penses juste, quels que soient les risques. J'ai peur que ça ne soit pas très réaliste, mais tu as raison, ça vaut probablement la peine d'essayer... »
Dagga m'adresse un sourire resplendissant et s'approche de moi pour me serrer dans ses bras :
« Merci de croire en moi, Claire, tu ne sais pas à quel point cela me touche. Je serais évidemment très heureuse que tu viennes avec moi, si tu le souhaites. »
Je reste immobile et je me sens rougir instantanément. Je me mets à bafouiller, avant de reprendre un peu contenance. Réfléchis deux secondes, Claire : je sais bien que tu es une adolescente esclave de tes hormones, et qu'une fille magnifique est tout contre toi et t'adresse des compliments, mais ça ne veut pas dire qu'elle est en train de te draguer. Elle est amoureuse de quelqu'un d'autre, ou en tout cas elle va l'être, et ce n'est pas comme si qui que ce soit pouvait être séduit par ton absence de toute forme de talent ou ton assurance absolument inexistante.
Je parviens à me calmer, et j'explique que je vais probablement plutôt rester avec Djidance et les autres, en utilisant Bibi comme excuse. Ce n'est pas exactement faux, je m'inquiète sincèrement pour lui et je sais que ce qu'il traverse lui pèse affreusement, mais ce n'est pas ce qui me motive le plus. La raison principale de mon choix, c'est que je sais que je pourrais aider sur le chemin de Bloumécia, à défaut d'être franchement utile face à Kuja ou à Beate, mais que je ne servirais pas à grand-chose pendant le trajet vers Alexandrie (et je n'ai pas vraiment envie de me retrouver enfermée dans une cage pendant je ne sais combien de temps, en admettant que je ne sois pas exécutée sur-le-champ pour avoir enlevé la princesse). Le seul argument qui pourrait me motiver à accompagner Dagga, c'est que je sais qu'elle aura besoin de soutien quand elle réalisera à quel point sa mère est devenue un monstre, et que Steiner ne pourra pas l'aider, car il sera confronté à ses propres doutes. Mais je pense que c'est un problème auquel je pourrai faire face une fois que le groupe sera réuni : ce n'est pas parfait, mais c'est la meilleure solution dont je dispose en l'état, je crois.
Nous nous disons au revoir avant que les autres ne se réveillent, et je souhaite bon courage à mes deux amis. Avant qu'ils ne partent, j'arrête Steiner une seconde :
« Je ne sais pas quand on se reverra, alors je voulais vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour moi.
- Ce n'est rien, mademoiselle Claire. Un chevalier se doit d'aider ceux qui en ont besoin.
- Je vais essayer de bien le prendre, je réponds avec un sourire en coin. Mais plus sérieusement, faites attention à la princesse, d'accord ? Je sais que vous allez la protéger, mais il n'y a pas que des dangers physiques qui l'attendent.
- Que voulez-vous dire ? demande-t-il en fronçant les sourcils.
- Disons que c'est juste une intuition. Mais si la reine refuse d'écouter Dagga, si elle continue d'attaquer, je...
- Sa Majesté ne ferait pas une telle chose ! C'est certainement un simple malentendu !
- OK, je le coupe. Mais si jamais vous vous trompiez, je ne sais pas quel effet cela aurait sur la princesse. J'ai peur pour elle, et je sais que vous tenez à elle autant que moi, alors prenez soin d'elle, d'accord ?
- Je... Je comprends ce que vous dites. Je vous remercie de vous préoccuper d'elle, cela me rassure de savoir qu'elle a une amie aussi fidèle que vous. »
Il m'adresse un signe de tête solennel, puis s'éloigne en courant pour rattraper Dagga qui s'éloigne. Je rosis à nouveau en me disant que même Steiner trouve que la princesse et moi sommes proches, et je me complais quelques minutes à imaginer un scénario où elle tomberait irrémédiablement amoureuse de moi. Ouais. C'est officiel, je suis foutue et j'en pince à mort pour elle. Reste à espérer que j'arrive à me contrôler assez pour ne pas mettre de bâtons dans les roues à Djidane.
En parlant de lui, il commence justement à bouger et à se réveiller en même temps que les autres. Je range mon histoire d'amour fictive dans un coin de ma tête et je m'approche de Bibi pour l'aider à se relever. Freyja est la première à se redresser pleinement et elle m'adresse un regard méfiant :
« Tu n'as pas été affectée par le somnifère, Claire ? Comment cela se fait-il ?
- Je viens juste de me réveiller, je mens avec aplomb. Sans doute parce que je me suis moins bâfrée que vous autres ! Mais pendant qu'on dormait, Dagga est partie avec Steiner, visiblement
- Bordel ! Fait Djidane avec colère. C'est moi qui lui ai donné de quoi l'aider à dormir, parce qu'elle disait qu'elle faisait des cauchemars ! J'ai vraiment été trop bête.
- On vient juste d'apprendre l'attaque de Bloumécia, je rétorque. Je ne pense pas qu'elle avait l'intention de te mentir quand elle t'a demandé de l'aide.
- Qu'est-ce qu'elle veut faire ? Partir pour Bloumécia ? Il faut qu'on parte tout de suite pour la rattraper, elle est en danger ! »
Son empressement à pardonner à la princesse et à faire tout ce qu'il peut pour la retrouver pour la partager me rappelle à quel point il est lui aussi amoureux, et me procure un sentiment doux-amer : je les trouve absolument adorables tous les deux, mais je ne peux m'empêcher d'être déçue car je sais qu'ils ne ressentiront jamais la même chose pour moi, ni l'un, ni l'autre, même si j'en rêverais. Pendant que j'essaie de contrôler mes sentiments, Freyja et Djidane quittent la pièce, suivis par Bibi. Je m'apprête à leur emboîter le pas, mais une pensée me vient soudainement et m'arrête net. Je ne reviendrai pas ici avant que Branet n'attaque avec ses mages et les Chimères qu'elle va voler à Dagga, massacrant des dizaines d'innocents (enfin, c'est ce qu'on voit dans le jeu, mais j'imagine que c'est plutôt des milliers, ou même des dizaines de milliers de victimes) et détruisant complètement le quartier ouvrier. Je ne peux pas laisser faire ça sans au moins essayer d'aider autant que je le peux.
« Votre Majesté ? Je demande en me tournant vers Cid, qui me regarde avec bienveillance, pour autant que j'arrive à discerner ses émotions sur son visage de puluche.
- Oui, ma chère ? Si tu ne souhaites pas te joindre à Djidane et Freyja dans cette expédition dangereuse, tu es la bienvenue pour rester ici, si cela t'inquiétait.
- C'est très aimable à vous, mais je crois que je vais aller avec eux, si je le peux. Mais je me demandais si la ville était prête à se défendre en cas d'attaque d'Alexandrie.
- Je te remercie de t'en préoccuper, pulu, mais les vaisseaux d'Alexandrie ne font pas le poids face à notre flotte, qui est en train de se mobiliser à l'instant où je te parle. Certes, une partie sera envoyée à Bloumécia pour leur porter secours, mais les aéronefs qui resteront ici seront plus que suffisants pour faire face à toute menace. Aussi je doute que Branet tente quoi que ce soit.
- Si elle a osé attaquer Bloumécia, est-ce que vous croyez qu'elle s'arrêtera là ? Moi, je pense qu'elle a un plan plus global et qu'elle y a réfléchi assez longtemps pour trouver une parade à votre puissance aérienne, sinon elle n'aurait pas risqué une guerre globale comme ça. Et qu'est-ce qui arrivera aux habitants de Lindblum si elle vous attaque par surprise ?
- Hum... Je pense que ton inquiétude est infondée, mais tu as raison sur un point : nos citoyens sont sans doute plus exposés que nécessaire, pulu. Au cours des dernières années, nous nous sommes concentrés sur le développement et l'industrie de notre ville, si bien que ses fortifications ne sont plus du tout adéquates pour résister à un assaut d'importance.
- Est-ce que vous avez considéré d'organiser des plans d'évacuation pour les différents quartiers, juste au cas où ? J'insiste, sans doute un peu imprudemment.
- Je ne m'attendais pas à recevoir des leçons de géopolitique et d'art militaire de la part d'une jeune fille comme toi, pulu ! s'exclame le roi, et je me recroqueville instantanément.
- Désolée ! je m'exclame immédiatement en m'inclinant le plus bas que je peux. Je ne voulais pas...
- Ce n'était pas un reproche ! Je suis au contraire toujours ravi de recevoir des conseils avisés. Je suis simplement frustré par ce fichu corps de puluche, dans lequel je ne parviens pas à réfléchir convenablement, pulu. Je te remercie pour tes suggestions, j'en tiendrai compte, je te le promets. Maintenant file si tu veux avoir le temps de rejoindre tes amis ! »
Je m'incline à nouveau, puis je quitte la salle sans demander mon reste, avant de me mettre à courir pour rattraper Djidane et les autres, qui ne m'ont pas attendue. Je peux les comprendre, car ils doivent gagner Bloumécia au plus vite, mais ça ne m'empêche pas d'angoisser à l'idée de me retrouver toute seule à essayer de naviguer dans la Brume en risquant de me faire attaquer par des monstres. J'ai pris la précaution d'apporter mon arc et un carquois bien rempli, mais ça ne me rassure absolument pas ! La descente en ascenseur vers le sous-sol et le trajet en wagonnet pour gagner la porte du Dragon Terrestre sont incroyablement stressants, car je ne peux rien faire pour les accélérer, et que chaque seconde qui passe m'éloigne probablement de mes amis.
Dès que le wagon approche de son arrêt, je bondis par-dessus la barrière de protection, ce qui déclenche les protestations du conducteur, mais je l'ignore et je détale en direction de l'immense porte qui ouvre sur le monde extérieur. Merde, merde, merde, ils sont déjà partis !
« Bah alors, qu'est-ce que tu fichais ? On a failli ne pas t'attendre ! »
En entendant la voix de Djidane, je dérape et je m'étale lamentablement au sol. Je me cogne le coude et le dos, et ça me fait un mal de chien, mais je suis tellement soulagée ! J'essaie tant bien que mal de reprendre ma respiration en me relevant, sous le regard hilare du voleur. Celui-ci reprend cependant son sérieux rapidement pour me demander si je suis sûre de vouloir les accompagner. Si je prenais le temps d'y réfléchir, je serais probablement pétrifiée de terreur, mais je ne peux pas envisager de rester derrière. Je hoche la tête avec toute la détermination que je peux feindre, et Freyja tape du pied avec impatience en regardant vers la porte. Je lui demande encore une minute pour acheter quelques provisions supplémentaires auprès du Mog qui se tient là, mais elle ne me laisse qu'à peine le temps de saluer le pauvre Mogtesquieu avant de nous traîner vers l'extérieur.
