Bonjour! Vous êtes encore ici? Ah bien bravo! (et merci lol)
Petits nuages, réconfort et ouate.
.
CHAPITRE 9 – LE FIL NOIR
Décidément, s'il existait un prix Nobel de l'imbécilité, Prompto serait l'homme le plus récompensé de toute l'histoire de l'humanité.
Il y avait déjà plusieurs minutes qu'il s'était changé et il n'avait plus aucune raison de continuer à se terrer dans la salle de bain comme il le faisait présentement, mais il préférait rester sur place pour se traiter de pauvre crétin de façon répétitive.
Pourquoi, bordel, son cerveau faisait autant le con?
Jusque-là, il avait été plus que prêt à annoncer à son ami qu'il était gay. Il ne s'agissait pas de la mer à boire, qu'un détail sur lui-même. Rien de majeur.
Et c'était ainsi qu'il voulait que Noctis le perçoive. Il voulait que le prince comprenne que son homosexualité n'était en fait qu'une banalité, un fragment d'information qui ne changeait rien à leur nouvelle amitié… Mais maintenant, il était évident qu'après son numéro ridicule – où il avait littéralement failli démolir son mobilier à la simple vue du torse de son camarade – la nouvelle ne serait pas perçue comme il l'espérait.
Il avait réussi à en faire tout un plat. Quelle andouille.
Il soupira bruyamment en se frottant le visage. Celui-ci commençait enfin à reprendre une couleur normale dans le miroir, le rouge s'estompant enfin pour laisser apparaître graduellement les taches de rousseurs dorées sur sa peau, et il se pinça les lèvres.
Il se demanda s'il était mieux d'attendre un peu. Il s'était mis tant de pression pour faire son annonce au plus vite, mais à présent, il se demandait bien pourquoi. Il lui fallait peut-être choisir un moment plus approprié… un moment où il ne venait pas de faire un court-circuit cérébral à la simple vue d'un mec torse nu, comme le classique stéréotype d'un homo incapable de se contrôler.
Il expira longuement, indécis. Puis, comprenant qu'il n'y aurait pas de réponse à son débat interne, il laissa tomber et sortit enfin de sa cachette.
Il revint à sa chambre, où Noctis l'attendait. Ce dernier était déjà changé, à semi-affalé sur son lit, où il s'occupait sur son téléphone.
Prompto ressentit aussitôt sa poitrine gonfler traitreusement à nouveau.
La vision de Noctis, cheveux humides devant les yeux et une lèvre mordue sous la concentration, était à couper le souffle, mais c'était surtout le fait que le prince portait son t-shirt – un vêtement bleu, légèrement serré, à l'effigie de Rick et Morty – qui le déstabilisait.
Noctis affichait magnifiquement le portrait craché d'un petit ami parfait... Le genre de petit ami mignon qui volait les vêtements de son amoureux.
Prompto jura intérieurement tout en regardant sa dernière parcelle de courage s'envoler, et il sut, là et tout de suite, qu'il serait incapable de faire sa sortie de placard ce soir-là.
C'en était trop pour son pauvre cœur.
Il soupira. Puis, détournant le regard, il remarqua les vêtements mouillés du prince, déposés sur une chaise.
– Ah… Je vais les placer sur un étendoir, commenta-t-il en les attrapant, heureux de pouvoir s'occuper. Mais je ne crois pas qu'ils auront le temps de sécher avant ton départ.
– Pourquoi tu n'utilises pas le sèche-linge?, demanda Noctis.
– Je n'ai pas de sèche-linge.
Le prince leva des yeux surpris vers lui.
– Tu n'as pas de sèche-linge?!
Prompto roula les yeux, adoucis d'un sourire en coin.
– La plupart des gens n'ont pas de sèche-linge… Ils utilisent un truc qui s'appelle de l'air, c'est gratuit, commenta-t-il d'un ton moqueur.
Il se dirigea vers la salle de bain pour y déployer un étendoir, sur lequel il déposa ses vêtements, ainsi que ceux de Noctis. Lorsqu'il retourna à sa chambre, le prince avait abandonné son téléphone sur le lit, branché sur le chargeur mural où le fil vivait éternellement, et s'était couché sur le dos, fixant le plafonnier au-dessus de sa tête, les membres positionnés en étoile autour de lui.
Il semblait être dans une bulle de pensées profondes et Prompto n'osa pas le déranger. Il attrapa plutôt un molleton à capuche noir qui traînait sur son bureau et l'enfila rapidement, question de cacher le t-shirt horrible qu'il avait pigé au hasard dans sa panique précédente – un truc usé à la corde et troué comme un fromage suisse. Puis, il se rendit à son sac à dos duquel il sortit l'ordinateur portable qu'il louait à la bibliothèque.
La tête de Noctis se releva aussitôt.
– Si tu crois que je vais travailler sur le projet de Barbarossé, sache que je préfère crever, annonça-t-il d'une voix grave.
Prompto éclata de rire.
– Nah, je veux juste faire jouer de la musique.
La tête de Noctis retomba d'un coup.
– Merci seigneurs.
Il eut quelques secondes de silence pendant lesquelles Prompto s'assit sur le bord de son lit pour allumer le vieil ordinateur qui démarra dans un bruyant ronronnement. Entre-temps, Noctis ne bougeait toujours pas, comme perdu dans ses réflexions, ou peut-être lessivé par sa journée – il commençait à se faire tard – mais l'absence de conversion ne gênait pas Prompto. Maintenant qu'il avait officiellement décidé de reporter sa grande annonce, il se sentait plus léger, sans la pression de devoir trouver le bon moment ou la bonne façon de la faire.
Sans soucis. Du moins, pour ce soir.
– Tu dois me trouver vraiment con, parfois.
Le commentaire, venant de nulle part dans le silence de la pièce, surprit Prompto. Il tourna la tête vers Noctis : celui-ci n'avait pas bougé, les yeux toujours rivés sur plafond au-dessus de lui.
– Quoi? Pourquoi?
– Il y a des trucs… Enfin. Je prends conscience que… que je ne m'y connais rien à la vraie vie.
Prompto fronça des sourcils.
– C'est à cause du sèche-linge? Je disais ça pour rire…
– C'est pas seulement ça. Mais oui, un peu. Jamais de ma vie, j'ai pensé que des gens pouvaient ne pas posséder de sèche-linge.
Prompto ne sut pas trop comment répondre à cet énoncé. La réflexion de Noctis lui semblait farfelue, mais il ne voyait pas l'intérêt de le souligner : le prince semblait vivre une espèce de choc culturel et il ne voulait pas être déplacé.
Avant qu'il n'ait décidé d'une réponse, Noctis continua.
– Tu sais…, reprit le prince d'une voix sobre. Je suis forcé de lire des tonnes de rapports sans arrêt. À propos du royaume. De la situation économique, de l'état des frontières, de la guerre… J'ai lu des pages et des pages de paperasse à propos du quartier Nord. Je trouvais ça ennuyeux à en crever.
Le silence s'étira pendant quelque temps. L'ordinateur s'alluma enfin, et Prompto navigua au hasard dans son logiciel servant à la musique, mais il ne se sentait plus l'envie de faire jouer quoi que ce soit. Puis, après un moment de réflexion, il déposa son ordinateur et s'avança sur le lit, s'asseyant en tailleur aux côtés de Noctis. Il glissa la capuche sur sa tête, comme s'il s'apprêtait à avoir une conversation secrète.
– Ils disent quoi, ces rapports?
Le prince tourna la tête vers lui et ses cheveux semi-humides roulèrent sur son front. Ses yeux étaient d'un bleu cobalt intense, malgré la lumière tamisée de l'ampoule au-dessus de leurs têtes.
– Que ça ne va pas bien. Que les gens crèvent de faim, que les loyers sont trop élevés, que le taux d'alcoolisme est au plus haut, presque le triple de la moyenne du Lucis. Mais…
Il soupira bruyamment, puis retourna à sa contemplation du plafonnier.
– Mais, putain, pour moi, c'était tellement abstrait... Que des chiffres, des pourcentages. Que de l'information chiante que j'étais forcé de gober. Sauf que…
Il eut un moment de silence, que Prompto n'interrompit pas. Le bras du prince était appuyé contre son genou et le contact lui donnait des frissons agréables, pour une raison qu'il ignorait.
– Le type qu'on a vu tout à l'heure… Celui à qui tu as donné tes hot-dogs. Je me demandais comme un con pourquoi il s'était installé au sol, et quand tu lui as donné ton repas, j'ai pris conscience qu'il dormait là, sur le trottoir. Que c'était un… un individu sans domicile fixe, comme ils les appellent dans les rapports. Et…
Noctis se mordit la lèvre.
– Et tu as agi comme si tu savais très bien comment faire, comme si c'était un truc banal, de voir un type dormir à l'extérieur, de lui donner ta bouffe… Tu l'as fait tellement naturellement, putain, comme si c'était ton quotidien, et, et… Tous ces types bourrés à ton boulot, si soûls qu'ils n'arrivent plus à marcher… Qui reviennent acheter leur poison même s'ils en sont déjà malades… Et, et… Le fait que tu sautes des repas, que tu passes toutes tes pauses à la cantine sans jamais manger quoi que ce soit… Et pourtant, tu n'as pas hésité à donner le peu de bouffe que tu avais à ce type… Je vois tellement de trucs, maintenant…
Prompto se racla la gorge. Il voulut protester, dire qu'il se nourrissait très bien (même si ça allait être un mensonge éhonté) et que ce n'était pas de ses oignons de toute façon, mais… quelque chose chez Noctis lui fit garder le silence. C'était peut-être la manière que le prince parlait, cru et sans filtre, comme si les mots étaient coincés douloureusement en lui et qu'il avait besoin de les extirper de sa poitrine au plus vite.
Alors, il ravala sa fierté. Se tut. Et choisi d'écouter.
– Merde, bordel, j'ai honte, marmonna Noctis en s'écrasant les mains sur le visage. J'ai foutrement honte.
Il remonta les mains pour agripper ses cheveux en grandes poignées, dans un mouvement qui n'était probablement pas conscient.
– Putain! Je n'ai jamais compris ce qui était écrit noir sur blanc dans ses foutus rapports! Je veux dire, je comprenais, mais en même temps, pas réellement, comme si ce n'était que des statistiques… J'ai été tellement stupide…
– Ne te traite pas de stupide, interrompit Prompto d'un ton sec.
Le prince se tut abruptement. Il se pinça les lèvres, les yeux rivés vers le plafond.
– Écoute…, continua le blond d'une voix plus calme, tendant les mains vers celles de Noctis.
Il glissa ses doigts dans les poings du prince, forçant ceux-ci à libérer les mèches noires. Le contact provoqua un petit vol de papillons dans son estomac, mais l'effet fut trop bref pour qu'il s'y attarde.
– Je sais que… La vie dans le quartier Nord est à chier.
– C'est pas ce que j'ai voulu dire, se défendit Noctis.
– Mais c'est la vérité, et c'est ok si tu viens seulement d'en prendre conscience. Tu as eu la chance de vivre loin d'ici… et je suis heureux que des personnes n'aient pas à vivre comme nous. Tu n'as pas à te sentir coupable d'être né ailleurs.
Noctis tourna la tête pour le regarder. Une émotion intense émanait du bleu de ses iris, mais Prompto n'était pas certain de quoi il s'agissait.
– Tu… Tu oublies que je suis le prince du Lucis, hein?
La réplique surprit Prompto.
– Tu devrais me détester, continua Noctis, d'une voix faible, presque un murmure. La famille royale est supposée protéger tous les Lucisiens, et j'ai l'impression que… Qu'on n'en a pas fait assez.
Prompto pencha la tête. Il tira distraitement sur les cordages qui pendaient de sa capuche, réfléchissant à une réponse appropriée.
– Pourquoi, tu crois?, demanda-t-il finalement.
Noctis détourna le regard à nouveau. Il eut un moment de réflexion, puis :
– Parce que… Je ne sais pas. Tous nos budgets vont vers la défense actuellement. Les Nifs sont près de nos frontières, les combats sont constants. Mon père utilise sa magie au maximum de sa capacité, jour et nuit, pour armer les Glaives et pour maintenir le bouclier qui protège la ville. Il est complètement épuisé. Il… Il fait du mieux qu'il peut, je crois, mais… mais il se fait vieux…
– Ok. Et toi?
Noctis le dévisagea.
– Moi?
– Bah ouais?
– Je ne suis qu'un prince, j'ai aucun pouvoir. Politique, je veux dire. Et ma magie, elle n'est pas encore assez forte pour prendre la place de mon père.
– Mais tu seras roi un jour, non? Et ce jour-là, tu pourras changer les choses.
Le silence qui suivit fut lourd. Prompto pouvait presque entendre les engrenages du cerveau de Noctis s'activer, son cœur prendre de la vitesse.
– Je… Je pourrai changer les choses, répéta-t-il faiblement.
– Oui, répondit Prompto d'un ton sans équivoque.
– Mais, je serai nul comme roi. Je… je n'arrive même pas à la cheville de mon père!
– Ça ne sert à rien de te comparer. Tu ne seras pas le roi Regis, tu seras le roi Noctis.
Le prince eut une brusque inspiration. Il détourna le regard d'un mouvement sec, mais Prompto eut le temps d'apercevoir l'eau qui commençait déjà à humidifier ses yeux, sa lèvre inférieure qui tremblait.
Et Prompto fut instantanément triste.
Être prince devait être un fardeau insupportable.
Noctis ne pouvait pas vivre une vie normale. Il ne pouvait pas fréquenter des lieux publics sans risque, il ne pouvait pas rester seul à l'école sans se faire encercler par des groupies. Et il semblait vivre avec une pression épouvantable sur les épaules, une responsabilité qu'un jeune de dix-huit ans ne devrait pas subir.
Condamné à une vie qu'il n'avait pas désirée. Un peu comme la sienne.
Il regarda longuement le prince à ses côtés, l'observa prendre de grandes inspirations comme s'il se débattait contre ses larmes qui menaçaient de couler à tout moment, comme s'il avait un nœud dans la gorge qu'il essayait de décoincer, et Prompto eut une envie irrésistible de glisser les doigts dans ses cheveux pour le réconforter, de lui dire que c'est ok s'il voulait pleurer, que Prompto lui prêterait son épaule pour le faire.
Mais il choisit plutôt de demander, d'un murmure :
– Est-ce que ça va aller?
Le prince hocha la tête avec vigueur.
– Ouais… Ouais ça va. Désolé, je suis… Enfin, je crois que c'est le truc le plus beau que quelqu'un m'a dit de toute ma vie.
Il le regarda du coin de l'œil, un petit sourire en coin se dessinant sur les lèvres. Un sourire fatigué par trop d'émotions, mais qui apaisa tout de même l'inquiétude de Prompto.
– Qu'est-ce que j'ai dit?, demanda ce dernier d'un ton légèrement surpris.
– Que je n'allais pas être le roi Regis. Mais tu l'as dit comme si c'était une bonne chose.
– Ah… Heu…
Prompto tira sur la capuche pour l'abaisser devant ses yeux dans un geste nerveux.
– Je ne disais pas ça dans le sens qu'il n'est pas un bon roi...
La vérité, c'est qu'il n'avait jamais longuement réfléchi à la question, parce qu'il se foutait un peu de la politique.
– Non non, je sais, j'ai compris, assura aussitôt Noctis. Mais tu es le premier à me dire que je pourrais être moi-même, lorsque je serai roi. On me casse les oreilles depuis que je suis tout petit, Ah regarde ton père, il est extraordinaire, fais comme lui… Et je… enfin. Je ne crois pas que j'y arriverai, tu comprends? Être et faire comme lui, je veux dire.
Prompto fit un "hum" compréhensif.
– Normal, commenta-t-il, on ne peut pas demander à deux personnes différentes d'être complètement pareilles…
Puis, il ajouta d'un ton plus bas :
– Je crois sincèrement que tu seras un très bon roi. À ta façon.
À ceci, Noctis lui sourit magnifiquement, ses yeux réduits à deux croissants de lune brillants, et le souffle de Prompto se retrouva coupé à nouveau, ses tripes dansant de la plus savoureuse des manières.
– Tu es certain de vouloir devenir vétérinaire?, demanda Noctis d'un ton moqueur. Tu ferais un excellent psy, plutôt…
Prompto éclata de rire, sa peau rougissant aussitôt sur ses joues.
– Tu sais très bien que je serais un très mauvais psy, je passerais mes journées à traiter les gens d'imbéciles!
– Ah ouais, c'est vrai que t'as pas la langue dans ta poche… Mais j'aime bien, c'est rafraichissant, un peu de vérité parfois.
Prompto se mordit la lèvre. Noctis croyait à tort que son nouvel ami était toujours honnête, mais il s'agissait là d'une illusion.
Et tout à coup, sous une impulsion, il faillit sortir du placard. Il ouvrit la bouche, mais une sonnerie retentit.
– Ah merde, grogna Noctis.
Ce dernier roula pour prendre son téléphone, coincé entre Prompto et le mur où il était connecté au chargeur, et tout à coup, pendant un bref moment, son torse fut presque étendu sur les genoux de son ami, son bras enroulé autour de lui pour attraper l'appareil, et Prompto sentit le contact faire vibrer chaque nerf dans son corps, de ses doigts aux cheveux sur sa tête, comme un choc électrique gorgé de sucre épais et collant.
Il arrêta de respirer.
– C'est Gladio, marmonna Noctis en s'asseyant pour prendre l'appel. Allô?
Le prince sembla aussitôt irrité, ce qui ramena Prompto à la réalité. Il souleva un sourcil.
– Il n'est pas si tard!, continua Noctis. Et c'est vendredi, putain!
Le prince roula les yeux à la réplique du bouclier.
– Je m'en fous!
Mais quelques secondes plus tard, son ton changea drastiquement.
– Encore un peu, s'il te plaît?, demanda-t-il d'une petite voix.
La réponse ne lui plut pas, et Noctis grogna à nouveau. Puis, il marmonna un "bye" sec et raccrocha.
– Putainnnnn il fait chier!, s'exclama-t-il.
– Il veut que tu rentres à la maison?
– Ouais, il dit que je vais manquer de sommeil, mais il sait très bien que je ne dormirai pas de toute façon.
Il glissa une main dans ses cheveux, comme il le faisait souvent lorsqu'il était frustré.
– La voiture est déjà devant la maison…, ajouta-t-il, d'une voix plus peinée. Il faut que je parte. Fais chier.
Soupirant bruyamment, il se leva du lit de gestes lents, les épaules courbées. Il était visiblement déçu que la soirée s'arrête aussi brutalement, et Prompto le comprenait parfaitement.
Il avait envie de discuter avec Noctis toute la nuit. De le rassurer, de le consoler. De partager ses peurs pour l'alléger de son fardeau. Il avait l'impression qu'il commençait à peine à le connaître, à lire les premières pages d'un bouquin interdit qu'on lui avait brutalement arraché, et il ne voulait pas attendre pour connaître la suite de leur discussion.
Parallèlement, il se demanda stupidement ce qu'était cette émotion qui ne cessait de se répandre dans ses veines, de s'écouler dans sa poitrine qui devenait brûlante comme une braise.
Il en avait une petite idée, mais il n'était pas certain d'apprécier.
Prompto le raccompagna jusqu'à l'entrée, attrapant au passage les vêtements humides du prince à la salle de bain qu'il roula en une boule compacte. Lorsqu'ils atteignirent la porte, Prompto regarda Noctis enfiler ses chaussures sans parler, puis, lorsque ce dernier se releva, lui offrit silencieusement la boule de vêtements.
– Ah… Merde, j'avais oublié, commenta le prince.
Et tout à coup, ce dernier entreprit d'enlever son t-shirt. Prompto devint rouge fluorescent dès qu'il entrevit la bande de chair apparaître au-dessus de la ceinture – le nombril, le ventre plat, les muscles définis, la bande élastique d'un caleçon de grande marque – et il l'arrêta brusquement en empoignant son avant-bras.
– Questcequetufousputain!
Noctis lui fit un regard perplexe.
– Je te redonne ton t-shirt?
Bordel. Prompto ne supporterait pas de voir ces abdos deux fois de suite dans une même soirée. Son cœur allait flancher.
– Tu vas quand même pas te balader avec une chemise mouillée?! Non garde-le, ajouta-t-il en enfonçant les vêtements humides dans les bras de Noctis, tu me rapporteras mes trucs à l'école.
– Ah, ok, merci…
Noctis serra les vêtements contre lui, mais ne fit aucun mouvement pour partir, et les deux hommes restèrent stupidement immobiles, l'un en face de l'autre. Le prince se mordit la lèvre inférieure, et le blond ne put s'empêcher de fixer le mouvement.
Sa bouche était sexy.
– Bon… Je crois que je vais y aller, murmura Noctis.
La braise dans la poitrine de Prompto continuait ses dommages, se répandant sans pitié dans son torse, dans sa gorge. Il se racla celle-ci bruyamment.
– Ok, ouais…
Noctis se pencha vers lui. Lentement, trop lentement, si lentement qu'il n'y eut plus d'air pour respirer dans les poumons de Prompto, comme si ceux-ci étaient soudainement remplis d'eau, et il se demanda si on pouvait mourir à la fois noyé et brûlé vif, car plus rien dans son corps ne faisait de sens.
Et enfin, Noctis fut si proche que Prompto eut l'impression qu'il allait l'embrasser, et il paniqua car c'était impossible, non il voulait certainement une accolade, une accolade de mec hétéro qui dit au revoir à son pote et rien de plus, et Prompto se lança dans un mouvement exagéré duquel il passa le bras au-dessus de l'épaule de Noctis pour lui faire une semi-accolade de côté tout en lui claquant fortement le dos, dans une caricature ridicule d'un mec ultra-hétéro-zéro-homo-absolument-pas-gay-du-tout.
Son visage allait exploser tant qu'il brûlait.
Ils se séparèrent rapidement et Noctis se retourna enfin pour ouvrir la porte, se démenant légèrement pour la décoincer, puis sortit. Prompto le suivit sur le perron. La pluie s'était arrêtée, la température restée fraîche.
– Merci pour la soirée, dit Noctis.
La voiture luxueuse du prince était garée devant la maison, la carrosserie luisante de gouttelettes d'eau. Prompto fut un vague salut de la main vers celle-ci, même s'il ne pouvait voir Gladio, caché derrière les vitres teintées.
– C'était cool, commenta Prompto. Envoie-moi un texto quand tu seras chez toi.
Noctis s'arrêta avant de descendre l'escalier de bois pour se retourner vers lui.
– Pourquoi?
– Pour me dire que tu es rentré sain et sauf.
Sous le regard interrogateur de Noctis, Prompto roula les yeux.
– Une tradition du quartier Nord, disons, commenta-t-il d'un sourire en coin.
Il était vrai que le prince ne risquait pas grand-chose au chemin du retour, particulièrement dans une voiture blindée et accompagné d'un garde du corps à la taille monstrueuse, mais Prompto avait ses petites habitudes.
Noctis sourit.
– Ouais, ok! Je t'écrirai!
Il attendit que le prince soit bien assis dans la voiture, et que celle-ci soit disparue au bout de la rue pour rentrer. Il referma la porte et s'appuya le dos contre celle-ci en soupirant.
Putain. Il était encore plus foutu qu'il ne l'avait pensé.
.
.
– Tu ne lui as toujours pas dit que tu es gay?!, s'exclama Cindy d'un air éberlué.
C'était le lundi matin, trois jours après sa soirée avec le prince. Les deux amis étaient assis à la cantine en attendant le début des cours et Cindy s'occupait en tissant un affreux bracelet qui ne ressemblait en rien à un bracelet. Elle s'était arrêtée pour le dévisager.
– C'est compliqué, répliqua le jeune homme.
– Qu'est-ce qui est compliqué? T'as jamais eu ce problème avant!
– Bah maintenant je l'ai.
– T'as juste à le glisser dans la conversation, comme d'habitude, dans le style, "j'aime le film de Capitaine America mais uniquement parce que je coucherais bien avec Chris Evans".
– Tu sais que je suis pro Sebastian Stan.
– Tu comprends mon point.
Prompto roula les yeux.
– J'ai essayé de lui dire, mais soudainement, il a enlevé sa chemise et, et, et… Je sais pas. Mon cerveau a implosé.
Ce fut au tour de Cindy de lever les yeux.
– Je te jure, il a des abdos, insista-t-il en faisant de grands gestes vers son propre ventre, des foutus abdos ridicules! Absolument partout! On aurait dit… je sais pas, un, un putain de xylophone!
Il y eut une seconde de silence.
– Un xylophone, répéta Cindy d'un ton plat.
– Putain, tu comprends ce que je veux dire, là! Des plaquettes de fer, merde!
– Je me demande si je dois m'inquiéter du fait que le prince est atteint d'un grave problème médical ou si tu es simplement le pire poète de l'histoire de la littérature.
Prompto soupira. Il attrapa l'une des nombreuses ficelles qui traînaient sur la table et l'enroula autour de son index distraitement.
– J'arrive pas à réfléchir quand il est près de moi.
– Oh oh. C'est grave. T'es foutu.
– Ouais, je sais. Merci pour ton analyse.
Il appuya le front contre la table.
Il était fatigué. Le samedi, son collègue avait téléphoné à la dernière minute pour lui annoncer qu'il était trop malade pour venir au boulot, et Prompto avait dû se taper seize heures de travail consécutives. Puis, le lendemain, dix heures de plus. Comble du malheur, les clients avaient été plus nombreux que d'habitude et l'avaient empêché d'avancer dans ses études; il était donc resté éveillé une bonne partie des deux nuits pour réviser.
Et puis, lorsqu'il s'était enfin permis de glisser sous les couvertures, l'image d'un prince aux cheveux noirs et aux yeux bleus l'avait stupidement gardé éveillé.
Il était effectivement foutu.
Foutu, foutu, foutu.
– Oh, ton homme orchestre approche, chuchota soudainement Cindy.
Prompto releva brusquement la tête pour découvrir que Noctis marchait en leur direction. Sa chemise était déboutonnée et le nœud de sa cravate était à semi-détaché, exposant une gorge sexy et une pomme d'Adam prédominante – et putain Prompto avait définitivement un problème d'arythmie.
– Salut, fit le blond d'un ton décontracté lorsque le prince arriva près de lui.
Enfin, décontracté… Aussi décontracté qu'un mec pouvait l'être après une millième crise existentielle.
– Salut, répondit Noctis.
Ce dernier ne bougea pas pendant quelques secondes, se balançant d'un pied à l'autre tout en serrant les bretelles de son sac à dos. Prompto souleva un sourcil.
– Ça va, mec?
– Oh, oui oui, heu. Désolé.
– Cool, répondit Prompto en retirant son propre sac de la chaise à ses côtés. Tiens, assieds-toi si tu veux.
– Ah. Merci.
Prompto constata immédiatement que Noctis n'était pas à l'aise à la façon coincée dont il bougeait et il devina que c'était en lien avec les milliers d'étudiants autour d'eux qui le regardaient de yeux ronds comme s'il était un animal de foire. Il sentit une frustration grimper en flèche dans sa poitrine et il lança un œil noir à tous ceux qui le fixaient, les obligeant à baisser le regard.
Petits cons.
Il se retourna vers ses camarades.
– Tu te souviens de Cindy?, demanda Prompto.
– Salut!, répondit aussitôt la jeune femme en secouant la main.
Il fut soulagé que Cindy n'emprunte pas les termes léchés du protocole pour s'adresser au prince, et il sentit aussitôt ce dernier se détendre à ses côtés.
– Salut, répondit Noctis d'un sourire timide. Tiens, ajouta-t-il à l'intention de Prompto en retirant une petite pile de vêtements de son sac à dos. Je voulais te rapporter ceci.
– Ah cool merci!
Il avait peu de vêtements et il était heureux de les retrouver. Il les plaça dans son propre sac.
– Ils sentent bon, commenta-t-il.
– Ouais… c'était la première fois que je faisais ma propre lessive et, heu… j'ai vidé une demie bouteille d'assouplisseur dans la machine. Tous mes vêtements sentent la fleur à des kilomètres à la ronde.
Prompto et Cindy éclatèrent de rire tous les deux, et le sourire de Noctis s'étira. Il semblait plus à l'aise à chaque minute qui passait et, rapidement, la conversation entre les trois étudiants devint naturelle. Cindy et Noctis paraissaient bien s'entendre, ce qui fit énormément plaisir à Prompto.
Ils discutèrent des professeurs de leur école et des devoirs qu'ils devaient remettre dans les prochains jours, du menu indigeste de la cantine et de l'équipe de basket de l'école qui traînait de la patte dans les classements. Cindy continuait sa création monstrueuse tout en parlant.
– Qu'est-ce que tu fais, au juste, avec toutes ces ficelles?, demanda soudainement Noctis en pointant le matériel qui ne cessait de s'étendre sur toute la table.
– C'est un bracelet d'amitié!, s'exclama fièrement la jeune femme en lui montrant le tas de cordelettes emmêlées.
Il eut quelques secondes de silence pendant lesquelles Noctis dévisagea la chose, clairement en train de se demander comment ce truc pouvait être un bracelet, et Prompto éclata de rire.
– Va chier Prompto Argentum, déclara aussitôt Cindy en reprenant son œuvre.
– Quoi, j'ai rien dit!, s'exclama le jeune homme en rigolant.
– Je t'entends penser, connard.
Prompto n'arrivait plus à ralentir son fou rire. À ses côtés, Noctis, qui tentait de cacher son sourire en échouant misérablement, ne l'aidait pas du tout.
– Putain Cindy, dit-il lorsqu'il arriva enfin à respirer de nouveau, je t'aime bien, mais tes bracelets….
– Tu serais incapable d'en faire un!
– Tu déconnes! Regarde bien, c'est pas compliqué!
Il attrapa une ficelle noire dans laquelle il fit un simple nœud.
– Tadam!, s'exclama-t-il en levant sa création.
– Wow. Une ficelle.
– C'est du minimalisme. Tu connais rien à l'art contemporain.
Puis, le fil toujours relevé, il se retourna vers Noctis et déclara d'un ton solennel :
– Noct, en gage de notre amitié, je t'offre ce magnifique bracelet que j'ai fabriqué à la sueur de mon front.
– Qu'est-ce que t'es con, répondit le prince d'un sourire en coin.
Mais il leva tout de même son poignet et Prompto y noua la ficelle.
– Voilà, c'est un bracelet maintenant, déclara le blond.
Noctis leva vers lui des yeux brillants et Prompto sentit son cœur s'envoler dans sa poitrine. Le regard du prince était hypnotisant, ses iris bleu profond malgré la lumière artificielle de la cantine, et son sourire timide était absolument adorable.
Le raclement de gorge de Cindy le tira de son songe et il se retourna brusquement vers elle.
Elle avait un sourire en coin qui ne disait rien de bon.
– Enfin, balbutia Prompto. Tu comprends le principe.
– T'as énormément de talent, blagua Noctis.
– Ah oui, mais son plus grand talent, déclara Cindy, c'est de jouer du xylophone.
Oh putain. La traîtresse.
– Tu joues du xylophone?, demanda naïvement Noctis en se retournant vers le blond.
Prompto se leva d'un coup.
– ON VA ÊTRE EN RETARD À NOTRE COURS DE PHYSIQUE!
Noctis le regarda d'un air confus.
– Hein? Mais il nous reste encore vingt minutes?
– Justement! On doit y aller TOUT DE SUITE, déclara-t-il en enfilant les bretelles de son sac à dos.
Il attrapa Noctis par le collet de son uniforme et le força à se lever. Celui-ci eut à peine le temps d'agripper son sac à dos et de balbutier un bref "salut" à Cindy que Prompto l'emportait au loin, fuyant la cantine au plus vite.
– Hey Prom!, cria la jeune femme derrière eux. J'attends toujours mon dix gils!
Prompto lui fit un doigt d'honneur au-dessus de son épaule sans même se retourner.
.
.
Plus tard, alors que Prompto était en train de mourir d'ennui dans leur cours de physique, combattant le sommeil sous la voix monotone de Barbarossé, il remarqua du coin de l'œil que Noctis admirait le fil noir noué à son poignet, glissant minutieusement son pouce sur la cordelette comme s'il s'agissait du plus précieux présent qu'il n'avait jamais reçu de sa vie.
Son cœur s'envola à nouveau.
.
.
Ahhhh voilà donc d'où vient le titre de cette fic! ;)
(9 chapitres d'attente pour cette réponse lol)
Je voulais que cette histoire soit brève et courte, et visiblement ce n'est pas du tout ce qui est en train de se produire. lol
Habituellement j'évite les longueurs, mais ici j'avais l'impression que c'était un passage obligé, pour solidifier la suite... Cependant, à partir du prochain chapitre, les choses vont commencer à bouger un peu!
Je suis toujours aussi épatée que cette histoire soit lue (je me répète, JE SAIS), donc merci pour votre détermination hahahaha
Charlie xx
