C'est ainsi que du jour au lendemain, je suis devenue la petite amie d'Edelgard von Hresvelg : la fille la plus populaire de Saint Seiros. Et, même si ce n'était qu'un simulacre, j'ai encore du mal à croire qu'à l'époque j'ai accepté d'être la copine d'une fille aussi suffisante. Je me fichais bien des « qu'en dira-t-on » et des rumeurs. Seulement, avoir la sensation d'être considérée comme une œuvre de charité n'était pas agréable, surtout quand cela venait des professeurs eux-mêmes. Ce n'était pas comme si dans mon précédent bahut j'étais miss populaire, mais j'étais loin d'être la brebis galeuse. Alors, si Edelgard pouvait me permettre d'avoir la paix que ce soit celle des profs ou des élèves : qu'avais-je à perdre à jouer la comédie ? Plus que je ne le pensais. Des choses que j'ignorais encore et d'autres qui étaient à venir.

J'arrivai tôt ce matin-là et garai ma bécane à l'endroit habituel réservé aux deux roues. J'étais comme qui dirait tombée du lit. Je n'avais pas passé la meilleure de mes nuits et finalement, me retrouver en couple du jour au lendemain alors que je n'avais jamais eu d'expérience dans le domaine me tracassa davantage que ce que j'avais imaginé au début du week-end. Je ne savais pas du tout comment ce genre de chose marchait en dehors de ce que j'avais observé dans les séries télévisées qui étaient loin (très loin même) de refléter la réalité. D'après Edelgard, les choses se feraient très naturellement, et elle, n'avait pas eu l'air de s'en faire pour ça les quelques fois où nous avions échangés à propos des « modalités » de notre mise en scène. Toutefois, quand je la vis descendre d'une belle berline noire aux vitres teintées (le chauffeur en uniforme avait ouvert la porte arrière) mes doutes redoublèrent car Dimitri aussi descendit du véhicule après elle.

Vous : Est-ce qu'on va devoir se tenir la main comme tous ces couples niais ?

Le message parti et je pus presque le voir arriver jusqu'au téléphone qu'Edelgard tira de sa poche moins de cinq secondes après.

Edelgard : J'ai l'air d'être quelqu'un de niais ?

Vous : Pas vraiment.

Edelgard : Alors ne pose pas ce genre de question ridicule.

J'ignorai comment interpréter sa réaction. Edelgard était vêtue de son expression d'indifférence indélébile et inhérente à elle tandis qu'elle se dirigeait vers l'entrée du bâtiment principal accompagnée de Dimitri. Je l'avais pourtant vue plus détendue que ça, mais jamais en public. En fait, Edelgard et moi ne nous étions jamais retrouvées en public, et c'était sans doute cela que j'appréhendais un peu. J'étais déjà sous le feu des projecteurs depuis mon inscription à Saint Seiros, et fréquenter la princesse du bahut ne ferait pas de moi quelqu'un de plus discret.

Vous : Tu vas devoir publiquement rompre avec Dimitri ?

Edelgard : Je t'ai déjà dit que Dimitri et moi n'étions pas ensemble.

Vous : Mais c'est ce que tout le monde pense.

Edelgard : Quelle importance ? Depuis quand te soucis-tu de ce que penses les autres ?

Vous : Depuis quand as-tu cessé de t'en soucier ?

Le message suivant mis du temps à arriver. En fait, il n'arriva jamais. Le mien était parti sans y penser mais je ne voyais pas ce que j'avais pu dire de mal, ou bien qui soit mal interprétable. Peut-être que je réfléchissais simplement trop.

Vous : Les gens vont trouver cela bizarre que tu ne sois plus avec lui mais du jour au lendemain avec moi.

Et taper celui-ci me fit une sensation bizarre à l'estomac. « Avec moi » avais-je écris. Cette fois les choses étaient concrètes. Je le réalisai un peu plus.

Edelgard : Cesse de t'inquiéter. Je contrôle la situation.

C'était évident : Edelgard contrôlait tout. Mais qu'elle ne prête pas plus attention que cela aux rumeurs qui allaient bientôt prendre forme me laissa un peu étonnée. Ca ne collait pas vraiment au personnage. Elle devait avoir un plan. Et moi, j'étais juste l'un de ses pions sur l'échiquier géant qu'elle parcourait librement. Mais, après tout, j'étais d'accord avec ça.

Je rangeai mon portable dans la poche du blazer que je portais sous ma veste et pris le même chemin que tous les autres élèves de Saint Seiros. Près des casiers je trouvai rapidement Dorothea qui replaçait correctement ses cheveux dans le miroir qu'elle avait accroché à la porte. Un rituel auquel j'avais l'habitude d'assister avant chaque cours de littérature.

—Salut.

—Byleth ! Tu as l'air en forme dis-moi !

Je n'avais pas l'air en forme du tout (du genre couchée tard et levée tôt avec un capital sommeil proche du néant). Ce qui m'alerta immédiatement. Dorothea était déjà au courant, ça aussi, c'était plus qu'évident. Je n'aurais pas été étonnée qu'elle demande à Edelgard si les choses avançaient avec moi. Je l'étais un peu plus que cette dernière soit si transparente avec elle. Ce qui me fit me questionner davantage sur les profondeurs de la relation qui les liait.

—Un peu fatiguée. Et toi ?

La chanteuse se figea comme si un trente-huit tonne avait embouti l'entrée principale du bâtiment. Je regardai derrière mon épaule pour constater que le bahut était sempiternellement aussi chiant que d'habitude puis ouvris mon casier (il était séparé du sien par deux autres seulement) pour y fourrer mes affaires et sortir mes bouquins.

—Je vais bien ! C'est rare que tu me retournes la question ! Ce serait-il passé quelque chose ce week-end pour que tu sois aussi joyeuse ?!

—Je ne suis pas joyeuse.

—Tu l'es !

—J'ai seulement fait preuve de politesse.

Cette fille était très fatigante. Et j'étais très fatiguée. Ce qui revenait à dire que je n'avais pas du tout la patience pour gérer son cas ce matin. Ni celui qui arrivait gaiement.

—Yo !

Dorothea prit une expression qu'elle réservait uniquement à Claude (et à Lorenz dont je parlerai plus tard aussi) et Claude attrapa mon épaule pour approcher sa bouche de mon oreille. J'en sentis très vite le souffle chaud.

—J'ai réussi à équilibrer les composants de ma nouvelle potion d'amour, murmura le jeune cerf. Si tu es libre, à midi, je pourrais te montrer le résultat !

—Elle n'est pas libre ce midi.

Dorothea avait bien-sûr tout entendu. Peut-être qu'elle laissait ses oreilles traîner un peu trop. Peut-être aussi que Claude ne voulait pas être discret. Fréquenter Claude et Dorothea c'était un peu comme avoir deux fils qui se touchent au cerveau.

—Ah bon ? Tu ne l'es pas ?

Je me tournai vers la brune qui possédait des informations que j'avais visiblement manquées. Cette fois, c'est elle qui approcha sa bouche de ma seconde oreille pour y glisser quelques mots.

—Je déjeune avec Edie. Et tu déjeunes avec moi. Tu comprends ?

Ce que je comprenais, c'était surtout que Dorothea faisait partie du fameux plan d'Edelgard. Ce qui n'était pas rassurant. Logique, mais pas rassurant pour autant.

—Tu auras d'autres occasions, signala la jeune femme au seul mâle. Et puis tu vas être au centre de l'attention pendant deux longues heures, Claude Gueux.

—Comme s'il y avait la moindre similarité entre cet homme et moi.

Claude attrapa son menton entre ses doigts et nous gratifia d'un magnifique sourire qui prit au moins les trois quart de son visage pour exposer une dentition que n'importe quelle personne aurait jalousée. Même les dentistes.

—Je suis plutôt malin, certainement pas bête au point de me faire prendre pour avoir volé du pain.

—Comme si tu avais besoin de voler du pain, intervins-je.

—Oh tu sais, le vol ne se résume pas à la l'objet du délit ! Parfois cela sert à combler un vide que tu ressens en toi, si profond que tu ne vois jamais la lumière du jour !

—Je doute que Claude Gueux partage le même avis. Sur ce, si vous voulez bien m'excuser…

Il restait une vingtaine de minutes avant le cours et je décidai d'aller dans la réserve du premier étage afin d'en griller une rapidement, le tout en complétant les quêtes quotidiennes d'un jeu mobile qui faisait fureur depuis plusieurs semaines. Mon téléphone vibra dans mes mains et une petite bulle de conversation apparut en haut de l'écran. Je cliquai par réflexe et habitude pour l'ouvrir.

Dorothea : J'étais sérieuse pour ce midi. Il faut que tu déjeunes avec moi.

« Okay » envoyai-je en soupirant lassement une première fois.

Dorothea : Merveilleux ! Tu vas être en retard, le cours va bientôt commencer.

Puis une seconde fois, avant d'écraser ma clope et de rejoindre les autres. J'étais entrée dans la salle de cours juste avant monsieur Essar et j'avais gagné ma place comme je le faisais d'habitude. Sans plus, sans moins. Sans un regard inhabituel. Edelgard était installée vers Dimitri. Dorothea derrière elle. Et Claude, Claude s'était installé juste devant moi alors que d'habitude trouvait sa place à la troisième rangée près du mur opposé.

—Pssst, entendis-je rapidement.

—Je peux pas ce midi, j'ai un truc à faire.

—T'as un rancard ?

—Tu rêves.

—Un peu de silence au fond ! pesta le professeur dans sa barbe grise parfaitement brossée.

Je lissai ma crinière sur ma tête et ouvris Claude Gueux à la page demandée par monsieur Essar avant de me prendre une autre soufflante injustifiée. J'avais accepté de sortir avec Edelgard pour avoir meilleure réputation, et ce cher cerf risquait de tout foutre en l'air s'il continuait ainsi. Mais il resta silencieux, et une petite boule de papier chiffonnée apparut sur la page trente-sept du bouquin. « T'as l'air différente. Il s'est passé un truc ? » était griffonné d'une écriture plutôt soignée pour un homme. Le tout accompagné d'un smiley souriant encore plus que lui. Je me raclai la gorge pour masquer le son du papier froissé et renvoyait le message sur sa table sans même avoir répondu. Mais la boulette ne tarda à revenir. « Tu peux tout me dire, je sais garder les secrets ! ;D » avait-il ajouté. Je n'avais aucun doute quant à cela au vu de tout ce qu'il faisait tourner depuis deux ans dans la cage d'escalier du troisième étage de l'aile ouest.