Réunion au sommet.

Ils se retrouvaient tous réunis autour d'une table , plus ronde encore que celle du roi Arthur , en bien plus bruyante et atypique. Ils étaient là , parlant chacun plus fort que le précédent , y allant de leurs commentaires en soi bien inutiles puisque Stiles avait prit sa décision.

Ferme , irrévocable .

Tapant d'un stylo quelconque trouvé échoué sur la surface abrupte , tambourin nerveux , il sentait le poids des feuilles volantes du journal de sa ville natale peser lourdement dans la poche de son jogging. Comment quelques mots pouvaient irradier autant à travers le tissu et mordre son derme d'une brûlure indolente?
Il avait dû faire preuve d'une grande maîtrise pour se contrôler dans la chambrée face à un Hati débordant de tics typiquement humain , pour une fois. Le voyant marcher dans un sens , puis l'autre , rabattre nerveusement vers l'arrière ses mèches , les étirant parfois a s'en écheveler. C'était à la frontière du comique puisque Stiles connaissait ça par cœur. La panique du pris en faute. Les élans du naufragé qui n'a plus rien à quoi se raccrocher. Il soufflait , cherchant ses mots , à grand renfort d'une moue consternée de victime. Pitoyable.

'Comment ça hypocrite ? A quel moment j'ai bien pu l'être avec toi Stiles? Tu étais censé avoir comprit pourquoi je ne pouvais pas te parler de ce qu'il allait se passer. Mais les infos tu les as en mains , tu connais l'importance de tout ça , merde ! Alors non on ne rentre pas à Beacon hills , on en a pas fini ici , ce serait du suicide.'

C'est dans un rictus sauvage que Stiles avait empli ses poumons le temps de calmer le brouhaha incommodant de ses bêtes à l'affût. Compliqué de autogouverner quand vous êtes un gardien de zoo surnaturel en cours d'expérimentation.

' Passe encore la torture , les expériences frankeinsteinesques , le bordel que tu me laisse à vie sur les épaules et dans la couenne mon gars. Je suis rancunier mais je sais faire la part des choses puisque mes miches sont encore au chaud et intactes. Mais si tu me laisse me renseigner en toute impunité, t'es aussi au courant que moi de ce qu'il se passe à Beacon Hills tête de gland..'

Silence. Pesant. Un arrêt sur images dans la tornade syncopée. Bien sûr qu'il savait. Bien sûr qu'il était largement au courant de l'amitié naissante entre Dean et Stiles et des petits services rendus par dessous le manteau. Dean était le seul qui n'avait jamais participé à leurs exploits psychopathes. Comme il le disait si bien , il n'avait pas eu le choix , de par sa nature en premier lieu , et parce qu'il risquait une réclusion à vie pour ses petites incartades informatiques. Seule option? Se retrouver bazardé dans le gang des fêlés de la cafetière. Point commun qui avait poussé le bouton bien poussiéreux de l'empathie d'un gamin qui , lui non plus , n'avait pas demandé à être dans tout ce merdier. Mais Stiles , loin d'être en reste pour les méninges affutées , était conscient que tout était millimétré et observé à la loupe. Il n'avait rien gagné, il était sous surveillance extrêmement rapprochée.
Alors il n'avait pas plus cherché la confrontation et c'est d'une voix plus assurée et charismatique que jamais qu'il avait imposé sa sentence.

'Laisses tomber , t'es pas capable de dire la vérité ou de porter tes couilles de moineau. Je demande un avis général , vivons donc en démocratie et faisons les choses bien. Convoques tout le monde dans la salle de garde , j'attendrais là bas.'

Et il était sorti sans un regard , retenant sa respiration le thorax gonflé de ses émotions rentrées. Ne pas craquer. Un pas devant l'autre pour mettre chacune de ses idées en place et surtout prendre le plus de distance possible entre l'effaré bouche bée et lui. Il savait sur qui compter pour le vote à main levée. Il fallait juste convaincre les autres.

C'est ainsi qu'il était là , une cheville reposant sur le genou opposé , les sens en éveil et feignant l'inattention pour concocter son plan. Dean? Dans la poche. Ben? Le gars s'en branlait des discours , pas de prise d'initiative, c'était le solitaire de la bande , quelque peu effacé et taciturne. Il irait là où le plus grand courant d'air le porterait , rien de plus. Il le comptait donc dans les 'pour'. Aprés tout , qui ne dit mot consent non?

Dans sa réflexion il osa un regard dans la direction de Skoll , à l'autre bout de la pièce , bras croisés et menton renfoncé dans son giron. Un coup d'œil par le bas et voilà que leurs iris se croisaient pour la première fois depuis une paye. Stiles ne savait pas trop comment analyser le blondinet. Tantôt narquois , tantôt menaçant et violent. Mais il y avait un point sur lequel il ne doutait pas de son instinct , Skoll était empli d'un désir de bataille et de vengeance. Souvent il manquait de patience , poussant les entraînements à leur maximum afin d'aller plus vite , traînant des quatre fers quand il fallait quitter un territoire parce que leur taré de dieu de père se rapprochait dangereusement de leur planque résidentielle. Comme si il cherchait absolument à en finir , a combattre quitte à se lancer de manière irréfléchie et suicidaire. Mais ce n'était pas ça , Stiles sentait qu'il voulait simplement être enfin libre. Libre du joug malsain de surveiller le coma artificiel d'un parent en sachant qu'il n'avait pas les capacités de débrancher la machine. Si il avait pu tuer Fenrir de ses mains il l'aurait sûrement fait il y a des siècles. Il semblait donc quasi évident qu'il accepterait sans mal de courir au devant des emmerdes en retournant au point de départ. Et ce , à poil avec un drapeau rouge flottant dans le vent pareil.

Hati quant à lui c'était bien différent. Trouillard. Peu enclin à se confronter à son trauma d'enfance , à ce père monstre de légende qui devait lui foutre une panique de tous les diables. Il dirait non. Il espérait sans doute continuer ainsi ,ad vitam æternam, à changer de pays toutes les semaines , effacer leurs traces , passer pour desombres , fantômes sans noms et sans visages. Qu'avait donc pu lui faire son paternel pour qu'il se cantonne ainsi à l'éviter quant il semblait nécessaire de lui faire bouffer ses millénaires d'existence?

Ça faisait quatre voix , en comptant la sienne , contre une pour le moment. Mais plutôt contre deux puisque Rage se ferait une joie de contrer le jeune impertinent. Juste par esprit de rébellion. Fallait dire qu'il était relativement éprouvé dans tous les combats rapprochés et que Stiles ne lui faisait aucune espèce de cadeau ou de faveur. D'ailleurs , heureusement que l'ours mal léché n'en gardait aucune séquelle sinon quasimodo ferait pâle figure à côté de sa trogne ravagée.
Restaient Marcus , Li et Silver. Marcus et Li voteraient un NON rapide. Tous deux sur la même longueur d'ondes depuis des mois s'accordant sur le fait que Stiles manquait de dévouement a la cause et de concentration. Facile à dire mais , sans déconner , comment s'investir avec des mecs barges à souhait qui le retenait loin de chez lui , lui filait des explications au compte goutte concernant ses capacités à contrôler chacune de ses formes de peur qu'il pète un câble et se casse et qui ne lui faisait pas confiance? Bon , ok , il leur faisait zéro confiance aussi.

Silver serait donc le seul à faire pencher la balance. Et ça n'allait pas être une partie de plaisir de le faire plier a sa volonté. Il avait été le premier à le frapper , le torturer. Mais depuis le début de son 'initiation' Silver s'était adouci , faisait preuve d'une attention quasi paternelle a son égard , supportant ses blagues vaseuses , ses remarques acerbes , temporisant beaucoup les autres quand il faisait péter la goupille et éclatait tout sur son passage. C'était presque réconfortant, lui rappelant son propre géniteur qu'il se retenait de contacter au fil des saisons qui passaient de plus en plus rapidement. Mais de là a ce qu'il comprenne et soutienne son raisonnement , rien n'était moins sur..

Stiles coupa le brouhaha ambiant en faisant claquer son stylo sur la table. Suffisamment pour que l'encre s'échappe joyeusement de sa prison transparente et s'écoule lentement sur le bois verni. Sa main restait plaquée dessus et ses yeux devièrent reptilement de l'un a l'autre. Seul Rage se donna le droit d'un frémissement de lèvre , semi rictus victorieux , appréciant la situation.

'On ne va pas y aller par quatre chemin. Le temps passe , peut être pas suffisamment vite pour les uns et trop lentement pour les autres. On se ment pas , vos avis je m'en contrefous dans les grandes largeurs mais si on vote pas y'aura forcément certains d'entre vous qui m'empêcheront de faire ce que j'ai à faire. Alors voilà...'

Mimant le geste à la parole il se redressa afin de sortir les feuilles de sa poche et de les faire glisser , une fois ouvertes en grand , au milieu de la table.

'...on en est là. Fenrir est de retour à Beacon Hills. C'est là que je vais. Qui est de la partie ?'

Les œillades se croisèrent , tantôt curieuses, tantôt surprises. Dean osa un regard affolé vers un Stiles stoïque , droit sur ses appuis , les poings serrés ancrés face la première sur le bois épais devant lui , attitude dominante et charismatique. Il s'inquiétait sans doute que leurs petits échanges soient dévoilés aux yeux de tous. Ou avait il peur lui aussi de ne pas être taillé pour la baston?
Silver avança avec une lenteur écrasante ses gros doigts vers une des pages froissées. Il lorgna attentivement le titre : "Effraction et vol dans la maison du Shérif" et tourna son visage buriné vers l'adolescent impassible. Si d'adolescent il ne pouvait seulement rester qu'une infime trace derrière les traits durs et froids de Stiles... Même service pour l'autre feuille volante "Découvertes macabres dans les bois de Beacon Hills. Trois corps démembrés."

Le havre de paix qu'avait été sa ville natale depuis son départ fut de très courte durée. Voilà quinze jours , semblait il , que les meurtres sauvages avaient repris..et que quelqu'un s'était introduit chez lui pour retourner de fond en comble sa maison. Son refuge. Le lieu de vie de son père. Selon l'article , il ne se trouvait pas sur place. On y citait a tout va le grand malheur que vivait une fois de plus un homme privé de sa femme et , plus récemment, de son seul fils. Le journaliste se faisait une joie de décrire , à grand renforts de synonymes plus atroces les uns que les autres , la douleur d'un homme seul , en proie au désespoir et qui n'avait pas besoin de tout ce tapage dans le tumulte torturé de la recherche de sa progéniture surtout depuis son semblant d'infarctus.

Stiles n'avait jamais pensé à ça. Jamais ne serait-ce que caressé l'idée que son père pouvait mourir de sa disparition. Il s'était attendu à des hurlements, des larmes , de l'incompréhension. Mais il pensait le protéger de tout ça , de lui , en ne le contactant pas. Le laissant volontairement dans l'ignorance pour ne pas ajouter à sa souffrance. Mon cul oui. Effectivement les mois avaient passé. Un an s'était presque écoulé. C'était très long mais il n'en avait pas eu conscience de la moitié dans tout ce que , lui même , avait eu à affronter. Mais là c'était le coup de grâce. Le trop plein.
Sous son derme la fourmilière grouillait de nouveau , mouvant ses poils tout humains qu'ils étaient en toison dorée, noire comme l'ébène , écailles lisses et réfléchissant la lumière. Tous pouvaient sentir dans leur chair l'agitation des bêtes d'un Stiles aux émotions enfiévrées et tumultueuses. C'est ainsi que Skoll trancha le silence de sa voix ondulante , tel le serpent du livre de la jungle , trop suave pour être honnête.

'Stiles a raison. Fenrir est retourné au point de départ , il s'impatiente , il va appuyer là où ça fait mal pour déclencher une réaction. Il ne sait pas où nous sommes , il nous traque mais il fatigue. Trouver des proies capables de contenir sa puissance devient difficile. Il faut attaquer tant qu'il est sur la défensive...'

Dans son for intérieur c'était la débâcle. Imaginer Fenrir s'en prendre à son père , ses amis , sa famille...Non , sa meute , c'était beaucoup trop. Son imagination débordante ondulait d'images macabres , flots de sangs ininterrompus , chairs lacérées , deux billes céruléennes le fixant dans un soupir mortifère. Hors de question de prendre un tel risque. Pas sans que Stiles ne puisse s'interposer à temps puisqu'il était la cause de tout.

Hatï fulminait sévère. Ses yeux anisés changés en deux abysses sans vie sortant quasiment de ses orbites.

'Skoll tu vas la fermer? On est loin d'être prêts , on a encore des choses à planifier et justement laissons le s'affaiblir et ne plus trouver de nourriture capable de lui convenir. Plus il sera affamé plus nous auront de chance de le vaincre une fois pour toutes.!'

Comme prévu Marcus et Li furent enclin à hocher la tête après ses dires. Et Rage? Ce connard n'avait pas eu à prononcer un mot jouant de son pouce et son index pour mimer de tirer sur Stiles. Touché coulé. C'était sans compter sur Silver qui ,après une longue observation des mots imprimés sur le journal , se racla nonchalamment la gorge pour faire silence. Et c'est le long déballage qui suivit , première fois depuis qu'ils s'étaient rencontrés dans la geôle pourrissante et assurément plus long laïus de toute la vie du russe, qui assomma suffisamment Stiles pour qu'il s'écroule de nouveau dans son fauteuil.

'Ecoutez..Le nemeton attire les êtres surnaturels. Fenrir possède à Beacon Hills un garde manger géant qui ne manquera jamais de ressources. Comme dirait notre jeune ami , c'est un buffet à volonté. Et Stiles..' petit coup d'oeil appuyé au concerné derrière les fines ridules étirant ses paupières '...nous a définitivement prouvé ses capacités. Il nous a fait mal mais pas plus que ce qu'on lui a donné quand il n'était encore qu'un faible humain transi de trouille. Depuis il aurait pu nous tuer à chaque seconde. Il n'en a rien fait. Il fait preuve de plus de self control qu'aucun d'être nous. Son corps entier est une machine de guerre , pas encore bien huilée mais qui ne nécessite pas plus que l'esprit affûté qu'il possédait déjà avant toutes les modifications qu'on lui à apportées de force. Même toi Rage il aurait dû t'écraser comme le cloporte que tu es mais il s'est abstenu. Il a épongé plus de souffrance qu'aucun d'entre nous ne pourrait le supporter en plusieurs vies. Alors je suis d'accord. Et je le suivrais. Peu importe la merde dans laquelle il décide de plonger la tête la première , je jure sur mon honneur de le suivre et d'y laisser ma trogne si ça doit être le cas. Faites votre introspection , regardez vous dans un miroir. C'est sans doute la fin du SM6 mais je ne laisserais pas ce petit con porter seul le poids de la fin du monde sur ses épaules.'

Stiles expira tout l'air qu'il contenait bien malgré lui sous l'impétuosité du flot de mots que débitait Silver à la seconde. Putain il avait fini par déteindre sur lui? Mais voilà. Il avait gagné. Il rentrait chez lui. Monstrueusement habité et affublé d'une meute transmutante qui comptait lui coller le cul encore des lustres. Au moins il ne serait pas seul pour combattre l'entité la plus foutrement ardue de toute l'histoire des bestioles et il aurait du renfort pour protéger les siens. Ceux qu'il allait enfin retrouver.

Dans la cohue et la débâcle , Stiles et Silver se levèrent d'un même élan , calqués, lupins et attentifs l'un à l'autre et c'est dans un murmure qu'il savait qu'il percevrait que le plus âgé exhala en souriant : 'Viens , faut que tu retrouves ta précieuse jeep.'