Derek ne savait pas ce qui était le plus perturbant dans cette histoire. Voir le phénix s'évanouir d'un coup dans le ciel après plusieurs minutes d'apparition ou de retrouver Stiles, après tout ça, évanoui et nu comme un ver en plein milieu de la forêt ? Lorsqu'ils l'avaient trouvé après quelques minutes de recherches, Moira s'était précipitée pour évaluer son état et le soigner si besoin. Par chance, il n'avait rien. Selon elle, il avait contrôlé sa chute avant de perdre connaissance… Sans doute en usant de sa télékinésie. Après la disparition de l'oiseau de feu, plus aucune flamme n'avait illuminé le ciel, pas la moindre. Elle n'avait donc pas envisagé qu'il ait pu se servir de ses capacités X.
Loup et M-Psi lui firent péniblement enfiler les vêtements qu'ils lui avaient apporté et Derek le prit sur son dos. Ils devaient se dépêcher et Moira lui avait assuré au préalable qu'elle pourrait se débrouiller pour suivre le rythme, que Derek adapta bien évidemment à elle – autrement, il la sèmerait en quelques secondes seulement. Et même si un grand nombre de questions lui torturaient l'esprit, il garda le silence. Contre lui, le corps de Stiles, chaud. Presque bouillant. Mais il ne bougeait pas. C'est comme s'il était inanimé, comme si la vie qui l'habitait s'était envolée. Les battements lents mais réguliers de son cœur lui prouvaient qu'il était là, bien vivant. Juste… Epuisé, d'après ce qu'il pouvait déduire. Epuisé au point de s'être évanoui, au beau milieu de la forêt, à la merci de n'importe qui, n'importe quoi. Derek serra la mâchoire.
Stiles avait réellement agi de manière suicidaire.
Dans sa tête, ce mot ne cessait de se répéter et sa signification, de s'imposer. Ce n'était pas pour rien qu'il revenait sans arrêt dans ses pensées. Chaque action de Stiles en cette soirée était dépourvue de toute dimension sécuritaire. C'était comme si l'hyperactif, au fond, voulait qu'on le trouve. Qu'on le piège. Qu'on mette fin à sa vie.
Et plus il y pensait, moins Derek trouvait ça idiot. Et si c'était ça, le véritable but de Stiles ? Et si c'était pour cette raison qu'il faisait tout pour être remarqué par son espèce ? C'était malheureusement foutrement possible. Parce qu'il était en train de dérailler et que c'était de plus en plus visible. D'autant plus qu'un autre élément alarmait Derek, un élément dont il n'avait pas encore parlé à Moira et qui attendrait leur retour au manoir.
Si la M-Psi ne lui avait trouvé aucune blessure physique, Derek avait tout de suite senti que quelque chose avait changé en lui et plus précisément… Dans son odeur. Même inconscient, Stiles irradiait d'émotions, ce qui contrastait avec sa froideur de ces derniers jours. Elles étaient fortes et particulièrement puissantes… Suffisamment pour que Derek les sente toujours aussi fort alors même que Stiles n'avait pas encore repris connaissance. Sans doute des résidus plus que tenaces de ce que le châtain avait ressenti avant de sombrer… En tout cas, si tel était réellement le cas, il avait dû briser sa Dissonance – Derek commençait déjà à intégrer ce que lui avait appris Moira. Et alors qu'en temps normal, il se serait réjoui de ce fait tant imaginer un Stiles se privant de ses émotions lui faisait peur, Derek se demanda si, en cet instant, c'était réellement une bonne chose.
Néanmoins, en cet instant, ce n'était pas le genre de questions qu'il fallait se poser. La priorité étant de rentrer au manoir le plus vite possible, le loup resta concentré sur son odorat et sa perception du monde. Marchant à ses côtés, Moira enchaînait les scans télépathiques de la forêt. Hors de question qu'ils se fassent surprendre ainsi. Mieux valait éviter de prendre le moindre risque… Et c'était d'autant plus vrai maintenant que Stiles s'était littéralement vendu sur le Psinet. On n'oublierait pas son phénix de sitôt… Et il en était de même pour son nom. Et même si Derek trouvait parfois Stiles agaçant, avant que tout ça n'arrive, il avait toujours admiré son intelligence. Mais là, quelle que soit la raison qui l'avait poussé à agir de la sorte… Il la détestait. Pire : il haït un instant l'hyperactif pour ce qu'il avait fait. Qu'importe qu'il puisse vouloir être retrouvé, tué ou quelque autre barbarie… Derek détestait la simple idée que la révélation de sa présence et de son identité le mettent davantage en danger. Stiles avait besoin… De repos et de répit. Pas d'une exposition supplémentaire. Le châtain avait d'ailleurs beau être plus puissant que lui techniquement parlant, Derek ressentait le besoin irrépressible de le protéger contre son espèce. De l'empêcher de se montrer davantage. De l'obliger à être raisonnable.
Ce n'est qu'une fois qu'ils arrivèrent devant le manoir que Derek s'autorisa à souffler un coup, avant de rentrer. Il fit fi des regards plus que perplexes posés sur lui, sur Stiles, sur Moira, et monta directement à l'étage. Quelques secondes plus tard, l'hyperactif reposait, toujours inanimé, sur le grand lit de cette chambre qu'il avait déjà occupée un moment. Derek fit en sorte qu'il soit bien couvert avant de sortir de la pièce et de fermer la porte derrière lui. Il retint un soupir. Des explications, il en devait à la meute mais pour être honnête, il n'avait pas la moindre envie de parler.
Pas même à Moira, qui l'attendait dans le couloir et qui, elle, se fichait de son humeur. Elle avait des choses à lui dire et savait pertinemment qu'il ne serait pas le seul à les entendre, mais qu'importe.
- Avec ce qu'il a fait, il va dormir un moment, mais je ne peux rien garantir quant à son état au réveil.
Et même si Derek n'avait foutrement pas envie de parler, il se retrouva malgré lui à porter de l'intérêt à ses paroles. Dans tous les cas, il était certain qu'il avait besoin de plus amples explications quant à ce qu'était précisément Stiles et le « coût » de ses capacités. Car s'il y avait bien une chose qu'il avait comprise, c'était celle-ci : les utiliser l'épuisait, selon ce qu'il faisait. Sauf que ça… Derek voulait que Stiles le lui explique de lui-même.
- Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Ne put-il toutefois s'empêcher de demander à la M-Psi.
- On sait tous les deux que le décès de son père et sa déconnexion du Psinet l'ont… Perturbé. Les jours qui ont suivi, il s'est vraisemblablement mis lui-même sous Dissonance. Il n'a pas fait ça sans raison.
Si Moira avait bien un talent – outre ses capacités Psis –, c'était bien celui de parler sans trop en dire, mais également de faire signifier beaucoup avec peu de mots. Derek avait parfaitement compris ce qu'elle voulait dire et cela rejoignait son idée concernant les résidus émotionnels qu'il avait sentis dans son odeur : rien de tout cela n'avait laissé Stiles indemne… Mentalement. Constater que la M-Psi et lui étaient finalement sur la même longueur d'ondes n'aida pas Derek à se rassurer quant à l'ampleur de cette situation qui le dépassait de plus en plus.
Moira soupira.
- J'avais créé un lien, un canal télépathique qui me permettait de le contacter en une pensée sans avoir besoin de le chercher sur le Psinet. Quand on le cherchait dans la forêt… Je me suis rendu compte qu'il l'avait tranché.
Derek ne réagit pas vraiment, peu certain de la manière dont il était censé interpréter cette information. Rapidement, la lumière se fit dans son esprit : Stiles avait plus ou moins fait en sorte… De s'isoler émotionnellement grâce à sa Dissonance et… D'empêcher Moira de l'aider sur le plan mental, en brisant leur lien télépathique.
Il s'isolait. Il s'isolait de tout.
Soudainement, Derek comprit d'autant plus la raison pour laquelle la M-Psi prenait le temps de lui parler malgré les réticences qu'exprimaient son visage.
Stiles était sur une pente glissante. Pire : il était instable.
Derek ressentit soudainement l'envie de dormir. De juste… S'allonger sur un lit, fermer les yeux, oublier. Quelques minutes, quelques heures, quelques jours. Encore une fois, c'était trop d'informations en trop peu de temps.
Mais surtout, il détestait savoir que Stiles était tombé aussi bas. Une chose était certaine : il devrait agir dès son réveil. Lui montrer qu'il était là pour lui – la meute aussi. Mais cela serait-il seulement suffisant ? Rien n'était moins sûr. La gorge un peu serrée, Derek s'obligea à poser une question qui le répugnait mais qui lui était venue avec un horrible naturel :
- Est-ce qu'il risque d'être dangereux à son réveil ?
Malgré la situation, malgré cette surcharge constante d'informations, Derek se devait de rester lucide et pragmatique. Garder la tête froide autant que faire se peut. Il commençait à voir l'étendue du pouvoir de Stiles et de cette force mentale aussi sombre que fascinante… Et il était mieux placé que quiconque pour savoir ce dont un esprit brisé pouvait être capable en cas… De manque de contrôle sur ses émotions.
- Pas nécessairement à son réveil, répondit Moira.
Mais ni la manière dont elle restait tendue, crispée, et ni son regard étonnamment expressif n'aidèrent Derek à se détendre… Et ce fut pire lorsqu'elle ajouta :
- En réalité, il l'est en permanence.
