Chapitre 8 : Philosophie et Paracétamol
Les deux sœurs entrèrent dans leur chambre. Serena était toujours sur les nerfs et déblatérait diverses insultes et critiques à propos de ce type stupide d'Edward Elric. Alicia la regarda, manifestement fâchée et à un moment, lança un bouquin sur sa grande sœur
- T'as qu'à lire ça, ça te calmera.
Serena, calmée par le geste inhabituellement agressif de sa sœur, fut perplexe. Elle lui dit :
- Mais c'est Candide de Voltaire
- Ben alors ? Tu l'aimes bien, ce livre non ?
- Mais je viens de le finir Ali, tu m'as bien vu tout à l'h...
Elle laissa sa phrase mourir sur ses lèvres et écouta les remontrances de sa sœur avec un air contrit :
- On va passer toute l'année avec ces deux types. Peut être même plus vu qu'on est dans la même classe avec Alphonse. J'aurai bien aimé que ça se passe bien !Mais tu peux pas t'empêcher de vouloir avoir toujours raison...
- Mais c'est lui qui a...
- Je veux pas entendre cette phrase, Serena. T'as quel âge, franchement ?
Serena fit une petite moue désolée et laissa sa sœur se calmer. Elle avait raison, comme souvent. Il fallait qu'elle arrange les choses. Se tournant vers sa bibliothèque, elle trouva l'offre de paix qui avait toujours marché avec elle et remplit un sac de livres. Sans dire un mot, elle quitta la chambre et alla frapper chez son voisin. Après quelques secondes, elle vit un visage furibond surgir devant elle. Sans lui laisser le temps de relancer les hostilités, elle demanda :
- Est ce que t'as déjà lu un livre de Voltaire ?
- Non mais tu vas pas recommen…
- Non non non non non ! Dit Serena en levant les mains. Je veux pas me foutre de toi ou qu'on se dispute encore, je me suis déjà fait engueuler par ma soeur. Je veux juste savoir si tu as déjà lu un bouquin de Voltaire.
- Ben… Non, jamais.
- Emmanuel Kant ? Leibniz ? Spinoza ? Pascal ? Descartes ?
- Non ! Rien de tout ça ! Écoute, si c'est pour me traiter d'idiot…
- Toujours pas pour ça que je suis là, Interrompit encore Serena
Elle prit le gros sac plein de livres et le fourra dans les mains d'Edward. Elle dit, devant sa surprise :
- Ma sœur m'a fait remarquée qu'on va devoir se côtoyer pendant quelques temps. Donc je fais une offre de paix.
Elle prit une pause, comme pour l'évaluer. Après quelques secondes, elle continua :
- J'ai pas eu une vie facile. Je te connais pas mais j'ai quand même l'impression que pour vous non plus ça n'a pas été simple. La philosophie, c'est pas ça qui m'a sauvée. C'est les gens qui ont pris le temps de me l'enseigner qui en sont responsable. Alors je transmets à mon tour. La philosophie.
Edward la regarda, d'un air curieux. Elle avait des yeux incroyables et un air très sérieux. Il soupira et posa le sac en disant :
- OK. Ton offre de paix est bizarre mais elle me convient. Je vais... je vais regarder tout ça...
Au même moment, Alicia sortit dans le couloir également. Elle se dirigea vers les deux ainés et dit
- Est ce que ton frère est là ?
- Alphonse ? Oui
- Il va bien au lycée dès demain ?
- Oui oui
- On a des travaux pratiques en chimie demain et le professeur nous a donné un devoir à faire au préalable. Si le fait pas, il aura pas accès au cours. Je peux lui donner l'énoncé si il veut...
- Ah euh... Alphonse ?
- Oui, je veux bien, Dit timidement Al
- Merci beaucoup les filles... euh...
- Serena. Et Alicia. Wolfe... Voilà... Passez une bonne nuit !
- Merci !
Alicia regarda sa sœur et lui dit :
- Je suis fière de toi.
- Je fais des efforts, frangine. Je fais des efforts...
Le lendemain, Alicia accueilli Alphonse avec un joli sourire et lui proposa de l'accompagner au lycée. Sur le chemin, ils discutèrent des événements de la veille :
- Je suis désolé du comportement de mon frère. Il ne sait pas se tenir…
- T'inquiète pas de ça. Ma soeur est pas toute blanche dans cette histoire non plus.
- Elle a déjà fait le premier pas avec tous ses bouquins… Dit Alphonse
- Ah oui ! Comment il a réagit ? Elle osera jamais de te demander.
- Bah au début, il arrêtait pas de dire que c'était stupide tout ça et que il avait accepté pour enterrer la hache de guerre. Mais bon, mon frère ne résiste pas longtemps à un livre. Je suis quasi persuadé qu'il a passé la nuit à lire.
- J'espère que ça marchera…
Le silence s'abattit sur les deux voisins. Mal à l'aise, Alphonse voulut la relancer :
- Alors euh… Il parait que c'est un très bon lycée…
- Selon les critères de l'éducation nationale, oui.
- Et selon tes critères à toi ?
- Je pense que c'est à l'établissement de s'adapter à l'élève et pas à l'élève de s'adapter à l'établissement. Mais avec des structures aussi grandes, ce n'est pas possible. Dit Alicia, qui avait l'air de commenter la météo
- Ah bon… Euh…
- Disons que j'ai pas été habituée à l'enseignement classique. J'ai fait des écoles pour filles assez minables et après, on est allé dans une structure spéciale avec Serena, qu'on a quitté il y a quelques semaines. C'est dur de se ré-adapter.
- C'était quoi cette structure ?
- Une école pour… Écoute, je t'en parlerai plus tard. L'école est connue et j'ai pas envie qu'on sache que j'en viens. On arrêterait pas de me harceler de question et j'ai pas spécialement envie… Mais, promis, je t'en parle ce soir à l'hôtel… Sourit Alicia
- Un hôtel ? Quel hôtel ? Tu l'emmènes à l'hôtel ? Ali, Ali, Ali, quelle cachotière ! Glapit une voix.
Cette dernière appartenait à une brune minuscule aux yeux noirs et fouineurs. Elle regardait le nouvel arrivant comme si elle se demandait quelle étrange histoire elle pourrait bien inventer à son propos. Alicia calma le jeu :
- Alphonse est mon nouveau voisin, Mona, et il vient juste d'arriver en ville. Je le guide un peu…
- Alors pourquoi t'as parlé d'aller dans un hôtel ? Hein ? Hein ? Hein ?
- Parce que je vis dans un hôtel…
- Bien sûr… J'oublis tout le temps ce genre de futilité.
Mona était la seule amie d'Alicia. Ou plutôt, Alicia était la seule à supporter la reine des ragots qu'était Mona. Al fut déstabilisé par le regard scrutateur de la nouvelle arrivante. Lui non plus n'avait pas eus la possibilité de fréquenter beaucoup le milieu scolaire classique et il n'en connaissait pas tous les codes. Apparemment, les bruits qui courent et divers ragots n'étaient pas une invention des films et romans. Alicia lui adressa un regard d'excuse et lui dit :
- Fais pas attention à elle. Au fond, elle est gentille. Elle sait juste pas comment se faire remarquer et apprécier.
- Je suis pas convaincu de la solution qu'elle a trouvé
- Je sais bien mais… Bref, notre premier cours, c'est histoire-géo. La prof est exceptionnelle, tu verras !
À la fin de la journée, Alicia était perplexe. Elle avait observé Alphonse et avait constaté avec effarement les lacunes que le jeune homme avait dans de nombreuses matières, particulièrement en histoire et en lettres. Pourtant, à l'inverse, il connaissait sur le bout des doigts l'intégralité des cours de sciences. Il s'était même permis de reprendre le prof de math. Quand les deux dernières heures de cours furent arrivées, elle lui dit :
- Bon, on arrive à la fin du calvaire. Mais le pire est à venir…
- Le pire ?
- Madame Perek, prof de physique chimie. Une des pires profs que j'ai jamais eu et j'ai eu un prof d'informatique qui tapait ''Internet'' dans la barre de recherche Google…
Alphonse rit avec elle, en se disant qu'il serait peut être tant que son frère et lui s'intéressent à cette technologie qu'était Internet avant de passer pour des idiots. Il la laissa continuer :
- Enfin, elle s'y connait bien en physique et chimie mais… c'est la pire des profs que j'ai jamais eu en matière de pédagogie. Enfin, tu vas vite constater…
En effet, Alphonse tourna la tête et vit une vieille femme l'air revêche ouvrir la porte de sa classe comme si il s'agissait de faire entrer des condamnés à l'Enfer. Il s'avança vers elle timidement et lui tendit sa feuille d'émargement :
- Ah oui ! Elric… Vous êtes ce garçon qui a suivit des cours à la maison, n'est ce pas ?
- Oui Madame…
- Quelle absurdité ! Il n'y a déjà pas grand chose à tirer de cette classe et si vous vous rajoutez en plus, je ne vois pas comment je suis supposé travailler correctement. Vous vous mettrez avec Miss Wolfe. Sa partenaire habituelle ira avec Monsieur Taylor. Miss Wolfe, vous êtes le seul espoir de cette classe en ce qui concerne la physique et la chimie. Désolée de vous imposer Monsieur Elric, mais au moins, je vous retire Miss Mona Dureler. Allez vous assoir ! Et je ne veux plus un bruit ! Finit par hurler la vieille enseignante.
Alphonse écouta sa harangue avec perplexité et alla se mettre au côté d'Alicia, remerciant les forces divines auxquelles il ne croyait pas de ne pas l'avoir envoyé avec un glorieux inconnu.
- Bien ! Comme promis, aujourd'hui, c'est Travaux Pratiques. Les plus concernés d'entre vous vont pouvoir synthétiser du paracétamol. Les autres auront la joie de s'amuser avec des réactifs divers et variés. Je vous rappelle l'importance du travail de préparation que je vous ai donné à faire chez vous. Si le protocole que vous avez mis en place n'est pas bon, vous aurez un double zéro.
Alicia sortit son propre devoir avec la satisfaction du travail bien fait. Elle se pencha vers Alphonse pour lui chuchoter :
- Si t'as pas fait le tien, je suis plutôt sûre de ce que j'ai fait…
- Ben… Je sais pas si j'ai fait le travail demandé mais au moins, j'ai rédigé un protocole de synthèse qui me semblait optimal… Répondit Al
- Qu'est ce que tu veux dire ?
Alicia regarda le travail de Al et elle sentit ses yeux sortir de ses orbites.
Serena faillit cracher son thé au jasmin.
- Attends, attends, attends… Vous avez eu 19 sur 20 ? Demanda Serena en avalant difficilement sa gorgée
Alicia lui avait raconté sa première journée avec Alphonse Elric.
- Exactement.
- 19/20 avec la folle qui te sert de prof de chimie ? Parce que si je me souviens bien, elle a dit texto à la réunion que les notes qu'elle donnait aux élèves, c'était 17 sur 20 maximum , 18 c'est pour elle. 19 c'est pour Einstein. 20, c'est pour Dieu…
- Frangine, avec le protocole d'Alphonse, ça aurait valu un 20. Je suis quasi persuadée que c'est le protocole qui est utilisé dans l'industrie, tellement que ce qu'on a synthétisé était propre et obtenu rapidement.
- Et il a fait ça tout seul ? Demanda encore Serena
- Sans doute, oui. Tu sais, je pense que même toi, t'aurait pas fait mieux. Même avec le Savoir de la Vérité, t'aurai obtenu un résultat sensiblement équivalent. Ce mec est un génie de la chimie.
- C'est un truc de dingue… Par contre, c'est un branque total en Histoire et en Lettres ?
- Il écoutait religieusement tout ce que les profs disaient, comme si il découvrait. Il a demandé au prof d'Histoire des précisions sur le début de la première guerre mondiale, comme si il n'avait jamais entendu parler de l'assassinat de Franz Ferdinant… On dirait qu'il a reçu une éducation scolaire complètement partielle.
- Si ils ont suivi des cours à la maison comme il le dit, c'est tout à fait possible… Supputa Serena
- Et regarde Edward… Il n'avait jamais entendu parler d'un mec comme Voltaire… Alors, qu'il a dit avoir son bac…
- Si il a les mêmes connaissances que son frangin, il peut largement s'en sortir en cartonnant comme pas possible en ce qui concerne les matières scientifiques… Faudra observer tout ça, si tu veux mon avis…
- Attendons que Ed te rende tes bouquins et essaye d'en savoir plus à ce moment là, Dit Alicia
- Ou bien on peut les laisser tranquilles et simplement apprécier leurs compagnies, Sourit Serena
- Oui, mais ce serait moins marrant…
- Carrément !
Elles échangèrent un glorieux high five avec un sourire diabolique.
Quelques jours plus tard, Serena rentrait sournoisement à l'intérieur de l'hôtel, cherchant à éviter George et ses remontrances pendant qu'elle faisait sauter les cours. Elle allait accomplir sa mission quand elle entendit son nouveau voisin la héler dans les couloirs. Elle lui fonça dessus, lui mit une main sur la bouche et l'autre dans la nuque et l'attira dans un recoin sombre. Après quelques secondes de silences, elle murmura :
- OK, j'admets… Ça ressemble à une tentative d'enlèvement…
Ed hocha gravement la tête, à moitié traumatisé. Serena continua :
- On va monter discrètement. Silencieusement. À pas de loups. Et tout un tas d'autres synonymes qui veulent dire qu'on fait pas de bruit. Compris ?
Ed hocha à nouveau la tête, se demandant quelle était la probabilité de tomber sur une psychopathe fan de philo et de karaté dans une grande ville. Elle le lâcha et, ils sortirent de leur cachette. À mi-chemin, les deux jeunes sentirent quelqu'un taper sur leurs épaules, et crier :
- TOI, TU RATES LES COURS ET TOI, TU PELOTES MA FILLEULE DANS LES COINS SOMBRES !
- Mais comment vous faîtes pour surgir de nulle part ? Hurla Ed
Après avoir endurés le sermon de George et s'être défendus d'un quelconque pelotage, Ed et Serena furent libres de profiter des salles communes de l'hôtel. Ed prit un gros sac et rendit tous ses livres à la jeune femme :
- T'as fini tous les livres ?
- Oui
- Les 19 livres ?
- Oui
- En une semaine ?
- Je lis vite
- T'as dormi un peu ?
- Je dors peu mais je dors vite.
Serena s'enfonça un peu plus dans son fauteuil. Elle lui demanda :
- T'as trouvé ça intéressant ?
- Plutôt oui. Je me demandais si t'en avais d'autres
- J'ai plein de livres de philo. J'ai aussi des livres d'Histoire, de physiques, de chimies. Des romans aussi, pour passer le temps
- C'est très éclectique tout ça
- Je suis quelqu'un d'éclectique
- Cool. Je me demandais aussi…
Ed s'interrompit pour fouiller dans le sac. Il en ressortit une liasse de papiers maladroitement agrafée ensemble :
- J'ai pas lu ce truc en entier. J'ai parcouru le début en fait. Mais ça avait l'air intéressant. Ça me rappelait ce que tu disais sur l'âme et le corps humain. Théories noétiques, c'est ça ?
Tout à ses paroles, il ne remarqua pas que le sourire de Serena s'était figé et que ses yeux bleus prenaient l'aspect exact de la glace.
- C'est manuscrit et j'ai cru voir que t'avais plus ou moins signé le truc. Comme ça semblait pas voulu que je puisse le lire, je voulais te demander avant.
Il lui tendit la liasse avec un sourire, avant de le perdre devant l'expression de Serena. Elle prit l'objet du délit et le regarda comme son pire ennemi :
- J'arrive pas à croire que j'ai mis ça sur papier
- J'ai juste parcouru la première page mais ça avait l'air plutôt bien. Très intéressant, complètement nouveau aussi, j'avais jamais vu la question de l'âme et de l'esprit comme ça… Je trouve ça plutôt brillant en fait et… Qu'est ce que tu fous ? Cria Ed, tandis que Serena trouvait un briquet dans sa poche et mettait tranquillement le feu à son œuvre
- Ce genre de trucs doivent rester dans ma tête. Oublis ça, Edward. Pour le bien de tout le monde.
Elle jeta les feuillets en feu dans la poubelle et fit un joli sourire à un Edward vexé et offusqué.
- Georges va surgir de nulle part dans cinq secondes en sentant l'odeur de la fumée. Mon alibi, c'est que je viens de cramer une photo de mon père. Tu me suis ?
L'incident de la noétique brûlée jeta un froid entre Ed et Serena, ce qui désespéra Alicia et Alphonse, qui eux s'entendaient à merveille. Fort heureusement, quelques jours plus tard, un cinéma local organisa une projection de Star Wars. Serena, absolument scandalisée à l'idée qu'un être humain doué de sens et de raison puisse marcher sur cette Terre sans avoir vu Star Wars, entraina Edward aux projections de l'après midi. Il en ressortit absolument conquis et les deux ainés passèrent littéralement des soirées entières à ne parler que de ça, ce qui les rendait parfaitement heureux. Les semaines s'égrainèrent et une vie quotidienne s'installa doucement. Alphonse et Alicia allaient en cours et s'en sortaient parfaitement bien. Serena prit sur elle de faire l'éducation manquante des deux frères Elric, tout en essayant d'en apprendre plus sur leur passé, plus par jeu qu'autre chose. Edward prenait un malin plaisir à éviter ses questions. Quand les deux plus jeunes n'étaient pas là, les deux ainés se rendaient dans divers lieux culturels et Serena ajouta le Seigneur des Anneaux, Harry Potter, la Boussole d'Or et Game of Thrones aux obsessions d'Edward, obsessions qui nourrissaient leurs soirées. George s'arrachait les cheveux qu'il n'avait plus à voir que Serena refusait toujours obstinément d'aller à la fac et blâmait la présence d'Edward pour la non assiduité de sa filleule. Edward lui se demandait encore et toujours comment un homme si massif pouvait être si discret.
