12. Sept
Lily était en plein milieu d'une phrase quand Henry cria. Se tournant, elle campa fermement ses deux pieds sur le sol. La plus jeune des Potter était plantée face à nous avant même que Rose n'ait enregistré les paroles de mon frère. Nous regardant avec étonnement, Lily nous offrit un sourire que nous projeta, moi et – j'en étais certaine – Henry, à l'âge de l'école primaire.
"C'est vraiment Annie," tonna-t-elle avec délectation. "Et aussi Hennery-Pennery ! Qu'est-ce que tu fais là, Hennery ?"
Lily et moi avions été si proches ! Alors qu'elle s'avançait rapidement vers nous, la plus jeune des Potter semblait avoir grandi en une combinaison de tous mes meilleurs souvenirs d'elle et de sa mère. Elle n'était pas grande et ses cheveux rouges flamboyants étaient longs et flottants. Son sourire ouvert et amical fut la touche finale qui la transforma en une version à lunettes de Ginny Potter.
Rose, loin d'être aussi réactive que Lily, marcha derrière sa cousine avec une expression complètement différente. Pâle et soucieuse, elle regardait mon frère avec choc et incrédulité. D'après son expression, elle aurait tout aussi bien pu voir un fantôme.
"Un de nos profs est un fantôme," chuchota James.
Surprise, je levais les yeux vers lui. Est-ce qu'il avait lu mes pensées ? Cela sembla improbable, puisqu'il ne me regardait pas. La réponse que je me fis était encore plus surprenante pour moi. Essayant de découvrir pourquoi je pourrais croire qu'un croisement de regards était nécessaire pour lire les pensées, je regardais longuement James. Il était concentré sur les deux jeunes femmes qui nous approchaient et il semblait qu'il n'avait pas réellement parlé. Je devais en être certaine.
"Qu'est-ce que tu viens de dire ?" demandais-je.
"Moi ?" Il me regarda dans les yeux, cherchant une confirmation. Je hochais la tête. "J'ai dit, 'elles vont le tuer'," me rappela-t-il. "Ça va être bon ! Même si Rosie à l'air étrangement inquiète."
Je ne m'intéressais pas à Rosie, parce que Lily confrontait mon frère. "Hennery, Pennery" dit-elle sérieusement, croisant les bras et prenant une pose imitant assez bien celle de sa mère prête à sermonner. "Si jamais tu m'appelles encore une fois Lily-lou, je t'appellerais constamment Hennery-Pennery."
"Marché conclu !" déclara-t-il en lui tendant la main pour qu'elle la serre. Le rire joyeux de Lily résonna dans la rue, infectant James comme moi. Même Rose eut un sourire fugace. Je souris radieusement quand, ignorant la main tendue de l'amitié que Henry lui avait tendu, Lily le serra contre elle.
Au moment de le relâcher, elle se tourna vers Rose et demanda : "Pourquoi tu ne m'as pas dit que Hen aussi serait là ?" avant de se tourner vers moi.
M'agrippant par la taille, Lily me tira dans une étreinte étonnamment puissante. Je lançais mes bras autour d'elle et lui rendit la pareille. J'avais toujours été plus grande que Lily, mais j'avais des chaussures plates et elle avait des talons de huit centimètres, nous étions donc presque les yeux dans les yeux en nous embrassant.
"Contente de te voir, Lily," lui dis-je. "Tu as l'air en super forme."
"Ça fait aussi plaisir de te voir, Annie," répondit-elle. "Tu as aussi bonne mine !" Elle baissa la voix et ajouta avec malice : "Même si, pour être honnête, je ne suis pas certaine pour les cheveux !"
"C'est un travail en cours," admis-je en riant. Je n'avais pas réalisé combien ses commentaires francs m'avaient manqués. La serrant aussi fort que je pouvais et collant ma joue contre la sienne dans une tentative pour masquer mes larmes de joie, je chuchotais. "C'est vraiment génial de te voir, Lily."
"Tu m'as manqué," admit doucement Lily. Nous ne nous relâchâmes pas entièrement je ne pouvais me résoudre à me détacher physiquement d'elle. À la place, souriant comme le chat du Cheshire, nous nous tînmes par les épaules et continuâmes nos observations. Je sentis une lueur chaude se répandre dans tout mon corps.
Relâchant une main, je la fis passer dans mes boucles. "Mon ex-petit-ami les aimait courts, raides et très blonds," expliquais-je. "Encore quelques semaines et ils seront assez longs pour être recoupés et restylés."
"Pour l'idiot ?" demanda-t-elle, indiquant son frère du menton.
"Hé !" protesta James. "Je me frusque de cette remarque." Henry, évidemment, rit de cette atroce plaisanterie de James.
"Non, pour moi," dis-je fermement à Lily, regardant son visage souriant.
"Pourquoi es-tu ici, Henry ?" Contrairement à Lily, les premiers mots de Rose à mon frère étaient une question sèche.
Lily ouvrit de grands yeux, tira son menton en arrière et nous gratifia de sa grimace 'Rosie va de nouveau nous bassiner avec un truc'. Bien que je ne l'aie pas vue depuis des années, je la reconnus et ris. La pauvre Rosie n'avait jamais été naturellement rebelle et elle avait habituellement été la dernière à accepter n'importe quel plan farfelu nous avions concocté.
"Ravi de te voir aussi, Rosie-poésie," dit Henry. S'avançant rapidement, il l'attrapa autour de la taille, l'étreignit et la souleva de terre. Elle couina, paniquée. "Heureux de voir que tu n'as pas changé," lui dit-il en la reposant sur ses pieds.
"Pourquoi…" Rose recommença sa question.
"Rentrons à l'intérieur," suggérais-je, indiquant le restaurant.
"Bonne idée," dit James.
Je pris sa main tendue et, avec des fourmillements dans les doigts, les guidais vers le restaurant. Quand nous atteignîmes l'entrée, James me relâcha et ouvrit la porte. La retenant, il nous fit signe de tous entrer. Je passais la première et m'avançais jusqu'au pupitre. Rose et Lily s'étaient toutes deux accrochées à mon frère. Lily souriait et plaisantait. Bien que Rose soit un peu plus décontractée, elle affichait maintenant l'expression aux lèvres pincées que j'avais toujours associé à sa certitude que l'un ou plus d'entre nous – et c'était généralement James et Henry – était sur le point de faire quelque chose que les parents n'approuveraient pas.
"Nous avons une table réservée pour sept," dis-je à l'hôtesse, une femme en polo vert en pantalon noir.
La femme sortit un calepin de sa poche et l'ouvrit d'un geste. "Sept ? À quel nom ?" demanda-t-elle, paraissant un peu inquiète.
J'essayais de deviner – Weasley ou Potter – quand Rose fournit la réponse.
"Weasley," dit-elle à la serveuse. "Mais la table était réservée pour six, pas sept. Ça ne posera pas problème, j'espère ? Je ne savais pas qu'il serait là."
Quand elle indiqua mon costaud grand frère, il avança sa lèvre inférieure et la fit trembler. Frottant ses yeux avec ses poings serrés, Henry prétendit de pleurer. "Rosie-poésie n'aime pas Hennery." Poussant un sanglot dramatique, il rejeta sa tête en arrière et se couvrit les yeux avec son avant-bras. "Elle a réservé une table pour les retrouvailles de la bande, mais elle m'a même pas invité !"
"Allons, allons, pauvre petit Henry tristounet." Je tendis la main pour tapoter dans un mouvement réconfortant le dos de mon frère, mais l'électricité statique jaillit entre nous avant que je ne puisse le toucher. Nous sursautâmes tous les deux et je sentis de la sueur froide couler sur ma poitrine.
Henry eut un hoquet et baissa le bras. "Tristounet ! Ça ne devrait pas être moi !" s'exclama-t-il sérieusement. "On est censé chanter la chanson tous ensemble, dans l'ordre de nos âges. Jamie devrait être le…." Il prit une profonde inspiration et chanta : "Une…" Il n'alla pas plus loin. James commença à chanter au même moment que Henry.
"Une, pour la peine." C'était presque comme si James ne pouvait s'en empêcher. Il me regarda et je pus voir l'étonnement sur son visage.
"Deux pour la joie." Henry se joignit au chant harmonieusement. Mon frère semblait être joyeusement inconscient du changement d'atmosphère.
"Trois pour une fille," ajouta Rose. Elle chantait sans mélodie et semblait un peu mal à l'aise de se retrouver à chanter dans un restaurant. Rose avait toujours été nerveuse pour chanter, mais la pointe d'inquiétude dans sa voix était inhabituelle. C'était comme si elle essayait de ne pas prononcer les mots. Je me préparais à combler le vide, mais je n'eus pas à le faire."
"Quatre pour un garçon," lança Al depuis le seuil de la porte. Il était arrivé juste à temps pour sa phrase.
Il était en jean, portait une chemise à carreaux et une veste décontractée, et il s'avançait avec résolution vers moi. Hormis le fait qu'il ne portait pas de lunettes, Al était remarquablement similaire en apparence à son père. Comme Rose, il chantait clairement faux. J'avais oublié qu'il était incapable de sortir une note juste.
"Cinq pour de l'argent," chantais-je, sortant les paroles juste à temps. Albus Severus Potter m'enlaça. C'était une pression légère, qui malgré tout me coupa le souffle. Je sentis ma tête tourner légèrement.
"Six pour de l'or." Lily, comme Al, n'était pas une chanteuse elle ne l'avait jamais été. N'essayant même pas de suivre l'air, elle se contenta de réciter les paroles.
Tandis qu'elle parlait, Al m'embrassa la joue, me relâcha et regarda avec étonnement Henry.
"Sept est…" Pendant que Henry offrait à Al une très puissante étreinte, Hugo – qui avait suivi Al à travers la porte, chanta assez juste les premiers mots. Alors que je fixais le jeune homme élégamment vêtu qui était le bébé de notre groupe, il sembla réaliser tout le sérieux de la situation. "pour un secret, tu à jamais." Ses paroles finales, bien que mélodieuses, furent un avertissement à nous tous. La poignée de main réservée et polie de Hugo me causa un frisson dans le bras. Tout le monde se tut. Pendant que Henry repoussait sur le côté la main de Hugo et l'étreignait, le reste d'entre nous nous regardions fixement.
Intimidés par le silence soudain, Hen et Hugo se séparèrent. Nous nous tenions debout au bar, attendant d'être assis, et il semblait que personne n'osait parler. Heureusement, une voix familière rompit le silence.
"Salut Anna salut James," dit Corrine. "Bonjour tous les autres. Je suis Corrine et je serai votre serveuse cet après-midi. Qu'est-ce qui vient juste de se passer ? J'espère que ça ne vous gêne pas que je demande, mais c'était des salutations bizarres, et je suis une experte en salutations bizarres."
"Salut," dis-je. "Tout le monde, voici mon amie Corrine. Je ne pensais pas que tu travaillais ici aujourd'hui. Si j'avais su, je t'aurais prévenu que moi et James…"
"James et moi," dit-elle.
"Non, pas James et toi, moi et James," lui dis-je en souriant.
"Corrine a parfaitement raison," dit pompeusement Henry. "C'est James et moi ! Tu te trompes toujours là-dessus, Annabel."
Elle le regarda sérieusement. "Tu es le frère d'Anna, c'est ça ?" demanda-t-elle. "Ça se voit."
"Si pleine de niaise jalousie est la culpabilité, qu'elle se trahit elle-même de peur d'être trahie," admit-il.
Corrine eut un rire incrédule. "Elle nous a dit que tu travaillais dans un garage," s'exclama Corrine. "Mais c'était Shakespeare, non ?"
"Désolé, j'ai cru que tu étais l'étudiante en littérature !" s'excusa Henry.
"Je le suis," admit Corrine.
"Et je travaille dans un garage, pourtant tu n'es pas certaine pour ma citation ! Tu ne connais donc pas ton Hamlet ? Est-il illégal pour un mécanicien de lire Shakespeare ?"
"Ça fait un bail que j'ai lu Hamlet," admit Corrine avec un rire. Se tournant vers moi, elle dit : "Tu as dit qu'il n'était pas du tout comme toi. Menteuse !"
Avant que je ne puisse répondre, James glissa son bras autour de ma taille, me faisant totalement perdre le fil de mes pensées. Tirant parti de ma confusion, il effectua les présentations. "Corrine," dit-il. "Laisses moi te présenter mon frère Al, ma sœur Lily, mes cousins Rosie et Hugo, et tu as déjà deviné qui est cet homme des plus sages et nobles."
"Ça c'est moi, ça !" dit bêtement Henry. Corrine ricana.
Je voulais être agacée, mais cela m'était impossible. Entourée de mes amis d'enfance, je flottais dans une paisible piscine de bonheur. Je ne voulais pas trouver la force de lancer des mots sévères dans ces eaux calmes et plaisantes. Rosie souriait enfin, son anxiété dissipée par la magie de nos retrouvailles.
"Montres-nous le chemin, Corrine," suggéra James.
"Avant que charmante sœurette ne déleste son spleen," ajouta Henry.
"Je vais avoir besoin de caféine," ajouta Lily.
"Est-ce que cet endroit sert de la bonne cuisine ?" demanda Al.
"Si je me souviens correctement de ce jeu, il y a des règles immuables, presque divines," ajouta pompeusement Rosie.
"Rosie !" James était impressionné. "Une proposition en trois syllabes pour la rhyme ?"
"Je meurs de faim," dit Hugo. "J'espère que la nourriture sera vraiment excellentissime !"
"Waouh, quel grand mot petit Hugo !" lui dit Henry. "C'est le bébé de notre groupe," ajouta-t-il en guise d'explication pour Corrine qui, tout en continuant de rire, essayait de nous faire asseoir.
"Oui, et je suis un peu déçu de ne pas t'avoir dépassé, Hen," dit Hugo. "Mon père était plus grand en taille que le tien."
"Plus grand se suffit à lui-même," Rose corrigea son frère.
"Si tu le dis." Hugo haussa les épaules.
James me guida de l'autre côté de la table. Je me retrouvais encadrée par James et Henry et face à Lily. Lily était entourée de Hugo et Al. Rosie se retrouva à la place qui avait été hâtivement ajoutée en bout de table, Al à sa gauche, Henry à sa droite.
"Est-ce que vous souhaitez boire quelque chose ?" nous demanda Corinne.
"Un punch épicé au gingembre pour moi," dis-je. Henry et James cherchèrent mon choix dans la carte des boissons.
"Sans alcool ? Je prendrais la même chose," dit James.
"Et pour moi aussi," ajouta Henry.
Les autres approuvèrent en chœur et Corinne nous laissa pour aller préparer notre commande. Dès l'instant où elle partit, tout le monde essaya de parler en même temps.
"Ça va Rosie ?" fut l'interrogation de Hugo.
Henry commença par "Tu travailles, Hugo ?"
Al tenta un "Comment tu as su qu'on serait là, Hen ?"
"Est-ce que tu as planifié ça, James ?" Rose semblait suspicieuse.
"Tu n'es pas fâchée contre moi, hein sœurette ?" adressa James à Lily.
"Est-ce que tu n'as rien trouvé de mieux que James ?" me demanda Lily.
"Comment vas-tu, Al ?" demandais-je.
La salve initiale de questions fut suivie de rires nerveux et toutes nos interrogations restèrent sans réponses. Une fois de plus, tout le monde était soucieux. Comme personne ne semblait prêt à parler, je toquais sur la table et posais la seule question qui importait vraiment : "Quand est-ce qu'on s'est retrouvés tous ensemble pour la dernière fois ? Hugo, toi d'abord !"
"Facile," sourit-il. "C'était… Non… c'était…" Il mit son pouce dans sa bouche et commença à mordiller son ongle. "Je n'en ai aucune idée," admit-il. "J'étais certain que c'était pour la fête de ton onzième anniversaire, mais ce n'était pas ça."
"Lily ?"
"C'était clairement juste après ton onzième anniversaire, Annie," dit-elle. "À Pâques ! Cette réunion où on a tous dit à Al qu'on était les Sept de Drakestone, pas les Huit de Drakestone, donc que Scorpius ne pouvait pas rejoindre notre bande."
"J'avais presque quatorze ans quand c'est arrivé, Lily," dit Al. "Annie ne pouvait pas avoir onze ans."
"Scorpius !" dit Henry. "Ce petit gamin maigrichon avec un nom bizarre. J'avais tout oublié de lui. Tu es toujours pote avec lui, Al ?"
"Oui." Al regarda fixement Rose en répondant. Elle refusa de croiser son regard.
"C'est ridicule," dit Lily. "Je peux me souvenir de cette réunion. On ne peut pas tous avoir oublié…"
"On peut," dit Al, ses yeux verts lançant des éclairs.
"Merde ! Tu crois qu'on a tous été…" L'interrogation de Hugo resta en suspens.
"Papa n'aurait jamais laissé faire ça," protesta Lily.
"D'accord," dis-je. "Donc, aucun d'entre nous ne se souvient. Je n'ai aucune putain d'idée de pourquoi, mais tu sais, n'est-ce pas, Al ? Et toi aussi, Hugo !" Je pointais un index accusateur sur chacun d'eux.
"Je suppose…" commença Al. "Je ne peux pas te le dire, Annie."
"Putain de merde !" Je lançais mes bras en l'air de frustration.
"Tu peux, Al," dirent en même temps Henry et James. "Ouais !" Ils se congratulèrent de leur agrément en se tapant le poing devant moi. J'étais convaincue d'avoir vu des étincelles passer entre leurs poings. "On demande la tenue d'une réunion !" ajoutèrent-ils, parlant toujours à l'unisson.
"Approuvé," dis-je, frappant ma main sur la table.
La main de James atterrit sur la mienne, et celle de Henry descendit sur la sienne.
"Les Sept de Drakestone," dit Lily, écrasant sa main sur celle de Henry avec force.
"Sept," approuva Al, ajoutant sa main sur la pile.
"Sept." Il y avait un tremblement dans la voix de Rosie quand elle se pencha en avant et plaça sa main par-dessus celle d'Al.
"Encore dernier !" se plaint Hugo alors que sa main rejoignait les autres. "Sept ! Mais on ne peut pas simplement faire une réunion, James, on doit d'abord lire les règles, vous vous souvenez ?"
"Les règles !" Nous hochâmes tous la tête, heureux d'être tous en total agrément.
"Est-ce que quelqu'un se souvient réellement des règles ?" demanda Hugo lorsque nous retirâmes nos mains.
Pendant que nous nous interrogions sur ces questions des plus difficiles, Corinne revint avec les boissons. "Est-ce que vous êtes prêts à commander ?" demanda-t-elle.
"Non," admîmes-nous tous.
"On pourrait partager des entrées," suggérais-je. "Quand je viens ici avec mes autres amis, on prend six entrées pour nous sept. Deux dadinhos, deux empenadas et deux nachos."
"Ça fait longtemps qu'on n'est pas tous venu manger ici, Anna," me rappela Corinne.
Je hochais tristement la tête. "Ma faute, je sais."
"Ça me paraît bien," dit James.
"Ouais," ajouta Henry.
Les autres acquiescèrent également, et le temps que Corinne ait tapé leur commande sur sa tablette, je me décidais sur mon plat principal. "Des enchiladas végétariennes, s'il te plaît," lui dis-je avec un sourire.
"Prédictible comme toujours," me dit Corinne en secouant la tête.
"James ?" demanda-t-elle.
James passa sa commande et les autres suivirent tour à tour. Nous attendîmes qu'elle parte pour revenir à la conversation.
"On a besoin des règles," dit Rose. "Vous le savez ! Nous ne pouvons pas tenir de réunion sans elles."
Nous nous regardâmes, essayant de décider que faire. Chacun de nous savait que Rose avait raison, mais, autant que je puisse le dire, aucun de nous ne savait comment ou pourquoi nous le savions.
"Vous pensez qu'elles sont toujours là-bas ?" demanda Al.
"Carrément," dit Lily.
"Est-ce que je pourrais y aller et les récupérer ?" demanda Hugo. "Ça ne prendra que…" Sa voix s'estompa entièrement sous le regard cuisant de sa sœur.
"Cinq heures," dit Henry. "Deux heures et demie aller, et pareil au retour ! En route, Hugo. Je peux te garantir que ton assiette sera partie quand tu reviendras, et nous aussi."
"On doit tous y aller," dit James. "On est les Sept de Drakestone ! On tient nos réunions à la pierre. En plus, c'est là que se trouve la boîte !"
"Oui !" J'étais ridiculement excitée par cette suggestion.
"Quitter Sheffield ? Je viens juste d'y arriver," protesta Henry.
Je fus surprise par la trahison de mon frère il m'avait toujours soutenu depuis que les autres étaient arrivés. Quand je me tournais pour le sermonner, je sus pourquoi il était réticent.
"Si on part directement après avoir mangé, on pourra probablement être à la pierre à quatre heures, Hen," lui assurais-je. "Même si on est sur la pierre jusqu'après la nuit tombée, tu pourras toujours revenir ici et dormir sur notre canapé cette nuit. Tu n'auras pas à rater ton rencard avec Vicki."
Mon timing était atroce, je terminais juste quand Corinne arriva avec la première de nos entrées.
"Un rencard avec Vicki !" s'exclama-t-elle. "Je le savais ! Le souffle court qu'elle avait quand elle a dit 'je l'ai rencontré' pendant notre dernière soirée curry' était clairement transparent. Tu ferais mieux de ne rien faire qui blesse notre Vicki, Henry ! Tu ne voudrais pas que je cite mal Congreve pour toi ?"
"Oh fi, mademoiselle, vous ne devez pas parler de vos embrassades," lui dit Henry.
"Ce n'était pas la citation de Congreve dont je parlais, et tu le sais," dit Corinne en riant.
"Le ciel n'a pas de rage comme l'amour tourné en haine," commença Henry. Il attendit avec impatience, et Corinne ajouta la seconde partie.
"Ni l'enfer de fureur comme celle d'une femme méprisée."
"Vicky ? De la fureur ?" demanda James.
Je secouais la tête. "Hen aura affaire à moi, Corinne et Alex," dis-je.
"Et les gars," ajouta Corinne.
"T'es tout seul sur le coup, vieux," dit James avec conviction à mon frère.
"Est-ce que vous suggérez sérieusement qu'on fasse en voiture, par la route, tout le trajet jusqu'à Drakeshaugh ?" demanda Lily.
"Comment tu voudrais qu'on y aille autrement ?" demandais-je.
"C'est là-bas que les règles sont, Lily," dit fermement Rose en prenant quelques nachos. "Sacré bon sang," ajouta-t-elle la bouche pleine. "Faites attention au piment, il est fort !" Elle prit une gorgée de punch épicé au gingembre.
Henry secoua la tête. "Ma voiture devrait être rechargée maintenant, mais elle ne tiendra pas tout le trajet jusqu'à la maison et retour à Sheffield ce soir, à moins qu'on ne la recharge à Drakeshaugh. Je ne crois pas…"
"Il n'y a pas de chargeur là-bas," lui dit James. "Et vous ne tiendrez pas tous sur Tigre." Il regarda en direction de son frère et lui offrit un regard entendu. "Mais vous êtes venu ici avec une des voitures de service de ton bureau, n'est-ce pas Al ?"
Pendant un instant, je crus qu'Al allait dire non, mais il ne le fit pas.
"Oh, oui." Il hocha la tête. "C'est ce qu'on a fait, hein Hugo ?"
Hugo, qui engloutissait les empenadas comme s'il n'avait pas mangé depuis des semaines, parut surpris pendant une seconde, avant de hocher la tête.
"C'est réglé alors," dit fermement Rose. "On mange, Al nous conduit à Drakeshaugh, on tient notre réunion et ensuite on revient en voiture ici."
"Je prendrais la Tiger," dit James.
"La voiture est une sept place, n'est-ce pas ?" demanda Rose.
"Oui, mais…" commença Al.
"Je pense qu'on devrait tous rester ensemble," dit fermement Rose.
"Hé, oh, laisse un peu d'entrée pour le reste d'entre nous, Hugo," protesta Henry.
"Désolé, mais je suis…"
"Affamé !" lui dîmes-nous tous, saisissant l'opportunité de nous servir un peu d'entrées avant qu'il n'ait tout mangé.
"Il n'a pas changé, hein ?" demandais-je à Lily.
"Nope." Elle secoua la tête. "Est-ce que tu es d'accord avec la virée jusqu'à la Drakestone, Annie ?"
"Avec impatience," lui assurais-je. "J'ai fait des rêves sur la pierre depuis des semaines."
"Moi aussi," admit James.
Autour de la table, les têtes hochèrent et le silence se fit à nouveau. Nous nous interrogions tous sur la situation dans laquelle nous nous trouvions. Prisonnière d'une mystérieuse confusion de souvenirs mal remémorés, je savais étrangement que la réunion était la seule issue possible. En regardant autour de moi, je fus certaine que tout le monde partageait la même pensée. Tout le monde hocha la tête et nous nous mîmes tous à sourire à nouveau.
Lily me regarda depuis l'autre côté de la table, l'air pensif. "C'est vraiment lui le mieux que tu puisses trouver ?" demanda-t-elle, lançant un regard dédaigneux vers son frère.
James soupira, pendant que mon frère faisait semblant de s'étouffer avec ses nachos.
"Exactement ce que je pensais," approuva Henry.
"C'est une très grande amélioration comparé à mon ex," dis-je.
"C'est vrai," dit Henry d'un ton consolateur. "Mais 'mieux que mon ex' est une barre tellement basse que même une fourmi ne pourrait pas passer en dessous."
"Et voilà le niveau des louanges que j'obtiens de mon plus meilleur ami de tout le monde," dit James.
Henry rit doucement. "L'honnêteté est la meilleure stratégie."
"Tu n'as même pas de copine, Henry," dis-je.
"Vrai, mais j'y travaille," me rappela-t-il joyeusement. Regardant les autres autour de la table, il demanda : "Et vous autres, vous voyez quelqu'un ?"
"Al passe son temps dans les bras de la supercoquentieuse Violette L. Lune," dit James.
"Supercoquentieuse !" s'exclama Henry. "Quel mot ravissant, j'aimerais l'utiliser moi-même. Malencontreusement, mes collaborateurs dans le domaine professionnels insistent pour que je m'exempte des circonlocutions polysyllabiques ostentatoires et sybillines."
"De quoi diable est-ce que tu parles ?" demanda Lily, perplexe.
"Il ne peut pas…" commença Rose.
"Il ne doit pas…" commença James. Ils s'arrêtèrent tous deux en pleine phrase. Avec un sourire, James indiqua à Rose qu'elle pouvait poursuivre.
"Henry utilise des grands mots pour nous dire que ses collègues de travail n'aiment pas qu'il utilise de grands mots," expliqua Rose.
La conversation changea de direction et nous nous remémorions toujours les plaisanteries de mon père à base de déformations de la langue quand nos plats principaux arrivèrent. Le temps que le repas se termine, nous avions à peine parlé de nous, bien que nous ayons pris des nouvelles de nos parents.
Mr Potter travaillait toujours pour le Ministère de l'Intérieur, à faire les trucs pour la sécurité nationale qu'il avait toujours fait, et Al comme Hugo travaillaient pour lui. Mme Potter tenait une chronique dans un petit journal local, mais quand je demandais le site du journal, ni les Potter ni les Weasley ne pouvaient s'en souvenir. Al me dit que le journal s'appelait La Gazette du West Country, mais ma recherche internet ne le trouva pas. Pendant que je cherchais, la conversation partit vers les Weasley.
Oncle Ron, comme Oncle Harry, avait toujours le même travail et nous nous souvînmes des incroyables feux d'artifice que son entreprise produisait. Tante Hermione, nous dit Rose, était passé de son travail comme fonctionnaire à la politique. Inquiète qu'elle – et par défaut Rose et Hugo – ne soient pas en accord avec mes idéaux socialistes, et gênée par les réponses étranges que j'avais obtenues concernant le travail de Tante Ginny, j'évitais largement toute question. Rien ne cause plus rapidement de disputes et de conflits entre amis que la politique. Il semblait que personne d'autre ne veuille continuer sur le sujet, nous passâmes donc à mes parents.
"Papa va bien", dis-je en réponse à une question de Lily.
"À part des soucis de tension un peu élevée," ajouta Henry. "Il revoit le docteur la semaine prochaine. Maman pense qu'ils vont le mettre sous traitement."
"Ils ne m'ont rien dit de ça !" m'exclamais-je.
"Il n'y a aucun souci à se faire," me rassura Henry. Se tournant vers les autres, il ajouta : "Il est associé principal de son cabinet. Scotland et Tate, Géomètres Agréés, sont maintenant Scotland, Tate et Charlton. Walter Scotland a pris sa retraite il y a cinq ans et Jeremy Tate est en semi-retraite. Papa est le grand chef. Et pour Maman, elle a remporté une médaille d'argent en avril !"
"Pour quoi ?" lui demanda James. Il se tourna vers moi. "Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?" Je haussais les épaules.
"Aux Championnats Nationaux de Sauvetage, cinquante mètres tractage de mannequin avec palmes, dans la catégorie des femmes âgées de cinquante à cinquante-neuf ans," dit fièrement Henry.
"Bien joué pour elle," dit James. "Tu ne m'avais pas dit que ta mère s'était remise à la natation en compétition, Annie."
"En sauvetage, pas vraiment en natation," dis-je.
"Pas vraiment de la natation !" protesta mon frère. "Vingt-cinq mètres en sprint, plonger à trois mètres, récupérer un mannequin de plus de quarante kilos au fond de la piscine et le remorquer tout le reste du chemin jusqu'au bout du bassin ! Elle a été géniale. Tu aurais vraiment dû être là pour la voir, Anna."
"Je suppose," approuvais-je à contrecœur. Le week-end de la compétition, j'avais rencontré les parents de Simon pour la première (et maintenant certainement la dernière) fois.
"Maman n'a pas de vrai boulot, mais elle donne des leçons de cornemuse Northumbrienne à la maison et elle joue dans des clubs de folk et pour des spectacles," dis-je à James. Je devais lui dire quelque chose, avant que mon frère n'obtienne le crédit de lui dire ça aussi. "Ça ne rapporte pas grand-chose, mais ça la tient occupée."
"Et heureuse," ajouta Henry. "Et c'est le principal, non ?" tout le monde approuva.
À ce moment-là, nous avions terminé notre déjeuner. James demanda l'addition lorsque Corinne arriva pour débarrasser la table. Rose demanda à Al s'il était sûr que nous pourrions tous tenir dans sa voiture. À en juger par son expression, il semblait avoir tout oublié du plan.
Pendant que nous discutions de comment payer l'addition, Al laissa quelques billets sur la table et fila aux toilettes. Nous payâmes et Henry s'interrogea fortement si Al s'était noyé 'din l'chasse d'eau.' Quand Al revint enfin, il était passablement contrit.
"Tu as pris ton temps," observa Henry. "Qu'est-ce que tu faisais là-dedans ?"
"J'ai dû aller à Londres chercher la voiture," lui dit Al avec un sourire. Tout le monde est prêt ?"
"Comme euphémisme, celui-ci est atroce," lui dit Henry. "Il n'a même pas de sens ! Qu'est-ce que tu faisais vraiment ? Tu faisais pousser une cacarotte de compétition ?"
"Beurk !" dit Rose. Lily et moi secouâmes la tête avec mépris, mais tous les garçons rirent.
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La voiture d'Al, un Land Rover Discovery, était étonnement spacieuse nous sept tînmes à l'intérieur aisément. Hugo s'installa à côté d'Al. James et Henry prirent les deux sièges à l'arrière. Je grimpais derrière Hugo, avec Lily à côté et Rose assise derrière Al.
Alors que nous roulions vers le nord, la conversation revint finalement sur nos vies sentimentales. Al, Rose et Lily s'accordèrent sur le fait que la plus grosse erreur de James avait été de larguer sa toute première petite amie, Rani, pour Samantha Base. J'appris que, contrairement à Rani – que Rose comme Lily avaient apprécié – la fille qu'elles appelaient Base par son nom et basse par nature avait été très entreprenante et tout le monde avait vu les photos. J'eus également la liste complète : Rani, Samantha, Jilly, Dawn et Kristen.
Je parvins à empêcher Henry de donner à James la liste complète de mes ex-petits-amis en couinant simplement 'Sky' à chaque fois qu'il essayait. Le reste de la bande dut se contenter de l'échange de notes qu'Henry et moi fîmes sur Simon et Sky. À la fin, mon frère et moi parvînmes à la conclusion qu'il n'y avait pas grande différence entre mon ex adultère et la sienne. Je me tournais vers l'arrière, il prit ma main et nous nous la serrâmes en marque de sympathie.
Quand la conversation tourna vers la petite amie d'Al, la fille que je considérais désormais toujours comme 'la supercoquentieuse Violette L Lune', Hugo trahit Al.
"Il garde toujours sa photo dans son portefeuille," nous dit Hugo.
"Montre-la-nous," demanda Henry.
"Les photos des vacances sont dans la boîte à gants, Hugo," dit Al. "Je les ai récupérées ce matin. Prends-les et ils pourront aussi jeter un œil à Flossie."
"Flossie ?" demandais-je.
"Vous faites encore des tirages ?" ajouta Henry, incrédule. "Personne ne fait de tirages ! Ma vie entière est dans mon téléphone."
Hugo plongea la main dans la boîte à gants, en sortit un paquet et le tapota deux fois avant de l'ouvrir. Feuilletant les images, il en sortit une et me la fit passer par-dessus son épaule. "On est allé à St Tropez pendant l'été," dit-il. "Et non, je ne te laisserai pas voir les photos topless, James. Un couple d'Américains a pris celle-ci pour nous. Flossie – ma copine – est à gauche, Vi est à droite."
La fille blonde souriante au visage bonhomme n'était pas mince. Elle n'était pas en surpoids, mais elle était bien en chair, quelque chose que le bikini qu'elle portait rendait évident. À côté d'elle, Hugo – toujours maigre comme une brindille malgré son appétit ridicule – présentait son torse couvert de tâches de rousseur et ses jambes maigrichonnes. Il avait un bras autour des épaules de Flossie et semblait heureux. À côté de lui, Al – qui était incroyablement musclé et bronzé – semblait aussi heureux. La fille à côté de lui était dorée comme un fruit et très mignonne. Ses cheveux bruns lui arrivant jusqu'aux épaules encadraient son visage en forme de cœur.
"Elles ont toutes les deux l'air très gentilles," dis-je, faisant passer la photo derrière moi à mon frère.
"Peuh !" renâcla dédaigneusement Lily. "Vi est encore à l'école. Il ne la verra pas avant des semaines. Dragueur de maternelle !"
"Elle a déjà dix-huit ans !" protesta Al.
"Elle n'a que cinq jours de moins que Flossie," ajouta Hugo. "Et Flossie a quitté l'école cet été."
"Ouais, Vi a trois ans de moins que moi, le gros scandale," craqua Al. "Ça ne fait pas beaucoup ! C'est quoi ton problème avec Vi, sœurette ? Ce n'est pas son âge, ça ne peut pas être ça ! Quel âge à ton dernier mec ?"
"James a…" commençais-je, tentant de faire baisser la tension. Malheureusement, je ne pus calculer notre différence d'âge assez vite.
"James a deux ans et demi de plus que toi, Annie," indiqua Rose quand j'hésitais. "Et Andrew Jones a trois ans de plus que James, donc il a six ans de plus que Lily."
Pendant quelques inquiétantes secondes, je crus que Lily allait exploser, mais je me penchais vers elle et elle se calma. "Andy est bien plus mature que vous tous," dit Lily en me faisant un clin d'œil. "Ce qui est un immense changement par rapport à Craig."
"Et par rapport à Lukas, ou à Daï ?"
"Je ne parle pas de Lukas et Daï est oublié !" dit Lily. "Daï ! Bon sang, Rosie, j'avais juste seize ans. On ne perd pas tous quatre ans de nos vies avec l'incapable qui nous a proposé de sortir avec lui quand on avait seize ans." Lily était toujours furieuse contre quelque chose.
"Scorpius n'est pas un incapable," coupa furieusement Al. "Rose lui a brisé le cœur !"
"Arrête la voiture !" exigea Rose. "Je veux descendre. Je ne parlerai pas de Scorp."
"Désolée Rosie," dit Lily. Elle se calma aussi rapidement qu'elle avait explosé. Il y eut un silence gêné. "Et je suis désolée aussi de ce que j'ai dit de Violette, Al," ajouta-t-elle doucement. Le silence revint. "Al !" la seconde fois qu'elle prononça le nom de son frère, c'était une demande.
"Je suis désolé aussi, Rosie. Je ne le mentionnerai plus." Les excuses d'Al étaient maussades, mais suffisantes pour apaiser la tension.
Lily se pencha contre moi. Je passais son bras autour de son épaule et elle glissa le sien derrière mon dos. Nous nous étreignîmes.
"Alors," dis-je. "Tu en sais probablement plus sur mon dernier mec que moi, qu'est-ce que tu peux me dire ?"
"Non, ne dis rien. Je te payerai ce que tu voudras, Lils !" implora James, faisant rire tout le monde.
"Aucun de vous n'a rencontré Andy," dit Lily. Après m'avoir serrée une dernière fois, elle se dégagea et ouvrit son sac à main. "Le voilà, avec son fils Cameron."
Rose tendit le cou pour voir. James et Henry se penchèrent aussi tous les deux en avant. Andy était un bel homme. Il était rasé de près, portait les cheveux courts et sa peau était de la couleur profonde du chocolat noir. Le petit garçon dans ses bras était clairement métis et son sourire aux dents blanches était encore plus grand que celui de son père. Quand nous nous arrêtâmes pour une pause toilettes sur l'aire de Washington, nous en apprîmes bien plus sur la vie tragique du nouvel homme de Lily, un comptable qui travaillait pour l'équipe de hockey pour laquelle Lily jouait.
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Quelques minutes après avoir quitté la station service, nous dépassâmes le vieil Ange rouillé. Alors que nous nous dirigions vers la vallée en direction de la Tyne, je commençais à chanter. Je ne pouvais tout simplement pas m'en empêcher. Je commençais par 'L'eau de Tyne' et James comme Henry se joignirent à moi.
Le reste du voyage fut un spectacle à la demande et, alors que nous nous dirigions vers la vallée, James et moi chantions – à sa demande – 'Le Ver Mince de la Falaise de Spindelston'. Je fus surprise de découvrir qu'il connaissait l'air et presque toutes les paroles.
"Tous les gens croient dans la contrée
Que cette histoire est vraie
Et ils courent tous à Spindleston,
À la grotte et son point de vue.'
Nous terminions la chanson lorsque nous atteignîmes les environs d'Harbottle, et tout le monde devint silencieux. L'atmosphère à l'intérieur de la voiture crépitait électriquement. Les cheveux à l'arrière de mon cou se dressaient et il semblait que chacun de nous savait que quelque chose d'important allait se passer.
Nous restâmes silencieux quand Al engagea la voiture dans le chemin montant à Drakeshaugh. Hugo sortit, ouvrit la barrière et Al fit entrer la voiture. Nous ne parlâmes pas quand il revint, ou quand nous entrâmes dans la cour de graviers de l'ancienne maison des Potter. Ce ne fut pas avant que nous débarquions que quelqu'un dit quelque chose.
"Qui possède cet endroit, maintenant ?" demanda Henry.
"Maman et Papa," dit James. "Ils ne l'ont jamais vendu. Ils viennent toujours, de temps en temps."
"Mais ils ne passent pas voir mon père et ma mère," dit tristement Henry.
James secoua la tête.
"Regardez-nous," observa-t-il. La jupe de Rose lui descendait aux chevilles et ses chaussures étaient faites pour le style, pas la praticité. Et Lily…
"Il y a plus d'un kilomètre et demi jusqu'à la pierre, Lily." Je regardais ses pieds tout en parlant. "Ça ne va pas être facile avec ces talons."
"Ou avec ces trucs à bouts pointus, Hugo," ajouta Henry.
"Vrai," admit Lily.
Hugo murmura quelque chose dans sa barbe, ouvrit le coffre de la voiture et en sortit deux paires de vieilles baskets assez usées. "Problème résolu," nous dit-il.
Pendant que lui et Lily changeaient de chaussures, je tournais mon attention vers Rose. "Est-ce que ça va aller avec cette jupe ?" demandais-je.
"Très bien," me dit-elle, bien qu'elle ne semble pas vraiment sûre. "Allons-y."
Abandonnant la voiture à Drakeshaugh, nous partîmes sur le chemin. La marche fut plus courte que dans mes souvenirs et en moins de quinze minutes nous grimpions la côte couverte de rochers en direction de la pierre. James et moi étions main dans la main, les autres en rangs serrés derrière nous. Aucun de nous n'avait prononcé un mot du trajet et la pression que je ressentais devenait physique. Alors que nous approchions de la pierre, je baillais et grimaçais dans une tentative désespérée de déboucher mes oreilles. Remarquant que James avait un doigt dans son oreille, je me retournais pour voir comment tout le monde s'en sortait. Ils secouaient tous la mâchoire ou la tête.
Atteignant la pierre, je caressais sa surface brute et verticale, et me sentis immédiatement mieux. James s'appuya contre le bord anguleux de la pierre, me sourit et commença à en examiner la base. Je me joins à ses recherches.
"C'est là. Lils !" James indiqua une étroite faille sous la pierre, juste là où Lily se tenait.
Lily n'eut pas besoin d'autre instruction. S'agenouillant, elle enfonça le bras dans l'étroite fissure. Insouciante du fait que sa jupe clairement onéreuse et sa veste en cuir étaient griffées et tâchées de boue, elle plongea la main jusqu'au coude dans le trou. "Je l'ai," annonça-t-elle joyeusement, en sortant un Tupperware.
Elle était sur le point de l'ouvrir, mais James l'arrêta. "Au sommet," ordonna-t-il, pointant vers le haut de la pierre.
James nous entraîna vers l'autre côté de la pierre, vers le côté en pente et légèrement plus crevassé que nous avions toujours escaladé. Hugo passa le premier, crapahutant sur la pierre sans se soucier des dommages qu'il faisait à son élégant pantalon. Lily fut la suivante et je la suivis. Rose remonta l'ourlet à l'arrière de sa jupe entre ses jambes et le coinça dans la ceinture, la transformant en une sorte de sarouel. Rapidement, nous fûmes tous au sommet de la pierre. Nous nous tînmes debout en silence pendant un moment, admirant simplement la vue. Nous étions chez nous.
"Prêts ?" demanda James.
"Prêt," lui dîmes-nous. Nous nous assîmes en cercle au sommet de notre perchoir, regardant Lily ouvrir la boîte. Il n'y eut ni sifflement ni étincelle lorsqu'elle souleva le couvercle ce n'était pas un coffre au trésor, simplement une petite boîte Tupperware. Le joint était bon et les règles étaient restées sèches. Lily les sortit délicatement et tendit le feuille de papier jauni et sali à James, qui la déplia précautionneusement. Ce fut alors que nous ressentîmes tous la magie.
"Les règles," commença James. "Un, le nom du club est les Sept de Drakestone." Il marqua chaque mot. "Deux, le club est pour s'amuser et faire des aventures." Il passa la feuille à Henry.
"Trois, le club est privé et tous les membres jurent avec leur sang de le tenir secret," dit Henry avant de passer la feuille à Rose.
"Quatre, et le club est aussi pour apprendre des choses," nous rappela Rose.
"Cinq, et pour explorer et pour protéger les gens." Al avait commencé à prononcer les mots qu'il avait dictés à Rose toutes ces années auparavant avant même de lui avoir pris la feuille. Il y jeta à peine un coup d'œil, me la tendant simplement. Nous avions dépassé le point de bascule et peu importe l'enchantement sous lequel nous nous trouvions, il fut brisé.
"Six, et il y a une chanson du club qu'on doit tous chanter, Les Pies." Tout en énonçant la règle sur laquelle j'avais insisté, je me souvins comment Henry, Al et Rose avaient fortement tenté de me persuader de choisir une règle différente, et de combien j'avais été entêtée, même à cet âge. Je pouvais entendre mes arguments dans ma tête. 'On est sept, et c'est un club secret, et sept c'est pour un secret tu à jamais, et j'ai sept ans et j'aime chanter !"
Je donnais le papier à Lily. Elle n'en avait pas besoin.
"Sept, et tous les membres promettent d'être gentils avec les animaux." Alors qu'elle tendait le papier à Hugo, je me souvins de la longue discussion que nous avions eu à ce moment-là. Hugo avait été incapable de trouver une autre règle à ajouter. Henry avait fait une suggestion Hugo pouvait simplement prendre la règle principale, celle sur laquelle nous nous étions tous mis d'accord avant que Rose ne commence à écrire.
"Huit," nous dit-il sérieusement. "Et chacun de membres des Sept de Drakestone qui signent en dessous jurent de respecter les règles et d'être honnête entre eux quoi qu'il arrive, pour toujours."
"Au moins on a déjà chanté la chanson," dit Al avec soulagement. Je lui tirais la langue et Lily rit.
Rose examina la feuille, nous l'avions tous signée, et nos empreintes de pouces ensanglantés étaient à côté de nos noms. "On a fait un serment de sang," dit-elle doucement.
"Est-ce que ça signifie ce que je crois que ça signifie ?" demanda Lily avec effroi.
"C'est un serment inviolable," dit Hugo.
"Oh, merde !" dit James.
Je n'avais aucune idée de pourquoi ils étaient si inquiets, mais j'étais certaine d'une chose. "On doit rechanter la chanson," dis-je. "Tous ensemble, comme on avait l'habitude de le faire."
