Un « bip » aigu résonnait de manière lente et régulière dans la petite chambre aux murs couleur crème. Sur le lit, la silhouette frêle et légèrement amaigrie reposait, le drap remonté jusqu'aux pectoraux. Le bras droit était là, inerte, ainsi qu'on l'avait positionné quelques secondes plus tôt. La peau pâle ressortait par rapport à la couverture vert d'eau. Elle était si claire qu'elle concurrençait la blancheur du bandage d'où sortait le petit tuyau translucide menant à une poche à perfusion accrochée à la perche du lit. Poche qui venait d'être changée. L'infirmier qui venait de s'occuper du jeune homme inconscient se tourna vers le shérif de Beacon Hills. Noah avait cet air choqué, sidéré, déconnecté de la réalité. Des heures qu'il était là, à son chevet, des heures qu'il restait assis à ne rien faire, des heures qu'il retournait la même question dans sa tête.

Pourquoi ?

Oui, pourquoi avait-il fait ça ? Pourquoi diable avait-il… Noah n'osait poser les mots sur son acte et pourtant, ils étaient les seuls à pouvoir le caractériser. Mais ils représentaient, à eux seuls, quelque chose qu'il n'aurait jamais cru possible.

« Stiles » et « suicide » avaient beau commencer par la même lettre, ils représentaient deux mondes totalement différents. La lumière et l'ombre. L'étincelle et les ténèbres. La vie et la mort. Le bonheur et la perdition.

Stiles était le symbole même de la joie. Il ne pouvait pas avoir désiré mourir. Encore moins y penser.

Noah mit une main devant sa bouche alors que les larmes montaient à nouveau. Il fallait croire qu'il avait manqué quelque chose. Il en vint même à se dire qu'il n'avait pas assez regardé son fils, qu'il ne lui avait pas apporté assez d'attention, qu'il n'avait pas été assez présent.

Jamais assez.

Stiles avait toujours eu un petit côté secret. C'était un fouineur qui, souvent, gardait ses découvertes pour lui. Ses sentiments, aussi. Parfois, il finissait par lui avouer. Mais Noah savait qu'il ne lui disait pas tout. Qu'il ne lui avait jamais tout dit. Et il aurait dû… Bordel, il aurait dû… Dû faire quoi, au final ? Le surveiller ? Le harceler pour tout connaître de ses pensées ? L'espionner ? Des idées moins radicales lui vinrent à l'esprit. Lui parler, l'écouter, le conseiller, passer du temps avec lui.

Privilégier son fils et non son putain de boulot, ce qu'il faisait plus ou moins depuis des années.

Mais il pensait que ça allait, que Stiles gérait, qu'il allait bien, qu'il… Était heureux comme ça. Le corps inhabituellement inanimé de son fils dans ce lit d'hôpital lui prouvait le contraire. La vérité éclatante était là, face à lui. Elle ne cessait de torturer son cœur meurtri. Des heures qu'il était là, oui, mais… Cela faisait déjà deux jours que Stiles avait été admis à l'hôpital dans un état critique après avoir, semblait-il, avalé un grand nombre de médicaments, un trop grand nombre pour que cela soit accidentel. Et puis, il s'agissait de sédatifs. Le traitement de Stiles était uniquement composé d'Adderall et d'antidouleurs, qu'il n'utilisait que de temps en temps, lorsqu'il pensait tellement qu'il se mettait à avoir mal à la tête.

L'infirmier était parti. Noah mit son visage dans ses mains et de maigres bruits de sanglots se firent entendre, même si les « bips » du cœur de son fils en couvraient la majorité. La vie était cruelle avec lui. Stiles, c'était son enfant. Son seul enfant. Le dernier souvenir que lui avait laissé Claudia, la femme de sa vie. Il ne pouvait pas le perdre, pas lui aussi ! Alors forcément, rester là était une torture. Mais au moins… Cette fois, il était là. Il s'était déjà promis de changer, de réduire ses heures de travail, de passer plus de temps avec lui. Il allait y arriver, il n'allait pas le choix. Stiles avait été pris à temps, il avait survécu. N'était-ce pas là un signe que la vie lui accordait une deuxième chance ? La chance ultime de se rattraper et d'être un bon père ? Si, forcément. Cela ne pouvait être que ça. Et il allait falloir qu'il se rattrape.

Ses pleurs se calmèrent doucement et il releva des yeux plus que rouges sur le corps inanimé à deux mètres de lui. Stiles détestait être immobile. Il était de ces gens incapables de rester sans rien faire, sans bouger. Il avait cette manie de tapoter quelque chose lorsqu'il se retrouvait à devoir attendre et bien souvent, le faible bruit que cela engendrait en agaçait plus d'un. Ça, c'était quand il ne parlait pas. Lorsqu'il se devait de rester silencieux, son hyperactivité se lisait dans son regard. Il avait toujours cette lueur d'impatience qui jouait avec cette malice qui ne le quittait jamais. Stiles était si particulier : il s'agissait d'une pile électrique dont l'énergie était sans fin. Des nuits blanches, il en faisait parfois et Noah était au courant. Il lui passait régulièrement un sermon, lui rappelait à quel point le sommeil était important et Stiles rétorquait souvent qu'il en était de même avec la nourriture. Le shérif lui répondait alors que ce n'était pas la même chose, et son fils arguait que manger avait la même influence sur le corps que dormir. Et puis à la fin de leur joute légère, il souriait.

Ce sourire manquait au semblant de cadavre qui lui faisait face. De sa vie, Noah n'avait jamais vu Stiles aussi pâle. Il avait toujours eu la peau claire, mais elle gardait ce teint vivant qui faisait ressortir avec délicatesse les grains de beauté qui parcouraient son corps avec harmonie. Là, les petits points ébènes contrastaient tristement avec cet épiderme blanchâtre, qui transpirait plus la mort que la santé.

Une main se posa sur son épaule et la serra doucement. Noah ne releva pas la tête, garda ses yeux tristes fixés sur son fils, la chair de sa chair, sa dernière famille.

- Noah, tu dois sortir prendre l'air, fit la douce voix de Melissa.

Le shérif secoua la tête après quelques secondes de flottement. Non, il était hors de question qu'il laisse Stiles seul. C'était fini. Il avait été trop absent, trop laxiste. Il devait se rattraper, il…

- Noah, ce n'était pas une question. Stiles… Il ne va pas bouger d'ici et je peux le surveiller, si c'est ça qui t'inquiète.

L'infirmière parlait avec son ton maternel et c'était comme si elle tenait de faire doucement obéir Noah, pour lequel elle éprouvait une grande amitié. En ce qui concernait Stiles… Bien sûr qu'elle était touchée. Simplement, elle évitait de le montrer à outrance au shérif qui était dans un état qu'elle n'enviait pas le moins du monde. Lorsque Stiles avait été admis aux urgences deux jours plus tôt, l'infirmière n'avait pu s'empêcher d'imaginer Scott à sa place, dans ce brancard, puis ce lit. Elle n'avait pas pu supporter cette idée, alors elle comprenait tout à fait l'état de Noah. Néanmoins, elle le connaissait et savait pertinemment que rester là sans rien faire ne l'aiderait pas le moins du monde.

- Je ne serai plus absent, Melissa, souffla-t-il sans détourner le regard de son fils adoré.

- Aller manger ou te reposer ne fera pas de toi quelqu'un d'absent. Stiles n'aimerait pas que tu te malmènes de cette manière.

Noah se crispa et posa l'une de ses mains sur celles de Melissa. Elle savait y faire, le toucher mentalement là où il le fallait. Stiles avait toujours fait ce qui était en son pouvoir pour le préserver du danger tout en le forçant à préserver sa santé. Les rôles s'étaient donc inversés et Noah l'avait carrément laissé faire. Comment pouvait-il être le père d'un fils aussi génial ? Il n'était pas digne de ce rôle, pas alors qu'il avait laissé les choses se faire aussi facilement. Si Jordan n'était pas venu chez lui déposer ces documents ce jour-là, s'il n'avait pas eu l'idée de passer dire bonjour à Stiles… Même son second avait eu un meilleur comportement que lui. Il avait naturellement pensé à l'hyperactif.

- Je veux attendre qu'il se réveille, souffla le shérif en retenant de nouvelles larmes.

Il serra doucement les doigts de Melissa.

- Il s'est déjà réveillé, Noah, rétorqua-t-elle doucement.

- Il n'a pas parlé…

- Son corps est encore trop fatigué pour rester éveillé plus de quelques minutes. Il faut lui laisser du temps.

- J'aimerais… J'ai besoin de comprendre…

La détresse du shérif la saisit avec violence mais Melissa fit de son mieux pour être forte. Elle aussi avait envie de s'effondrer. A vrai dire, elle l'avait déjà fait. Stiles était pour elle comme un deuxième fils. Elle l'avait toujours connu et ne pouvait pas imaginer une vie sans le voir passer la porte de sa maison lorsqu'il allait voir Scott. Elle vint se mettre face à Noah, et celui-ci fut obligé de décrocher le regard de son fils bien-aimé. Ses iris océaniques, dont Stiles n'avait pas hérité, étaient tristes, si tristes… Noah était détruit et Melissa imaginait très bien la portée de sa douleur. Avec un mélange de douceur et de fermeté, elle l'obligea à se lever. Mais au lieu de se diriger vers la porte et sortir de la chambre, le shérif céda et prit l'infirmière dans ses bras. Aussi peinée que surprise, Melissa accepta de lui rendre son étreinte. Noah la serra contre lui en tremblant. Il avait besoin d'aide. Mentalement, il s'effondrait.