Ce texte a été écrit en environ 2h pour la 158e Nuit du FoF autour des thèmes «sinistre» et « inconscient ».Le FoF est un forum ouvert à tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou participer à des jeux. Le lien est dans mes favoris !


Libre

Que faire ? Où aller ? De quoi allait-il vivre ? Questions épineuses pour qui n'avait pas le loisir de se poser afin d'y réfléchir…

Se poser : Buck y consentirait-il seulement ? Sirius se flattait d'avoir accompli pas mal d'exploits aussi audacieux qu'absurdes au cours de son existence, mais voler à dos d'hippogriffe, ça, il ne l'avait encore jamais fait. Il en aurait peut-être eu l'occasion si on ne l'avait pas collé à Azkaban pendant toutes ces années, mais pas sûr qu'il aurait tenté le coup. Il fallait quand même être drôlement inconscient pour grimper sur une bestiole pareille !

« J'aurais dû faire comme Peter et me rembourrer le popotin », soupira-t-il, le vent de la course emportant ses paroles.

Le fait est qu'après des années de détention dans ce qui ressemblait plus à un asile de fous qu'à une prison et quelques mois passés à manger ce qu'il chassait ou trouvait dans les poubelles, il n'avait plus que la peau sur les os. Les pattes de Buck avaient beau être repliées sous lui, Sirius n'en rebondissait pas moins sur son échine à chaque battement d'ailes, et il commençait à se sentir salement meurtri. Il eut une pensée nostalgique pour sa précieuse moto volante, un objet qu'il avait ensorcelé lui-même, au mépris de toutes les lois contre les détournements de l'artisanat moldu. Où était-elle en cet instant, et dans quel état ? Si Hagrid l'avait gardée, il espérait qu'il en prenait soin.

Cela faisait des heures qu'ils volaient sous les étoiles ; du moins Sirius le supposait-il, car il n'avait pas de montre. Il n'avait pas non plus de baguette, et seule sa robe élimée de prisonnier le protégeait un tant soit peu du froid. Il n'avait aucun moyen de savoir où il était : avaient-ils quitté l'espace aérien britannique, ou risquait-il d'être repris lorsque Buck finirait par le ramener sur la terre ferme ? S'il faisait si sombre en dessous d'eux, était-ce parce qu'ils survolaient la mer ?

La situation n'était pas brillante mais, en repensant aux événements de cette nuit, Sirius ne put s'empêcher de sourire. Harry n'était pas seulement le portrait de son père, il en avait aussi hérité le culot. Venir le libérer au nez et à la barbe de Fudge, juste après avoir délivré l'hippogriffe condamné à mort ! Sirius éclata de rire : un son rauque, enroué, qui lui fit un peu mal à la gorge. Ça faisait si longtemps qu'il n'avait pas ri… Perturbé par ce bruit soudain, Buck secoua la tête et Sirius caressa ses plumes pour le rassurer.

Peut-être qu'il finirait par crever de faim et de froid, ou tué par un Auror, ou abattu par un Moldu persuadé d'avoir affaire à un dangereux psychopathe. Et après ? Harry était sain et sauf, alors ça en valait la peine. En prime, ils avaient délogé Peter de sa confortable retraite, brisé les rêves de gloire de Rogue, et privé les Détraqueurs de leur proie – lui-même, en l'occurrence. Oh oui, quelle que soit la façon dont les choses tourneraient pour lui, ça en valait la peine.

Le soleil commençait à se lever quand Buck modifia sa trajectoire. Ils volaient encore à plusieurs dizaines de mètres au-dessus d'une vaste étendue d'eau : mer ? océan ? Une grande masse sombre se profilait, noire sur l'horizon rosissant. Une île.

Pendant quelques secondes d'horreur, Sirius eut la certitude qu'il s'agissait d'Azkaban. Tous ses efforts n'avaient donc abouti qu'à l'y ramener de lui-même, tout seul, comme un grand. Quelle ironie, n'est-ce pas ? Mais à mesure qu'ils s'en rapprochaient, ses craintes s'apaisèrent. Aucune sinistre forteresse ne couronnait ce rocher émergé des flots ; à la lumière du jour naissant, Sirius aperçut des pins, une prairie d'herbe rase, des plages de galets. Pas une habitation, et personne en vue.

L'hippogriffe descendit en cercles jusqu'à se poser à la lisière d'un bosquet de résineux et Sirius mit péniblement pied à terre. Son arrière-train était à la fois insensible et tout endolori, un très curieux paradoxe. Il se sentait également gelé et affamé. Il aurait volontiers donné tout l'or de sa chambre-forte de Gringotts contre un bon feu et un bol de soupe chaude. Mais il était libre, alors de quoi se plaignait-il ?

Buck, de son côté, semblait se porter comme un charme. Ses larges ailes repliées dans son dos, il fit quelques pas gracieux pour se dégourdir les pattes, ses gros yeux orange sondant le sol autour de lui. Soudain, sa tête d'aigle plongea et, avec un « clac ! » sonore, son bec se referma sur un petit rongeur qu'il avala tout cru.

« Quel crétin tu fais, mon vieux Patmol », marmonna Sirius entre ses dents.

S'il y avait sur cet îlot de quoi nourrir un hippogriffe, alors un chien errant devrait pouvoir y trouver son bonheur. En plus, la chasse le réchaufferait. Ensuite, Buck et lui se rouleraient en boule l'un contre l'autre pour un petit somme, et après… Et après, on verrait bien.

lll

Ce matin-là, pelotonné contre Buck dans le sous-bois aux senteurs de résine, Sirius rêva. Il était à nouveau prisonnier de cette sinistre cellule aux murs de pierre grise humide et froide, blotti sous une mince couverture, avec pour seule compagnie les gémissements et les cris de ses invisibles voisins des cellules adjacentes. Surtout, il était à nouveau prisonnier de sa propre tête.

« Je suis innocent, se répétait-il constamment pour tenir à distance les mauvais souvenirs que la proximité des Détraqueurs faisait remonter tels des cadavres boursouflés à la surface de sa mémoire. Je suis innocent… »

Il rêva de la façon dont les images des colères maternelles, des vexations, de la mise au ban rôdaient aux frontières de sa conscience. Il rêva de la façon dont il entendait s'égrener la litanie des morts tout en s'efforçant de ne pas céder à la sombre tentation de revoir leurs visages : Fabian et Gideon Prewett, Dorcas Meadowes, Marlene McKinnon, Edgar Bones, Benjy Fenwick. Lily Potter. James.

Il rêva du souvenir des corps qu'il avait découverts dans la maison en ruines, l'un au pied de l'escalier, l'autre par terre à côté du berceau où Harry pleurait, une estafilade sanglante lui barrant le front. L'horreur qu'il avait ressentie en comprenant ce qui s'était passé.

« Je suis innocent… innocent… je suis innocent… »

Ses mains, maigres et pâles, crispées sur le bord de sa couchette, ses dents serrées si fort, sa tête remuant inlassablement au bout de son cou, non, non, je suis innocent, innocent, je sais que je suis innocent. Quelque chose de froid toucha sa joue et il sut qu'un Détraqueur était entré dans sa cellule. Ils n'étaient pas censés le faire, ils n'étaient pas non plus censés toucher les prisonniers. Mais Azkaban était leur royaume. Sirius essaya de se débattre contre la torpeur qui l'immobilisait : non, non, laissez-moi, je suis innocent, par pitié, laissez-moi…

« Je suis innocent ! »

Sirius se redressa brusquement, effrayant Buck qui bondit sur ses pattes. Le vent bruissait doucement dans les pins au-dessus d'eux ; le sol tapissé d'aiguilles était moelleux, presque tiède. Le cœur battant, Sirius repoussa les cheveux sales qui lui tombaient sur le front. L'hippogriffe le scrutait d'un air méfiant. Sans doute l'animal ne pensait-il pas le sorcier capable de lui faire grand mal, mais avec les humains, allez savoir.

« Tout va bien, Buck, murmura Sirius en tendant la main vers lui. C'était juste un cauchemar. Tout va bien. »

Ce n'était pas la première fois qu'il rêvait d'Azkaban depuis qu'il s'en était enfui, et ce ne serait sûrement pas la dernière.

Prudent, l'hippogriffe se rapprocha lentement et laissa Sirius caresser son bec avant de se rasseoir près de lui. La chaleur émanant du corps de Buck était aussi réconfortante qu'un feu de cheminée dans la salle commune de Gryffondor, jugea le sorcier. Sa main remonta le long des plumes jusqu'au front de l'hippogriffe qui ferma les yeux, appréciant visiblement la caresse.

« On va s'en sortir, affirma Sirius aux arbres environnants, aux insectes peuplant l'humus et à Buck qui ne paraissait pas s'inquiéter du lendemain. Plus jamais ils ne nous enfermeront. On va trouver un endroit où se cacher. Un bel endroit, avec du soleil, de la chaleur, de la joie… de quoi se faire de beaux souvenirs… Un endroit où aucun Détraqueur n'ira jamais nous chercher. »


J'espère que Sirius va vite s'envoler vers un pays chaud, parce que moi, j'en ai marre de la grisaille humide !