J'ai toujours été fascinée par la peinture sorcière. Je suis peintre moi-même et je rêverais de voir s'animer mes personnages. Aussi j'ai longuement réfléchi à la question de savoir quelles pouvaient bien être les techniques de cet art extraordinaire, et après la mort de mon cher Dumbledore, comment il pourrait être possible de peindre des personnes décédées puisque le modèle n'existe plus.
Afin de répondre à ces intrigantes questions, je vous invite à suivre avec moi l'histoire du dernier portrait de Dumbledore.
Le grand atelier du manoir des illustres peintres Griselaque était depuis maintenant trois semaines, en plein effervescence. D'une part, l'année s'achevait pour les trente apprentis triés sur le volet qui suivaient la formation rigoureuse de l'académie de peinture Griselaque ainsi que pour la centaine d'élèves qui suivaient des cours à temps partiels mais d'autre part, il était temps pour Gallicia Griselaque d'initier parmi les cinq apprentis major de l'académie, celui ou celle qui prendrait éventuellement sa succession. Car Galicia n'était pas que la directrice de l'académie elle était surtout la quarante troisième Maître Griselaque du nom, une famille célèbres depuis le XIIe siècle pour ses peintures d'une finesse exquise et sans égal.
Ce nom leur venait, disait-on, d'un ancêtre apothicaire du XIem siècle qui en voulant faire une potion pour éclaircir le teint avait accidentellement créé une poudre qui faisait briller la peau comme de l'argent. Il y avait eu une petite mode où les dames du monde se pavanait avec un visage luisant comme une cuillère mais rapidement, les peintres s'était mis à utiliser la laque grise pour faire reluire les métaux dans leur tableaux ce qui avait assuré la renommée de l'apothicaire à la main heureuse. Au XIXe siècle, on avait amélioré la formule, l'actuel luminum, mais le nom Griselaque était resté aux descendant qui, profitant de cette bonne fortune, s'étaient lancés dans la peinture.
Chacun des cinq apprentis espérait être choisi et par conséquent ne ménageait pas ses efforts pour s'en montrer digne. Cependant, devenir maître Griselaque comportait des responsabilités écrasantes voire mortelles et des qualités précises étaient exigées. Tous les cinq les possédaient mais ils seraient tous soumis à l'examen de maîtrise qui déterminerait lequel saurait au mieux remplir cette fonction ; dans le cas où au moins un en sortirait intact, bien entendu. Celui-là serait avec Galicia, la seule personne au monde à avoir accès au légendaire atelier de Calbert dont les secrets avaient fait couler des rivières d'encre au fil des siècles.
Le grand atelier du manoir, percé de grandes fenêtre qui diffusait une belle lumière blanche et égale, s'élevait sur une trentaine de mètre de haut, jusqu'au plafond soutenu par des arches élégantes. Sur les murs blancs étaient présentés les travaux en cours ainsi que de nombreux portraits des anciens maîtres Griselaque, jamais avares de commentaires et de conseils, parfois même un peu trop. Le plancher de bois blond brillait dans toute son immensité, prêt à recevoir des chevalets, des estrades, des décors ou des scènes que l'on soumettrait au talent des élèves de la prestigieuse académie.
Pour l'heure, des elfes y disposaient des chevalets, des pinceaux et des couleurs pour les huit apprentis finissants qui devaient passer les tests de fin d'année. Les apprentis major dont l'un deviendrait bientôt maître, tous enseignants à l'académie, étaient déjà à leur poste. Grattant des papiers, vérifiant l'état des pinceaux ou révisant leurs notes au sujet du tableau final que les étudiants devraient peindre sur place, devant leur directrice, mais aussi le ministre des affaires culturelles, la responsable du musée d'art magique de Paris et d'autres sommités dont l'arrivée était imminente. Ces distingués personnages seraient peints sur place, à pinceau levé. Ils seraient ainsi à même de déterminer en voyant leur propre portrait, la somme de talent de cette nouvelle cuvée. De plus, les meilleurs d'entre eux auraient toutes les chances d'être engagés pour immortaliser sur place des événements d'assez grande importance pour mériter une peinture d'un diplômé de l'académie Griselaque.
Tandis qu'on montait la table qui se couvrirait de rafraîchissements destinée aux invités de marque, et dont l'ensemble des détails à peindre représentait une difficulté supplémentaire, les hiboux passèrent en flèche en jetant des journaux à la tête des abonnés du journal du sorcier. Arielle Griselaque, déplia le sien pour y jeter un œil.
- Ho non ! s'écria-t-elle en voyant la première page.
Galicia qui tenait à veiller elle-même à ce que la table soit parfaitement disposée, se retourna vers son apprentie qui lui montra le journal. Tous purent voir sur la première page la photo d'Albus Dumbledore titré par un tragique « ALBUS DUMBLEDORE ASSASSINÉ À POUDLARD PAR UN DE SES PROFESSEURS ! ».
Un silence pesant tomba sur l'atelier. Qui ne connaissait pas le célèbre sorcier ? Des rumeurs terrifiantes arrivaient régulièrement d'Angleterre et qui pouvait garantir que le mal ne s'étendrait pas jusqu'en France ?
Au même moment, Galicia sentit un picotement caractéristique au bout de son index gauche. Une petite vibration imperceptible mais aisément reconnaissable.
- Je reviens tout de suite, dit Galicia qui laissa à ses apprentis-majors le soin de terminer l'organisation de la salle.
Elle sortit par les grandes portes de l'atelier, monta un petit escalier et après avoir jeté un regard derrière elle, entra dans son bureau. La pièce confortable affichait un joyeux chaos. Le bureau enjolivé de paperasses placées un peu n'importe comment faisait face à un joli fauteuil capitonné où s'entassait quelques chandails. Des pinceaux usés qu'elle affectionnait étaient plantés dans les pots à fleurs et des bouquins s'empilaient dans tous les coins. Galicia avait toujours aimé entretenir un léger désordre, question de garder l'équilibre avec la rigoureuse discipline de l'académie. Ceux qui venaient la rencontrer ici pour un premier rendez-vous avaient toujours un air surpris. Était-ce raisonnable qu'une directrice respectée tienne des rendez-vous dans un bureau aussi bordélique ? Heureusement, tant chez les moldus que chez les sorciers, on avait une assez grande tolérance pour l'étrangeté des artistes, fait avéré, accepté et reconnu depuis des siècles.
Galicia se plaça devant la bibliothèque qui jouxtait les vitraux des fenêtres et en sortit un livre sur l'art des gobelins. Elle l'ouvrit et du bout de son index gauche, le même qui avait vibré, elle caressa la deuxième, la douzième puis la vingt sixième ligne de la page 374. Il y eut un déclic et elle remit le livre à sa place. Elle fit pivoter les étagères, se glissa derrière et la bibliothèque se remit en place comme si jamais personne ne l'avait touché.
Derrière la bibliothèque, se trouvait une pièce dont tous les murs étaient faits de bois sculptés. Ils étaient sculptés à la façon de très vieux cadres tel que l'on peut en voir parfois dans les musées. Au centre de cette débauche de motifs floraux et runiques, on avait serti une fresque ancienne de trois mètres de haut représentant le légendaire Calbert Griselaque, premier peintre de la lignée. Portrait qui depuis des temps immémoriaux, gardait l'entrée de l'atelier. On voyait au style très moyenâgeux que la peinture était extrêmement ancienne. Qui aurait pu dire à quoi ressemblait vraiment cet ancêtre qui avait été représenté dans un style très semblable aux icônes religieuses d'autrefois. Entouré de nombreux cadres et de peintures représentant des personnages divers, Calbert somnolait appuyé contre un grand sablier sur patte qui lui arrivait à la taille, un sablier doré et gravé de runes complexes.
Un petit elfe vieux et maigrichon, entouré d'une guenille mouchetée de couleurs ayant visiblement servi à essuyer les pinceaux, se matérialisa soudain au côté de Galicia en produisant un crac sonore qui éveilla le Calbert du portrait. L'elfe tendit une liasse de parchemins et une petite plaque d'argent gravé que Galicia saisit puis elle s'agenouilla devant le portrait.
- Vénérable ancêtre veuillez la main étendre sur votre humble successeure, dit-elle en usant de la formule consacrée.
Calbert étendit la main comme pour une bénédiction et Galicia se releva. D'un côté elle trouvait quelque peu ridicule de s'agenouiller devant un portrait mais d'autre part cette petite scène de bénédiction qui servait de mot de passe, joué par tous les maîtres peintres Griselaque depuis le XIIe siècle, lui donnait l'impression de faire partie d'une grande et noble histoire.
- Qui donc est-ce ? demanda l'ancêtre.
Elle lut la première feuille du dossier que lui avait donné l'elfe tout en gardant la plaque à la main.
- Il s'agit d'Albus Perceval Wulfric Brian Dumbledore noble Calbert, répondit-elle avec une révérence.
- Albus … Albus … Ne serais-ce celui qui vainquit le sieur Gellert Grindelwald ? Le seul dont le triste sire de ténèbres sait craindre le courroux ? demanda Calbert dans le langage ampoulé de son époque.
- Celui-là même, s'il vous grée monsieur, répondit Galicia dans le même style.
- Il m'en grée certes. C'est un grand homme. Digne de l'immortalité de notre main, fillote.
Dans la fresque, un des portraits derrière l'ancêtre se retourna comme s'il regardait derrière lui et écoutait. Il se retourna vers Calbert tout excité.
- Votre grâce, Sir Bellet Bagmoth vient de me faire ouïr que Monsieur Dumbledore aurait été occis par l'ennemi dans sa forteresse même ! De la main d'un traître et désarmé comme une femelle !
Galicia tiqua. Elle n'arrivait pas à s'y faire. Ces vieux portraits, bien qu'au fait des dernières nouvelles, semblaient ignorer complètement que les « femelles » s'avéraient tout aussi bien armées que ces messieurs lorsqu'elles avaient leur baguette à la main. Cependant, éduquer ces vieilles mules représentait un travail de longue haleine. Il avait bien fallu 500 ans à Calbert pour accepter que ses fillotes puissent peindre aussi bien que ses fillots. Deux maîtres avaient dû renoncer à leur poste car l'ancêtre refusait de laisser entrer le sexe faible dans son atelier. Par chance, au XVIIIe siècle, Adrienne Griselaque avait trouvé le moyen de le convaincre en venant peindre devant lui une série de tableaux vantant ses exploits de jadis. Il en avait été si ému qu'il l'avait accepté comme maître et par la suite, les autres femmes de la lignée. Galicia par contre ne doutait nullement qu'il priait tous les soirs pour que l'apprenti-major qui deviendrait son successeur soit enfin un mâle.
- Désarmé comme une femelle ? Par la peste ! Félonie de bas étage ! Ventre bleu ! Voilà où nous mène la modernite dont on me chante louange depuis des siècles. On occis les braves comme des vauriens ! Qui eut osé de mon temps accuser acte aussi impie !
Galicia, habituée de longue date à ces emportements baissa la tête respectueusement.
- Vous nous le ferez beau fillote. Qu'on voit en lui courage et grandeur ! Ce drôle compta parmi les rares qui guerroyèrent à en faire trembler le mal et ses suppôts. Aller !
Le portrait pivota et Galicia entra dans le saint des saints. L'atelier le plus secret mais pourtant le plus connu du monde sorcier. L'atelier de Calbert où les peintres Griselaque faisaient revivre les morts.
