Chapitre 13 : Les rumeurs
Neville se leva de bonne humeur, ce jeudi matin. La raison était très simple : le jeudi, il n'avait pas de cours avec Rogue ! Or, les journées sans son terrifiant professeur de potion, ou plutôt de Défense Contre les Forces du Mal à présent, ne pouvaient être que de merveilleuses journées.
Il ne fut guère étonné de constater que Ron ronflait encore sur son oreiller, mais le fut davantage en voyant les lits vides de Dean et Seamus : d'ordinaire, Neville était le premier à se réveiller quand Harry n'était pas là.
Il n'y prêta cependant que peu d'attention, se rendant dans la salle de bain pour se préparer.
En sortant de la douche, il fit une pause devant le miroir, grimaçant.
Depuis le début des vacances, il avait perdu beaucoup de poids. Disparues, ses rondeurs d'enfance ! À force de soulever des pots de terre et des arrosoirs sans magie, il avait même gagné quelques muscles au niveau des biceps qui l'embarrassaient assez. Il n'était pas très à l'aise avec les changements de son corps, et ce depuis le commencement de la puberté. Heureusement que l'uniforme scolaire cachait tout ça.
Il s'habilla rapidement et sortit de la salle de bain. Ron se frottait les paupières, assis sur son lit. À le voir comme ça, on aurait plus dit un petit garçon que l'instigateur d'un projet d'infiltration chez un mage noir.
— Salut Ron.
— S'lut, marmonna-t-il en tentant d'ouvrir les deux yeux en même temps.
Neville lui laissa le temps de finir d'émerger et descendit jusque dans la salle commune. De nombreux élèves étaient là, pas encore partis manger, mais se turent brusquement en le voyant arriver.
Neville s'immobilisa, surpris. C'était bien la première fois qu'on réagissait ainsi en sa présence. Avait-il fait quelque chose de mal ?
Hermione, qui était sur place elle aussi, lui fit un mouvement de tête pour qu'il la rejoigne. Neville sentit les regards le suivre jusqu'à atteindre la jeune femme.
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Vient, on part devant.
— On n'attend pas Ron ?
— Il trouvera le chemin de la nourriture tout seul. Allez, viens !
Quand Hermione ouvrit le portrait de la Grosse Dame, les chuchotements s'élevèrent presque aussitôt, ce qui était peut-être pire encore que les simples regards. Elle referma le tableau et lui attrapa le bras pour l'entraîner à sa suite.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? répéta Neville.
— Je ne sais pas d'où elles sortent, mais il y a des rumeurs sur ton compte.
— Ah bon ?
C'était bien la première fois que qui que ce soit s'intéressait suffisamment à lui pour lancer des rumeurs !
— Tu es bien né fin juillet ?
— Heu, oui. Le 30.
— Et tes parents ont combattu trois fois Voldemort ?
— Heu, ils étaient dans l'Ordre du Phœnix, alors peut-être… Pourquoi ?
— Ce sont apparemment des critères de la prophétie.
Neville écarquilla les yeux. Il savait bien sûr de quelle prophétie elle parlait : celle pour laquelle ils avaient été piégés au département des Mystères.
— D'après ce qu'on raconte, le soi-disant élu ayant le pouvoir de vaincre le Seigneur des Ténèbres pouvait être soit toi, soit Harry. Et maintenant qu'Harry est porté disparu, il semblerait que les autres reportent leurs espoirs sur toi.
— Sur moi ? s'exclama Neville. Par la barbe de Merlin, comment tout ça a pu arriver entre hier soir et ce matin ?
Hermione haussa les épaules. Elle affichait un air désemparé.
— Apparemment, la rumeur vient des Serdaigles puisque Parvati l'a appris au dîner, l'a dit à Padma dans la soirée qui l'a dit à Lavande qui l'a dit à Lee qui l'a dit à… absolument tous ceux qui s'étaient levés avant toi. Et ne me demande pas par qui Parvati a bien pu l'entendre, mes informations ne remontent pas plus loin.
— C'est fou, soupira Neville. Comme si c'est moi qui allais pouvoir faire quoi que ce soit.
Les lèvres pincées et le regard en coin d'Hermione le firent douter.
— Quoi ?
— Et bien…
— Quoi ? Parle, enfin !
— Disons que tu n'es pas aussi improbable que tu sembles le croire.
Une sueur angoissée dégoulina le long du dos de Neville.
— Comment ça ?
— Comment dire…
Neville lui coupa la parole, déjà stressé à l'idée de ce qu'elle pourrait lui répondre :
— Je suis nul en magie, et en duel c'est encore pire ! À quel moment qui que ce soit pourrait me préférer à Harry, même absent ? Sois réaliste, Hermione !
— Je suis réaliste !
Elle le força à s'arrêter, lui jetant un regard dur qui le fit déglutir.
— J'aime Harry de tout mon cœur, mais ce n'est pas une raison pour te dévaluer. Tu n'as pas besoin d'avoir ses compétences extraordinaires en magie pour être quelqu'un de fort, Neville ! Enfin, tu n'as pas vu ce qu'il se passe ces derniers temps ? Depuis le Département des Mystères ? Même depuis la création de l'AD, en fait.
— Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Ils se rassemblent autour de toi, voilà ce qu'il se passe ! Harry…
Elle soupira et ses yeux se ternirent d'une inquiétude si profonde qu'elle lui brisa le cœur.
— Harry paraissait inaccessible à tout le monde. Et il est assez susceptible, aussi. Ce n'est pas de sa faute, mais il a toujours eu beaucoup de mal à se lier aux gens. À part Ron avec qui ça s'est fait de façon vraiment naturelle dès le premier jour, il peine pour les autres.
— Et avec toi alors ?
Hermione reprit sa marche. La question avait amené un léger sourire à ses lèvres.
— Oh, je les ai fait affronter un troll puis couverts devant MacGonagall. Après ça, on a réussi à tisser des liens.
Neville écarquilla les yeux.
— Le troll, tu veux dire celui en première année ?
— C'est ça ! J'ai prétendu que je voulais me mesurer à lui toute seule, et MacGonagall m'a cru !
Vu ce que le trio d'or avait vécu par la suite, Neville aurait sans doute pu y croire lui aussi.
Elle posa une main sur son bras, un sourire tendre aux lèvres.
— Toi, Neville, c'est différent. Tu as eu du mal à te faire des amis au début, je sais, mais depuis l'AD, ton image a vraiment changé auprès de tout le monde. Tu es travailleur, courageux, déterminé… Tu as mis ta baguette dans l'œil d'un mangemort et tu arrives toujours à concilier les intérêts des uns et des autres. Et puis…
Elle lui jeta un regard amusé.
— Et puis ?
— Et puis tu es devenu assez canon. Les gens remarquent ça aussi !
Il ouvrit la bouche, offusqué, mais ne put rien ajouter, car elle entra dans la Grande Salle, faisant s'arrêter là la conversation.
Une fois de plus, l'arrivée de Neville sembla provoquer quelques tumultes, mais pas autant que dans la salle commune de Gryffondor. Soit l'information n'était pas arrivée aux oreilles de tout le monde par ici, soit la guerre intéressait moins les autres Maisons.
Ils s'installèrent à leur table où quelques Gryffondor étaient déjà descendus et lui jetèrent un lourd regard. Neville, de plus en plus embarrassé à cause de l'attention à laquelle il n'était pas coutumier, rentra la tête dans ses épaules en prenant place à côté de la préfète. Hermione lui donna un coup de coude et un regard sévère.
— Ne baisse pas les yeux, Neville. Il n'y a aucune honte à avoir.
Facile à dire pour elle : elle était brillante et affrontait des monstres depuis qu'elle avait onze ans !
Il tâcha tout de même de lui obéir, carrant tant bien que mal les épaules pour tenter d'avoir une allure un peu moins pitoyable. Même s'il avait envie de se terrer dans un trou.
Ron arriva quelques minutes plus tard, l'air plus réveillé et affamé. Il s'assit à la place libre laissée à côté de Neville et se jeta sur le petit déjeuner, comme tous les matins. Il ne semblait absolument pas perturbé par l'ambiance qui se faisait de plus en plus tendue à mesure que la rumeur continuait de se répandre entre les différentes Maisons.
Ginny lui suivit de peu et s'installa en face de Neville, lui offrant un sourire encourageant accompagné d'un clin d'œil qui lui réchauffa le cœur.
Finalement, personne ne vint lui poser de questions directes, à son grand soulagement. Il n'aurait pas su le gérer si ça avait été le cas. Qu'est-ce qu'il aurait pu répondre en plus ? « Oui, j'aurais peut-être pu correspondre à cette prophétie, d'ailleurs elle existe bien, je l'ai vue. Mais bon, regardez-moi, on n'a aucune chance de vaincre si c'est vrai ! »
Hermione l'aurait sûrement démoli s'il avait dit ça à voix haute. Parait-il qu'il devait prendre confiance en lui… Ce n'était pas si facile ! Il n'avait pas l'intelligence de la jeune femme après tout.
Neville glissa un regard à Ron qui s'était immobilisé, les yeux perdus dans le vide et les sourcils froncés. Neville avait appris à reconnaître les moments d'intense concentration de son camarade. Il savait qu'il était en ce moment même en train de réfléchir à son fameux plan.
Le plan qui impliquait le talent de Neville au même titre que les autres.
Un gain de courage s'insuffla dans le cœur de Neville qui se prit à sourire. Il se sentait un peu plus léger à la pensée que Ron comptait sur lui, un peu plus confiant également.
Oh, il ne serait sans doute jamais le Sauveur charismatique et puissant comme l'avait été Dumbledore ou même Harry dans son genre, mais il pourrait peser lui aussi dans cette guerre.
En tout cas, il fera de son mieux pour que cela arrive !
.
Depuis que Slugorhn avait remplacé Rogue, Neville s'était légèrement amélioré durant les cours de potion. Il ne fit pas de miracle juste parce que sa plus grande peur était absente, mais il lui sembla tout de même que sa préparation était moins ratée que d'ordinaire. Il s'en contenta.
Les autres cours se passèrent sans accroche, de même que le repas de midi. Vint enfin la fin de la journée, et avec elle une nouvelle réunion de l'AD.
Neville, qui avait fait un détour aux serres pour discuter avec la professeure Chourave après son dernier cours, dut presser le pas pour ne pas arriver en retard. Beaucoup de membres étaient cependant déjà présents quand il ouvrit la porte.
Contrairement à ce qu'il s'était passé dans la Salle Commune ce matin, cette fois, tout le monde avait envie de lui parler :
— Alors Neville !
— C'est vrai ce qu'on raconte ?
— La prophétie existe ou pas ?
— Harry t'en avait parlé ?
— Comment tu pourrais vaincre Voldemort ?
— Est-ce que tu as un pouvoir caché ou quelque chose comme ça ?
Neville bégaya quelque chose comme « heu, quoi, je, enfin… », et jeta un regard alarmé à Hermione pour qu'elle vienne le sortir de là. Ce fut cependant une nuée de chauves-souris en furie qui dispersa la foule, avant qu'une Ginny irritée ne se place devant Neville, les poings sur les hanches.
— Non, mais vous êtes sérieux ? Qu'est-ce qui vous prend de vous jeter sur lui comme ça ?
— Ben, marmonna Colin en tentant de détacher une bête enchantée de ses cheveux. C'est qu'on voudrait savoir…
— Il y a d'autres façons de demander !
Il baissa la tête alors que les chauves-souris se dissipaient en fumée.
Neville posa une main sur l'épaule de la jeune fille pour la remercier, puis décida d'avancer d'un pas et de faire face, même s'il restait terrifié. En parlant une fois maintenant, peut-être n'aurait-il plus besoin de le faire avant un moment.
— J'ai découvert la rumeur en même temps que vous, ce matin. Je n'ai pas entendu la prophétie en entier, juste des bribes. La personne à l'origine de la rumeur doit sûrement être plus au courant que moi.
— Donc la prophétie existe bel et bien ? demanda Justin en écarquillant les yeux.
— Oui. C'est à cause d'elle que Ginny, Ron, Hermione, Luna, Harry et moi étions au Ministère de la Magie cet été. Là où Harry a été kidnappé.
Un mouvement agita les adolescents en face de lui. Ils avaient beau déjà être au courant de ce qu'il s'était passé puisque Neville avait fait une explication complète lors de la première réunion de l'AD, le sujet restait encore délicat à aborder. Il s'agissait tout de même de la disparition de Harry Potter, le Survivant, celui dont tous ceux ayant grandi dans une famille sorcière avaient entendus des histoires depuis leur plus tendre enfance.
— Je n'ai en revanche aucun pouvoir mystérieux permettant de vaincre Voldemort.
— Bien sûr que si.
Surpris, il tourna la tête vers Luna, comme l'ensemble des membres de l'AD.
La Serdaigle était assise sur une table, à côté de Ron qui se tenait debout et la dévisageait avec un sourire en coin, comme s'il avait une idée de ce qu'elle allait ajouter.
— De quoi parles-tu, Luna ? demanda Hermione.
— Voldemort est sans doute très fort, mais il est aussi très seul, expliqua la blonde qui jouait avec ses boucles d'oreille en bouchon de liège. Il n'a aucun ami. Neville, lui, a toute l'AD avec lui.
— L'AD ? répéta Ernie en se passant une main nerveuse sur la nuque. C'est bien beau, mais on n'est que des adolescents de premier cycle…
— Vraiment ?
La question avait été posée avec tant de naturel qu'elle mit le doute au Poufsouffle. Comme pour appuyer les propos de Luna, Ron avança de quelques pas, les mains négligemment glissées dans les poches.
— Justement, mon plan consiste à faire de vous quelque chose de plus que de simples adolescents de premier cycle. Je vous ai parlé du plan, n'est-ce pas ?
Il y eut quelques hochements de tête autour de lui, et Neville lui laissa la place au milieu de la pièce.
— C'est vrai que pour le moment, la plupart d'entre vous n'ont qu'un niveau légèrement supérieur à la moyenne. Mais…
Il se tut alors que la porte de la Salle sur Demande s'ouvrait de nouveau. Les derniers retardataires s'empressèrent de rejoindre le groupe. Il y avait Malfoy parmi eux, l'air contrarié comme à chaque fois que Neville le voyait. Ce garçon savait-il seulement sourire ? Fred et George avaient décidément de drôles de goûts…
— Comme je le disais, pour l'instant vous avez un niveau moyen, mais avec Hermione, on vous a à chacun concocté un programme d'entraînement personnalisé pour exploiter au mieux vos facilités. Tout a été réfléchi en fonction de vos résultats dans les différentes matières et de ce qu'on a pu observer chez vous pendant les cours.
Hermione se mit justement à passer entre les rangs pour distribuer des parchemins. Les membres présents lurent leur programme avec surprise. Même Malfoy en avait un, ce qui ne sembla pas l'étonner plus que cela.
— Vous êtes presque tous en équipe avec des personnes partageant vos affinités magiques. Pendant les séances de l'AD, entraînez-vous ensemble pour développer vos talents. Pour ceux qui ont un talent « unique », vous pouvez soit vous entraîner seuls, soit demander de l'aide à des élèves plus âgés, à Hermione ou à Draco…
Il ne put pas aller plus loin que le Serpentard l'interrompait :
— Excuse-moi, j'ai mal entendu ?
Son ton était glacial, mais il se heurta au sourire assuré de Ron.
— Tu as bien entendu. Puisque tu fais partie des meilleurs de la promotion et que, comme Hermione, tu es bon à peu près partout, on compte sur toi pour donner un coup de main aux autres.
Malfoy semblait hésiter entre se sentir flatté ou offusqué. Finalement, il se contenta d'un « hmf » et n'insista pas davantage. Ron reprit :
— Une fois par semaine, le dimanche, nous organiserons des duels entre les différents groupes, dans un premier temps, puis en formant des équipes mélangeant les talents. Il faut donc que vous développiez autant vos attaques que vos défenses, comme votre programme vous le propose. Est-ce que vous avez des questions ?
Il y en eut quelques-unes, mais très vite, chacun voulut se lancer dans les fameux entraînements et se dispersa à travers l'immense pièce. Malfoy était resté immobile, les bras croisés sur son torse. Comme Ron discutait avec Hermione et Ginny, Neville se décida d'aller lui-même vers le Serpentard. Malfoy lui jeta un regard méfiant, comme s'il s'attendait à ce que Neville lui dise une vacherie.
Ce n'était pas son genre, il préférait généralement se montrer cordial et à l'écoute… Seulement, Malfoy n'avait ni envie ni besoin qu'on l'écoute. Il aurait eu besoin de Harry pour le provoquer, hélas, Harry n'était pas là pour cela non plus…
Neville aurait bien été incapable de prendre la place de « rival de la fouine », comme beaucoup d'autres choses. Il savait cependant provoquer de façon plus subtile, surtout ceux avec un ego disproportionné :
— Tu as du mal à te mêler aux autres ? Peut-être que tu as besoin d'aide pour que je te présente auprès de ton groupe et…
— Je n'ai pas besoin de toi, Londubat ! cracha Malfoy en décroisant les bras.
Sur ce, il se détourna et rejoignit le groupe des « sortilèges de précision », où Luna l'accueillit d'un air ravi et rêveur.
Bien, une bonne chose de faite.
Finalement, Neville pourrait peut-être aider l'AD à fonctionner comme Harry avant lui.
En attendant qu'il revienne.
