TU PEUX TOI AUSSI COMMANDER TA FICTION

Oui tu peux toi aussi commander une fiction en te rendant sur notre histoire "Commandes de fictions" ou sur notre forum, et review le mois en cours !


Hé ! Bien le bonjour (ou le bonsoir) à toi qui arrive sur cette histoire ! Amekind nous a demandé "Madame de Réan survit au naufrage."

Marina Ka-Fai, une des auteurs de notre collectif, a décidé répondre à cette commande.


Disclaimer : Les Malheurs de Sophie est l'oeuvre de la Comtesse de Ségur et son adaptation télévisuelle de 1998 à Bernard Beryiès.

Résumé : C'est un rêve... C'est un miracle... Et pourtant, c'est bien elle [Les Malheurs de Sophie]

Le miracle américain

Les côtes américaines, enfin! Ce cauchemar touche à sa fin, si tant est qu'il puisse réellement s'achever... Henri de Réan comme sa fille sont encore hantés par les cris de leurs proches disparus en mer, par la vision de Catherine tendant la main vers eux en hurlant le prénom de la fillette... La terre ferme, loin du roulis, des vagues, le temps de panser leurs blessures, leurs coeurs, de se remettre. Ils descendent. Non loin, une calèche les attend, une dame observant les alentours. Grande, robuste, les cheveux ayant la couleur du sable de la Normandie, elle leur sourit en les voyant arriver.

-Monsieur de Réan? Mademoiselle Sophie? Demande-t-elle dans un français parfait même s'ils entendent un léger accent américain. Je suis Fedora Fichini.

L'homme, galant malgré sa peine, la salue avec les égards qui lui sont dus.

-J'ai entendu parler de cet horrible naufrage... Mais je pense avoir quelque chose pour vous réconforter.

La porte du véhicule s'ouvre... Le noble a un hoquet de stupeur alors que sa fille se précipite vers la passagère.

-Maman!

C'est un rêve... C'est un miracle... Et pourtant, c'est bien elle! C'est Catherine! Pâle, légèrement amincie, mais c'est bien elle! Ses cheveux d'ébène, ses yeux émeraude, sa peau d'ivoire...

-Sophie!

Elle s'agenouille, enlace son enfant.

-Madame de Réan a trouvé la force de s'accrocher à un morceau de son canot de sauvetage et a été repêché par un bateau de pêche. Explique l'américaine

Monsieur de Réan observe son épouse. Sa tendre compagne semble comprendre cette question qu'il n'ose pas poser: non, sa chère soeur et son beau-frère d'Aubert n'ont pas survécu. Oh Seigneur, sa soeur, son beau-frère et surtout le petit Paul!

-Venez, rentrons à la plantation, vous devez être épuisés!


-Je vous aime de tout mon coeur, Catherine.

Henri embrasse la joue de sa femme avant de la laisser finir son petit-déjeuner: les papiers de feu Monsieur Fichini ne peuvent pas attendre. Mais après la peur indicible de l'avoir perdue à jamais, il s'est juré et a juré devant Dieu qu'il ne se passerait plus un jour sans qu'il ne dise à son épouse les sentiments qui animent son âme. Il salue leur hôtesse, sa petite Sophie et s'en va.

-Maman, j'ai fini de manger, puis-je aller jouer dans le jardin?

-J'aimerais que tu restes à l'intérieur, Sophie. Il fait frais aujourd'hui. Profite de cet instant pour parfaire ton anglais. Mademoiselle Fedora a eu la gentillesse de te prêter des livres pour enfants.

Si elle est déçue, l'enfant acquiesce et s'excuse. Fedora la regarde partir.

-J'avoue vous envier, Madame. Dit-elle

-Vous ne diriez pas la même chose si vous aviez à élever Sophie. Plaisante la française

-Est-ce une méchante petite? Elle a l'air adorable.

-Aucun enfant n'est méchant. Sophie a un caractère sensible, espiègle mais aussi assez difficile. Il me faut beaucoup de patience.

Elle constate comme un trouble dans le regard de l'orpheline.

-En tout cas, je maintiens mes mots: je vous envie. Vous êtes mariée à un homme qui vous vénère et vous avez une famille. Je n'ai plus personne. A nouveau.

-Vous nous avez, Mademoiselle.

La noble sourit à l'américaine.

-Mon mari ne vous laissera pas sans rien. C'est pour cela aussi que les papiers prennent tant de temps: il veut que vous soyez à l'abri et surtout, il ne veut pas que vous vous retrouviez esseulée.

La lèvre de Fédora tremble.

-Vous faites là bien plus que mon propre père...

Elle sèche ses yeux avec son mouchoir brodé.

-Ne croyez pas que je suis ingrate. Il m'a sauvée de la misère : je mourrais de faim. Il m'a donné un toit, une instruction, de l'amour aussi. Mais il ne m'a jamais officiellement adoptée. Et aujourd'hui, il ne me laisse rien... C'est votre mari qui hérite s'il accepte de prendre son nom de famille. Si vous avez un fils, il sera un Fichini de Réan.

-Et nous cherchons un moyen de vous inclure. Nous faisons le plus possible, Mademoiselle. Il serait inique de vous abandonner et je vous admire.

-Vous? Vous m'admirez?

Catherine lui sourit.

-Vous nous accueillez avec gentillesse et dignité malgré les circonstances. Nous sommes des étrangers, des légataires, vous auriez pu nous voir comme des voleurs. Au contraire, vous nous accueillez avec beaucoup de droiture.

C'est la première fois, réalise Fedora, que quelqu'un la complimente réellement.


-Je vous ai déjà dit, Mademoiselle, que je ne voulais pas vous voir traîner dans les cuisines.

-Mais pourquoi? Je le faisais au château de Réan!

La mâchoire de Fédora se serre.

-Sophie. Reprend Catherine

La fillette a toute son attention.

-Nous ne sommes pas à Réan, ici. Nous sommes chez Mademoiselle Fichini. Vous devez vous plier à ses règles. Si elle vous demande de ne pas aller dans les cuisines, vous n'avez pas à vous y rendre. D'ailleurs, je n'aime guère votre attitude envers elle. Nous lui devons le respect. Excusez-vous auprès d'elle.

Sophie boude.

-Ne me forcez pas à sévir, Mademoiselle. La menace l'adulte

Contrite, la fillette finit par marmonner des excuses.

-Filez dans votre chambre, Mademoiselle. J'entends bien que votre humeur soit dissipée pour le dîner.

L'enfant part, les deux jeunes femmes sortent dans les jardins.

-Je suis sincèrement navrée pour Sophie, Mademoiselle Fichini.

-Fedora. Appelez-moi Fedora.

-Si vous m'appelez Catherine.

Elles déambulent dans les plants de piments.

-Je vous remercie, Catherine.

Surprise, la française demande pourquoi.

-Pour votre respect envers moi. Demander à votre fille de respecter ma demande, c'est me respecter. Alors que cette maison sera sans doute la sienne un jour, à moins que Dieu ne vous donne un fils.

-C'est bien normal.

Peut-être pour elle.

Pas pour l'américaine.

Pour une fois, on la respecte pour elle et non parce qu'on la craint.


-Vous rendez-vous compte de l'effroi que vous m'avez causé, Mademoiselle?!

Sophie rentre la tête dans les épaules, une sueur froide coulant dans son dos. Il est rare que sa maman crie. Hausser le ton, la gronder, oui mais pas ces hurlements qui semblent à l'opposé de sa personnalité. Cet après-midi, avec Mademoiselle Fedora, elles se promenaient dans les rues de la ville. L'américaine souhaitait faire rencontrer à sa visiteuse ses amis, pourquoi pas organiser un bal ou réussir à l'insérer dans une petite coterie, surtout qu'elles sont là pour au moins deux années. S'ennuyant, la fillette regardait les alentours et avait aperçu un petit garçon au pantalon brun et à la veste bleue. Le coeur battant, elle s'était précipitée, croyant alors reconnaître son cher Paul. Elle avait ignoré tous les dangers autour d'elle, le fait qu'elle avait failli se faire écraser par une calèche. Cela lui aurait pourtant moins de mal que les bris de son âme quand elle avait réalisé que l'enfant face à elle n'était pas son cousin.

-Vous auriez pu être blessée! Ne réfléchissez-vous donc jamais?!

-Je suis désolée, Maman... Il y avait de l'autre côté de la rue un petit garçon, il ressemblait à Paul, alors j'ai cru que c'était lui...

Pourtant, ses paroles ne la calment pas.

-Votre cousin est mort, Mademoiselle!

Ce n'est pas sa maman. Ca ne peut pas être sa maman...

-Mort, vous entendez?! Votre cousin, que j'aimais comme mon propre fils, est mort! Il faut que vous l'acceptiez! Nous ne le reverrons jamais plus!

Sentant que cela va s'aggraver, Fedora sonne Yvonne et lui ordonne d'emmener Sophie dans sa chambre, il va être bientôt l'heure du goûter après tout et il lui faut se changer. Une dame respectable se change pour le thé. Une fois seules, elle incite son amie à s'asseoir. Son amie, oui. Elle en vient à la voir comme une amie.

-Que Dieu me tue sur le champ pour ma mauvaise pensée! Sanglote la mère

Son interlocutrice lui tend un mouchoir.

-J'aime ma Sophie, de tout mon coeur. Je mourrai pour elle, je tuerai pour elle! Mais Dieu du Ciel, combien cette enfant m'éprouve!

-Est-ce là une mauvaise pensée?

-J'ai eu envie de la frapper...

Fédora soutient son regard.

-Vous auriez pu.

Catherine se fige.

-C'est ainsi que l'on élève les enfants. Il n'y a guère de meilleurs maîtres que le fouet.

-Fédora... est-ce ainsi que vous avez été élevée?

-Par mes premiers parents comme par mon père par la suite, oui. J'estime avoir fort bien grandi.

-J'ai été battue, moi aussi, enfant.

La française regarde ses mains.

-J'étais pourtant une enfant sage, si sage, à l'instar de mon pauvre Paul disparu... Je n'en ai retenu que mon impuissance face à cette injustice et je me suis jurée de ne jamais le faire sur mon enfant. Un adulte qui frappe un enfant, à mes yeux, c'est profiter de l'autorité naturelle que l'on a sur lui. Je ne doute pas que certains parents pensent bien faire en agissant ainsi...

L'américaine pose sa main sur son épaule.

-La bienveillance a-t-elle un jour fonctionné avec Sophie?

-Sophie n'est guère mauvaise et a un très bon fond. C'est juste que la bienveillance doit se coupler à la patience et je crains ne pas en avoir assez... Je m'en veux profondément mais par moment, j'ai souhaité qu'elle soit plus comme son cousin ou comme ses amies, les filles de Fleurville, avant de le regretter : le Ciel m'a donné Sophie et non ces enfants. C'est mon devoir de l'aimer pour elle.

-Alors vous êtes une bien meilleure personne que toutes les américaines de notre bonne société, Catherine.


Pour les médecins, c'est un miracle. Il n'y a pas d'autres explications: l'amour de sa femme aura guéri Henri, lequel ne tousse plus alors que ses poumons semblaient sérieusement atteints. Le séjour en Amérique se termine. Fédora l'admet: ils vont leur manquer. Surtout Catherine. Elle est devenue, au fil des jours, la soeur qu'elle n'a jamais eue et elle réalise que ses paroles trouvent un écho en elle :

On ne frappe pas un enfant.

Et elle n'avait jamais mérité de se faire battre.

On n'élève pas un enfant avec une cravache.

-Mademoiselle Fichini. Dit Monsieur de Réan. Je tenais à vous informer que la maison est à vous.

La jeune femme est confuse.

-Mon épouse et moi avons discuté. Vous avez grandi ici. Il serait inique de vous arracher votre foyer une seconde fois. Si j'ai accepté l'héritage de votre père, j'ai fait les documents légaux pour dire que je vous cède la plantation et ses revenus, afin que vous soyez assurée d'avoir un revenu et un toit. Et si vous veniez à avoir des enfants, la plantation passerait à vos enfants.

Des larmes brillent dans ses yeux.

-Et si je n'en ai pas, alors la maison et les revenus reviendraient à Sophie, à ses enfants ou à votre fils si vous en avez un.

-Exactement.

-Il faudra venir nous voir en France, Fédora. Ajoute Catherine. Nos familles sont désormais soeurs. Je tiens à vous rendre la pareille, vous devez découvrir la normandie!

Des inconnus qui la protègent plus que ses parents.

Non, décidément, le sang ne fait pas la famille.


Le couple de Réan n'aura jamais d'autres enfants.

Fédora viendra visiter la Normandie et s'y installera définitivement : son coeur se brisait à l'idée de se séparer une nouvelle fois de sa bonne amie. Si elle ne se maria jamais, elle finit par sincèrement aimer Sophie et à la voir comme sa propre fille, constatant son changement, sa maturité et surtout la véracité des propos de Catherine:

Pour grandir, un enfant a besoin de bienveillance et de patience.

Madame de Fleurville l'aura grandement aidée, surtout lorsque Monsieur de Réan devait repartir à Paris pour ses affaires puis pour le retour miraculeux de son neveu. D'ailleurs, voir l'amour unissant Paul aux Rosebourg, la manière dont il n'était guère vu différemment de Marguerite, confirma définitivement les pensées de l'américaine : ses parents avaient fait de leur mieux. Mais sous aucun prétexte ils n'auraient dû lever la main sur elle. Son père adoptif n'aurait jamais dû lui faire sentir son adoption comme une arme contre elle quand elle faisait une bêtise.

Elle aura la joie d'assister aux noces de son héritière avant de mourir peu après, d'une courte mais pénible maladie.

La Normandie pleurera son américaine excentrique.

Le premier enfant de Sophie et de Jean sera prénommée en son honneur.

FIN