Bonjour !
J'avais envie de me défouler et de m'amuser alors j'ai écrit cette petite fic. Au départ je me suis dit que j'allais faire un OS, mais comme d'hab, j'ai tendance à faire plus long que prévu, alors je préfère faire plusieurs chapitres, et je pose déjà ça là. C'est ma première histoire dans ce fandom ^^
Si quelqu'un qui suit mes autres fics passe ici, oui oui j'ai prévu de les reprendre ! Juste passé des mois difficiles alors j'y vais à mon rythme :)
Enjoy !
Personne n'avait prévenu Cloud que ce serait aussi difficile d'être adulte. Plus jeune, il voyait bien les adultes afficher des cernes terribles et des mines abattues, mais il pensait que c'était parce qu'ils étaient aigris et qu'ils aimaient se plaindre pour tourmenter les gens qui avaient l'outrecuidance d'être heureux.
Maintenant, Cloud était adulte. Quoique certaines personnes, Aerith en tête, persistent à croire le contraire. Et maintenant, lui aussi avait des cernes terribles et la mine abattue. Ce que ne manquait pas, d'ailleurs, de lui faire remarquer quotidiennement la même Aerith, qui ne voyait clairement pas que ces stigmates étaient bien la preuve de son irrémissible vieillissement.
Cloud était stressé. Terriblement, bêtement, désespérément stressé. Un an qu'il n'avait pas pris de congés, et quand il avait finalement osé poser des vacances, il avait été malade tout du long. Il revenait au travail dans un état plus lamentable encore, déprimé, la tête à l'envers, l'estomac de travers, les idées noires pullulant dans son esprit, qui semblait ne plus vouloir s'attarder sur la moindre chose qui lui faisait plaisir avant.
Bien sûr, sa patronne – Aerith, qui d'autre, le fléau de son existence – n'était pas étrangère à son mal-être. Elle lui demandait des choses aussi réalistes que de tracer des lignes parallèles perpendiculaires, et pour hier, bien entendu. Il avait demandé une promotion et avait récolté une baisse de salaire, il se sentait seul au monde et misérable, et son seul refuge était le bar où travaillait sa meilleure amie Tifa, le Septième ciel, bien qu'il y vide trop de pintes pour espérer dissiper les nuages noirs s'étant abattus sur sa vie.
Ce matin-là, c'était donc la mine basse, son attaché-case pesant au bout de son bras comme s'il contenait tous les malheurs du monde, que Cloud franchit la porte tournante des locaux de son entreprise. Sur le chemin de son bureau, il traîna des pieds sur la moquette terne dont on avait tapissé les locaux sans doute dans l'unique but d'enlaidir un peu plus la vie des employés. Puis, il s'assit à sa place dans l'open space, alluma son ordinateur et posa son casque sur ses oreilles afin de s'isoler des va et vient de ses collègues et se donner un peu de force morale avec une musique épique qui lui donnait l'impression d'être un héros de fantasy. Et il se plongea dans son travail en espérant que s'il restait concentré, la journée passerait plus vite.
Il semblait que c'était son jour de chance, car personne ne vint le déranger de toute la matinée. Alors que son estomac commençait à se manifester, il s'étira et pensa au petit réconfort de son déjeuner soigneusement empaqueté dans son bento. Il n'était pas un grand cuisinier, mais il se débrouillait, et il essayait de garder une alimentation équilibrée afin de ne pas empirer davantage son moral en berne en y ajoutant la totale décrépitude physique. Il se pencha pour saisir le bento dans son attaché-case, et quand il releva la tête, une silhouette attira son regard. C'était un homme qu'il n'avait jamais vu, grand, élancé, une longue chevelure noire impeccablement peignée et un costume noir d'une élégance qui lui fit aussi regretter de ne pas avoir choisi lui-même une tenue plus ajustée. De dos, l'homme se dirigeait d'un pas serein et léger vers le bureau d'Aerith, ce qui intrigua immédiatement Cloud, qui voyait mal comment on pouvait rendre visite au diable en personne avec un tel détachement.
« T'as vu un fantôme ?! » La grosse voix et le coup de coude douloureux l'informèrent que Barret avait repéré son petit manège. Il soupira imperceptiblement et se tourna vers son collègue qui était si massif que son siège le contenait à peine. Cloud aimait bien Barret, mais se gardait bien de le lui dire : il avait peur d'avoir droit à une effusion sentimentale et finir étouffé entre des pectoraux et des biceps en béton armé. Car Barret était émotif, et tous les muscles de son corps semblaient créés pour exhiber en fanfare toutes ces émotions, que ce soit la joie, l'amour ou la colère, la Sainte Trinité de Barret.
« Tu le connais ce type ? demanda Cloud.
— Quel type ? »
Cloud regarda de nouveau, mais l'homme avait disparu.
« T'as une petite mine, Cloud. Je parie que t'as encore sauté le petit-déjeuner et bu un coup de trop chez Tifa. »
Cloud ne daigna pas répondre à ces accusations et ouvrit son bento d'un air pincé.
« Tu devrais faire du sport, ça défoule, continua Barret.
— Mais je fais du sport, protesta Cloud.
— Vraiment ? Ça se voit pas, Cloud. Il faut y mettre plus de cœur, l'informa gravement Barret.
— Toi, tu y mets tellement de cœur que t'as doublé de volume. C'est pas normal d'être foutu comme toi.
— Tu m'insultes, là ?! »
Cloud ne répondit pas, et Barret renonça à le tancer pour s'intéresser à son propre déjeuner.
Tandis que Cloud mastiquait son repas d'un air morne en regardant un zapping du web, il se figea soudain, les baguettes à mi-chemin entre son bento et ses lèvres entrouvertes. L'inconnu de tout à l'heure venait de réapparaître, de face cette fois. Son esprit se vida instantanément de toute pensée tandis que ses yeux s'agrandissaient dans la stupeur. L'homme n'était pas simplement beau, il était à tomber. Son regard croisa le sien, et un léger sourire retroussa le coin gauche de ses lèvres. Ce fut à ce moment que la boulette de riz pleine de sauce quitta ses baguettes pour s'écraser sur son pantalon de costume bleu clair. Cloud lâcha un juron entre ses dents et prit une serviette en papier pour faire disparaître la tâche, et quand il releva les yeux… l'inconnu avait disparu. Cloud se leva comme dans un rêve pour partir à sa recherche, et il finit par arriver hébété devant l'entrée vitrée, où il eut juste le temps d'apercevoir une haute silhouette habillée de noir se fondre parmi les passants. Il cligna des yeux, doutant de la réalité de ce qu'il venait de vivre. Certainement, des créatures étourdissantes comme ça n'existaient que dans ses fantasmes. Pas vrai ?
« Bah alors, qu'est-ce qui te prend ? »
Barret, encore. Le contraste entre cette vision paradisiaque et la grosse voix de son collègue irrita Cloud qui fronça les sourcils et émit un grognement bref en guise de réponse. Cependant, il eut envie de s'assurer qu'il n'avait pas rêvé, et demanda :
« Tu l'as vu ?
— Qui ?
— Cet homme en noir qui est passé voir Aerith et qui vient de repartir…
— J'ai vu personne. »
Barret fit pivoter Cloud à l'aide de sa grosse patte et planta ses yeux dans les siens.
« Tu commences à m'inquiéter. Peut-être que tu devrais rentrer chez toi te reposer.
— Je vais bien », mentit Cloud.
Son collègue soupira, et, sa grosse patte toujours posée sur lui, le poussa en direction de l'open space.
Cloud fut incapable de se concentrer de tout l'après-midi. Il n'arrêtait pas de repenser au visage de l'homme qu'il avait croisé plus tôt. Ses yeux en amande, d'un brun légèrement rougeoyant, nichés sous de longs cils fournis, le fixaient en permanence, et son sourire mystérieux lui collait des frissons fiévreux. Peut-être que Barret avait raison et qu'il ferait mieux de rentrer se reposer. Au lieu de ça, dès que les aiguille de l'horloge indiquèrent 17h, il s'enfuit pratiquement pour aller tout droit au Septième ciel.
L'intérieur chaleureux tout en boiseries l'accueillit comme presque tous les soirs avec ses lumières tamisées, son vieux jukebox, et la barmaid qui lui adressa un sourire depuis l'autre côté du bar. Il vint s'asseoir au comptoir et elle lui servit sa bière habituelle.
« Comment ça va Cloud ? »
Il espéra qu'elle n'allait pas imiter Barret et lui dire qu'elle avait une petite mine, d'autant qu'elle le scrutait d'un air inquisiteur.
« Ça va », répondit-il laconiquement comme à son habitude.
Il avait un peu envie de lui parler de sa rencontre d'aujourd'hui, mais pour dire quoi ? Qu'il avait été obsédé toute la journée par un homme croisé une demi seconde à midi ? Même si cet homme lui avait souri, ce qui jouait quand même en sa faveur, non ? C'était normal qu'il soit un peu secoué. D'autant que ce n'était n'importe quel homme, c'était le plus beau qu'il ait jamais vu ! Il fronçait les sourcils dans une intense réflexion et Tifa l'observait, accoudée au bar, sans rien dire, apparemment amusée par son petit débat intérieur. Il décida de ne rien dire. Il lança un autre sujet, et les deux amis discutèrent un moment de tout et de rien. C'était réconfortant d'entendre le rire de sa meilleure amie et de profiter du calme et de la bonne musique de l'endroit. Un peu de beauté et de bien-être dans son quotidien, et une bonne façon pour lui d'oublier sa journée de boulot. Cependant, Cloud décida de ne prendre qu'un seul verre et de rentrer chez lui. Il avait besoin de sommeil.
« Tu viens samedi pour l'anniversaire de Jessie ? » demanda Tifa alors qu'il se levait pour partir.
Il fronça les sourcils. Il n'aimait pas trop Jessie. Trop bruyante et… affectueuse. Physiquement. Il avait horreur de ça et il avait pratiquement peur d'elle. Mais Tifa l'aimait beaucoup et il savait que ça lui ferait plaisir qu'il vienne, alors il s'obligea à hocher la tête.
« Je pense, oui. »
Des mots qu'il regretta instantanément, mais tant pis, peut-être qu'il trouverait une excuse d'ici samedi.
Les mains enfoncées dans ses poches, il prit le chemin de son appartement, ses pensées se remettant rapidement à dériver vers son bel inconnu. Il soupira, c'était stupide d'y accorder autant d'importance, et de toute façon, il ne le reverrait probablement jamais. Cependant, il devait bien admettre au fond de lui qu'aussi insensée que soit cette petite obsession basée sur un rien du tout, il aimait ce que ça lui faisait éprouver. Ça faisait longtemps que rien n'avait retenu son attention de cette manière, stimulé son imagination… et sa libido, il fallait l'avouer. Il se prit à espérer : s'il s'était rendu à Gainsborough Inc., c'était peut-être pour le travail ? Peut-être qu'il reviendrait, alors ?
Cette nuit-là, des yeux de braise et un sourire mystérieux hantèrent les rêves de Cloud, qui faillit ne pas entendre son réveil. Il se traîna dans la salle de bain et s'examina d'un air critique dans le miroir. Il tenta de discipliner les piques blonds de sa chevelure en se disant qu'il aurait bien besoin d'une coupe de cheveux, ce qui lui fit immédiatement penser aux longs cheveux noirs lisses et miroitant comme du satin de l'inconnu de la veille. Et il se demanda bêtement si ce dernier avait trouvé qu'il était mal coiffé. Il passa une bonne vingtaine de minutes à tenter de faire quelque chose de passable de sa coiffure, mais pas moyen de faire entendre raison à ces stupides cheveux qui s'obstinaient à se dresser dans des directions aléatoires. Il soupira et abandonna la bataille : il allait être en retard au travail.
Dans la matinée, il oublia rapidement sa petite obsession, car il devait participer à une réunion pour dresser le bilan d'un dossier sur lequel il avait travaillé avec Barret. Comme c'était ce dernier qui se chargeait de la présentation orale, il n'était pas trop stressé. Mais il savait qu'Aerith ne manquerait pas de les critiquer avec un sourire innocent, tout en les insultant sous le voile de gentilles taquineries. La mort dans l'âme, il emboîta le pas à Barret jusqu'à la salle de réunion, et s'assit dans l'ombre de son collègue en espérant se faire oublier. Comme prévu, il passa un moment affreux.
« Tu devrais faire la présentation la prochaine fois, Cloud, le réprimanda Aerith tous sourires. On n'entend jamais ta voix ! Je sais pourtant qu'elle est charmante ! » Elle accompagna cette remarque fort malvenue d'un petit clin d'œil, et Cloud contracta la mâchoire en gardant un silence obstiné. Elle aimait le pousser dans ses retranchements. Au dernier voyage d'entreprise pour faire du « team-building », elle l'avait même forcé à danser et applaudi comme s'il était Rihanna, alors qu'il savait pertinemment qu'il s'était ridiculisé. La prochaine fois, il essaierait de se donner une intoxication alimentaire pour échapper à ses machinations diaboliques.
Ce fut donc avec de sombres pensées en tête qu'il rejoignit son bureau, soulagé au moins d'en avoir terminé avec la réunion. Il eut à peine le temps de se remettre de ses émotions, cependant, quand une voix modulée au timbre grave surgit dans son dos.
« Monsieur Strife ? »
Il se retourna et se retrouva nez à nez avec l'homme de la veille. Il ouvrit la bouche pour parler, mais aucun son n'en sortit. Il regarda autour de lui, comme pour vérifier s'il était le seul à voir cette apparition. Mais comme l'homme ne s'en allait pas et continuait de le regarder patiemment, la tête légèrement penchée de côté dans l'attente de sa réponse, Cloud se ressaisit et retrouva l'usage de ses cordes vocales pour murmurer un pitoyable : « Euh… Oui.
— Parfait. Je suis votre nouveau manager. Vous pouvez m'appeler Tseng. »
Cloud savait très bien qu'il devait ressembler à un poisson hors de l'eau, mais il avait momentanément perdu le contrôle de sa mâchoire qui s'obstinait à s'ouvrir et à se refermer. Aucune pensée cohérente ne parvenait à éclore dans son esprit en surchauffe, et encore moins une phrase sensée à donner en réponse. Comme la veille, le coin droit des lèvres de Tseng se releva en un sourire discret. Cloud parvint à s'arracher à l'emprise de ses yeux et s'attarda sur le reste de sa personne dans l'espoir idiot de retrouver sa capacité à s'exprimer. Il remarqua alors un détail étrange : l'homme portait des gants. Des gants noirs. Cloud se demanda aussitôt à quoi ressemblaient les mains qu'ils dissimulaient de manière si élégante. En revenant sur son visage, il nota aussi les boucles d'oreille discrètes et l'étrange point ovale entre ses sourcils, un peu comme celui que portaient les Indiennes mariées. Mais Tseng n'était ni indienne, ni mariée. D'ailleurs, c'était un homme. Mais peut-être qu'il était indien après tout.
Cloud se secoua pour échapper à ses réflexions ridicules, et enfin, il parvint à dire quelque chose.
« Enchanté. Bienvenue. »
Le sourire de Tseng s'agrandit légèrement, et il s'inclina avec politesse.
« Merci. Je suis certain que nous ferons du bon travail ensemble. »
Du travail ? Mais de quoi est-ce qu'il parlait ? Oh… Oui. Manager. Il avait dit qu'il était manager. Mais comment est-ce que Cloud pouvait travailler avec un incube en guise de manager ?! La panique commença à monter en lui, son cœur tambourinant contre ses côtes tandis que la sueur froide dans son dos collait sa chemise à sa peau.
« Vous vous sentez bien, monsieur Strife ? »
Cette manière délicate de prononcer son nom…
« V-Vous… Vous pouvez m'appeler Cloud », balbutia-t-il.
Il se sentit soudain très conscient de sa coiffure en bataille, de son costume trop grand, de ses joues rouges, de sa voix tremblante. Arrête ça tout de suite ! s'intima-t-il. Comme si on pouvait arrêter d'avoir l'air con en claquant des doigts !
Tseng, cependant, était trop poli pour paraître s'en apercevoir.
« J'organise une réunion avec l'équipe demain matin à 10h. Pour apprendre à nous connaître. »
Pourquoi est-ce qu'il le disait comme ça, en le fixant d'un air suggestif ?
Suggestif ? Non, Cloud déconnait dans les grandes largeurs. D'accord, ce type avait tendance à le regarder droit dans les yeux davantage que la moyenne et ses manières étaient également plus raffinées, ça ne voulait pas dire qu'il essayait de le draguer dans les premières minutes de leur rencontre. Et puis, il ne fallait pas prendre ses désirs pour des réalités, n'est-ce pas ?
Tseng tira légèrement sur l'index de son gant droit, et Cloud, croyant qu'il allait le retirer, ne put s'empêcher de le fixer, se faisant maintenant tout un fantasme des mains blanches et délicates de son manager. Mais celui-ci n'en fit rien, et se râcla légèrement la gorge. Cloud s'arracha à sa rêverie et rougit d'un degré plus foncé. Il pensa à s'excuser, puis se dit que ça équivaudrait à admettre qu'il fixait ses mains comme un obsédé sexuel, et se ravisa.
« Ne soyez pas en retard », dit finalement Tseng.
En retard ? Pour quoi ? Un rendez-vous, déjà ?
« La réunion », compléta aimablement son manager en le voyant perdu.
Oh… Bien sûr. Un rendez-vous, qu'est-ce qu'il allait imaginer… Quel crétin. C'est probablement ce qu'on graverait sur sa tombe quand sa bêtise l'aurait finalement emporté. « Ci-gît Cloud le crétin, fétichiste des mains et obsédé par son manager. » Dépité, il secoua la tête en murmurant :
« Je serai à l'heure. »
La réponse sembla satisfaire Tseng, qui s'éloigna, laissant traîner derrière lui un sillage de parfum. De l'eau de cèdre, sûrement. Un effluve piquant et entêtant qui lui parlait de nuits torrides.
Il poussa un gros soupir et se tourna de nouveau vers son bureau, regardant sans le voir le fichier ouvert sur son écran.
Il était foutu.
D'humeur peu sociable, il n'était pas allé au Septième ciel ce soir-là. Il était rentré avec un plat à emporter qu'il avait mangé devant la télé. Son petit appartement bruissait désagréablement du vacarme urbain, celui de la circulation et des voisins. Il songea qu'il aimerait vivre ailleurs, à la campagne. Mais qu'est-ce qu'il ferait ? Il avait peu d'expérience professionnelle, et puis de toute façon, il n'avait pas les fonds pour commencer une nouvelle vie. Et puis, le travail n'était plus si terrible, maintenant qu'il avait un nouveau manager, non ? Le dernier, Sephiroth, était une terreur qu'Aerith elle-même craignait. Cloud en faisait encore des cauchemars, même si la place de manager était vacante depuis des mois déjà. C'était un nouveau départ. Du moins, si Cloud parvenait à travailler en le sachant à rôder dans les parages avec ses gants sexy, ses cheveux lisses, ses yeux en amande, son sourire mystérieux et son parfum de cèdre…
Le lendemain à 9h55, Cloud était dans la salle de réunion, faisant tourner nerveusement son gobelet de café entre ses doigts. Il voulut boire une gorgée, mais c'était trop chaud et il faillit tout recracher. Ça non, il était déjà passé au pressing la veille récupérer son pantalon de costume dont il n'avait pas réussi à ôter lui-même la tache tenace provoquée par la vision de Tseng. Il n'allait tout de même pas demander une carte de fidélité à la blanchisserie. Et puis, il préférerait être à son avantage ce matin. Il avait ôté sa veste et entrouvert sa chemise blanche autant que la décence l'autorisait. Si on regardait bien, on pouvait apercevoir la naissance de ces pectoraux dont Barret niait obstinément l'existence. Bien sûr, il avait été obligé de passer sur la cravate aujourd'hui, mais la boîte n'était pas si regardante que ça pour l'exiger tous les jours. Bien qu'il aurait probablement une remarque d'Aerith à cet égard. C'était pour la bonne cause.
Ses collègues arrivèrent un à un, se disposant autour de la table ovale en bavardant comme si c'était une journée banale. C'était une journée banale, se rappela Cloud. Du moins, pour les autres. La réunion suscitait une fébrilité inquiète chez lui, un état dont il n'avait guère l'habitude, et qui lui déplaisait. Le stress qu'il éprouvait d'ordinaire ressemblait davantage à un poids mort dans sa poitrine, une lassitude généralisée, qui lui coupait l'envie de s'amuser et le rendait morose. Rien à voir avec cette émotion instable assez comparable avec ce qu'on éprouve avec une surdose de caféine. Mais il aimait l'excitation sous-jacente qui faisait battre son cœur un peu plus fort, l'impatience ravie à l'idée de revoir son nouveau manager. Quand bien même il se trouvait ridicule avec son petit coup de cœur. Coup de cœur ? Soyons réalistes, Cloud. Coup de foudre. Non, c'était exagéré. Il ne croyait pas à ces trucs-là, de toute façon. Il était juste célibataire depuis trop longtemps, voilà tout. Tseng était un homme séduisant – sublime, corrigea son inconscient –, ça n'avait rien d'étonnant qu'il en pince pour lui. Ça lui passerait probablement très vite.
« Ce nouveau, s'il est aussi con que le dernier, j'te jure cette fois, je change de taf », marmonna Barret à ses côtés.
Cloud savait que c'était faux : Barret était un père célibataire ultra dévoué à sa fille, et il ne prendrait pas le risque d'assécher sa source de revenus.
« Tu l'as vu hier, non ? Il avait l'air sympa », remarqua Cloud dans une espèce d'euphémisme honteux.
Barret se tourna vers lui d'un air curieux.
« Non, je l'ai pas vu. Il s'est présenté ? »
À Cloud, en tout cas. Avait-il été le seul ? Un délicieux frisson embarrassant le parcourut à cette idée, aussi stupide soit-elle. Après tout, il avait déjà établi qu'il était stupide, et que ce serait même indiqué sur son épitaphe.
« Ouais, il est passé me dire bonjour. »
Barret grogna.
« De toute façon on pourra difficilement pire qu'avec le dernier. »
À ces mots, le silence retomba dans la pièce tandis que Tseng faisait son entrée. Il semblait parfaitement à son aise, chacun de ses gestes était soigneusement exécuté, comme s'il pratiquait une sorte d'art martial jusque dans ses mouvements les plus banals. Cloud constata avec un mélange de dépit et de ravissement que les cheveux de son manager étaient toujours aussi impeccables, et qu'il portait toujours ses gants noirs. Tseng sortit délicatement des feuillets d'une pochette et s'assit avant de balayer l'assistance de son regard tranquille et magnétique.
« Bonjour. Je suis votre nouveau manager. Vous pouvez m'appelez Tseng. »
Le timbre grave et modulé était le même que celui de la veille, et… les mots aussi. Ce qui signifiait donc que Tseng ne s'était pas présenté au reste de l'équipe. Juste à Cloud. Leurs regards se croisèrent un instant, et une ombre de sourire passa sur les lèvres fines de Tseng. À ce stade, Cloud redoutait sérieusement que Barret puisse entendre son cœur galoper dans sa poitrine, mais son voisin ne semblait pas lui prêter attention, préférant examiner le nouveau venu d'un air méfiant.
Tseng poursuivit sa présentation avec soin, leur expliquant méthodiquement sa stratégie pour leur équipe. Cloud regardait ses lèvres bouger sans écouter les mots. Sa fébrilité s'était muée en une douce rêverie, presque léthargique tandis qu'il se laissait bercer par la voix calme et mélodieuse, le menton dans la main. La lumière glissait en ondulant comme des reflets sur l'eau dans la chevelure de Tseng. C'était hypnotique à regarder, tout comme ses gestes méticuleux et calculés.
Son doux rêve dura jusqu'à la fin de la réunion, tandis qu'il rassemblait ses affaires et qu'au moment de partir, Tseng posa une main sur son bras.
« Je souhaite vous voir pour un entretien privé. Ce soir. »
Cloud aurait dû éprouver un élan de joie à cette perspective, mais un nuage noir assombrit son cœur. En effet, même s'il était stupide, il savait que la raison la plus probable à cette demande n'était autre que sa patronne. Qui avait dû dire à Tseng qu'il avait besoin d'un « suivi particulier », ou il ne savait quelle autre expression hypocrite elle avait dû employer pour évoquer son cas. Il fronça les sourcils et hocha la tête avec raideur, avant de s'enfuir pour retrouver sa place dans l'open space.
Quelques heures plus tard, l'heure fatidique avait sonné. La plupart des employés, Barret compris, avaient quitté leur poste pour rentrer chez eux, et les néons bourdonnaient mornement dans le silence troublé de temps à autre par une toux isolée. Cloud, le cœur lourd, se leva et prit le chemin du bureau de Tseng en traînant des pieds sur la moquette moche. Il avait définitivement un mauvais pressentiment. Il toqua à la porte et Tseng lui accorda la permission d'entrer. Son manager maintint une expression impénétrable tandis que Cloud refermait la porte derrière, et sur son invitation, il prit place sur l'une des chaises rembourrées. Tseng avait baissé les stores, et la lumière du couchant hachurait la pièce d'orange doré, jouant de manière troublante sur son visage finement dessiné. Cloud tâcha de ne pas se laisser envoûter. Il n'était pas là pour les réjouissances. Bien qu'il ne sache plus exactement pourquoi il était là lorsque Tseng se leva, fit le tour du bureau, et s'assit au bord, beaucoup trop près à son goût, obligeant Cloud à lever la tête pour le regarder.
« Aerith m'a dit beaucoup de bien de vous », commença-t-il, et Cloud fut incapable de savoir s'il était ou non sarcastique. « J'ai lu votre dossier. Il me semble que vous auriez dû être promu. »
Les lèvres de Cloud s'étirèrent en une moue contrariée. Voilà un sujet qu'il n'avait guère envie d'aborder avec un bel inconnu, tout manager soit-il.
Tseng poussa un soupir discret :
« Mais je suis bien placé pour savoir que la hiérarchie est parfois trop haut placée dans sa tour d'ivoire pour voir ses employés avec clairvoyance. »
Cloud, qui avait baissé les yeux, les releva à cette déclaration inattendue. Encore un peu, et c'était du syndicalisme !
« Quoi qu'il en soit, poursuivit Tseng, vous pouvez compter sur moi pour retransmettre fidèlement à qui de droit mes évaluations de votre travail et s'il y a lieu, défendre votre dossier pour une promotion. »
Cloud en resta coi. C'était presque suspect, tant de dévouement. Suspicion qui monta d'un cran, en même temps que son rythme cardiaque, quand Tseng se pencha en avant. La pointe de ses cheveux caressa son avant-bras. Un souffle mentholé balaya ses lèvres.
« Je suis plutôt doué pour évaluer les gens », dit-il d'un ton bas qui donna immédiatement envie à Cloud d'être évalué toute la nuit.
Mais Tseng se recula et regagna sa place derrière son bureau, soudain plus distant et plus professionnel.
« Avez-vous des questions ? »
Cloud, qui n'avait toujours pas ouvert la bouche, secoua la tête. Un sourire revint jouer sur les lèvres de Tseng.
« Vous pouvez disposer », annonça-t-il.
Et Cloud disposa, déconcerté par cette conversation dont il n'était pas bien sûr d'avoir saisi tous les enjeux. Y avait-il un sous-texte ou avait-il rêvé ?! Probablement rêvé. Il avait juste un manager prêt à le traiter de façon juste et humaine. À bien y réfléchir, non, c'était plus insensé que le sous-texte. Gainsborough Inc. était une entreprise de rapaces qui voyait ses employés comme des pions. Comme toutes les grosses entreprises. Par contre, un manager libidineux, c'était plus courant. Et ça ne dérangeait pas Cloud. Enfin, si, évidemment ! Mais… lui aussi était libidineux en l'occurrence. Confus, il attrapa sa veste sur le siège de son fauteuil et pressa le pas pour quitter les lieux. Cet endroit le rendait fou. Peut-être que c'était lui qui devrait changer de boulot. Contrairement à Barret, il n'avait pas d'enfant à nourrir. Et après tout, qu'est-ce qui le retenait ici ? Le monde était vaste et les possibilités multiples, même quand on n'avait peu d'expérience professionnelle comme lui. Il décida d'exposer son dilemme à Tifa. Inutile d'entrer dans les détails, mais il avait besoin des conseils de sa meilleure amie.
« Ton manager te fait du gringue ?! » explosa Tifa.
Cloud cligna des yeux en regardant sa meilleure amie, se demandant s'il n'a pas exagéré son récit.
« Je sais pas… Je suis pas sûr.
— Te laisse pas manipuler, Cloud !
— Je me laisse pas manipuler ! Mais c'est juste… ça m'a fait penser… Ce boulot, je le déteste.
— Hmm… » Tifa s'accouda au comptoir, le menton dans la main, inspectant son ami. « Mais t'as résisté à ta patronne, alors c'est pas un harceleur qui va te pousser vers la sortie.
— Non. C'est promis. Peut-être… qu'il est juste gentil. Et c'est moi qui… »
Les yeux de Tifa s'agrandirent.
« Oh ! Il te plaît, en fait… » constata-t-elle.
Cloud n'eut pas le cœur de nier.
« Dans ce cas, tu n'as qu'à rentrer dans son jeu, s'il joue bien un jeu, asséna-t-elle.
— Et s'il joue pas ? Je vais me ridiculiser.
— Je te dis pas d'y aller avec tes gros sabots ! » Elle s'interrompit et sembla soudain se rappeler que de gros sabots, c'étaient les seules chaussures dont disposait Cloud en matière de relations sociales. « Bon… Observe et méfie-toi. Raconte-moi tout. On saura vite de quoi il retourne. »
Cloud aimait le caractère déterminé de son amie. Là où il voyait d'énormes problèmes, elle voyait des plans de bataille. Cela dit, il savait que ça valait surtout quand c'étaient ses problèmes. Tifa avait ses propres fragilités et incertitudes, et quand c'était elle qui avait des ennuis, faute de plan de bataille, il lui proposait une oreille attentive et quelques mots de réconfort. Elle avait l'air de trouver ça suffisant. Elle ne l'avait jamais jugé parce qu'il était renfermé et maladroit. Elle ne le forçait pas à sortir de sa coquille. C'était sa meilleure amie, et ça résumait tout.
Cloud résolut donc d'appliquer ses conseils. Il allait rester en retrait et observer. Il tirerait la situation au clair et ensuite, il déciderait quoi faire.
