Stiles se sentait misérable et ce, sans même comprendre pourquoi. Il n'était même pas encore réveillé que son mal-être sans cesse grandissant le dirigeait, pourrissait sa vie jusque dans son sommeil. Le cauchemar, plus ou moins égal aux autres dans son intensité, ne cessait de le descendre plus bas que terre. Il jouait avec ses mots et maux, avec sa morale, cette vie qui lui était accordée pour des raisons aléatoires. Au final, il ne savait même plus à quoi il avait droit ni qu'est-ce qu'il avait réellement à se reprocher. Et c'était douloureux. Douloureux parce que dans ce genre de moments-là, Stiles se retrouvait sans repères, sans certitudes, sans rien d'autre que le fouet de ses démons comme conséquence de ses actes… De ses blessures personnelles jamais guéries.

Cette fois-ci, c'était juste Allison qui lui apparaissait. Grande, belle, resplendissante… Le ventre maculé de sang. Dans son cauchemar, Stiles vit ses lèvres bouger sans réussir à percevoir le poison qu'elles déversaient en continu. Tout ce qu'il captait, c'était ce sourire on ne peut plus malsain qu'elle semblait ne réserver qu'à lui, le responsable de l'arrêt brutal de son existence. Stiles savait qu'il ne devait pas s'en vouloir, qu'il n'avait pas émis le souhait de la tuer. Mais qui l'avait fait.

Le cauchemar rendait Stiles hermétiquement sourd à tout ce qu'il pourrait entendre, sentir, percevoir. Une surdité de tous sens.

A part de la douleur.

Si Stiles ne comprenait pas ce que disait Allison, il captait ses intentions, l'horreur de son sourire qui s'élargissait bien trop pour que cela soit normal, à la manière d'un sourire d'ange. Sa peau, déjà pâle comme la mort, la devint. S'assécha, se craquela et quelques pans se détachèrent de son visage. Et elle continuait de sourire, de se rapprocher, de lui cisailler les flancs avec ses ongles devenus des griffes. L'humaine, devenue démone, louve, monstre, un peut tout à la fois, n'avait plus rien de la jeune fille débordante de gentillesse qu'il avait connue. Détruite. Stiles n'arrivait même pas à l'implorer d'arrêter, de le laisser tranquille alors même que des larmes brûlantes coulaient sur ses joues abîmées, elles aussi. Culpabilité et paralysie jouaient chacune un rôle certain dans son aphonie et son immobilité totale. Le pire, c'est qu'il n'y pouvait rien. Tout était plus fort que lui. Même la douleur. Pourtant, il ne voulait rien de plus que se débattre pour essayer de lui échapper, hurler pour faire cesser cette torture… Pour qu'elle se venge, qu'elle mette fin à sa vie à lui. Ne serait-ce pas juste ? N'avait-il pas assez souffert pour calmer le courroux de la défunte chasseuse ? La réponse, il la connaissait. Et Stiles se vidait lentement de son sang, parfaitement debout devant elle, paralysé dans son intégralité. Il n'était même pas possible pour lui de s'effondrer, de goûter à ce repos qu'il espérait tant, qu'on ne lui accordait jamais. En plus de cela, il assistait à la putréfaction de son amie. A la propagation de ses nécroses sur la peau pendante, à la suprématie de la mort dans ses prunelles noires. Allison n'était plus humaine. Depuis longtemps. Elle avait cessé de l'être le jour où Stiles avait fait d'elle un monstre en la tuant.

L'horreur sans nom approcha avec une lenteur sadique son visage en décomposition de celui de Stiles, terrifié et crispé par la souffrance qu'il réussissait à exprimer malgré lui.

- Bouge, souffla-t-elle tout contre ses lèvres en enfonçant davantage ses griffes à l'intérieur de lui.

La paralysie, semblable à une cage de fer sur tous ses membres, s'envola brusquement. Stiles put se mouvoir… Mais chaque mouvement qu'il faisait n'avait pour effet que d'accroître cette douleur insoutenable qui rendait son souffle court, sa respiration sifflante, ses larmes bouillantes.

- Arrête, la supplia-t-il dans un souffle.

Sa voix ne pouvait pas porter davantage, pour la simple et bonne raison qu'il n'en avait plus… Comme s'il n'avait cessé d'hurler depuis des heures. Drôle d'impression alors qu'il se savait muet jusque-là, muselé par Allison. La réponse de cette dernière ? Un rire qui lui glaça le sang. Lacéré de l'intérieur comme si les griffes de la bête se tordaient en lui, Stiles eut tout juste l'énergie de pousser un faible râle. Il n'avait plus rien, elle l'avait vidé. Eviscéré. Depuis combien de temps ?

- Tombe, murmura-t-elle tout contre son oreille.

Stiles ferma les yeux malgré lui, et s'effondra aussi simplement que cela. Il se sentit rapidement s'enfoncer dans des ténèbres profondes, si profondes qu'il semblait avoir perdu toute notion de sensations.

Sensations qu'il retrouva brusquement avec une violence inouïe en réintégrant son corps physique. Le sursaut qui le prit le réveilla instantanément et ce, même si un brouillard sans fin régnait dans sa tête. Ainsi, il respira aussi régulièrement qu'il le put, essoufflé par ce qui n'était pour lui rien de plus qu'un cauchemar comme les autres sans jamais imaginer la teneur réelle de celui-ci. C'est alors qu'il se rendit compte qu'il avait tout bonnement l'impression d'être… Coincé, bloqué. Bien sûr, il n'apprécia pas, d'autant plus qu'il n'aspirait qu'à se recroqueviller sur lui-même… Cherchant du réconfort dans ses draps – et dans sa motivation de garder tout cela pour lui dans l'espoir de n'alerter personne. Se plaindre pour un sommeil agité juste parce qu'il avait perdu son oreiller ? Quelle idée… Stiles avait beau avoir l'esprit complètement embrumé, certaines pensées restaient claires et traînaient déjà aux abords de sa conscience. Comme des alarmes, des éléments qu'il avait mis sur sa liste de priorités.

Alors, sa réelle première action fut d'essayer de bouger ses bras… Et de se rendre compte ainsi que le fait qu'il se sente bloqué n'était pas qu'une impression. Son second geste fut d'ouvrir les yeux – et celui-ci s'avéra plus difficile que le précédent tant ses paupières étaient lourdes. Si tôt arraché de son état d'inconscience, Stiles ne se rendait pas vraiment compte de la teneur de son épuisement. Il sentait son cœur battre à une vitesse affolante, sa respiration n'était pas mieux… C'était tous les signaux qu'il parvenait à décrypter pour l'instant.

Forcément, apercevoir un visage connu au-dessus de lui ne fut pas la première information qui atteignit son cerveau. Enfin s'il comprit qu'il le voyait, il ne relia pas tout de suite ledit visage à quelque nom que ce soit, il lui fallut plusieurs secondes pour cela.

- Calme-toi et je te lâche.

La voix d'Isaac se voulait ferme et assurée, avec une pointe de douceur toutefois. Si Stiles était une tête de mule, son air exsangue et tout ce qu'il s'était passé avant son réveil le poussait à ne pas être aussi dur que d'habitude.

Bien que le passé du loup-garou ne soit pas rose, il ne pouvait pas rester insensible face à cette détresse qui l'avait pris aux tripes et qui continuait de le perturber au plus haut point. Parce que Stiles continuait de trembler, de peiner à reprendre sa respiration et s'il ne pleurait plus, ses joues restaient diablement humides et sa peau, d'une pâleur inquiétante. Se rendait-il compte de l'état dans lequel il se trouvait ? Isaac était prêt à parier que non – et Jackson, au fond de la chambre, partageait son avis. Parce que le regard et l'odeur de Stiles montrait une terreur mêlée à une confusion certaine. De toute évidence, il n'avait pas complètement émergé. Pourtant, l'on vit qu'il avait compris les mots d'Isaac, puisqu'il hocha légèrement la tête. Le bouclé, pas complètement certain de la confiance qu'il pouvait lui accorder, lui lâcha doucement les poignets et se décala – Stiles n'avait pas l'air d'avoir remarqué qu'il s'était tenu à califourchon sur lui et dans un sens, ça l'arrangeait. Isaac n'était pas d'humeur à devoir s'expliquer, justifier son geste. Sa priorité ? Simplement empêcher Stiles de se faire davantage de mal. Le reste pouvait attendre. En fait, Isaac était censé profiter de son éveil pour l'interroger afin de comprendre ce qui lui arrivait et, par extension, d'arranger la situation, qui devenait invivable pour tout le monde. Néanmoins… Il n'était pas du tout certain que Stiles puisse tenir ne serait-ce qu'un semblant de conversation. Il était réveillé, oui, mais pour combien de temps ? Qu'est-ce qui était préférable ? Saisir l'occasion d'essayer d'en apprendre davantage au plus vite ou faire en sorte qu'il se repose ? Dans les deux cas, Isaac ne savait pas quoi faire tant il ne comprenait rien. Stiles était censé être un humain sans problèmes avec pour seul gros défaut sa capacité extraordinaire à casser les roubignoles pour son bon plaisir. Isaac tourna la tête vers Jackson, qui opina négativement du chef. Le bouclé se mordit la lèvre inférieure. Si l'interrogatoire n'avait pas lieu maintenant… Que faire ? Ils n'allaient tout de même pas rester debout toute la nuit ! Jackson dut comprendre sa réflexion puisqu'il s'avança et lui murmura quelque chose à l'oreille. Isaac lui lança un regard perplexe sans plus se préoccuper de Stiles qui, de toute manière, n'était pas complètement conscient. L'épuisement commençait déjà à l'emporter à nouveau vers ce monde qui lui empoisonnait l'existence. Néanmoins, Jackson ne lâchait pas l'hyperactif du regard alors même qu'il exposait son idée à Isaac.

Stiles continuait de trembler et ça, ce n'était pas quelque chose qu'il pouvait mettre de côté.