« Je peux me joindre à vous ? osa-t-il alors que Candice l'ignorait.

- Bien sûr ! accepta Val. Tiens, prends ma place. J'ai terminé.

- Merci… sourit-il en s'installant à côté de sa commandante après avoir récupéré son plat dans le réfrigérateur. Alors ils sont partis ?

- Ouais… Nathan les rejoint sur place.

- Ok ! Et Élodie ?

- Partie à la boulangerie… se contenta de répondre Val depuis l'évier. »

Val déserta rapidement la pièce, laissant les trois collègues dans un silence insoutenable. Face à eux, Nathalie les scrutait respectivement. Se permettant même de les juger intérieurement de ridicules… Et face à leur mutisme, elle se décida à briser la glace.

« Sinon ça tombe bien que vous soyez là. Je compte organiser une petite fête pour l'anniversaire d'Armand.

- C'est une bonne idée ! s'enjoua Candice. Ce serait quand ?

- Dans deux mois, le 4 décembre ! Mais je m'y prends à l'avance… Je vais privatiser le restau comme on fait d'habitude…

- Cool !

- Vous serez là ?

- Je note la date oui ! confirma Antoine en concomitance avec sa voisine de table. T'invite toute l'équipe ?

- Euh je pense oui.

- Même Elodie ? demanda la blonde.

- Bah… c'est-à-dire que ça me gêne un peu de pas l'inviter…

- Ça va… Elle est pas méchante…

- Non c'est sûr ! confirma Nathalie.

- C'est dingue quand même… Vous l'avez tous accepté en un claquement de doigts… Quand je repense que pendant un an, vous avez été odieux avec moi… Je sais pas comment je dois le prendre… rappela Candice boudeuse.

- Oui enfin… T'es quand même passée du stade de détestée… À celui de préférée… J'pense qu'elle peut pas rivaliser là… souligna Nath avec amusement.

- Laisse-tomber… De toute façon elle arrive pas à comprendre que personne pourra jamais rivaliser… répondit Antoine avec fierté.

- Bon sur ces belles paroles, je vous laisse ! J'ai encore du pain sur la planche.

- Ça marche ! Salut… »

Le silence reprit sa place, fidèlement. Et seuls les couverts osaient clinquer dans les assiettes. Le commissaire s'autorisa quelques coups d'œil furtifs vers sa voisine qui continuait de l'ignorer avec génie.

« T'as mangé quoi ? se contenta-t-il de demander sans imagination.

- Une salade, répondit-elle laconiquement.

- Ok… Tu fais la gueule…

- Pas du tout… se défendit-elle.

- Si c'est à cause de Louise, elle est partie…

- Oui enfin, son client est toujours dans notre cellule… Donc on est pas prêt de se débarrasser d'elle hein…

- En effet, comme tu viens de le dire, elle va revenir pour des raisons strictement professionnelles, oui.

- Professionnelles ? répéta-t-elle faussement convaincue. Alors qu'est-ce qu'elle te voulait dehors ?

- Rien…

- Bah vous avez parlé de quoi en bas alors ?

- Du boulot… mentit-il pour la tester.

- Arrête je vous ai vu rigoler !

- Ah ?! l'interrogea-t-il faussement étonné. Tu nous as espionné donc ?

- Pas du tout ! s'offusqua-t-elle. Je passais devant le bureau de Mehdi et puis je vous ai aperçu au loin c'est tout.

- Et donc ?

- Bah je sais pas… C'est à toi de me le dire ?

- Et bien je n'ai rien à te dire alors ! déclara-t-il vivement sans amabilité.

En proie aux doutes, Candice bouillonna de l'intérieur.

Tu me feras jamais confiance en fait… lâcha-t-il avec lassitude avant de se lever.

- Tu vas où ?

- Bosser ! répondit-il agacé en désertant la pièce avec son repas. »

La réponse était glaçante, révélatrice de l'agacement du commissaire. Et Candice en resta bouche béante. Comme d'habitude elle n'avait pas pu faire taire ses inquiétudes. Faut dire que la situation était particulière, il y avait Louise ET il y avait les autres. Elle la plaçait dans une case à part, celle qui enfermait l'amour, le vrai. Alors dès que cette jolie blonde investissait l'espace de son commissaire, elle ne pouvait s'empêcher de voir rouge et de laisser exprimer ses angoisses. Conclusion, elle se retrouvait seule, comme à l'accoutumée…

Moins de deux heures plus tard, l'équipe sur le terrain contacta le bureau pour les prévenir de leurs trouvailles. Rien de bien important, si ce n'est quelques cartons hébergeant des souvenirs de l'époque du restaurant. Et sur l'ordre de la commandante, elle se devait de tout rapatrier à Sète.

Rapidement, la blonde mit son nez dedans et ne tarda pas à dénicher quelques cadres photos de l'époque avec des visages inconnus certes, mais certains faisaient directement écho à leur enquête.

« On a les noms de tous ces gens ? demanda-t-elle la mine renfrognée.

- Nan… Enfin, sur certains cadres on a des prénoms de notés mais… rien de bien précis quoi.

- Ok ! Nathan, Marquez, vous me prenez les cadres et vous allez voir notre ami Dubosque en cellule. Des fois qu'il puisse nous éclairer sur l'identité de certains d'entre eux. »

Ses subordonnés acquiescèrent et désertèrent rapidement la pièce. Laissant les moins gradés à la paperasse et les commandantes le nez dans les cartons. Ismaël débarqua fièrement devant elles, un tas de feuilles en mains.

« Boss !

- Oui ! répliquèrent-elles en écho avant de se fusiller du regard.

- Euh… commença-t-il gêné. On a retrouvé ça aussi. Je crois que c'est la liste des gens qui bossaient avec eux…

- Montrez-voir ! s'empressa la plus âgée en s'emparant des feuilles.

- Pourquoi y a du rose sur leurs noms ? s'étonna Élodie. »

Candice ne répondit pas, se contentant de fixer durement les lignes d'encre face à elle. Immobile, elle ne prenait même pas la peine de répondre à ses collègues qui l'interpellaient pour la faire sortir de sa rêverie. Elle n'en avait pas le temps, bien trop occupée à recoller les morceaux dans son esprit. Et prise d'une vivacité inexpliquée, elle se mit à feuilleter les pages à vitesse grand « v », marmonnant parfois quelques sons incompréhensibles.

« Alors ? Ça avance ? demanda le chef qui venait de faire irruption dans la pièce.

- On sait pas… Elle a activé son mode chelou… lança Élodie résignée.

- Bon bah c'est plutôt bon signe… répliqua-t-il satisfait.

- Dans son carnet, elle parlait d'enfer… De résignation… Et, dans l'article qu'on a trouvé hier, elle parlait même de travail forcé.

- Tu penses à quoi ? demanda son partenaire.

- Et si, on avait forcé les filles à vendre leur corps ? En haute saison c'est un club… C'est ouvert toute la nuit… Et on sait tous que bien souvent ça part en débauche…

- Et les noms des filles surlignées en rose ce serait celles qui auraient été concernées… continua-t-il, complice.

- Ouais ! Et sur la 3e page, celui de Camille est surligné.

- Ça se tient. On va voir Dubosque ? proposa Élodie.

- Nan ! laissez-le se faire cuisiner par les garçons. On va attendre ce qu'il en ressort et on verra par la suite…

- Très bien ! déclara Antoine avant de tourner les talons à nouveau. »

Malgré son agacement d'être relayée au second plan, Vasseur ne protesta point, préférant rejoindre l'administratif à son tour. Ismaël et Val se chargeaient désormais d'organiser un tableau en plusieurs colonnes afin de rassembler les occurrences et lister les potentielles employées à contacter. Évidemment, Candice supervisait les opérations d'une main de fer, ternissant l'image de sa rivale qui n'existait plus que par un grade superflu.

« Bon… Dubosque a pas su reconnaître la moitié des mecs sur les photos… Ça sent le patron hyper concerné vis-à-vis de ses employés…

- Ouais… En même temps, type harceleur… Persécuteur… Humiliateur… On est pas étonnés…

- Et dire que ce mec à une meuf… souffla Mehdi dépité.

- Dingue… continua Val.

- On a osé parler d'Émilie, lança Nathan. Et, il a fini par lâcher qu'elle était venue le voir. Elle était remontée et elle a expliqué qu'elle retraçait tous les bars du coin pour retrouver le mec qu'avait violé sa sœur.

- Donc les croix sur le carnet, c'était ça… réfléchit Candice.

- Ouais…

- Donc le soir où elle m'a emmené boire un verre, elle était aussi en mode repérage… Et j'ai rien vu…

- T'avais pas la tête à ça, c'est normal… la rassura Nathan en souriant doucement.

- Et sinon, il a rien dit d'autre ?

- Non. Enfin, il a parlé d'un certain Tito. Il a dit qu'il tournait souvent autour des filles et il s'en méfiait un peu, c'est tout…

- Et ce Tito, c'était qui ?

- Un employé au black qu'ils appelaient en renfort dans les grosses soirées.

- Camille l'a mentionné plusieurs fois dans son carnet, mais y avait rien d'explicite… pas d'accusation…

- Bon… On fait quoi du coup ?

- Vous aidez à établir une liste des filles surlignées en rose et vous me les contactez, toutes. On les convoque ici, demain matin première heure.

- Et Dubosque, on en fait quoi ? L'avocate va faire sauter sa garde-à-vue, on a rien contre lui…

- On le garde cette nuit. De toute façon, on a 24h … On a le temps encore.

- Et vous, dans l'histoire, vous faites quoi ? demanda Élodie éhontément.

- Moi je vous laisse. J'ai un rendez-vous ! expliqua-t-elle avant de déserter la pièce. »

. . . . .

« Bien ! Alors comment allez-vous depuis ces quelques jours ?

- Ça va… Je crois… Même si ça n'a pas été de tout repos…

- Je me doute… Et cette enquête sur votre collègue, vous avancez ?

- Doucement mais sûrement… L'étau se resserre et on suit une piste plutôt fiable.

- Bien… Et comment le vivez-vous ?

- Je suis soulagée. J'avais qu'une angoisse c'est de ne pas réussir à retrouver celui qui s'en était pris à elle. Mais le commandant Renoir est tenace ! répliqua-t-elle avec engouement.

- Vous avez l'air en forme en tout cas !

- Oui… Je dors mieux depuis quelques jours…

- Comment expliquez-vous cela ?

- J'ai suivi votre conseil, concernant Antoine. On a eu une grosse discussion et… j'ai enfin réussi à lui dire que je venais vous voir.

- Et comment il l'a pris ?

- Il était fier de moi… répondit-elle en souriant timidement.

- Et cette discussion, jusqu'où est-elle allée ?

- Hum… On a parlé de nous et… de ce qu'on ressentait l'un pour l'autre.

- C'est-à-dire ? força-t-il pour qu'elle se libère.

- J'ai réussi à lui avouer que je l'aimais toujours… Et visiblement c'est réciproque…

- Donc c'est un soulagement… ?

- Oh oui ! J'avais tellement peur que cette distance entre nous, nous soit fatale… Fin' je me suis dit qu'il m'avait peut-être quitté parce qu'il ne m'aimait plus comme avant… Et finalement… C'est le contraire…

- Et concrètement, cela vous mène où ?

-C'est ça le hic ! Même si je suis soulagée je… Fin' je me pose beaucoup de questions… Je sais pas comment gérer notre « relation » … continua-t-elle en mimant les guillemets sur le dernier mot.

- Vous lui en avez parlé ?

- Oui… On a décidé de ne pas se remettre ensemble pour l'instant. On garde une distance. Mais en même temps… On arrive pas à s'empêcher quelques marques de tendresse… Et puis, on a envie de se voir aussi… Souvent…

- C'est difficile d'insérer de la distance dans une proximité inévitable… J'entends. Mais posez-vous ces questions sans penser à lui. Qu'est-ce que VOUS, vous voulez concrètement ?

- Je veux pouvoir avancer d'une manière libre. Même si j'ai beaucoup avancé en travaillant avec vous… Je sais qu'il y a encore certains points qui bloquent et… j'ai besoin de les débloquer pour vivre sereinement.

- Et Antoine dans tout ça, on le place où dans l'équation ?

- C'est-à-dire ?

- Ce que je veux dire, c'est qu'il faut trouver la bonne distance. Celle qui vous permettra d'avancer vous, sans souffrir de son absence. Est-ce que vous avez besoin de sa présence physique ? Ou au contraire, en restant loin, ressentez-vous davantage d'amélioration ?

- J'ai peur qu'en continuant de le côtoyer de trop près je… je craque et j'arrête de travailler sur mes problèmes… avoua-t-elle les larmes aux yeux.

- Vous insinuez donc qu'il faudrait couper tout contact avec lui, en attendant ?

- Oui… Mais en même temps, ce matin j'ai accepté un déjeuner en famille… avec sa fille et lui…

- Répétez, ordonna-t-il.

- J'ai accepté un déjeuner en famille…

- En famille, donc… ?

- Euh… Oui… réalisa-t-elle en souriant. C'est vrai après tout, on est tous liés parce qu'on s'aime…

- Bien… lança-t-il en hochant positivement la tête avant de plonger le nez dans son bloc-notes. Et, vous en avez envie de ce déjeuner ?

- Bien sûr ! Mais… c'est peut-être un peu trop comme avant, non ?

- C'est à vous de me le dire…

- Puis de toute façon, on se voit au travail…

- Mais l'enquête étant bientôt terminée, après ce ne sera plus le cas, non ?

- C'est vrai… songea-t-elle perplexe.

- Pourquoi vous a-t-il proposé ce déjeuner en famille ?

- Pour sa fille, elle voulait revoir mes enfants…

- Est-il obligé d'être présent ?

- Mais je me vois mal lui dire de déposer Suzanne et de repartir chez lui…

- Candice, si vous acceptez ce genre de chose, c'est parce que vous en avez envie et que vous êtes certaine que ça vous ferait du bien, d'accord ? Ce n'est pas pour faire plaisir aux autres. On a déjà parlé de ça, me semble-t-il.

- Je sais. Vous avez raison.

- Écoutez, moi l'analyse que je fais aujourd'hui, c'est que vous avez pu mettre les choses au clair et expliciter vos envies, tous les deux. Et que visiblement ces envies tendent à vouloir emprunter le même chemin. Et vous, votre priorité c'est de régler vos problèmes au plus vite, pour le retrouver comme avant. Et en toute objectivité, je pense que la distance reste la meilleure solution. Je ne dis pas que vous ne pouvez pas prendre de ses nouvelles, vous téléphoner… Mais il faut, pour l'instant, oublier les « comme avant », les « semblants de » … C'est peut-être trop précoce, d'accord ?

- Oui… acquiesça-t-elle. Il va falloir que je lui parle à nouveau donc…

- S'il vous aime, il comprendra…

- Sûrement… Mais c'est dur parce que je peux pas me passer de lui… avoua-t-elle fragile.

- C'est temporaire. Et si vous continuez d'avancer comme vous le faites, les choses s'amélioreront rapidement.

- Hum…

- Et j'ai autre chose à vous proposer. Maintenant que tout est clair entre vous, peut-être qu'on pourrait envisager des séances individuelles mais aussi des séances collectives.

- Avec Antoine ? s'étonna-t-elle.

- Je peux vous recevoir tous les deux, pour mettre en avant certaines réalités que vous n'osez pas forcément exprimer. Ce serait le moment de partager des reproches, mais aussi des remerciements…

- Antoine n'acceptera jamais… Il déteste tout ce qui est psy et thérapie…

- Vous pouvez toujours lui soumettre l'idée… Comme on dit si bien, qui ne tente rien, n'a rien !

- Je vais essayer… Mais je ne promets rien…

- Bien… J'aimerais maintenant qu'on se reconcentre sur vous. Tout à l'heure vous m'évoquiez des points qui vous bloquent. On peut revenir dessus ?

- Euh… Oui… D'accord.

- Je vous écoute. C'est vous qui choisissez de quoi vous voulez parler…

- Je… Tout à l'heure on… On s'est encore un peu froissés… Parce que je… j'ai encore montré que j'avais pas confiance en lui…

- À quel sujet ?

- Son ex… Elle était dans nos locaux dans le cadre de l'enquête et elle a voulu lui parler, seule. J'ai pas pu m'empêcher de lui demander ce qu'elle voulait et… il l'a mal pris… »

La commandante ressortit du cabinet secouée et vidée. Ces derniers jours n'avaient pas été de tout repos. Entre ses inquiétudes professionnelles et ses hésitations personnelles, le cerveau de madame était mis à rude épreuve. Et son corps en faisait les frais… Intérieurement, Candice était en proie aux hésitations… D'un côté, il y avait Antoine, sa bienveillance et son envie de le retrouver, comme avant… De l'autre il y avait sa raison, son envie de persévérer et de s'en sortir, fièrement… Et les deux étaient incompatibles, l'amenant à devoir prendre la décision de réintroduire de la distance dans cette proximité qu'ils venaient tout juste de récupérer. Finalement, c'était un peu comme si ses problèmes la retenaient en otage, l'empêchant de vivre sereinement. Alors pour contrebalancer ce ressenti, une solution s'offrait à elle. Retrouver provisoirement un sentiment de liberté. Et pour mener à bien cette envie, une chose lui restait à faire : grimper dans sa voiture, se garer sur ce parking de plage et déambuler jusqu'au rivage. Là au moins, elle pourrait fixer l'horizon, annonciateur de milles et unes perspectives. Ici elle retrouverait enfin l'essence de la liberté.