Titre : Thirst

Disclaimer : Les personnages ne nous appartiennent pas et nous ne touchons aucune compensation financière pour la publication de ce texte.

Rating : M pour certains chapitres


Bonjour à tous, voici la suite avec un retard absolument affreeeeeux...

Pour rappel, au chapitre précédent : L est retourné en Angleterre (ne supportant plus le comportement de Raito à son égard). Il a finalement décidé de rentrer au Japon car Raito lui manquait trop et le chapitre s'arrêtait au moment de son retour au QG. De son côté, Raito a toujours la tête dans un sacré bordel et croit que L a participé à sa torture avec Beyond, il est complètement déboussolé, perdu et ne sait plus à quoi ou à qui se fier.


Chapitre 62

Si la connerie avait trouvé son théorème ...


Être neutre.

Encaisser la distance, infinie et insignifiante.

Savais pas bien si j'avais froid ou chaud et la sensation coulait dans la connexion des regards. La douleur me dégoulinait du bras pour pulser, crescendo.

L se tenait dans l'entrée, enseveli dans les plis d'une couette bouffante. Me figeais en miroir, incapable de me détourner. Lui ne cillait pas, ne faisait rien, et ça me suffisait pour perdre pied : cette expression, c'était comme si je lui avais manqué.

Je pouvais au moins céder sur ce point et m'approcher, lentement.

La couette glissa de ses épaules, chuta discrètement. L'attitude de L, se contraignant à l'immobilité, piquait l'attente d'un enchevêtrement mal défini au goût de stress. Mais toute sa tension ascendante ne valait pas celle que je ne montrais pas.

Avoir l'air neutre.

Je tendis les deux mains vers sur son col humidifié par la pluie, ignorant la réaction en chaîne du geste qui n'était qu'un dévalement brûlant jusqu'à la moelle, rongeant les doigts déjà incapables d'exercer une pression correcte. Tissu que j'attrapais finalement, forçant durement sur les nerfs de la main gauche. Nos visages s'immobilisèrent. Instant perdu à disséquer ses pupilles. L entrouvrit les lèvres, s'apprêta à…

Fulgurance du mouvement, balancé en avant.

Nos fronts que j'écrasai l'un contre l'autre, sans retenue. Mis à profit l'énergie cinétique pour attirer son visage vers le bas, genou à la rencontre de son menton avec violence. Double impact, explosif, ne laissant qu'une vague pensée flotter, quelque part.

Je lui avais manqué ? Sale con.

Son t-shirt enfin lâché, L vacilla vers l'arrière, trébucha dans les méandres de tissu traînant dans ses jambes et s'affala, aussitôt assailli par un chien bavant et surexcité. Mon crâne et mon bras brûlaient, bourdonnaient intensément. Pas sûr de tenir debout longtemps. Retour de flamme vrillant tout, terminaisons sensitives saturées.

M'empêchant de vérifier si mon bras gauche était toujours entier, je surplombai le détective, toujours étalé dans un amas d'édredon et se débattant sous les assauts canins. Enfin, les verrous sautèrent. Colère, rancœur que je laissais enfin me crever la peau, se déployer avec une envergure d'ouragan aux chuintements électriques.

Je découvris les dents quand l'adrénaline se fit engloutir par la douleur, magmatique et sifflante. Ne pas me rouler en boule sur mon bras pour hurler excédait presque ma capacité à noyer sa silhouette de rage et à sortir de la salle avec une allure maîtrisée. La porte passée avec un calme inaltéré, regardant les réactions policières sans les voir.

Le bras pendait, décuplait stupidement les mouvements de la marche, trop sollicité. Poids quasi mort que les soins interrompus avaient laissé à vif.

L avait l'air d'aller si bien. Cerveau qui se sciait sous le front, des contractions involontaires crispaient déjà les muscles. Comble de l'offense, la porte de la chambre n'eut même pas la politesse élémentaire d'arracher ses putains de gonds quand je la claquai de toutes mes forces. L'encadrement se contenta de vibrer, de protester en craquant comme un os qui refusait de se briser. À peine assez, peut-être, pour alerter la minable attention vaseuse de Matsuda au fond de son trou putride. Que la porte tienne debout était d'une indécence crasse, répercutée dans le nouvel afflux de stimuli massif provoqué par le geste. Ma tête tournait sérieusement alors que je renonçais à recommencer.

Poitrine soulevée de manière erratique, je m'adossai au lit, incapable de contenir l'impression littérale qu'on m'avait arraché le bras.

Maintenant, c'était insupportable. Parfait. Mais trop vite la vague de douleur allait refluer. Déjà, je sentais chaque centimètre de ma foutue peau se gorger de… soulagement.


Mon père m'assit de force sur la chaise de la cuisine.

« Raito, tu ne vas pas bien du tout, en particulier… »

Mon regard le musela sans autre forme d'avertissement. Le pli soucieux de son front se creusa encore, puis son expression s'adoucit. Il passa une main lasse sur ses joues.

« Tu ne penses pas que ce serait bien que tu… arrêtes. Que tu partes quelques jours.

Cillai.

« Ce n'est pas possible. »

Les raisons, évidentes.

Le spectre de mes « aveux » griffa l'atmosphère et les traits tirés de son visage. Ses épaules s'affaissèrent. Voyant que je ne comptais pas en rajouter, il sortit le planning ménager qui conditionnait les sorties des uns et des autres et les emplois du temps de chacun. Certaines sorties me permettaient d'envoyer mon père fouiller des zones de Tokyo sous prétexte de courses.

« Il faudrait faire inverser la plage du mardi 10h avec celle du mercredi, sinon ça ne fonctionne pas avec le quota. »

Il fit semblant de me croire quand j'utilisai une excuse pour ne pas être préposé à la cuisine, et encore moins aux desserts. De mon côté, je fis semblant de ne pas avoir relevé qu'il n'achetait que des gels douche et autres produits parfumés au sel marin. Puéril, mais pas désagréable.


Les enregistrements des caméras de surveillance que je disséquais encore, les raccords entre les angles des caméras, les différentes scènes et transitions. Les moments où L avait été seul ne m'intéressaient pas, même pas regardés. En groupe, par contre, visionner le cabotinage pourri de sa comédie d'acteur surpayé était plus difficile et, je voulais le croire, plus repérable. Même si je n'avais pas trouvé d'éléments concrets, mon instinct hurlait à la supercherie depuis les tréfonds du ventre tout en hésitant à hurler trop fort. Le doute d'absolument tout me minait. Virus attaqué par des anticorps qui ne savaient plus quel était le vrai virus à éradiquer. Ne pas faiblir, pourtant, constituait la seule possibilité. Et je me sentais plus détestablement faible que jamais.

Que penser des scènes où L avait des interactions avec l'équipe ? De quelle manière avaient-elles pu être détournées, falsifiées, faussées d'une manière ou d'une autre ? Au bout de cinq jours à en disséquer les pixels sans relâche, la propreté des enregistrements était incontestable, aucune trace de modification, même résiduelle. Mes yeux brûlaient, éclatés de capillaires sanguins, mais je refusais de lâcher tant que je n'aurais pas enfin arraché une once de vérité à tout ce funeste bordel moribond.

Dernière poignée d'images se déroulant pendant la troisième semaine de ma détention, dont je décomposais les données. Et il n'y avait pas d'indices. Jamais. Pensée battante de plus en vite sur mon rythme cardiaque alors que j'accélérai le défilé d'images, de conversations.

Les incertitudes et les mensonges tournaient, m'empêtraient dans une mélasse qui collait tout, m'obsédaient. Le poids presque familier de la panique autour de la cage thoracique réduisait le peu de marge disponible, écharpant les neurones. Me laisser submerger pourtant hors de question, pas dans cette émotion-là. Doigts immobilisés, respirer et faire une pause, juste quelques secondes. Me calmer. Angoisse qui gonflait, se soulevait. Me concentrer sur les mouvements jusqu'à ce que je me retrouve. L'emballement ralentit et la volonté m'acéra de nouveau.

Puisque les preuves de la traîtrise du détective me filaient comme de la cendre entre les phalanges, la nécessité de vérifier les larges plages horaires où le détective était hors du QG, seul ou non, demeurait plus plus jamais. Heures compilées d'absences au nombre impressionnant, inhabituel, sur toute la durée de ma détention. Il prétexterait évidemment qu'il m'y avait cherché si je lui balançais la chose en travers de la gueule accompagnée d'un peu d'isocyanate de méthyle et d'une allumette pour rejouer la catastrophe de Bophal directement dans ses rétines. Il aurait à ce moment-là le bon sens de ne pas souligner qu'il avait pris un air accablé juste au moment de repasser dans l'angle de prise de la caméra de la porte d'entrée en revenant de ses petites promenades de santé. Espérait que j'avale l'eau souillée du bain avec les résidus fermentés de dix ans de canalisation sans même mâcher.

Si L avait été sincère, il aurait dû prendre en compte la méticulosité des méthodes de BB, trop propres pour espérer y dénicher un indice. Il aurait dû être conscient que ratisser la ville ne serait qu'une perte de temps et, s'il en avait eu quelque chose à foutre, il aurait mieux jouéque ça. Stratégie de merde à tous les niveaux. Mais il ne comprenait déjà pas à quel point la partie d'échecs récemment disputée, qui me restait en travers de la gorge à plus d'un titre, était indéniablement stratégique, pour moi. Ou le comprenait trop bien.

Combinaison de touches machinale, traçant le prétendu détective à travers le système de surveillance de la ville. C'était la dernière absence non vérifiée sur les trois premières semaines de mon stage de pièce de viande à trancher et je savais déjà que je ne trouverais pas ce que je voulais. Fallait quand même que je sache. Que je sache plus.

Avais déjà pu constater, sans surprise, que les enregistrements des rues avaient été effacés sur une période couvrant la totalité de mon incarcération pour cause de libération d'espace de stockage dans les archives de Tokyo et Nagoya. Royal foutage de gueule. Une vérification dans le détail de chaque vulgaire balade en extérieur n'en restait pas moins aussi frustrante qu'essentielle.

Je ne rabattis pas l'écran quand un L de chair et d'os eût l'indélicatesse de surgir devant moi avec une tête toujours tristement vissée au-dessus des épaules. Échange d'un regard indéchiffrable, sa présence infiltrait ma conscience, déjà, de tout ce qu'elle induisait. De malade.

Le tas de papiers dans ses bras dont il retenait chaque feuille comme si elles menaçaient d'exploser devait avoir autant d'adéquation situationnelle qu'un demi-twinkie reconverti en essuie-tout corporel pour sumo hyperhidrosé. Le tout fut vomi sur l'assise du canapé, qu'il asservit avec l'intention manifeste de rester. Le message d'accueil que j'avais littéralement frappé contre son crâne et ses mâchoires avait donc été trop subliminal. Trop délicat. Mon front bourdonnait toujours d'une douleur un peu sourde, mais j'étais prêt. À lui faire regretter de – Envie de m'arracher les neurones, dégueulant tout en chair de poule.

« Ce planning militaire ressemble à une œuvre paternelle psychotique de première envergure. Période « Psychose maniaque » de l'artiste ? » Lui maîtrisait nettement mieux le déconstructivisme façon docteur maboul. Moins raffiné. Regard enflammé que je lui décochai dans les pupilles, sans expression supplémentaire, ne l'empêchant pas de dérouler la suite fascinante de nos retrouvailles. « La maison est étonnamment propre et rangée, à croire qu'il vous a tous réduits en esclavage pour parvenir à ce résultat. Comment s'y est-il pris pour convaincre Akemi de faire fonctionner autre chose que ses muscles linguaux ? Le dresser à tenir une serpillière autrement que comme une discipline pour asservir les faibles et les obliger à faire son job aurait bien dû prendre six semaines. Minimum. »

Blabla qui avait perdu la moindre once d'intérêt depuis un moment. Allais jamais répondre et il devait bien le savoir. Dans une avalanche feuillue, il se leva pour faire mine d'examiner la panière de linge, éparpillant ses cheveux d'une main, traînant un dossier de l'autre. Manœuvre d'approche si évidente, que je considérai avec une indifférence de façade alors que je crevais de lui coller un autre coup, n'importe où, avec n'importe quoi. Sa nouvelle place mal acquise lui conférait une vue plongeante sur l'affichage de mon écran, bien sûr.

Attention parasite qui poissait mes gestes, de manière sale. Hypocrite connard sadique de basse fosse véreuse n'attendant que la pendaison avec un fil barbelé. J'inclinai idéalement l'écran pour qu'il puisse épier, ne lui cachant rien de ce que je faisais : entame de la quatrième semaine des enregistrements du QG pendant ma détention forcée, que j'épluchais sous son regard. Fouiller les métadonnées, extirper les informations de chaque image le représentant, c'était lui exposer à ciel ouvert à quel point je me foutais qu'il sache ce que je faisais, maintenant. Bien sûr qu'il avait repéré les traces de mes piratages, forçant son système en ces cinq jours d'absence et j'avais plein d'autres évidences pourries à lui offrir pour qu'il fasse collection.

« Je suis rassuré, tu as trouvé de quoi t'occuper entre deux discussions de recettes de tartes au flan et de projets de vacances au club Med des attardés avec ta nerd de poche. Tu as donc pu constater que rien n'avait été trafiqué dans les enregistrements ? »

L'allusion à Artémis pas laissée au hasard, mais il ne pouvait avoir compris réellement de quoi nous parlions sans relâche, ce que nous cherchions. Pas dans le détail, en tout cas. Dévalement accéléré de toutes les options, extrapolations remontées en un battement de cils, failles et schémas poussés aux limites. Non. Les conséquences auraient été fulgurantes. Il jouait encore, donnait un simple coup de patte pour m'avertir qu'il savait qu'il se passait quelque chose d'indéfini. Le contraire aurait été aberrant, de toute façon.

Si calme. Il était si calme. Tu as donc pu constater que rien n'avait été trafiqué dans les enregistrements ? Me planter la question avec une narquoiserie aussi indigeste méritait un arrachage des cordes vocales suivi d'un quadruple pontage au tuyau d'arrosage sans anesthésie. Pouvait pas croire sérieusement que je prendrais la peine de répondre alors qu'il ne prenait même pas la peine d'en avoir quelque chose à cirer avec sa question lourdement rhétorique.

Main droite qui pianotait sans relâche sur le clavier.

« Je suis rassuré de voir que tu sembles aller bien. »

Le fendillement dans la nonchalance de son timbre me poussa à lever le nez, par réflexe. Trop tard pour baisser les yeux encore. Au contraire. Se payait ma tête, l'enfoiré de ruffian fini à la godasse de chantier, plus expert dans le dilettantisme et le découpage de côtelettes plutôt que dans l'art de faire son travail en enveloppant ses manquements d'un mensonge au moins crédible.

Me sentais obligé de répondre, cette fois.

« J'ai préféré constater que tu avais foutu le camp sans prévenir personne en prouvant une fois de plus que tes capacités managériales sont inférieures à celles de la semelle de chaussure sous morphine d'un truand merdaillon aspermogène. »

La colère suppurait comme une ombre de répulsion et je ne parvenais pas à la ravaler au choc de nos regards. Pas cette fois. Elle me glissait des iris, des gestes, en brûlures irrépressibles, trop longtemps contenues. Prémices d'un faux sourire creusé dans mes joues, pour la masquer, l'étouffer, lui dénier son existence. Je ne pouvais pas la lui montrer et j'en montrais déjà beaucoup trop.

L'éloignement m'avait attendri. Abject.

« Va te faire mettre avec ton « je suis rassuré » et toutes les saloperies grotesques que tu n'utilises que pour la forme. Tu es rassuré que j'aie pu m'occuper en piratant ton système ? Tu es rassuré que j'aille bien ? Et tu vas encore discutailler lessive et planning ménager ? C'est tout ce que tu as trouvé en cinq jours, c'est tout ce que tu as à dire ? Face à ce constat impressionnant, je te suggère de pratiquer le lavement à l'acide en croquant quelques déchets nucléaires pendant que je compterai les secondes en observant ta peau se liquéfier, voilà qui m'occupera. »

Bordel, j'étais tellement gentil avec lui, même maintenant. Même après tout ce qu'il avait fait.

« Raito. » Pourquoi fallait-il qu'il dise mon nom, me regarde. « Je n'utilise certainement pas les mots pour la forme, ce serait mal me connaître. » Comme si je le connaissais vraiment. Comme si ce que je pensais savoir de lui avait la moindre valeur.

« Tu es complètement aveuglé par la colère. Les enregistrements ne sont pas trafiqués et, ça aussi, tu le sais.

— Pas ces enregistrements.

— Aucun d'entre eux.

— Ça reste à prouver.

— Alors, prouve-le. »

Les cohortes d'insultes sifflèrent en couronne serpentine autour de ma tête, s'enroulèrent autour de la silhouette qui venait de croiser les bras. Plutôt que de céder totalement à cette rage qui n'avait de sens qu'à la lecture d'une addiction qui refusait de crever, je fermai l'écran pour me lever, accomplir mon triste destin ménager. Considération de ma prochaine cible avec assez d'intensité pour faire fondre ses polymères repentants à mes pieds. Panière de linge inutile. Semblait moqueuse. Insolemment proche de L, mais crânement indifférente.

Sans une miette d'attention pour la chose que j'avais eu l'ignoble faiblesse de considérer comme un humain décent un jour, j'attrapai un tissu humide, fixai le premier vêtement sur les barres de métal siliconé. Snober ce pugnace cancrelat des marais traîtreusement sociopathe et toujours vivant crispait encore davantage tout ce qui pouvait l'être. N'allait pas se décaler, décarrer en touche à l'autre bout du continent en emportant son souvenir et en laissant son crâne comme bougeoir de chevet. Non, ce serait trop simple. Courant de colère auto-centrée sur une bordée de pantalons et de chemises dissidents. Mal au bras se réveillant, tirant sur les autres blessures mal refermées. Et c'était tant mieux. Mais tellement insuffisant. Pouvais toujours faire sauter des points, après tout.

Je ne pouvais pas oublier la douceur atroce de mon attitude. Et je ne pouvais pas oublier pourquoi.

Pince à linge écrasée dans la paume de la main, mes gestes, secs à faire flamber une forêt, qu'il scrutait. Pourrais lui hurler de dégager avec assez d'insultes pour refiler à marraine la bonne fée une saine envie de reconversion en bourreau de guerre. Sauf que. La réalisation ricochait depuis trop longtemps et me l'avouer clairement flirtait avec une obscénité dépouillée de presque tous les filtres que j'avais empilés dans mon esprit. Rejet.

« Prouve-le ? Venant de toi, L, l'ironie de cette injonction est aussi délicieuse et subtile que des cadavres vieux de plusieurs mois tartinés avec trois pots de confiture aux fruits rouges et balancés dans la rue en pleine pénurie alimentaire. Les preuves ont donc un quelconque sens pour toi ? Je préfère me bouffer les joues et retourner me faire lever les filets par ton ami en m'enroulant dans un ruban cadeau plutôt que d'accepter et de cautionner les offrandes veules et les pots de confiture qui s'échappent de tes actions comme une dysenterie fusillée hors d'un intestin graisseux et incapable. »

Le rappel de son dernier acte de sadisme en date ne fit que tiquer ses sourcils… Me foutais de l'échelle de l'horreur décalée que cet acariâtre gougnafier bientôt décapité à la pioche de jardin avait pu établir avec le cadavre de sa conscience. Il ajusta un coup de talon dans la panière, la rapprochant de son ignoble petite personne. Faisait semblant de fulminer, mais ne semblait pas atteint par quoi que ce soit. Même pas tiède, il était froid. Glaçant.

« Parmi la somme aberrante de choses qui t'échappent, il n'a pas dû t'échapper qu'il n'y avait plus le moindre truc à bouffer dans cette maison. J'aurais mieux fait de me garder les pots ? Noté. Bien sûr, si j'avais su que tu préférais te boulotter, je t'aurais offert un bavoir et une fourchette.

— C'est ça, noté, oui. J'espère que le système veineux ne t'échappera pas quand tu t'ouvriras les veines avec la convention de Genève et ta saleté de fourchette. » Ça n'allait pas, mes paroles ne lui donnaient certainement pas l'impression de subir une trépanation, mais plutôt un mauvais script dans lequel le personnage n'allait pas tarder à proposer de se faire des tresses en chantant l'amour et la joie. Rien qu'à m'entendre, je me refilais des caries. « S'il n'y a pas de preuve, ça ne prouve pas qu'il n'y a rien à trouver. »

Et c'était vrai : jouer la comédie ne demandait aucune manipulation technique. Le t-shirt que je tenais me fut arraché des doigts. Deux pupilles onyx apparurent entre une chaussette et un torchon, aussi dangereuses et incongrues qu'une brique de C4 au milieu d'un magasin de peluches entre les mains d'un enfant pendant les soldes de Noël. Incisives. Pourtant, sa voix l'était nettement moins et son hésitation pas assez filtrée pour passer inaperçue.

« Constater les preuves, ou leur absence, ne te suffira pas. » Qu'il disait. N'avait pas idée à quel point c'était le problème, à tous les niveaux, ou alors cette enflure le savait parfaitement. Étendoir écarté, d'un geste soudain. La chose mise de côté brinquebala misérablement avant de trouver une forme d'équilibre alternative, renversée à l'horizontale sur le canapé.

« Dégage d'ici.

— Je viens de rentrer.

— Je ne t'ai pas dit que je faisais un vœu tous les soirs devant une étoile filante pour qu'on retrouve ton corps éviscéré sur une aire d'autoroute putride et mal famée ? Tenir compagnie aux urinoirs sales et aux soudards qui auront la gentillesse d'étaler tes restes et de les égayer de nouvelles substances serait presque trop raffiné.

— Il va falloir faire mieux que ça, je ne suis pas impressionné par tant de mièvrerie. » Il eut l'outrecuidance de bâiller. De me paraphraser. « C'est tout ce que tu as trouvé en cinq jours ? Misa t'a donné des cours ? »

Timbre plat, qui cachait bien son mordant, m'atteignait, se plantait dans mon cerveau comme un carreau d'arbalète. Cruauté nue de la vérité. Il l'avait sentie. Ma mièvrerie.

Écœurant. Écœurant.

La tentation d'écorcher en retour se creusa sur ma langue et le sujet était tout trouvé. Recommencer était pourtant hors de question, le parallèle avec ce que lui avait pu dire quand il me cisaillait comme un lapin me révulsait trop. J'attrapai un pantalon, secouais brièvement le jean mouillé, faisant fi des filaments de souffrance grillant les nerfs. Négligeables. Le vêtement fut suspendu dans un silence dense, affichage arrogant d'une ignorance feinte alors que je me sentais bouillonner d'une révulsion qui diffusait autant qu'un rayonnement électromagnétique. J'avais besoin de me désinfecter le bras, pour avoir mal, pour ne plus penser.

Comment pouvais-je seulement être heureux qu'il soit rentré. Comment pouvait-il me manquer.

Je voulais qu'il reste ici, avec moi.

Me détestais à me déchirer la peau.


« Raito, s'il te plaît. »

Baguettes posées en un léger tintement, je renonçai à mon verre d'eau pour en jeter le contenu. Sous l'attaque, les protagonistes se figèrent en un duel de bouches ouvertes aux babines pendantes des plus seyantes. Quelques cris de gorets gargouillèrent encore leurs désaccords en octaves dissonants entre deux bombardements postillonnaires vengeurs, pour s'éteindre. Le duo de putois croisés mégères pivota en un bel ensemble et se riva sur moi. L'une, dégoulinant d'indifférence, arrêta net son projet d'expédier une pince à cheveux en forme de ciseaux dans l'œil de son adversaire. L'autre affichait déjà une couleur assez soutenue pour remplacer la cape d'un matador en pleine arène sans ajouter un œil embroché. Akemi écumait en silence, yeux exorbités, dents en avant, souffle rapide de poney échouant à concurrencer un cheval de course. Pour un peu, ses commissures mousseraient sous la rage. Préférais m'adresser à sa voisine qui avait l'air vaguement plus réceptive aux formes de communication plus évoluée que des tentatives de suffocation sous une haleine sulfurique. En tout cas, la légiste n'était pas visiblement sur le point de mordre, elle, et cela constituait un avantage indéniable.

« Donnez-lui le yuzu ponzu Mayat, qu'on en finisse.

— Il ne bougera pas son cul pour le prendre parce qu'il préfère me harceler jusqu'à que je lui envoie la sauce en travers de la gueule.

— Comme si ça vous déplaisait vraiment de mesurer votre délicatesse à sa politesse. »

Le visage ruisselant me promit le trépas et la souffrance sous l'impassibilité. Pas impressionné. Pour faire bonne mesure, je lui tendis, en guise de drapeau blanc, le pin's en forme de fusée qui avait failli attenter à mon repas accompagné d'un mouchoir pour éponger l'eau.

Dans mon dos, l'autre pignouf mafieux à la compétence de l'huître molle reprenait péniblement son souffle avec la discrétion d'un tracteur peinant dans la côte au milieu d'un champ de casseroles.

Les yeux amphibies de la légiste coulèrent par-dessus mon épaule, se fixant un peu plus haut. Sûr qu'Akemi devait se fendre d'un doigt d'honneur élégant ou deux entre deux bourrasques respiratoires et trois grimaces de mauvais pitre. À se demander pourquoi je voulais lui éviter l'amputation d'une main ou d'une langue… la tête serait nettement plus décorative une fois reconvertie en courge d'Halloween.

« La sauce, Mayat. Donnez-la. » Bouteille enfin poussée de mauvaise grâce dans ma direction du bout de ses baguettes crissant une allure arthritique à faire crever d'impatience un paresseux neurasthénique. Pour ne pas lui arracher les cils à chaque centimètre de silence qu'elle torturait, je ménageais un espace vierge de chou pak choi tout autour de mon assiette, non sans la toiser.

« Terminé ? » Elle grogna dans sa barbe, je repoussai dans sa direction ses détritus, ceux qu'elle avait répandus sur toute la table plus sûrement qu'une tornade alimentaire avec l'aide de la truffe indigente. « Et donnez-moi le grille-pain avec. Interdiction d'en faire un projectile ou un insert corporel de n'importe quelle sorte.

— Occupez-vous plutôt de vos groupies changées en irascibles cagouilles démoniaques et faites semblant de ne pas être un royal chieur casse-couilles de premier ordre s'apparentant à une crise de calculs rénaux fulgurante pendant au moins cinq minutes. Mieux, allez donc racoler l'autre fumiste de crapule lâcheuse qui est enfin de retour de ses vacances mal méritées et laissez-nous nous balancer des trucs à la figure en paix. »

Elle n'avait de toute évidence pas décoléré contre l'abandon de l'autre fumiste de crapule lâcheuse enfin de retour de ses vacances mal méritées. D'ailleurs, la bécasse amatrice de viande morte avait la détente de grille-pain facile, prête à larguer les encombrants sur un mafieux qui crânait ostensiblement. Un infime froncement de sourcil suffit, pourtant. Elle me remit l'objet, plus impavide qu'un tricot face à la rumination de son mouton. Mais non sans appuyer sur ma main gauche avec une délectation toute palpable.

« Je me ferai un plaisir de vous faire hurler puis pleurer de douleur jusqu'à réduire vos cordes vocales impertinentes au silence. Vous allez tellement déguster à la prochaine séance de rééducation que vous vous traînerez à genoux dans les couloirs avec la hantise de voir mon ombre se profiler au prochain virage. »

Ricanement retenu.

« Vous n'avez qu'à essayer. »

Qu'est-ce que ça pouvait me foutre.

Akemi et Mayat, comme les grands enfants qu'ils avaient prétendu ne plus être, se rassirent enfin, firent semblant de ne pas noter les morceaux de nourriture qui avaient pris vie sous leurs assauts pour colmater les fissures du sol.

Semblant de calme retrouvé, pour le moment. Mais ils détestaient le vide, le manque de distraction, ça n'allait pas durer. Akemi n'avait trouvé que ce moyen-là pour se défouler depuis que je surveillais la porte de Matsuda, l'empêchant ainsi de transformer le policier en descente de lit. Quel manque d'imagination absolu dans ses projets. Pour un peu, je pourrais le prendre en pitié... mais quand même non.

« Merci pour l'intervention, Raito. »

Sursaut incontrôlable. Caresse surprise dans les cheveux qui crispa tout. La main accentua la sale tendance à rebiquer des mèches plus courtes que les autres, puis se figea, se retira en quelques secondes. Mon père baissa le regard, s'excusa avec une vrille de culpabilité dans la voix. Et c'était insupportable.

« Tu n'as pas à t'excuser pour ça. »

Un simple contact me rendait inconfortable si je ne le voyais pas venir ? C'était ridicule, révulsant, pathétique. Chaque fibre de moi entrait en incandescence pour se débattre contre Beyond. Son emprise qui sourdait jusqu'au creux de mon subconscient. Ralentir, faiblir, c'était me noyer dans son pouvoir. Pourtant, à entendre le bruit régulier de pieds nus sur le sol, approchant, je ne savais plus.

Sa moue nonchalante força mes perceptions. Violence douce-amère d'une colère qui brûlait, craquait tout, mais ne suffisait plus à endiguer le… reste. Le reste.

J'étais content parce qu'il était là. Je voulais… Je le voulais.

Ce n'était pas possible, ce n'était pas acceptable. Je ne pouvais pas vouloir ça.

Fureur vibrante, condensée comme une sorte de cœur à haute densité énergétique. La clé, c'était elle, la fureur. À laisser envahir jusqu'à tout brûler.

Enragement.

Le simple fait de ne pas insulter L jusqu'à l'asphyxie à la seconde où il avait posé un orteil dans cette pièce était bien trop éloquent à mon goût, déjà. Indifférence assenée comme une balle entre les deux yeux, me détournai. Sa présence rejetée, sans prise apparente.

« De rien, mais Akemi et Mayat trouveront bien un autre prétexte pour se divertir et passer le temps tout en se montrant absolument désagréables.

— C'est exactement pour ça que cette énième dispute de chiffonniers pourrait s'ajouter à la liste des demandes de retraits de salaires pour cause d'obstruction à l'enquête. »

À ce jour, c'était bien la seule injonction efficace pour obliger la meute de tartignoles grotesques plus empaffés que des pelles à tarte braillardes à respecter le planning d'entretien de la maison. Hors de question de vivre dans une décharge coiffée d'un toit, n'en déplaise au sadique adorateur d'objets contondants qui s'amusait à m'infliger son existence après avoir foutu le camp sans rien dire à personne.

De son côté, Akemi opta pour son ton fataliste de tragédien préféré, cuillère couronnée de soupe brandie avec plus de conviction qu'un roi agitant son petit pouvoir monarchique pour se faire mousser dans les réunions d'État et le comparer subtilement avec celui des copains.

« Vous êtes dur, comm', avec les salaires ! En plus, vous avez déjà utilisé le motif d'obstruction pour nous obliger à trimer sur les tâches ménagères, sûr que c'est pas très très légal, le travail forcé.

— Je peux aussi appeler ta mère, elle va être ravie. Tu n'as aucune idée de ce que le mot « travail » signifie, encore moins « forcé », mais elle se fera un plaisir de te l'apprendre.

— Hmpf, j'ai plus dix ans ! Et laissez ma mère en dehors de cette conversation, sa simple mention est l'équivalent d'une incitation terroriste avec mise en danger de la vie d'autrui, c'est donc illégal.

— Ah, vraiment ? Pas autant que de la laisser sans nouvelles. »

Le front du mafieux se chiffonna, son regard torve coulissa sans la moindre discrétion entre la bayadère belliqueuse peignée avec un corbeau agonisant, qui venait de revendiquer une place en bout de table, et moi.

« On se passe les nerfs sur ce qu'on peut, puisqu'on nous empêche d'aborder les vrais sujets intéressants. » Sous-entendus qui s'apparentaient à une déclaration de guerre. Oh, il n'en était pas à son coup d'essai, passé maître dans l'art de me coincer hors de ma chambre pour une envolée de propos à double sens aussi lourde et agressive qu'un troupeau de mouettes obèses par vent contraire. « En plus, je suppose que tu vas t'opposer aux retraits sur les paies, hein, L,vu que c'est toi le vrai décisionnaire ?

— À défaut de supposer avec la tragique déficience d'un paillasson à franges coulé dans l'océan en perpétuelle expansion de l'abrutissement, merci de nous épargner le spectacle de l'écoulement de ce qui te sert de liquide rachidien par la cavité buccale. On dirait les chutes du Salto angel dans lesquelles tu refuses de te suicider. » La délectation derrière l'insulte, il n'avait même pas la décence de la camoufler, de l'atténuer. Bien sûr. « Ne te pense pas si important, le monde n'a pas besoin de toi pour sombrer sous les opinions inintéressantes d'autrui balancées comme des formules magiques à la tête du premier assisté mental venu.

— Hé ben, je vois que tu es ravi d'être rentré, je me réjouis d'entendre tant de compliments, à croire que je te manquais. Pourquoi t'es parti, d'abord ?

— Pour te contraindre au silence de manière définitive et te faire prendre conscience que ta vie n'est qu'une longue et dramatique dégradation cognitive. Quand on part de l'intellect d'une truite murale, la marge de déclin est pourtant réduite, mais tu continues d'explorer les tréfonds de ton insignifiance avec une rare persévérance.

— Hn. Ouais, tu parles. Je note pour la biographie, juste après le paragraphe sur ton incapacité à mentir convenablement parce que tu prends tes interlocuteurs pour des glands tombés trop loin du caniveau. Bon, puisque t'as prévenu personne de ton retour, y a pas de gâteaux. C'est soupe, riz et brocolis au menu. Bon appétit. »

J'imaginais assez bien les choléras emplâtrés à la sanie de cloportes putrides s'échanger des grimaces et des gestes indélicats par-dessus la table. Personne ne commenta, surtout pas Mayat qui, rivée sur une chaîne de clips musicaux, nous avait éjectés depuis longtemps de ses préoccupations.

Par dessus les affreux bruits de mastication et de succion typiquement nippons, je fixais mes mains. Les gestes étaient machinaux et mes pensées, elles, s'étaient figées. Sur une vérité tellement dérangeante, tellement dégueulasse, que je n'arrivais pas à l'encaisser. Toujours la même : j'étais dans cette pièce, avec L, sans le descendre en flèche, sans partir. Et je ne me faisais aucune illusion sur les raisons.

« Tch, je fais semblant d'ignorer L pour bien lui montrer à quel point je n'ai pas besoin de lui. »

Blanc.

Dardai des yeux fixes sur Akemi.

Qu'osait-il balbutier entre deux renvois intestinaux clabaudants, l'enfoiré de chicaneur péteux trop offensant pour sa propre profession ? Son sourcil levé, il repoussa une mèche de cheveux d'un geste maniéré. Sa voix suraiguë me perforait les tympans, mais ne souillait pas autant que le contenu de ces ahanements de canasson morveux.

« Mes paroles sont de parfaites retranscriptions de ce qui se passe dans la tête de ton chéri, L, la fidélité est grossièrement totale. Mon talent est total. Je continue. »

L'horrible sale petit bouffon simiesque sourit encore, provocant, et je dus me retenir férocement de ne pas bondir par-dessus la table pour l'étrangler. Le timbre pincé et trop haut était insupportable.

« En plus, je mange exprès sous son nez pour qu'il puisse constater à quel point son absence m'a fait du bien. Maintenant que je ne vais plus dégobiller mes poumons dans le premier trou venu, il ne faut surtout pas que le sous-entendu lui échappe. »

Cherchait l'agonie ? La douleur infinie ?

Le pisse-copie de gourgandine caquetante dont le cerveau était plus torché que le cul d'un enfant en bas âge porta la main à son front… avec une préciosité telle qu'il ne pouvait que chercher à ce que je le trépane dans un dépotoir avec une conserve mal ouverte pour laisser les liquides cérébraux et le jus de ses boyaux se mêler enfin de manière concrète. Oh, bordel. C'était pourtant tellement vrai que L finirait par s'en rendre compte. Frisson brusque. Je me levai, plantai ma froideur glacée dans le visage jubilant. M'autorisai une brève torsion méprisante des lèvres.

« Merci pour le sous-titrage d'utilité publique. » Glissement chuchoté. « 111-0022, 2 chome-10-7.»

Les joues d'Akemi pâlirent.

J'emportai simplement mon assiette sur le canapé, à côté de la légiste hypnotisée par les images télévisées. Le visage du mafieux, surveillé du coin de l'œil, se vidait de toute contenance en même temps que le sang lui quittant le visage. Même la fine façade qu'il affichait en temps normal craquait sous la menace explicite. Et sous le rappel douloureux – collatéral – du sort funeste de ses hommes. Flash des têtes décapitées dont les gorges dégoulinaient froidement sur ma peau en lambeaux glacés de caillots noirs. Images pulsant mon crâne, voulant me déborder sous ce monde de noirceur rempli de puanteurs atroces, de viande flasque et blême entre deux éclairs de lumière clinique. Déglutition forcée. Repousser la sensation qui me démangeait déjà l'épiderme de sueur, sous le contact souvenir de cette chair pourrissante directement sur la mienne. Glaciale sous les fluides charriant la mort qui s'échappaient des artères arrachées, des bouches tordues, des yeux paralytiques.

J'eus à peine le temps d'avaler deux bouchées aux forceps de ma volonté qu'Akemi se leva précipitamment pour courir hors de la pièce. Triste sensibilité de pomme à l'eau sucrée de crucruchette-midinette. Les filaments poisseux s'agglutinaient lentement à mes rétines, mais je refusais de laisser les représailles de mon esprit pour un commentaire sadique gagner. M'accrochais à la satisfaction nauséeuse, Akemi ne l'avait pas volée, celle-là. Ne restait qu'à ignorer la brutale convergence des regards dont j'étais le centre. Deux personnes uniquement ayant parfaitement saisi, non seulement la saloperie, mais surtout son étendue l'attention générale finit par se décaler vers la porte battante.

Par inquiétude pour son prochain – et seul véritable camarade depuis la trahison de cette larve irritante de Matsuda – Mogi emprunta rapidement le même chemin et mon père suivit le mouvement. S'accapara l'oreille d'un Mogi résigné face à l'épreuve en même temps que son bras pour y déverser une série de grommellements mécontents. Rendu captif par ses difficultés à marcher rapidement seul, Mogi endura. Bien brave. Et les deux disparurent dans le couloir, nous laissant derrière. Mayat, dernier rempart, partit elle aussi quelques minutes incongrues plus tard. Sûr que L lui avait signifié de dégager dans mon dos.

Que nous, maintenant. Et la télévision, pas quittée des yeux. Prétendre était absurdement difficile. Je voulais rester-là, autant que je voulais lui arracher les yeux. Me manquait. Et c'était au moins aussi ridicule, abject, pathétique et sale que les quelques rêves superposés de cauchemars dont il était le centre. Dégoût monumental. M'interdisais de détourner le regard, tout en finissant le contenu de mon assiette dont la saveur culminait au carrefour improbable, mais pas moins immonde du savon, du détergent bouilli et de la chaux pour les murs. Au moins, l'assiette était raccord avec l'ensemble de la situation, mais n'avait pas le bon goût d'être létale.

« Pourquoi avoir menacé Akemi ? »

Aurais pu dire que techniquement j'avais surtout menacé sa mère en donnant l'adresse de son domicile. Bien sûr que je ne le fis pas. Ce serait jouer et cela n'avait plus rien d'un jeu depuis longtemps. À ce titre, le téléphone que l'on m'avait enfin rendu depuis quelques jours n'avait plus aucun intérêt. Mais il en avait d'autres, nettement plus utiles.

J'attrapai la télécommande, changeai la chaîne. L se posa sur l'accoudoir du fauteuil, faisant bruisser le tissu sous ses pieds nus et courir le malaise. Il tenait un modèle d'ordinateur daté, parsemé par une main enfantine – probablement vengeresse – de restes d'autocollants mal arrachés et de traces artistiques de stylo. Certains morceaux encore visibles par transparence, peut-être une tête violette, quelque part. Jamais L n'aurait décoré son ordinateur et ça ne faisait que confirmer un peu plus ma déduction sur son lieu de vacances anglaises. Qu'il ait atterri dans le seul lieu de cette planète voulant bien accepter sa personne sans le balancer avec les ordures sur un paillasson crasseux de police relevait de l'évidence la plus imbécile. Son foutu orphelinat, il n'avait qu'à y rester jusqu'à la décomposition de son corps dans une cave.

Pourquoi me montrait-il cet ordinateur ? Bien meilleure question. Insidieuse. Signifiait qu'il avait eu connaissance des messages envoyés à Watari, notamment du dernier ? Ou il se foutait simplement de confirmer ma théorie sur le lieu de son séjour aux frais de la reine ?

« Prendre la fuite en Angleterre, d'accord. Personne n'est surpris de tels agissements de la part d'un salopard despotique et lunatique incapable d'éprouver une forme d'empathie supérieure à celle réservée au poulet crevé qu'il découpe sur sa table d'autopsie. Mais revenir ? Je vois que tu ne te prives pas de harceler une fois de plus ceux qui ont le malheur d'être forcés de te fréquenter. »

L'allusion à son pays natal visait juste à tâter le terrain, titiller sa fibre paranoïaque. Aborder sans trop y toucher les fausses informations que j'avais refourguées à Watari comme de la marchandise de contrebande tombée d'un camion. Inspiration trop rapide, à appuyer sur la télécommande, mes attaques manquaient de mordant et c'était le pire. Je voulais qu'il reste, je voulais… qu'il regrette. Et ça n'avait aucun putain de sens, aucune putain de logique.

L me scrutait par-dessus son ordinateur. Question de secondes avant qu'il ne s'aperçoive que je l'épiais indirectement grâce à l'écran de télévision renvoyant son alter ego pâle et translucide. Inflexion rapide de la trajectoire de mon regard pour ne pas croiser le sien dans les reflets fantomatiques des pixels. Il paraissait préoccupé, pour autant que je sache encore lire ses expressions. Autant dire que ça ne valait plus rien, n'avait jamais rien valu.

« Tu ne t'es pas renseigné. »

Bizarre ce sous-entendu de reproche. Sourcil haussé et soupir méprisant retenus pour changer encore de chaîne. Crétin. Me prenait pour un crétin, même pas capable de déductions aussi primaires. L'antique teigne aigrie par l'abus de scones et de marmelade lui avait forcément fait passer les données, pourtant. Qu'il ne relève pas l'allusion à Watari était bien suffisant pour prouver qu'il était conscient de ce que je faisais, en partie. Les indications étaient faussées et il le savait, puisqu'il connaissait les véritables emplacements des planques. Lui ne pouvait cependant pas savoir jusqu'à quel point je croyais en la véracité de ces informations. Beyond n'était pas censé m'avoir laissé suffisamment de miettes pour pouvoir reconstituer quoi que ce soit. Et ça avait failli être vrai.

Il me suffisait d'attendre le prochain mouvement de L.

Volume brutalement monté : j'avais trouvé l'arme parfaite pour rendre cette conversation encore plus désagréable. Effaçai les maigres prémices d'un rictus. À l'écran, une silhouette à contre-jour se découpait sur une scène de concert. Dans le soudain éclat d'un projecteur, des jambes longilignes bardées de vinyle noir se figèrent. Un flash blanc lécha les cuissardes à talon aiguille quand la chanteuse fit face à la caméra, posa la main sur sa taille. La pénombre retomba aussitôt, assez grise pour deviner sa posture et celles des musiciens derrière elle. Le manteau glissa de ses épaules et fut jeté dans la foule sur un roulement de hanches coordonné aux premiers accords. Alors, la lumière envahit l'image avec le contraste du blond platine des cheveux et la sobriété d'une robe moulante noire à bustier. Le cadenas d'argent utilisé en pendentif se balança alors que Misa empoignait le micro. Posa son autre main sur son visage, permettant au passage un gros plan vraiment indispensable sur son annulaire orné d'une bague serpent dont le rose à demi translucide était incrusté de métal. La bouche fuchsia se ferma en bouton en s'approchant du bord de la scène et son regard se fit étrangement perçant.

Hello again Friend of a friend,

I knew you when

Les couettes battirent quand elle tourna vivement la tête pour souligner un tempo que les âges obscurs du rock avaient dû vomir entre deux renvois faiblards pour paresseux de la chansonnette amatrice.

Our common goal was waiting for the world to end

Brutale, presque, le micro fut décroché sur une expression dure. Son attitude plus sombre et séductrice faisait violence à son image sucrée habituelle. Même pas besoin de regarder L pour deviner qu'il était au bord de l'agonie sous l'agression musicale et visuelle, exactement comme j'avais deviné où il était allé se planquer sans avoir besoin de demander quoi que ce soit. Qu'il faille expliquer une telle évidence horripilait le sens pratique de n'importe quel être au fonctionnement plus évolué qu'un dispositif releveur de cornichons. Par sadisme, j'augmentai la puissance du son : il ne fallait surtout pas perdre un décibel de cette horde auditive de phacochères.

Now that the truth is just a rule that you can bend

You crack the whip, shape-shift and trick the past again

Le détective arrivait visiblement à son point de rupture face à tant de médiocrité exhibée, cultivée en épandage cérébral. Fallait dire que l'ensemble devait provoquer chez lui une appréciable envie de pendaison. Parmi tout ce qui était feint, son aversion pour Misa relevait, au moins, de la certitude.

I'll send you my love on a wire

Lift you up, every time

D'un bond presque félin, il se riva sur la télévision pour l'éteindre au bouton et resta figé, main sur la bordure du poste. Lignes de tension ravinant son dos et sa main crispée, l'implosion qu'il tentait de retenir sous sa respiration accélérée. Cette fois, avec lenteur et calcul, nos iris se choquèrent par le biais de l'écran. Et ce qui acérait ce regard-miroir n'était qu'un fragment infinitésimal de ce qui irradiait dans tous mes nerfs.

Après l'attaque, sa réplique.

« Bien. Parlons d'Akemi. Fallait-il entendre plutôt l'aveu ou la menace de mort ? Pour peu que tu sois capable de dire quelque chose sans le nier juste après en prétendant que ça n'a jamais existé. »

Le ton, volontairement agressif, me défiait de répliquer et la tentation de le faire craquait mon volume cardiaque. Pour tout ce qu'il disait. Pour tout ce qu'il sous-entendait. Pour tout ce qu'il avait dit dans l'aparté d'un claquement de pince sur un ongle ou dans le bruit sec d'une clé à trois griffes chatouillant amoureusement les côtes jusqu'à en faire céder les os. Soudain, L se retourna. Plus d'intermédiaire aux séismes des iris qui voulaient se bouffer. Je notais que l'angle de ses maxillaires avait à peine viré au bleu.

J'aurais dû frapper plus fort.

« Pourquoi as-tu attendu que je sois parti pour pirater les caméras de surveillance ? Pas comme si tu pouvais le cacher.

— Exact. Continue à te poser la question. » Marque finie d'arrogance, probablement aussi irritante que je l'avais voulue.

« Dois-je conclure que tu as attendu parce que tu es trop lâche pour faire face aux conséquences directes ?

— Dans ce cas, pourquoi y faire face maintenant ? » Jouissif à dire. « Tu n'as qu'à conclure ce que tu veux, je m'en fous. »

Question de timing, surtout, la consultation des enregistrements. Moment où j'avais enfin pu me débattre visiblement dans mes chaînes parce que j'avais assez avancé. Enfin, maintenant, je pouvais me servir de ces enregistrements à mon avantage sans lui en donner. Sans lui vendre, par déductions, toutes mes informations en creux à travers ce que je cherchais. Et puis je ne faisais absolument pas confiance à ces enregistrements, ils n'avaient à peu près aucune valeur le concernant. Oui, jouer la comédie ne demandait aucune manipulation technique et le reste se contrôlait aisément pour paraître naturel.

« Tu as envoyé une partie de l'équipe dehors. Deux fois. La première il y a deux jours, la deuxième juste avant que je rentre. Toutes les caméras de ville sont coupées aux moments opportuns.

— Brillant, L. » Oh, le nom roulait tellement comme une insulte dans ma bouche, désormais.

Me barricadai aussitôt contre ce constat qui irait me frapper en pleine gueule plus tard.

Le silence s'étira dans les abîmes insondables de ses pupilles et se brisa.

« Même si tu te comportes comme un parfait connard, tu me manques, c'est pour ça que je suis revenu, pas parce que tu sembles décidé à semer le bordel. Et je ne prétends pas le contraire quand ça m'arrange. » Quel enculé. « J'assume mes actes et mes paroles, ce que tu n'as jamais été capable de faire.

— Je te manque et c'est pour ça que tu es revenu, tu es sérieux ? Qu'est-ce que j'en ai à foutre de tes conneries !Fous le camp, barre-toi d'ici !»

L inclina la tête de côté, songeur au lieu de dégager. Ses paupières s'écarquillèrent à faire mal et la pression de son regard se fit dérangeante, physique. À croire qu'il venait de découvrir la réponse à la grande question sur la vie, l'univers et le reste au fond d'un tiroir de chaussettes. Aimais pas ça du tout. Chair de poule hurlant d'avertissement, mon souffle bloqué.

« Tu es encore plus en colère maintenant qu'avant que je parte. Je ne croyais pas ça possible.

— Ferme-la. La vie n'est qu'une suite de déceptions, tu devrais le savoir. »

Cette conversation glissait dangereusement. J'avais tellement envie de lui faire mal et ça ne marcherait pas, mais essayer était si tentant. Timbre bas et mordant de la menace, sentais littéralement l'adrénaline me grimper dans le sang.

« Pourquoi est-ce que je n'ai jamais demandé comment tu allais, où tu étais, L, réfléchis. Pourquoi n'ai-je envoyé aucun mail. Comme si j'allais faire semblant, comme si j'allais m'abaisser à un niveau aussi répugnant pour toi. Le message que j'ai frappé sur ta gueule à ton retour n'était pas assez clair ? Tu en veux plus ? Tu n'as aucune importance, aucun intérêt. Le placement en orphelinat de parasites comme toi n'est pas un mystère et je me branle de savoir sous quel angle tu vas lécher les jupes de Watari en remuant la queue. La seule chose qui m'intéresse, c'est la manière dont tu vas payer ton entrée en enfer. »

Sa bouche s'incurva en un demi-sourire presque moqueur, me déstabilisant, traversant toutes mes protections plus facilement qu'un couteau à blanc dans une plaquette de beurre mou. Hérissement qui poussait à me débattre. Subir cette expression-là me fit sentir si détestablement fragile.

« Tu as l'air très concerné pour quelqu'un qui n'éprouve soi-disant aucun intérêt pour moi. En réalité tu es en colère que je sois parti, pas que je sois revenu.

— Jour de fête au rayon boucherie. Ce serait touchant si l'usage d'un cerveau fonctionnel était fourni avec le steak et le couteau.

—Arrête de donner à Beyond ce qu'il veut, qu'est-ce qu'il te prend ! Secoue-toi, bordel !

— Marteler tes syllabes ne te rendra pas plus convaincant. J'aurais vraiment dû t'éclater la mâchoire.

— Oh, tu avoues ? J'en étais presque sûr. Même avec ton manque de tonicité musculaire, tu aurais pu me péter la mâchoire si tu l'avais vraiment voulu. Révélateur. » Éclosion d'un autre sourire, carnassier. Putain de cauchemar sans fin. Pourquoi est-ce que j'avais dit… Pensées emballées et figées en symbiose chaotique : il avait compris.Je perdis pied, brutalement, entendis ses paroles à travers un état presque second. « J'ajoute que j'ai compté trop peu d'insultes à la minutedepuis mon retour, tu t'es montré conciliant de manière suspecte alors que tu crèves de colère par tous les pores de ta peau. Et tu veux me faire croire que je n'ai aucune importance ? » Panique gluante et froide suintant de l'épine dorsale alors qu'il paraissait si ravi. Oui, il avait compris. La nausée recouvrit tout le reste, peu à peu. « Malgré toutes les saloperies de Beyond que tu as avalées avec l'entonnoir du jugement foireux jusqu'à l'indigestion totale, tu as retenu ton coup. Et tu es encore plus énervé qu'avant parce que tu en as toujours quelque chose à foutre. »

Cette vérité qu'il prononçait avec le ravissement d'un enfant déchirant son cadeau de Noël infusa l'instant.

Show d'horreur au ralenti.

« Tu es soulagé que je sois revenu et ça te reste en travers de la gorge. Tu ne t'en branles pas une seule seconde. »

La distanciation crantée se leva quand ses commissures s'élargirent encore. M'approchai, agrippai son col. Combustion. Grondement enflammé à blanc et bas, extirpé de ma gorge.

« Encore un mot et je te fais ramper. »


Porte claquée, bandage que j'arrachai de mon bras. Il fallait que je noie mon cortex. C'était la seule stratégie valable, la seule manière de me protéger de lui, dans cette partie d'échecs dépourvue du moindre sens comme dans n'importe quelle contrefaçon émétique de conversation.

J'appliquai le coton fortement sur la chair, imbibé d'alcool à 90. Grimace. Les terminaisons nerveuses s'allumaient une à une sous la douleur et, enfin, j'arrivais à reléguer L et Beyond dans le fond de mon cerveau. Racler l'épiderme massacré, en pressant, écrasant, titillant les repoussait chaque fois un plus loin. Tester la solidité et l'état des coutures. Je tripotais le coton sur les incisions sans douceur, millimètre par millimètre en combattant la hantise d'y revoir des signes de pourrissement.

Après une dernière détersion sur l'immonde chose qui me servait de bras, je me forçais à passer à la suite de la collection en savourant la maigre autonomie que j'avais pu acquérir en la matière. Hors de question d'y renoncer, peu importait le nombre des morceaux de chair qui avaient été scarifiés ou prélevés. Un désinfectant classique remplaça le précédent, plus adéquat. Atteindre la peau toujours à vif du dos et de l'arrière des cuisses, en particulier, restait difficile, douloureux.

Reboutonner ma chemise après la séance, même simplement l'enfiler demandait un temps infini et grotesque. Sur un soupir énervé, j'allumai l'ordinateur tout en me débattant avec un simple pantalon qui avait juré de s'enrouler autour de mes pieds.

Watari avait enfin répondu à mon dernier message avec sa sécheresse, sa haine et ses insultes à peine policées. La prudence grincheuse qu'il utilisait pour accepter ma prétendue demande de « collaboration » était-elle vraiment censée être crédible ? Aurais pu lever les yeux au ciel si ça n'avait pas été la décision attendue. Comme s'il allait cracher sur l'occasion de pouvoir m'espionner et rapporter tous mes agissements de « serpent » à son plantigrade scrapouilleux. Se priverait pour rien au monde de me planter des lames dans les omoplates tant qu'il restait encore le moindre centimètre disponible. Bien sûr, toutes les informations échangées étaient fausses. À voir comment L allait réagir.

Art avait laissé huit sms sur mon téléphone, bien plus pratiques que nos longues conversations par webcam, mais avec le désavantage de laisser des traces. Pas trop grave dans la mesure où tout était faussé, déstructuré, décomposé. J'avais décidé de passer outre, pas très différent d'avant : L piratait déjà nos échanges. Les nouvelles données imprimées dans mon crâne, je fermai les yeux. La carte mentale de Tokyo se déroula à l'intérieur de mes paupières. Toutes les nouvelles données qu'il fallait trier, à ajouter aux autres hypothèses. Ce n'était que cela, des hypothèses. Une seule information coexistait sous plusieurs dizaines de possibilités, à pourcentages de probabilités très variables, à coordonner avec toutes les autres. Le brassage devenait difficile. Entre l'impossibilité de chercher de manière directe, la nécessité de tout crypter, la nécessité de fragmenter, de biaiser et de démantibuler chaque demande et chaque donnée avec les intervenants extérieurs, la nécessité de coordonner parfaitement les fausses pistes entre elles et à tous les niveaux. Qu'il n'y ait pas d'incohérences visibles de sorte que L puisse remonter de n'importe quel côté sans parvenir à quoique ce soit de viable sans trouver de failles et sans comprendre quels étaient les réels objectifs.

Vraiment difficile à tenir à court terme. Et puis il fallait recomposer la symphonie après l'avoir disséquée. Me refusais d'écrire la moindre once de mes réflexions, que le coquefredouille sottard et grossier volant tout droit dans les bras du diabète ne puisse pas s'en servir.

La majeure partie des apports s'imbriqua dans le tableau après des heures de torsions, tâtonnements, manipulations, listings et classifications des lieux plus ou moins appropriés. Le soleil se baignait dans un rouge épais quand je rouvris les yeux, des heures plus tard. La construction mentale resterait en attente jusqu'à la prochaine fois, une série de rapports posaient un lourd problème de structure globale, le raisonnement à repenser concernant Ueno, Kakamura et Tsukishima, au moins. Pour trancher, j'avais besoin d'une autre visite illégale, mais plus difficile à organiser maintenant que L était de retour.

Toute ma fatigue psychique pourtant balayée par l'excitation.

Tant de passer à la suite. D'accélérer. De le mettre au pied du mur.

Et de rédiger des notes, pour une fois.

Mogi, Akemi et mon père étaient précisément sur le point de laisser en plan les recherches pour la soirée. Raté. La liasse d'instructions posée avec un bruit sonore prépara efficacement le terrain pour quelques anévrismes futurs. Pas besoin de travailler davantage l'infarctus : selon le sort suintant des restes d'une tarte industrielle qui produisaient visiblement assez de graisse pour faire une partie de bobsleigh, le projet avait de bonnes chances d'aboutir. Le regard électrique du mafieux glissa, sans impact, ignoré. Je déployai plutôt, tant bien que mal, une carte trop grande sur la table en recouvrant sans cérémonie tout ce qu'il y avait dessus, tarte comprise.

« J'ai quelques pistes pour les planques de Beyond Birthday.

— Oh, tu as pu faire enfin un peu de tri dans le cauchemar boiteux de ta matière cérébrale aussi pourrie que la volonté de certains de ne pas faire leur boulot ? »

Plutôt que de relever l'incitation au meurtre de la godiche mafieuse indécrottablement incapable de mettre les pieds dans le plat sans s'en étaler partout, je lui tournai un lambeau famélique d'attention glacée. Fin de non-recevoir.

Feutres de couleurs différentes comme armes de guerre, j'annotai la carte tout en entourant les zones à fouiller, plus ou moins importantes. L'habitude de mitrailler les explications simplifiées à un point indécent en ménageant la sensibilité intellectuelle de l'entourage ne s'oubliait pas si facilement… même si je n'avais plus pratiqué depuis plusieurs semaines, je l'avais fait toute ma vie. Tout se déroulait de manière fluide, maîtrisée. L, au fond de la pièce, observait, conscient que je l'obligeai à bouger. Avais presque oublié à quel point j'adorais son regard sur moi dans ces moments et le reconnaître poissait mon épiderme de révulsion.

« Il faudrait fouiller ces zones-là en priorité, je pense. » Feutre rouge sur zones larges où il n'y aurait de toute façon rien, mais que la suite de théories presque montées de toutes pièces semblaient désigner.

Conneries.

Les laissant discutailler organisation, je m'éclipsai en prétextant que je n'avais pas encore achevé une série de vérifications importantes.

Pendant que Mogi et Akemi feraient des fouilles inutiles, mon père, lui, irait faire le travail de terrain dont j'avais besoin. Lui-même ne saurait d'ailleurs pas ce qui m'importait. Bien sûr, ce travail de terrain serait lui aussi dissimulé dans un monceau de taches et de zones inintéressantes.

À terme, le but était de réduire les options à sec avec une grande délicatesse. Sans inquiéter Beyond. Ensuite, il faudrait frapper fort : mettre hors jeu le maximum de planques d'un seul coup. Pas le droit à l'erreur.


Une heure plus tard, à peine, j'étais revenu. Mais qu'est-ce que je foutais là. Posture ramassée sur le canapé, m'étais blotti dans le fond du coussin dorsal. Qu'est-ce que je foutais là. La raison trop citrique pour la formuler clairement, infusée d'une rage au moins équivalente à celle qui rugissait son appel à la vengeance. Le gouffre ouvert dans mon estomac n'avait rien de raisonnable mais… j'étais toujours dans ce putain de salon. Urticaire psychique du constat, électrique et vrombissant comme un compte à rebours létal. J'agissais n'importe comment. Je n'aurais pas dû être là. Tâchais de ne pas trop laisser mon attention errer, me résignais finalement à regarder l'écran sans parvenir à accrocher la moindre image sur ma rétine. Le film diffusé, un classique japonais, avait réuni toute la joyeuse clique de bras cassés plus patauds que des chameaux à trois bosses pour une écœurante ode à la nostalgie mal placée, même pour la robustesse des fessiers les plus chauvins. La rangée de paires d'iris écarquillées évoquait la fascination des moustiques pour les sources lumineuses. Entomologiste dans l'âme ou absolument masochiste, Mayat avait décidé de se joindre à l'effort collectif de contemplation béate, les images se reflétaient sur ses yeux vides et globuleux. Pourvu qu'elle ne saute sur personne pour enfoncer ses épingles aux endroits stratégiques.

L se tenait dans un coin, à l'écart, ordinateur sur les genoux en équilibre instable. Qu'est-ce qu'il foutait là lui ?

Ne pas y penser. Ignorer la fourmillance d'idées voulant traiter l'information de sa présence. Mais je m'y refusais. N'y tenant plus, je dégainai mon téléphone. L'unique accessoire dont j'avais besoin pour travailler et rechercher les cachettes de BB au nez et à la barbe inexistante de L rajoutait une saveur particulière à l'ensemble. Replonger dans l'ensemble fluctuant et modéliser de toutes mes théories avait quelque chose de reposant. Le blocage dans une partie du raisonnement éclatait mon esprit de son évidence, devenait handicapant, menaçait la macro-structure.

Quelques regards appuyés des autres à propos de la fréquence et de la vitesse avec laquelle je rédigeais les sms finalement détournés d'un facile « ce sont des amis de l'université. »

Artémis travaillait vite, mais même avec son aide le problème paralyserait l'avancée tant qu'il ne serait pas résolu. Envoyai encore une projection possible déguisée en récit d'un vieux concours de pâtisseries. Non, marchait pas non. Et en permutant les deux derniers facteurs ?

Des mèches blondes envahirent mon écran de téléphone dans une bouffée de parfum chimique et sucré – pêche ? Misa venait de rentrer. Le regret supplanta toute autre forme de raisonnement pendant un bref instant. J'aurais mieux fait de rester cloîtré.

« Bonsoir, Raito. »

Le petit sourire naïvement content creusa une fossette dans sa joue. Elle posa ses mains sur ses jupons bouffants en tulle gris et s'écarta sans attendre de réponse pour saluer le reste de la joyeuse compagnie de glandus démoulés trop loin de l'arbre. Si Misa avait surtout exploré les tréfonds de son style « lolita », cela faisait longtemps que la composante « gothique » dont elle se réclamait avait disparu, étrange resurgissement. Pourtant son regard candide n'avait rien à voir avec la dureté qu'elle avait affichée dans son dernier clip.

Elle tassa tant bien que mal ses froufrous sous la table pour ronger une poignée de radis et de brocolis crus en racontant sa journée avec l'enthousiasme d'un gallinacé après la ponte. Entre deux messages, décrochai rapidement de la conversation démontrant à quel point le vide passant derrière ses yeux restait insondable et inexploré. Le moelleux du canapé n'avait pas l'avantage d'étouffer totalement les paroles qui me parvenaient dès qu'Artémis mettait trop de temps à répondre. Peu importait à quel point je m'y enfonçais, je ne pouvais pas prétendre. Malgré l'invasion de Miss sucrette-coquette-barbi(e)tale, je n'étais pas parti.

Ayant fini d'épandre sa vie futile dans les conduits auditifs des uns et des autres, la mannequin gratifia le mafieux d'un clin d'œil charbonneux puis étala des fanes sur la table.

« Mayuri m'a montré ça tout à l'heure, je vais lire ton avenir dans les feuilles de radis. Tu es prêt ?

— Prêt à faire baisser ton QI encore plus bas que la température de la pièce ? Toujours. »

Misa fronça les sourcils.

« Ce n'est pas très gentil gentil, ça, je crois. Il fait combien ?

— La température est subliminale.

— Oh, alors mon intelligence est subliminale ?

— Exact. »

Akemi croisa ses mains avec un demi-sourire faussement doux. Attente du chat regardant la souris s'emmêler dans sa pelote de laine avant l'heure du dîner. L'idole tapota ses ongles noirs avec un auto-ravissement dégoulinant.

« Ouiiii, je suis subliminale ! »

L marmonna distinctement à quel point il était scandaleux qu'elle ne le soit pas. Vexée sans comprendre le fond de l'insulte, elle releva le nez d'un « humpf » et lui tourna le dos. « Sublime, sublissime, sublimissime, subliminale. Merci Akemi, tu es a-do-rable. Pas autant que mon supermâle, mais quand même. »

Ricanements collectifs de gnous randonnant dans une usine de farine. L'écœurement face au grotesque du surnom faillit bien briser le vernis d'ignorance qui me servait de prétexte pour ne pas intervenir. Tout juste si j'accélérai la rédaction d'un message.

« Le supermâle qui t'a larguée ? Tu parles.

— Le critique pas, Akemi. Il est juste pas trop lui-même en ce moment et c'est pas sa faute.

— Hum. Et cet avenir, alors ? Je vais devoir me l'inventer tout seul comme une grande personne immature et irresponsable ?

— Ça vient, ça vient. Mais franchement, t'es pas si grand pour une personne si bruyante.

— Ton expertise est étendue à tellement de domaines que j'en suis presque sans voix. »

Les doigts fins rassemblèrent les débris végétaux, secoués énergiquement entre les paumes jointes. Misa sauta sur ses jambes, fit tournoyer ses bras au-dessus de ses couettes et lâcha les pauvres fanes sur la table. Mains écartées, en surplomb, elle se pencha sur son exercice divinatoire pour les nuls. Deux bonnes minutes s'écoulèrent paresseusement.

« Quelqu'un a un compas ? Non, bon. Alors je vais devoir prendre les mesures avec mes doigts. Le morceau, là, il est à euh deux index et un pouce du centre, donc je vais l'appeler Momo. C'est lui notre point d'interfére… de référence. Il indique que ton centre n'est pas centré, tu vas donc atteindre le grand but de ta vie, mais en fait pas tellement trop.

— Mon dieu, je ne serai donc pas sirène de parcmètre dans le Queensland ? Pourtant, je me suis entraîné pendant des mois pour rentrer dans mon bikini doré et pour parler aux touristes ! Mes rêves s'effondrent dans un sort aussi funèbre que dramatique.

— C'est dommage, tu aurais été une sirène formidable. » Elle lui posa une main consolatrice sur l'épaule. « Si on constate l'inclinaison du bout le plus haut de Momo, par rapport à la fane la plus à droite… La fane la plus à droite représente toujours le métier… on peut voir que… Oui. Quinze pouces et un petit doigt, elle est tournée à gauche et vers le bas : les signes sont clairs. Tu vas prochainement arrêter la mafia pour ouvrir une boutique de prêt-à-porter pour théières. Des articles tricotés en laine. La deuxième fane après le métier est collée à la fane de la créativité reconnaissable à son coin pourri, c'est le signe infaillible de la laine tricotée à la main.

— Mon avenir professionnel est aussi réjouissant que ta carrière, c'est rassurant.

— Pas autant quand même, c'est pas comme si les théières pouvaient avoir froid, hein, et te faire connaître au niveau international ! Mais c'est trop choupicool, c'est un métier d'avenir ça. On a tous besoin d'un cache-théière dans la vie, c'est l'idole Aya qui disait souvent ça quand elle allait danser dans son club à elle ! Alors, ensuite, nous avons la fane de la vie sociale qui est située à côté de la fane, très rare, du poulailler. Celle-là, on la reconnaît grâce aux petites taches bla… oh, elles sont jaunes. Ce ne sont pas n'importe quels animaux, ça, ce sont des bécasses. Bon, y vient plus tard. Alors, à vingt degrés de la fane vie sociale du côté du verre d'eau, on repère la fane du mariage à distance collée à la fane du retournement. » Elle tapa sur la table. « Non, ça bouleverse tout ! Si je recalcule en prenant le degré 2 moins la fane 13 par rapport à la gauche de la fane troubles en diagonale de Momo… Tu seras finalement marieuse de bécasses. Enfin, marieur. Je crois. »

Akemi s'assombrit considérablement, les joues rougies par l'envie de rire trop contenue retrouvèrent leur couleur habituelle. « Ça ne me change pas, ça.

— Si je mesure un doigt du milieu et deux doigts d'annulaire, ça me mène à la fane de l'allergie surprise. En répétant l'opération deux fois, je forme un triangle avec celle des vacances et le sport du troisième âge, tu vas développer une grave allergie à la tong de plage dans les six prochains mois. Mais la fane de l'accomplissement personnel entre dans sa troisième miette avec le décantement vers le bas, ce qui montre que tu te découvriras une folle passion pour les tartines, tu seras heureux et tu compenseras ton allergie. Par contre, la fane de l'amour touche à peine la fane du bonheur plantaire et on voit un étrange dessin de barreaux de ce côté. Très net.

— Des barreaux de prison ? On se croirait dans une vision étonnamment juste de ton avenir. J'ajoute la fane suicide et je relance de deux avec la fane crève lentement la gueule bien fermée. »

Fusillade oculaire réglementaire. L avait allongé une jambe pour lui retourner un visage impassible par-dessus son ordinateur sans avoir à se redresser de son avachissement.

« C'est toi le barreau de prison ! T'es qu'un connard moche et laid, pas étonnant que plus personne ne veut de toi ! Si t'es pas content, t'as qu'à partir, d'abord.

— Ne veuille. Moche et laid sont synonymes. Et je suis chez moi. »

Misa leva les yeux au ciel et caricatura L en perroquet silencieux pour conclure sur un très provoquant « Gnagnagna.

— Lis mon avenir.

— Tu es sérieux ?

— Autant que toi quand tu prétends pouvoir parler et penser en même temps.

— … C'est un oui ? »

Soupir lourd. Misa haussa une épaule nue et colla son index sur son menton. Parodie de réflexion en action. « Les radis sont trop purs pour toi, faut un truc qui te ressemble. Tu es plus tofu fermenté ou sashimi de porc ? Non, tu es totalement utérus de porc cru.

— Tu sais ce que veut dire le mot « utérus » ?

— Évidemment, espèce de sexiste. Vois pas pourquoi tu pourrais pas être représenté par cette horreur de notre culture culinaire. C'est mou, gras et à vomir.

— De toute façon, on n'a pas ces dégueulasseries japonaises ici.

— On fera avec les dernières umeboshis. »

De la pointe d'un couteau, les prunes furent éventrées dans une assiette. Le détective paraissait sur le point de rendre les armes face à l'odeur de sel et de vinaigre qui chatouillait ses narines agressées.

« Faut vraiment être perturbé pour aimer ces saloperies. »

Savait parfaitement que j'aimais cette « saloperie », non ? Baissai le nez sur mon téléphone, surveillant du coin de l'œil la mannequin. Celle-ci secoua la tête.

« Tes ondes sont trop négatives, ça brouille tout.

— Tu n'as qu'à lire les entrailles d'une morue comme acte de rébellion contre ton propre destin poissonnier. »

Misa bouscula la table en se redressant brutalement, l'œil brillant de colère.

« Pas étonnant que tu sois tout seul, tu le mérites !

— On est deux, alors, Miss Pouf-pouf. Je précise que c'est pouf pour pouffiasse parce que je pense que l'information ne montera pas au cerveau sans parcours fléché.

— Toi t'es qu'un sale… sale crocodile… siamois euh peigné ! Peigné avec un râteau ! Un râteau moche.

— J'admets que tu t'y connais très bien en râteaux… Vraiment, tu es aussi incompétente en insulte que l'équipe dans son boulot. À croire que vous avez inventé le principe de Peter ensemble pendant un conseil complotiste au Pandemonium pour me torturer. »

Il employait ce mot. De manière légère. En ricanant.

Système sympathique en ébullition, déclenchant aussitôt le réflexe piloérecteur. Sortir d'ici ou lui sauter à la gorge restaient mes deux seules options. Je choisis la première, entendant Misa hurler que c'était de sa faute si je sortais de la pièce.

Le martèlement des talons arrivait trop vite sur moi, elle courrait ?

« Raito ! Il est débile et plus méchant qu'un pou grognon au régime. Reviens, moi j'aime quand tu es là. J'ai besoin que tu sois là. » Sa paume se posa sur mon bras, l'écartai en sifflant. « Désolée… pas fait exprès. Mais dis-toi que ce sera bientôt super canon-sexy avec les cicatrices et tout. En plus tout te va, tu ne devrais pas t'en faire, comme les cheveux qui - »

Elle tendit les doigts en avant, les attrapais au vol.

« Arrête de dire n'importe quoi. »

Débile. À huit mille de mes préoccupations. Et même dans le cas contraire, le résultat ne pourrait jamais être qu'immonde. Je la lâchai et des larmes lui grimpèrent à l'assaut des yeux, elle se tassa sur ses talons.

« Tu es en colère ?

— Oui. »

Elle se recroquevilla encore, consciente de ce qui allait suivre.

« Je t'ai déjà dit et répété plusieurs fois que notre relation n'était plus la même qu'avant.

— Tu vas changer d'avis, je le sais. Il n'y a que moi qui te connaisse vraiment, qui t'aime vraiment. Toi et moi on est faits pour être ensemble.

— Je vais être plus brutal puisque tu ne veux pas comprendre. Je ne suis plus amoureux de toi. » Sous mon timbre beaucoup plus doux, elle se mit à trembler.

« J'ai bien compris et je le respecte. Moi, je t'aime et je t'aimerai toujours alors je sais que tu reviendras vers moi tôt ou tard. J'attendrai toujours. » De grosses larmes roulèrent sur ses joues et quand elle parla de nouveau, sa voix faiblissante était cassée. « Tu ne te rends pas compte, ça me prendrait toute ma vie pour oublier que tu me manques. »


J'épluchais les enregistrements des caméras jusqu'à flouter ma vision, yeux piquants de fatigue. J'étais bientôt parvenu au bout de toute la période de mon « absence » non consentie. Les pixels semblaient se détacher de l'écran un par un pour se fondre en nuages indistincts et mes pensées s'enchevêtraient par-dessus. L'oreiller qui semblait un paradis moelleux se révéla plus dur, plus anguleux. Métallique. Et malgré les ténèbres, je savais où j'étais. L'odeur. Fétide, plus brutale qu'un uppercut dans les boyaux, se bousculait grassement dans mes respirations trop rapides, s'infiltrait partout.

Je fermai étroitement les paupières. Rien qu'un rêve. Rien qu'un rêve. Mais ce qui coulait froidement sur ma peau nue avec une texture épaisse et gluante paraissait réel. Je sentais la moiteur, les contacts et les poids de la viande froide sur ma poitrine. Bouffée de panique. Me dégager. Me dégager. Je gémis de dégoût alors que les fluides vitaux glacés tombaient en vomissures putrides, jaillissant à la moindre pression contre les chairs pâteuses et boursouflées. Ôter un à un les poids était une épreuve. La révulsion prit le dessus, mes jambes secouées avec violence pour les faire tous tomber, arrêter le contact. Alors la noirceur éclata sous la lumière des projecteurs. Frénésie de la respiration. Les têtes décapitées des hommes d'Akemi avaient tout envahi en pieuvres de chair déchirée, dévidant leurs entrailles rouges, noires et leur puanteur rongeait tout. L'hémoglobine, les morceaux d'os et de cerveaux se mêlaient sur moi et sur le sol en une flaque grumeleuse. Je ramassai mes genoux contre ma poitrine, m'efforçant de ne pas regarder Hiroshi, devenu terrain de jeu par ma seule faute. Et c'était vrai encore plus pour lui que pour tous les autres. Les cheveux poisseux et durcis ne parvenaient pas à cacher les sévices piquant l'épiderme gris. Les joues et les lèvres arrachées à mains nues, alors même que Hiroshi vivait encore, ressemblaient à des cratères dans lesquels on avait fouillé, qu'on avait charcutés en extirpant les nerfs, les muscles et les veines. Un gouffre béait dans son crâne, entouré de mèches qui collaient d'os pariétal et frontal éclatés. La cervelle avait dégouliné sur le front et les tempes, dessinait la douleur, se logeait dans la bouche ouverte aux gencives noircies, brûlées. Ce regard énucléé n'était qu'un néant qui me contemplait, accusateur au-delà des mots. Cachai mon visage dans mes genoux, souffle enfermé dans la cage thoracique qui résonnait crescendo. Il me laisserait là-dedans, avec eux. La cadence mouillée et soudaine d'une paire de pieds sonna alors dans la marée rouge, me contractant tout entier. Arrivais déjà plus à respirer.

Une main ferme se posa sur ma nuque, recouvrant la chair de poule pour me tirer en arrière. Me forcer à redresser la tête comme on attraperait un chat par la peau du cou. Sourire erratique, frénétique qui fendait un visage étrange. Braises de déraison en incandescence. C'était Beyond et ce n'était pas lui. Ses traits flous coulaient, se décomposaient et se recomposaient avec ceux d'un autre. J'étais hypnotisé par ma propre terreur, sans pouvoir me détacher de L, remodelé devant moi.

« Je pourrais te détruire et te reconstruire en claquant des doigts. Je peux faire ce que je veux de toi. Tu m'appartiens. »

L'oreiller et les draps collaient dans le noir. Insupportable contact, insupportables sensations. Je virai la couette d'un mouvement compulsif, repoussai tout, écartai mon col à entendre craquer le tissu.

Ça n'allait pas.

« Je pourrais te détruire et te reconstruire en claquant des doigts. Je peux faire ce que je veux de toi. Tu m'appartiens. »

Que cette idée me faisait vomir. Le poids sur mes poumons s'alourdit, physique, empêchant l'oxygène d'entrer. J'enlevai mon haut de pyjama sans me soucier de la douleur. Poitrine qui se soulevait à un rythme enragé.

Je n'arrivais pas à respirer.

Me précipitai à la fenêtre pour l'écarter en grand, me figeai totalement devant le battant ouvert pour tromper la panique tressaillant les muscles. Lente caresse du vent que je finis par sentir, quelque part, gelée.

L'air enveloppa mon front, mon ventre de sa fraîcheur bienfaitrice. Souffle hanté qui se fondait dans la nuit. Le froid sur ma peau m'aidait un peu à diminuer la sensation d'écrasement. Les battements cardiaques ralentirent. Mais ce n'était pas suffisant.

Je m'assis dans la douche, sous l'eau. Le grondement liquide et le contact de l'émail sous mes cuisses avaient quelque chose de rassurant dans la tourmente mentale. Le sac hermétique de mon bras tapotait sous les gouttes un son apaisant, cadencé. La douche, brûlante ou glacée, ne nettoyait que la peau. Tellement sale que rien ne la laverait jamais. Front posé sur mes genoux, me concentrer sur les mouvements des poumons. La sensation fantôme des mains qui m'étranglaient finit par s'atténuer, elle aussi. Pas les paroles. Ni les regards.

Semer des empreintes humides menant à la fenêtre toujours ouverte de ma chambre me faisait ressembler à un triste Petit Poucet. L'eau que je n'avais pas vraiment essuyée sur mon torse accrochait le froid de l'extérieur alors que je me plantais là, le démultipliait. Le vent tourbillonnant m'engloutit, m'engourdit et, enfin, les sensations n'existèrent plus.

C'était un tel bordel sous mon crâne.

Et le croissant de lune soulignait narquoisement que je ne pourrais jamais me rendormir.


Mayat m'adressa un regard vide, traînant avec toute la souplesse d'un bout de bois son chariot de soins. Son air sombre, flottant de consternation, me dépassa avec ennui dans un concert de grincements. Ressemblait à une méprisante dame du troisième âge tractant son caddie de courses avec une dysplasie de la hanche et une propension démente à se croire supérieure au reste du genre humain tout ça parce qu'elle confondait un thon et un poireau sans ses lunettes.

Soudain, elle pivota vers moi, me coupa la route. Visage étal, même pas tordu, lorsqu'elle aboya en me balançant son sac de compresses sales.

« Au lit, fissa. L'autre me donne déjà assez de travail comme ça sans qu'en plus vous alliez me claquer entre les doigts d'épuisement.

— Sans moi, l'autre serait déjà sous forme de pâtée que vous tasseriez à la cuillère dans des conserves.

— Parle pas du policier. Que vous vouliez vous amuser avec ce traître me dépasse totalement et, en ce qui me concerne, il peut se priver de repas ce soir. Il gémit encore plus que vous quand je désinfecte ses gigots, c'est insupportable. Allez vous coucher maintenant, ou je vous envoie votre groupie déserteur mal léché. »

Pétasse. La contournai sans répliquer. Elle n'oserait pas m'envoyer L alors que j'accomplissais une partie de son boulot en donnant à becqueter au prisonnier. Je crus entendre un reniflement pincé dans mon dos, probablement un mirage. Jamais elle n'oserait montrer autant d'émotion sans provoquer un meurtre collectif pour effacer l'existence des témoins. Plissai les yeux, hésitai à m'arrêter : le couloir menant à la cuisine n'était pas vide.

Personne ne dormait dans cette foutue maison ?

Nonchalant, Akemi était adossé à la porte de la cuisine comme un chat trop satisfait s'enroulant dans un hamac. Me coulai dans la pièce sans un regard. Pas eu le moindre échange valable depuis que j'avais utilisé l'adresse de sa mère en guise d'intimidation. Connard trop mou de la cafetière pour verser droit sans pencher ou déborder du bec. À sa réaction, il était clair qu'il me pensait capable de mettre la menace à exécution, tellement écœurant et décomplexé. Me rendait malade. Son attitude décontractée n'était qu'une manière de sortir ses griffes de putois revanchard. Et pas la plus subtile.

« Encore parti nourrir notre cafard de compagnie… Peur de te retrouver avec L ?

— Bonsoir à toi aussi, Akemi. À défaut d'être poli, agréable et passablement intelligent, tu pourrais au moins avoir la décence de ne pas nous exposer tes insuffisances cérébrales dans les grandes largeurs. Les chiens robots sont doués de parole, mais ce n'est pas pour autant qu'ils nous l'infligent.

— Oh, pardon. Je pensais que nous avions dépassé le stade de la politesse. Menacer de mort la mère des autres, y a pas à dire, ça créé des liens, plus besoin de bonjour ou de merde, après ça.

— Excuses acceptées. Et il ne t'aura pas échappé que j'ai commencé avant son retour. »

Jeter un œil à la cuisson des légumes ne m'empêcha pas de remarquer qu'il venait de s'étrangler d'indignation. Presque prêts, à mélanger avec le riz, la sauce et les épices.

« T'es qu'un enfoiré parfois, L doit être maso. Ou aveugle. Bien pratique pour éviter qu'il te pose des questions, non ? »

Me retins de me mordre la lèvre et de répliquer que L préférait plutôt tester les objets avec un bout pointu et tranchant sur les cellules des autres. Surtout, me retenir de rétorquer qu'Akemi était bien plus un enfoiré que moi de croire vraiment que je pouvais faire du mal à sa famille. Jamais il ne serait de mon côté, adorait me rabâcher que le pseudo détective de trottoir était déprimé, lessivé, démoli en me grondant comme un gamin qui aurait mis les doigts dans la bûche de Noël. Quand il ne m'accusait pas à mots couverts d'être Kira entre deux cuissons de repas. Impossible, en l'état actuel, de le convaincre, même avec des preuves en béton armé, et je me foutais bien d'avoir davantage de détails. Il m'avait assez décrit le fond de sa pensée.

« Parfois seulement ? Tout n'est donc pas perdu. Tu as encore quelques remarques bien lourdes à soumettre concernant tes soupçons ou tu peux dès à présent aller te défoncer la gueule avec Mayat et un grille-pain en hurlant l'hymne national ?

— Je considère ta menace contre ma mère comme un aveu. Mais je suppose que tu vas aussi le nier comme celui de la vidéo ? Ou encore comme la multitude de trucs primordiaux dont on ne doit surtout pas parler ? »

Le gratifiait d'une œillade moqueuse. Me poussait à bout avec ses remarques incessantes depuis des jours et pensait qu'il n'y aurait aucun retour de ma part ?

« Considère ce que ton sens foireux du jugement aura le ridicule de soumettre à l'étude, mais ne te plains pas de te brûler quand tu joues avec le feu. »

Il fronça un sourcil.

« Encore une menace ?

— Pour un mafieux, tu es dramatiquement nul pour identifier l'un des principaux leviers de ta profession.

— Et toi pour un génie, tu as le discernement dramatique et daltonien d'un caillou déguisé en fenouil dans une partie de poker. Comment est-ce que tu peux toujours penser que L te ferait ça, même maintenant ? Je pige pas à quel moment ça déconne dans ta tronche, je sais qu'il y a eu la torture, les psychotropes, mais enfin… Ou peut-être que tu ne le penses pas vraiment. C'est pratique de le faire culpabiliser et de prétendre le détester, pas vrai ? »

Pratique ? Et c'était moi qu'on insultait.

« Me servir de lui pour éviter qu'il pose des questions, bien sûr.

— C'est toi qui soulèves le sujet, pas moi. Ou ce serait pour vérifier qu'il est sincère avec toi, peut- être. Ce qui serait terriblement crade et malsain.

— Heureusement que tu es trop désespérément toi-même pour te rendre compte de la grossièreté et de l'imbécillité de tes propos. » Tâchai de dresser l'assiette sans gestes trop brusques et d'effacer les tensions. « Tu n'as pas intérêt à être allé voir Matsuda.

— Sinon quoi ? » Il s'approcha, grondant. « J'ai le droit de lui faire la peau. Et tu sais parfaitement à quel point. »

Dans ses iris, en creux, se tordait une spirale d'accusations acides et mouvantes. Parce que ses hommes n'auraient jamais intéressé Beyond sans moi. J'avais leur sang à tous sur les mains et Akemi m'en tenait en partie responsable, à raison.

La serrure n'avait pas été forcée. J'entrai dans la cellule, accueilli par l'odeur du désinfectant. Préférable à toute la panoplie habituelle qui caractérisait cette pièce, elle signait le passage de Mayat, quelques minutes plus tôt. Le mafieux n'était peut-être pas venu transformer les restes de l'ancien policier en carpaccio miteux cette fois, mais les blessures causées par les tortures précédentes mettaient du temps à cicatriser. Le visage livide et les yeux mi-clos indiquaient que la fièvre n'était pas encore partie. Deux jours, déjà.

La nourriture que je posai sur un tabouret à son côté, il écarta à peine les paupières, laissa échapper un mot non identifiable. Même le parfum du bouillon ne semblait pas avoir d'effet.

Je m'assis dans le coin opposé, aménagé par mes soins d'un fauteuil. Mon poste d'observation favori depuis que L s'était fait la malle. Autant pour le fuir lui, dans mes pensées, que pour fuir tous les autres.

La tête du policier dodelinait, collante de sueur. Chassai l'image rémanente de Kaname, se superposant sur son visage. Et le puissant mépris qu'il m'inspirait pour ce qu'il avait choisi d'être ne supplantait pas le reste. Ni l'expression sur le visage de L quand il l'avait découpé avec une scie.

Je me pelotonnai sur le fauteuil avec un livre et une couverture, ponctuant le tout de messages pour Art. Cherchais sans relâche des réponses dans les maigres indices, mais le blocage résistait, malgré les multiples tentatives d'altération et de recomposition du raisonnement. Quelque chose déconnait sérieusement dans mon raisonnement, mais quoi ? À part... Non.

Quelques mouvements brusques, captés à la périphérie de ma vision, me poussèrent à lever le nez. Matsuda s'était réveillé et me regardait, l'œil vitreux. De toute évidence, la fièvre n'était pas tombée. De sa bouche craquelée, il attrapa péniblement la paille laissée à son attention et aspira lentement le bouillon. Il cracha soudain le tube en plastique, me fixant.

« Comprends pas pourquoi tu restes-là, à surveiller qu'on ne vienne pas me torturer. Tu t'es nommé gardien de mon intégrité physique ? Tu devrais pourtant vouloir me transformer en charpie, je me suis pas retenu retenu quand c'était toi qui étais attaché.

— Tu mériterais effectivement qu'on te découpe de la même manière.

— Sauf que tu refuses de laisser faire ça.

— Oui.

— Ta Justice s'y oppose, c'est ça ? » Il partit d'une espèce de rire silencieux, sans joie. « Toujours su que Kira était bizarre. » Mon regard le fit simplement rire de plus belle. Je me contentais de replonger dans mon livre, de l'ignorer. « J'ai adoré te voir te tordre de douleur. Toi, c'est sûr que tu le méritais. Et que tu le mérites toujours. » Sa voix grelottait presque, geignarde et fragile, supplantant avec facilité ma lecture. « Ce que tu as choisi d'être est une abomination absolue et je me fiche d'avoir dû m'abaisser un peu à ton niveau pour te punir. Pour te faire reprendre ta place. » Pendant un moment, il n'y eut rien, sinon sa respiration alourdie de paroles vénéneuses. « Tu me surveilles pour être aux premières loges, pas vrai ? Pour quand Beyond en aura assez de moi. Mais tu es sage, je t'ai demandé de patienter, tu le fais… Birthday t'a bien dressé, finalement. »

Sa voix divaguait clairement, ses yeux brillaient davantage au milieu de sa peau qui rougissait. De plus en plus fiévreux. Aux alentours de quatre heures du matin, il sortit de sa somnolence. L'égarement faisait rouler ses yeux sans trouver de point d'attache. Semblait même pas reconnaître la pièce. Enfin, ils s'ancrèrent sur un point flou et il sourit de travers. Un état assez inédit, propice à l'enrichissement de ma collection de réponses désagréables. Bon moment pour poser la question, toujours la même, jour après jour.

« Alors Matsuda, qu'est-ce que tu as le plus aimé ? »

La perdition miroita ses globes oculaires, plus songeuse, plus creuse. Et il sourit encore. Largement. Roulant des iris, incapable de s'arrêter. Il n'était pas vraiment là.

« J'ai aimé voir combien l'état de L était pitoyable. Quand il venait m'interroger, on aurait dit qu'une pichenette allait suffire pour qu'il s'effondre en petit tas tremblant à mes pieds. Et jouer avec lui en lui racontant ce qu'on lui avait fait jusqu'à ce qu'il pète un plomb était trop marrant. Plus que tout, j'adore le voir, maintenant, quand il lui fait payer.

— Il ?

— Ce petit con, Yagami. J'adore qu'il lui fasse payer des horreurs qu'il a jamais faites. Oh, si tu voyais ces expressions sur son visage dans ces moments-la, c'est tellement jouissif. Presque autant que la tête de Yagami quand on lui a fait croire que c'était L. »

Contrôle de ma respiration, détraqué.

Je m'attendais à explorer une fois de plus l'infinité de réponses sans imagination déjà données au « qu'est-ce que tu as aimé », allant de « t'entendre nous supplier d'arrêter en te débattant », en passant par « j'aimais la peur qui prenait le dessus sur toi dès qu'il était là, à t'observer comme un pot de confiture et j'aimais te voir rager, tellement impuissant à nous arrêter. On pouvait faire ce qu'on voulait de toi. »

Matsuda n'avait pas utilisé une de ces possibilités crétines habituelles. Non, il avait dit…

Il pouffa brutalement, m'arrachant du marasme cérébral qui tournait dans mes tempes, lui délirait totalement sous la température.

« C'était que Beyond, que Beyond. Depuis le début jusqu'à la fin. Marrant jusqu'à la fin aussi, sûr que tu aurais adoré voir. »

Je ne m'attendais pas à ça.

Mon cerveau était blanc.

Processus à l'arrêt.

J'enregistrais à peine le contact du matelas sur lequel j'étais assis, aucun intérêt dans le figement de tout.

Un cran se brisa, éclatant le cortex sous verre.

Pensées qui s'enroulèrent d'un coup, poisseuses et déchaînées. Tournèrent en boucle débordante. Rationaliser tout ce bordel était impossible : organiser, trouver un semblant de sens dans le chaos était impossible. Qu'est-ce qui était vrai ? Qu'est-ce qui était faux ? Mon cerveau n'était qu'un gigantesque piège.

La difficulté de respirer m'entravait dans la panique exponentielle, ascension de cortisol. Tirer sur les vêtements ne servirait à rien, cette fois. Je sentais déjà l'angoisse me transpercer la peau, plus froide et explosive que la glace. En train de prendre le pas, en train de convertir le reste pour enfler toujours plus, mais il restait un bouquet de flammes quelque part sous la tempête d'hiver : la rage. Et le refus, malgré tout, de capituler.

Les enregistrements. Il fallait que je regarde les enregistrements de la maison, que j'étudie les derniers jours de mon enlèvement et les jours suivants mon retour que je n'avais pas encore pu voir.

Lancement d'une chasse aussi frénétique que mes pensées. Parce que Matsuda n'avait pas de raison de mentir de cette manière, ça n'aurait aucun putain de sens.

À mesure, je me stabilisais dans un état de concentration extrême, décortiquais les visages, les réactions, les paroles. Et le traître n'avait pas été sobre question sous-entendus lors des interrogatoires. Basculait presque dans l'aveu pendant les dernières visites de L dans sa cellule. Non, Matsuda n'avait pas de raison de mentir, pas dans la dernière configuration, avec la fièvre et le reste. Ses motivations gagnaient davantage en substance si on y ajoutait sa volonté de vengeance et son désenchantement par rapport du détective. Les propos étaient complètement contre-productifs dans la stratégie de Beyond.

Alors.

Peut-être.

C'était fragile.

Visionnage à rebours d'enregistrements pourtant déjà analysés sous toutes les coutures, buvant, autopsiant les attitudes du détective. Est-ce que je pouvais me laisser cette possibilité-là ?

Si L n'avait. Pas. Menti.

Cette fois, un élément extérieur qui desservait la personne qui me l'avait donné allait dans ce sens. Ce n'était plus ma seule envie qui raccrochait l'hypothèse, mais quelque chose de tangible, d'objectif.

J'avais tellement envie d'y croire.

Le cocktail d'images suffisamment absorbé pour le faire défiler sous mes paupières, je finis par m'allonger sur le lit juste pour me donner bonne conscience. Comme si je pouvais seulement lâcher prise.

Inspiration profonde, lente, au moment d'aller encore fouiller dans l'immonde cataclysme de ma mémoire. Pas d'autre mot pour décrire ce puzzle à la déchronologie fracassée où images et sons s'amalgamaient sans cohérence dans une soupe de souffrance radioactive. Pas de repères, ou à peine, les seuls jalons instables avaient été posés plus tard. Les perceptions nues se chevauchaient, s'enchevêtraient en nasse de murènes grouillantes dans quelques centimètres d'eau à haut voltage. C'était une épilepsie à grande échelle, fourmillant d'images fracturées où les souvenirs se collaient en masses nerveuses et inextricables. Tellement de fissures, d'éparpillements, de recollages. Tellement de moments dont je ne me souvenais pas.

Y replonger seulement me donnait la chair de poule, me mettait en sueur, me terrorisait. Et le visage de L y était incrusté, partout. Celui ... de Beyond ?

Accepter l'hypothèse ? Faire confiance à L contre tout ce que j'avais vu, entendu, senti ? Ressenti ?

Lui faire plus confiance qu'à mon propre cerveau ?

Rien que l'idée hérissait la moindre parcelle d'instinct. Renier le principe qui avait régi toute ma vie ?

Non.

Mes souvenirs étaient vicieux, obscurs. Est-ce que…

Non.

Le comportement de Matsuda sur les caméras. Tous les détails de gestes, d'attitudes et de mots du détective que je n'avais pas réussi à comprendre depuis que j'étais revenu ne pouvaient s'expliquer que par cette hypothèse : la sincérité de L.

Mais...

Sous la paralysie, une autre question sourdait, inévitable et douloureuse.

Est-ce que j'avais pu être con à ce point ?

Heures à l'arrêt. Jours ?

Peu à peu, les salles de mon esprit s'harmonisaient, balayaient le bordel qui encombrait mes pensées. Logique crue noyant enfin les bouillonnements de cauchemars. Chaque détail et élément que je n'avais pas réussi à intégrer dans la théorie du double-jeu de L fut archivé, nettoyé.

Pour la première fois depuis des semaines, tout semblait avoir retrouvé sa place. Mon esprit était propre, ordonné.

Lumière qui brûla les relents de haine, de dégoût personnel et de rejet. M'étais tellement battu contre moi-même pour me cacher. Me dissimuler à quel point la trahison de L était inacceptable.

Clarté.

J'arrivais enfin à réfléchir.

Comptais pas les heures ni les jours, à gratter scrupuleusement le papier. À déverser toutes mes données, recherches et théories sur les pages blanches. L'apaisement de mes pensées, pas expérimenté depuis des mois, rendait impossible de nier.

C'était ça, enfin, la vérité : L ne m'avait pas trahi. C'était moi qui l'avais fait.

L'écrire et le réaliser avait permis de résoudre le problème structurel contre lequel je butais depuis quelque temps, le raisonnement global pour la possible planque numéro 4 tenait la route désormais. Son innocence était le point clé.

Main droite douloureuse, rouge aux zones de contact, mais c'était un soulagement intense de poser enfin par écrit tout ce qui s'engonçait dans ma tête depuis des semaines. Ramifications atrocement multiples, complexes, instables, tournant correctement malgré toutes les informations que j'avais volontairement tronquées, morcelées, réassemblées, recollé de réorganisation intensif qui me tuait de fatigue, forçait mon cerveau à des micro-siestes. On venait de toquer. Peut-être. Battant entrouvert, je trouvais derrière trois assiettes. Les deux premières déjà froides, la dernière reposait entre les ongles noirs de Misa. Elle se mordit la lèvre en me voyant, ouvrit de grands yeux… arrivais à lire l'émotion qu'ils contenaient.

« Oh ! Tu es dans un état ! Je t'ai préparé de quoi manger, ça t'aidera. »

D'un coup de pied revanchard, elle poussa l'assiette numéro 2 en me plaçant la sienne dans les mains. Fronçai le nez. C'était verdâtre et marron, gluant et flasque, parsemé de graines molles et de morceaux non identifiés presque gris dans un jus évoquant un fond de WC. Les légumes exsudaient, à moitié brûlés, et baignaient dans le soja et le martyr culinaire. L'odeur… Même L ne ferait pas un truc aussi dégueulasse.

« Je ne peux pas accepter ça.

— Pourquoi ? Je l'ai fait juste pour toi. Pour que tu ailles bien. Tu travailles sur quoi ?

— Savoir sur quoi porte mon travail ne te plairait pas du tout. »

Flottement. Son visage se durcit, se refroidit puis ses traits se brouillèrent presque. Léger vertige. J'étais incapable de lire son expression, maintenant, trop emmêlée. Penser, même, devenait difficile. Elle me renvoya de force dans ma chambre avec son plat infernal, sans rencontrer beaucoup de résistance. Même à travers ma fatigue, sa froideur transperçait tout. Yeux aigus en pointe d'iceberg déchirant l'attraction du sommeil, une petite seconde.

Quand je m'autorisais enfin à lâcher le stylo, il avait imprimé une forme bleue au creux de mes phalanges, mais j'avais terminé. Pile de feuilles attrapée, je me dirigeai vers le salon, remarquant qu'il faisait presque nuit. De quel jour ? Les mots de mon père, Mogi, Akemi glissaient dans la pièce comme un langage cryptique. Repérai les feuilles de travail que j'avais données à l'équipe qui avaient été affichées sur les murs. Arrachées d'un coup sec.

Dans un silence abasourdi et trahi, j'annonçai qu'ils avaient travaillé pendant plus d'une semaine sur de fausses informations parce que je n'avais pas été sûr de leur intégrité. Sans violence, je posai la paume de la main contre le sternum d'un Akemi trop bavard et vindicatif pour le forcer à se pousser. Me laisser sortir.

Je ralentis l'allure, le nez dans mes notes pour retarder le lourd moment où je serais face à L. L'anxiété griffait mes veines, la compilation de mes recherches se devait d'être parfaite. Autant que ce genre de travaux puisse l'être. Ces documents n'étaient rien d'autre que des excuses mises à l'écrit, sous une forme détournée. Offrande au pied d'un autel. Un choc compact et inattendu me projeta légèrement de côté. Quelques feuilles m'échappèrent, froissant l'air en voletant bravement pour chuter.

Silence choqué.

Watari m'éventrait de ses yeux gelés, méprisants. Sa détestation sans filtre ni distance. Ne daigna même pas ramasser la page offensant l'intégrité de sa chaussure gauche. Me redressant après le rapatriement de mon travail, il se fendit, à ma grande surprise, d'un salut qui dut lui arracher la moitié des viscères tellement il était forcé.

« Vous avez l'air d'aller très bien, Yagami-san. »

Le sous-entendu acide à percer un coffre blindé. Je n'étais pas capable de lui rendre son hypocrisie dans les règles de l'art, devais déjà me concentrer trop pour comprendre ce qu'il me susurrait. Avec hargne ? Sûrement. Il savait parfaitement où j'allais et je n'étais pas dupe de la réelle raison de son commentaire. Ignorai la brûlure de son regard entre mes omoplates, jusqu'à passer l'angle du couloir.

La porte de L. Je déglutis, ma gorge trop sèche.

Et si…

Frisson.

Et si je me trompais encore ?

Cohorte de doutes, cerclant et piquant ma certitude en ronde de vautours. J'avais laissé tomber la haine comme une armure, plaque par plaque, à mes pieds. Et en dessous, il n'y avait plus que moi.

Sans protections. Sans remparts. Si j'avais le moindre soupçon… Si... ce serait insupportable.

Affichant une arrogance de verre, j'approchai de la silhouette en tailleur. Neutralité qu'il voyait, qui parlait toute seule. Échange de regards, le premier depuis une éternité. L s'était immobilisé, en attente de chacun de mes pas vers lui comme s'ils allaient se briser. Ou conscient qu'une seule parole déplacée de sa part ferait tout s'écrouler, qu'il n'y aurait plus jamais d'essai. En fait, je n'en avais aucune idée, malgré les piqûres de stress qui me donnaient un soupçon d'énergie.

L'interprétation du codage de son visage était faussée, je ne savais plus quoi en conclure. Je déglutis légèrement et l'épuisement me porta.

« Tu as raison, je l'ai laissé me manipuler. »

Quelque chose s'alluma et son regard claqua d'une intensité brutale, à me sentir vulnérable au-delà des mots. Avais presque publié à quel point ce regard-là pouvait me faire de l'effet. Parce qu'il était bien la personne que je croyais. Parce que ce n'était pas usurpé. Voile de chair de poule. Le fixai sans ciller malgré la tentation dévorante.

« Je suis désolé pour tout ce que j'ai fait, tout ce que j'ai dit, tout ce que j'ai pensé. Vraiment. Tu ne le mérites pas une seconde. J'ai été absurdement con. »

Aucune parole ne suffirait jamais à exprimer les facettes d'une pensée ou d'un sentiment dans toute sa complexité. Petites choses trop étriquées qu'on rangeait dans des cases bien nettes. Boule amère dans la gorge. Que le langage était parfois insuffisant, réducteur. Dépourvu de sens. Cadavres de mots inutiles, tombant dans le silence.

Muet, je finis par poser la pile de notes et de calculs à son attention sur le lit. Incapable de soutenir son examen incandescent.

« Ce sont les informations que j'ai pu déduire là-bas. J'ai commencé à travailler dessus dès mon retour. »

Inutile. Inutile. Inutile.

Parce que ces phrases, comme les précédentes, n'attendaient rien, je tournai les talons immédiatement.

Il ne me pardonnerait jamais toutes les saloperies que je lui avais crachées à la gueule et je le comprenais. Je n'attendais pas qu'il le fasse.

« Tu crois aller où comme ça. »

Tranchant, sans appel. M'arrêtai. Pas de réponse à donner, sinon un vague haussement d'épaule. Il soutint mon regard et l'instant s'étira à l'insupportable. Ses iris plus perçants que ceux d'un rapace semblaient avoir éclaté ma suffisance depuis la première seconde. Puais le stress, mais L devait au moins me croire malgré ces pardons tellement dérisoires que je pourrais tout aussi bien en crever de rire. Quelque chose me brûlait les lèvres, et parmi l'infinité d'excuses qui se bousculaient sur ma langue, je n'en choisis aucune.

« Je ne t'ai pas menti pour la cassette. Je ne me souviens pas. Désolé, encore, pour tout.»

Pire qu'inutile. Crétin. Sursaut d'amour propre face à tant d'inélégance. Soutenir cette conversation me portait sur les nerfs alors que je n'en attendais rien. Il n'y avait rien à en attendre. Pardonner mes propos n'était pas de l'ordre du possible. Toutes mes insultes et mes accusations flottaient, pesaient, tentaculaient la pièce sans laisser le moindre espace libre.

Ce qui était fait était fait.

Malgré moi, un fond de doutes grotesques et de peurs vacillantes remuait mon ventre. Et si j'avais tort ? S'il me manipulait maintenant, toujours ?

Le détective attrapa la première feuille de la pile du bout des doigts, l'examina quelques secondes.

« Il ne peut pas t'atteindre ici. »

Ce en quoi il ne pouvait avoir plus tort. C'était un savoir imprimé dans tous mes nerfs. Viscéral.

Beyond pouvait m'atteindre, ici ou ailleurs, exactement quand il le voulait. Il le faisait déjà depuis longtemps. Mais je ne voulais pas contrarier davantage L si vite après mon mea culpa inepte, sans valeur autre que celle de la sincérité.

Me contentai de détourner les yeux.


༻ Thirst༺


Tellement bizarre. Depuis son aveu d'erreur d'appréciation, Raito m'évitait. Comme il ne l'avait jamais fait. Détournait insensiblement le regard, s'arrangeait pour ne pas me parler. Le brasier de haine s'était pourtant éteint.

La douleur amère de ne pas le voir revenir grattait la mince armure de calme qu'il me restait. Pourquoi est-ce que ce con auto avoué restait aussi… froid.

Entrant dans le salon que j'occupais seul, il eut plus qu'une hésitation avant de finalement s'installer sur un fauteuil, me tournant à moitié le dos. La place à côté de moi laissée vide. Ou juste occupée par les feuilles qu'il m'avait données, reprenant ce qu'il avait compris de son enfermement. Tout à traiter en suppositions déductives, en théorie. Malgré tout, il avait eu le temps de mettre ses idées au clair, de débarbouiller ses synapses, démêler le sac de nœuds immonde qui lui avait servi à remplir sa caboche ces dernières semaines. Autant estimer que sa détestation envers moi n'avait pas émoussé ses autres capacités cognitives.

Je devais attraper Beyond, le plus vite possible. La télévision en sourdine égrenait les différents criminels assassinés récemment. Ne parlait même plus de victimes, juste de criminels jugés. Ce pays était plus pourri qu'une panière de fruits laissée au soleil en plein été à côté d'une charogne en décomposition avancée.

Les indices étaient maigres, mais suffisamment parlants pour ne plus avoir à ratisser tout le territoire japonais au hasard, comme je l'avais fait en une splendide imitation de poulet décapité. Sur la carte interactive qui faisait un peu ramer mon vieil ordinateur, je jouais à l'enfant de deux ans et coloriais en un sublime dégradé d'arc-en-ciel toutes les zones que je pouvais plus ou moins évincer de nos recherches. C'était lent.

Un chuintement me fit relever les yeux. Raito essayait de repositionner son bras blessé, le poser à peu près sur son clavier sans pour autant appuyer contre les plaies encore douloureuses.

« Pourquoi tu refusais le Fentanyl ? Tu ne m'as jamais répondu. »

La vibration de ses iris caramel… celle-là, ce n'était pas celle que j'aimais. Il était en train de se perdre dans les souvenirs, sans doute protégés, collectionnés dans l'espoir de s'en servir. Légère accélération de la respiration, rendue plus profonde. Je supposai :

« Il savait que j'en avais. Il… m'a fait dire que j'en utiliserais, parce qu'il sait que c'est ce qu'il y a de plus efficace. »

Acquiescement d'un clignement lent des paupières. Voix qui se voulait assurée quand il ajouta qu'il savait aussi que je dirais merci en le retrouvant.

Mon pied enroulé dans une couverture, entortillée en tirant sur le tissu un peu trop tiède.

« Il me connaît trop bien. Il a plus ou moins passé sa vie à m'admirer. À m'observer.

— J'ai pu constater ça. »

M'avait encore observé à travers Matsuda, longtemps. Assez pour semer le doute, proposer une version assez crédible de moi pour que même Raito nous confonde.

Profondément vexant. Un ersatz suffisait à effacer…

Je me recentrais sur mon écran, cherchant s'il n'y avait pas quelque chose qui pouvait m'avoir échappé. Beyond aurait peut-être aimé choisir un endroit symbolique. Pourquoi pas, même, aller parasiter l'ancien QG… mais ce serait trop risqué, et même lui devait bien s'en rendre compte. Il était moins décérébré que Icare.

Avait bien brouillé les pistes, en changeant de lieu, choisissant uniquement des zones calmes et isolées. L'attraper au hasard n'arriverait jamais, et le localiser avec seulement ce que nous avions n'était pas beaucoup plus probable. Un ongle calé entre mes dents, rongé un peu plus qu'il ne l'était déjà. Assez de matière encore avant de saigner.

Et pourtant, ce n'était pas Beyond qui me dérangeait le plus, pour l'instant.

Raito n'avait eu… aucune raison valable de changer d'avis. Son cerveau complètement en vrac, perdu dans un labyrinthe en pleine tempête de grêle, ne pouvait pas d'un coup se démêler comme une pelote de laine dont on aurait trouvé une extrémité. De ce que j'avais pu déduire, ses perceptions avaient été faussées, des souvenirs fabriqués avec mon image – volée, manipulée, peu importait maintenant. Ce n'était pas normal qu'il ait pu distinguer le vrai du faux, si vite, si soudainement, sans déclencheur. S'il avait pu m'observer me comporter selon les schémas que Beyond avait prévus, si j'avais réagi et parlé comme il s'y attendait, alors Raito n'avait aucune raison de me croire simplement pour mes beaux yeux.

Reniflais avec dédain. Il avait plutôt été occupé à rêver de m'éborgner, ces derniers temps. Et à me raconter ses désirs de vengeance en douze itérations, avec force descriptions inspirantes.

Le rythme irrégulier de son clavier était devenu habituel sinon harmonieux. Son bras valide, plus rapide, s'appropriait une surface plus étendue au détriment d'un peu de vitesse. Recouvrer l'intégralité des capacités motrices allait encore prendre du temps, d'autant que Mayat n'était ni la plus douce ni la plus encourageante des thérapeutes. Nettement plus à sa place à arracher des morceaux vivants à de futurs cadavres pour les troquer contre assez d'argent pour changer de couleur de cheveux, pour coller des émeraudes sur les yeux d'une barrette à cheveux licorne ou s'acheter ses nouveaux yaourts au lait de chamelle et baies de goji. Les marques physiques, elles, resteraient probablement. Madame Yagami allait faire une attaque en voyant son petit poussin tout abîmé et amaigri, avec son air fatigué et ses cheveux mal décolorés.

Et Misa qui ne pouvait pas s'empêcher de trouver l'idée des cicatrices sexy. Celle-là aussi, il faudrait un jour que je songe à en faire des papillotes. Si j'étais dans un bon jour, je les filerais à becqueter au chien. Au moins, cette impasse génétique servirait à quelque chose.

On ne pouvait pas changer ses certitudes juste… comme ça. Peut-être qu'il avait fini par regarder les caméras de surveillance, comprendre que je n'étais pas sorti tous les quatre matins pour aller lui redessiner la face à coups de batte de base-ball ou m'amuser à comparer la durée d'un cri provoqué par l'injection d'un quelconque acide avec celle d'un hurlement par jet de tête tranchée sur autrui.

Ou alors… mes mains en arrêt, survol du clavier, avant de reprendre, lentement. Ou alors, il n'avait pas vraiment changé d'avis.

Il pouvait très bien essayer de me tester, de voir si je recommençais à le torturer juste comme ça, ou à lui glisser des allusions à son enfermement. Beyond avait pu prévoir ça, s'arranger pour… encore une fois, tout détruire. S'il savait prévoir mes réactions les plus à vif et savait ce que j'avais dans mes placards à pharmacie, peut-être était-il capable, même sans taupe, de deviner mes attentes, mes envies. Déglutis de travers. Mes désirs ?

Raito avait relevé la tête, m'observant avec attention. Lui servis un sourire tordu, le seul disponible. Est-ce qu'il me pensait encore coupable de tout ça, ou avait vraiment compris ? Ce n'était tellement… pas lui de reconnaître une erreur sans rien en expliquer. Motiver son changement d'avis. Et même si je voulais vraiment croire qu'il était capable de se rendre compte seul que jamais je ne lui aurais fait ça, abandonner toute explication restait trop inacceptable d'illogisme. Et ce ne serait pas le trahir que de chercher à comprendre son raisonnement, le déclencheur de…

Non, c'était mieux de chercher pourquoi il me savait innocent de ça plutôt que d'imaginer qu'il pouvait me tester. Moins défiant, de faire ça. S'il venait à l'apprendre, il le comprendrait, alors que si je crachais à la gueule de ses excuses en les prétendant fausses alors qu'il n'en faisait jamais, il risquait de se venger en remplaçant mon lit par une catapulte réglée pour m'envoyer sur les grilles acérées d'une école maternelle, avec pour but même pas dissimulé que je m'y empale et que j'y agonise pendant des semaines, bercé par les comptines des mioches et agacé par leurs jets de cailloux dans les yeux pour tester mes réflexes reptiliens. Vraiment, je préférais finir ma vie autrement qu'au son d'un Kaeru no uta discordant.

Sortis de la pièce pour rejoindre ma chambre, m'engloutir dans une mélasse de plaids et couettes beaucoup trop confortable. Observer les caméras avec Raito dans la même pièce n'aurait été ni efficace ni délicat, et il n'avait pas besoin de savoir ce que je faisais. Au moins pour l'instant.

Retirai une poche de bonbons au citron de sous mes fesses pour la placer à côté de moi. Plus utile. Une main en automatisme d'aller-retour suffisant à me nourrir, l'autre pouvait s'occuper d'accéder au système de surveillance de la maison et de scinder l'écran pour couvrir plus de temps.

Bien sûr. Le vague de son esprit ne pouvait s'être trouvé métamorphosé d'un rayon de soleil bien placé. Je le savais depuis le début.

Bon, au moins, il ne mentait en théorie pas en me disant qu'il savait s'être trompé. Les probabilités n'avaient pas forcément joué en ma faveur pourtant. Mais de là à ce qu'il considère qu'un Matsuda délirant de fièvre était plus crédible que moi, c'était… infiniment vexant. Ce connard pouvait être manipulé par Kira, son cerveau juste étouffé de surchauffe comme une chaudière mal réglée et sur le point d'anéantir tout l'hôtel qu'elle maintenait hors gel, mais non. Il était plus crédible que moi. Il était frais, tiens, le premier national.

La conversation remise, plusieurs fois, jusqu'à pouvoir la vomir en dormant. La pichenette transformant l'autre en petit tas tremblant à ses pieds, ce n'était pas moi qui allait la recevoir. La délectation avec laquelle cet avorton de fils de chacal avait admis avoir joué avec nos souvenirs, nos certitudes, ne serait qu'un motif de plus à inscrire sur sa condamnation. S'il y avait un enfer, je voulais qu'il soit heureux d'y arriver après ce que je projetais de lui faire.


« Au fait. Je l'ai pas dit avant, parce que tu ne m'aurais pas écouté, mais je suis désolé pour Kaname. »

Surtout, ne pas l'appeler la croûte purulente surmontant le mont de la traîtrise pendable.

Les prunelles caramel m'appartenaient, lucides, calmes. Pourrais m'y plonger et ne jamais en revenir, ou ne les quitter que pour embrasser…

« Ce qu'il a fait était injustifiable. J'en ai conscience.

— Je sais. Mais il était… a été ton… un ami, pour toi. Même si ce qu'il a fait ces derniers mois était impardonnable, il poursuivait une logique qui devait être la sienne depuis longtemps. Et d'une manière ou d'une autre, j'imagine que tu l'appréciais pour ça aussi. »

N'aimait pas ce que je lui disais. Le tressautement douloureux dans son épaule le hurlait.

« Continue le raisonnement. S'il y en a un. »

Laissai un soupir m'échapper. C'était insupportable de m'excuser, alors que je n'avais même pas eu tort, et encore plus de devoir le faire parce que du point de vue d'un autre, j'avais eu tort. Et que l'avis de cet autre n'était pas insignifiant.

« Il t'a dit qu'il voulait changer les choses, les rendre meilleures. Il était dégoûté de l'inefficacité du gouvernement, de l'incapacité des instances à le faire. Ça, ça ne doit pas dater du changement de saison, non ? C'est quelque chose qu'il me semblait que vous partagiez. Ça devait te plaire, chez lui, en plus de ses capacités intellectuelles. » Jusqu'à quel point ça lui avait plu, j'aurais voulu n'en avoir aucune putain d'idée pourrie.

À quel moment ils s'étaient rencontrés, liés d'amitié, le nombre de conversations partagées, de confidences offertes… je n'avais rien, ou presque, et c'était détestable. Rongeait encore, même alors que le cadavre ne devait maintenant plus ressembler à rien d'humain, les atomes déjà recyclés par le soin des broyeuses, des fourmis, des mouches et des nécrophores divers. Braves nécrophores, toujours prêts à rendre service pour débarrasser des déchets.

« Quand arrive le moment où je cautionne Kira ? Puisque c'est la direction que tu prends. »

La carcasse de Kaname s'éjecta de mes pensées plus vite qu'elle s'y était invitée. Comment ce con croyait encore que j'allais lui balancer des accusations au détour d'un couloir. Même si selon Watari les raisons ne manquaient pas.

« Je voulais juste te dire que j'étais désolé. Pas remettre en question ton sens moral ou ta manière de choisir où va ton allégeance.

— Mon allégeance ? Tu t'entends seulement parler ? Tu devrais t'écouter sur tes propres caméras, de temps en temps.

— Figure-toi que ça m'arrive. Et je maintiens. Même s'il est vrai que niveau confiance et fidélité, il ne faut pas trop t'en demander. Je suis sûr que Misa sera d'accord avec moi. »

Ce n'était pas ce que j'avais voulu dire. Pas le chemin que devait prendre cette conversation. C'était censé être apaisant et finir plus agréablement que par les noms d'oiseaux fusant comme des missiles dans un ciel irakien.

« Tu devrais aller lui en parler. Son avis semble important.

— Arrête. C'est pas comparable. Et je ne t'ai rien reproché concernant cette vidéo. Je ne dis pas que tu es Kira. Ou que tu l'as été. Juste…

— Je m'estime heureux et je souris, donc. Bien compris. »

L'ignorance qu'il feignait de m'opposer ne méritait que d'être passée dans un accélérateur de particules. Tout ce qui avait été craché sur le coup de la colère et de la rancune continuait de planer. Haïssable. Ces affirmations sur moi, sur mon travail, sur tout le reste. Il les avait pensées, les pensait peut-être toujours, pour partie. En enlevant seulement ce qui concernait ma trahison ?

La porte s'ouvrit sur un plateau de mignardises autour desquelles flottait une odeur de thé à la cerise. Le regard glacier glissa de moi à Raito, évaluant la conversation interrompue.

Il savait sûrement ce que l'étudiant pensait de mon enfance, de ce qui aurait… dû m'arriver, si effectivement Watari avait pris des cours de voyance chez la bonimenteuse du coin. Il n'allait certainement pas l'apprécier davantage, après ça, mais au moins j'avais obtenu qu'il ne l'agresse pas à chaque fois qu'il le voyait, en une imitation vulgaire d'un chien conditionné à aboyer à la vue d'un pauvre facteur traumatisé par tant de haine canine.

Il valait mieux que je parte, avant que l'un des deux ne reprenne la parole. Watari semblant déterminé à me servir le thé, il y avait assez de temps pour initier de quoi préparer un procès aux assises.

Me relevai, laissant quelques rognures d'ongles sur le cuir du fauteuil et ignorant avec détermination le duo de regards oscillant entre l'outrage et la réprobation dégoûtée.

Pouvais quand même pas finir la conversation là-dessus, l'effort d'excuse était trop pénible pour être réitéré sous le prétexte que cet abruti voulait faire semblant de ne pas comprendre.

« Je voulais vraiment juste dire désolé. Je pouvais traiter son corps autrement, et pas passer ma colère sur lui. Je le détestais et le méprisais, et ça ne s'est pas arrangé parce qu'il a eu le bon goût de mourir, mais j'aurais pas dû faire ça. De ça, je suis responsable, et je sais que tu aurais préféré que je fasse autrement. De ça, je suis désolé. C'était tout. »

Je me servirais mon thé moi-même, Watari ne m'en voudrait pas de prendre la théière pour moi tout seul dans ma chambre.


« Si vous continuez à tirer, il va mourir. Juste pour info. »

Tant pis. Je relâchai la chaîne, esquivant l'éclat de vomissure qui suivit. Depuis son coin de la pièce, occupée à aiguiser scalpels et crayons khôl, Mayat se pensait drôle à me donner des infos évidentes. Elle posa son crayon à sa droite, l'alignant parfaitement avec le reste de son dégradé de jaunes. Elle avait déjà fini les violets, les mauves et les pourpres – m'abrutissant de ses théories sur l'association de couleurs dans le but évident de me rendre fou. Rien ne pourrait surpasser ni atténuer l'horreur du mascara orange encadrant ses yeux de truite morte.

« Pas que je me plaigne. Il me donne du travail supplémentaire. »

Ses mains faisaient tourner avec lenteur un nouveau crayon, à la couleur relativement proche de la mare visqueuse et acide au sol. Matsuda continuait de cracher ses poumons et d'avaler de grandes goulées d'air en alternance.

« Et ? Vous n'êtes pas ici pour changer les papiers peints ou faire profiter tout le monde de votre absence de compétences sociales et esthétiques. C'est votre travail de le maintenir en vie. Et vous êtes assez rémunérée pour ça. »

La caricature de l'apathie daigna faire l'effort de relever sa tête jusqu'à me regarder. Le sacrifice consenti assez important pour ralentir la diction encore un peu plus et clore à demi les paupières enfarinées.

« Je suis venue pour trouver des indices dans le cadavre de l'ex petite-copine de Monsieur Pas-de-bras-pas-de-chocolat. Je l'ai fait. Et je ne suis pas rémunérée pour ma présence ici, alors que je reste pour qu'un gorille arrive à marcher, qu'un âne reste en vie et qu'un masochiste réfractaire aux antalgiques retrouve l'usage de ses deux bras pour vous amuser au pieu. Tout salaire serait insuffisant.

— Votre vie sauve et votre liberté, c'est très généreux pour un travail si peu efficace. L'âne est à moitié crevé de fièvre et Mogi ne marche toujours pas correctement. Un tel manque de professionnalisme aurait dû vous coûter votre droit d'exercer avant même qu'on ne découvre votre manie de… piocher dans les réserves. »

Un râle étranglé sortit de l'abruti derrière moi. Avant que je ne lui fasse remarquer ce que je pensais de sa manie de faire son intéressant, un bloc-notes vola et s'écrasa contre son nez, lui faisant lâcher un couinement ridicule.

« Vous recrutez n'importe qui.

— Posez-vous donc des questions sur votre présence, Mayat.

— Accepter des idiots qui interrompent sans cesse les négociations salariales des grandes personnes, c'est de mauvais goût. Je ne parlerai même pas du manque de femmes dans votre petite équipe de manchots en goguette en plein désert de Gobi, bien partis pour pique-niquer sur une couverture à carreaux et improviser un concours de crochet. »

J'attrapai un rouleau de scotch, et fis deux fois le tour de la tête de ma taupe préférée pour l'empêcher de chialer. Le groin était tout ce qui dépassait encore, une fois les yeux recouverts aussi. Beaucoup plus agréable à regarder qu'avec son regard de mouton à l'Aïd-el-Kebir.

« Il y a déjà une mannequin et une chienne. Et vous. Six ovaires dans une maison, ça suffit. Vous allez synchroniser vos menstruations et être toutes invivables au même moment.

— J'admire votre capacité à dire de telles bêtises tout en ayant parfaitement conscience d'être dans l'erreur. » Une admiration qui irradiait de tout son être.

« Vous pouvez, Miss Sedih. Et j'apprécierais aussi que vous me passiez un de ces scalpels. J'ai des questions à poser qui exigent des réponses.

— Osez me dire que vous y croyez encore. Vous voulez juste vous défouler et êtes trop flemmard ou trop peureux pour faire un footing comme tout le monde. »

J'allais la tuer, un jour. Elle changea de crayon et repartit dans ses élucubrations.

« J'aimerais en revenir à la conversation précédente. Celle concernant mon salaire. »

Le jour de sa disparition était plus proche qu'elle ne le pensait.

« Je me fiche de vos prétentions économiques. Lorsque Kira sera hors d'état de nuire-

— Watari semble très fâché. Il n'arrête pas de faire passer en boucle la vidéo du petit génie sur toutes les télés. Même aux heures de Doraemon. Ce serait bien, qu'il arrête, sans quoi je devrai enregistrer les épisodes et les regarder pendant la diffusion de Terrace House. Et ça va décaler tout mon programme.

— Ce fameux programme qui mérite une reconnaissance supplémentaire que le simple fait de tolérer votre existence, ou un programme d'abrutissement approfondi par écran ?

— Un programme consistant notamment à raccommoder les dégâts occasionnés par votre admirateur. Maintenant si ça vous va que je ne m'en occupe plus, ça vous donne à la fois une raison de râler, une de le tripoter, et une de ne pas me payer.

— Je pourrais admirer vos capacités de négociation pour leur incroyable nullité et leur discrétion à rendre jaloux un porte-avion.

— Et la jalousie, ça vous connaît. C'est entendu. Vous savez où est l'armoire à pharmacie. »

Mayat fit alors preuve de rapidité et sortit sans que je puisse lui lancer une chaise à la gueule. Cette garce ne méritait pas le quart de la patience et de la gentillesse que je lui témoignais.

Un sursaut de pleurnicherie reniflarde reporta mon attention sur le monceau de merde intellectuelle. Le scotch de la gueule arraché, rougissant la peau trop fragile. Il pleura quand celui des yeux lui retira quelques cils supplémentaires.

« Bien. Matsuda. Disposé à me raconter un peu tes vacances avec Beyond ?

— Vous avez parlé de Mogi. Pourquoi vous avez parlé de lui. »

Mignon comme un chaton attardé abandonné dans un carton humide au mois de décembre. Comme si la parodie d'amitié qu'il avait entretenue avec Mogi avait le moindre fondement de vérité. Et si elle l'avait… ça rendait son infiltration encore plus déplorablement pourrie.

« Parce qu'il est mort. »

L'inspiration erratique était peut-être feinte, comme le rétrécissement des pupilles pouvait être provoqué volontairement. Mais s'il y avait la moindre chance que cette erreur humaine aussi utile qu'une neurocysticercose souffre et soit malheureuse, je pouvais la tenter.

« Parlons un peu, tous les deux. »


« Tu peux pas arrêter de manger ? Rien qu'à te regarder je sens que je grossis.

— Tu as de la chair qui pousse sur tes os ? Première nouvelle. Tiens, prends une gaufrette, si tu la cales entre tes côtes on aura presque l'impression que tu n'as pas ta place à la page Squelettes animaux pour classes élémentaires d'un catalogue de matériel. »

La pauvre gaufrette à demi mangée s'envola magnifiquement pour retomber dans une tasse de chocolat chaud sous le cri outré d'un Akemi dérangé dans son demi coma.

La matinée n'était même pas terminée que les talons hippopotames surmontés de marguerites framboise et citron étaient revenus piétiner sous mon nez, à moitié disparus sous la superposition de jupons blancs. J'étais presque sûr qu'elle avait piaillé le scénario de son nouveau navet à qui voulait bien l'entendre, mais qu'est-ce qui pouvait justifier les dentelles atomiques de ses chaussettes, aussi stabilisantes pour l'équilibre mental que la récente tendance girouette de ses non-goûts vestimentaires ?

Alors qu'elle hurlait contre les calories déposées sur ses doigts couverts de crème exfoliante, les caniches à cœurs lui servant de boucles d'oreilles faisaient leur promenade de gauche à droite, excitant au passage le vrai clébard qui ajoutait ses jappements au concert d'aigus de sa maîtresse en esquivant les assauts inopinés des hippopotames maladroits et agressifs.

« Tu n'arrêtes pas de bouffer et tu déteins en mal sur tout le monde ! Même sur Raito, pour te dire ! Depuis que t'es re-là, il a déjà repris du poids-poids. Si ça continue comme ça il finira tout mou et notre couple sera trop pas assorti et là tu pourras t'en prendre qu'à toi-même ! C'est ça que tu veux, avoue tout, monstre de… de… toi ! »

Les bonbons au raisin avaient effectivement une saveur toute particulière, quand je l'entendais honnir avec tant de vigueur le principe absolu de la logique élémentaire. Ses mains s'envolaient de temps en temps jusqu'à sa tête comme sa voix sautait allègrement quelques octaves.

Akemi finit par poser un casque sur ses oreilles, d'où s'échappa juste après ce qu'il devait appeler de la musique et qui ressemblait davantage à des couvercles de poubelles entrechoqués pour faire fuir rats et corneilles.

Une troisième poignée de bonbons en bouche, et Misa tentait de voler ma réserve. Ma main sur la sienne, agrippant l'objet du délit.

« Ce n'est pas parce que tu penses que si je te souffle au visage tu vas t'engraisser que tu dois te transformer en voleuse de vivres.

— Tu me prends vraiment pour une cruche.

— Cassée, la cruche. Depuis longtemps.

— Je sais bien qu'on peut pas tomber enceinte avec juste la bouche, hein. »

Mais comment était-il possible que l'humanité en soit arrivée là après tant d'années d'évolution ? Cette fille serait bien capable de servir d'exemple anti-darwinisme aux créationnistes. Rien ne pouvait justifier qu'un tel spécimen soit vivant s'il y avait la moindre toute petite sélection naturelle.

« Engraisser. Pas engrosser. La différence de sens entre les deux mots est inversement proportionnelle à celle entre ton cerveau et celui d'un stégosaure.

— … C'est un dinosaure, ça.

— Ta culture resplendit, princesse. Bientôt tu pourras acheter des chaussures avec de vrais lacets.

— C'est celui avec les tuiles sur le dos ?

— Tu as tous les prérequis pour passer en maternelle, bravo. La crèche, c'est fini pour toi.

— Mais il est gros, lui ! Il est tout moche ! T'es trop trop trop méchant. J'en ai marre. »

Les joues gonflées et les mains se refermant convulsivement en poings mouchetés de bagues brillantes soulignaient en effet qu'il serait bientôt temps pour elle de prétexter un nez à repoudrer pour débarrasser le plancher.

« Toi t'es un… un… un pécilan ! Voilà !

— Un pécilan ?

— Le gros oiseau, qui met de quoi nourrir trente œufs dans son bec, là !

— Ah. Redis-moi son nom, pour voir ? »

Elle rouvrit la bouche, et aucun son ne s'articula. Peut-être une soudaine crise de mutisme bienvenue ? Elle referma son claquoir et sortit son téléphone composé à 75% de porte-clés et fanfreluches. Tapota avec un bruit d'ongles insupportable puis le rangea de nouveau et campa ses pattes sur ses hanches.

« Oui bon ! T'es un pélican ! Voilà ! J'ai fait une faute de frappe, c'est pas la mort du petit poney non plus. »

Le petit poney en question allait bientôt se jeter d'une falaise en signe de protestation contre les coupes budgétaires de son film, mais la pimbêche de compétition ne devait en avoir aucune idée.

En attendant, ma part de cheesecake myrtille comblerait la conversation. Unilatérale.

« Et voilà, tu re-re-bouffes ! Heureusement qu'il y a des gens qui t'amènent de quoi remplir le sac Ikea bleu qui te sert d'estomac ! T'es incapable de te faire cuire un œuf. Ou une compote. Ce que tu manges.

— Tu veux reparler de ta poêlée de légumes à la casserole ? Ton désespoir de ne pas y passer ne devrait pas t'autoriser à y balancer une pauvre aubergine.

— T'es censé être un détective genre hyper connu et personne te reconnaît ! Et vu où tu vis, c'est sûr que t'as dépensé toutes tes économies en allant faire des trucs pas recommandables.

— Ta chambre ressemble à un bordel miteux, sur un port commercial infesté par la peste depuis trente ans.

— Connaisseur des bordels, hein ? C'est d'inspiration néo chic rococo, tendance maximaliste. Qu'est-ce que tu y connais, toi ? Tu passes ton temps à manger et à faire on sait pas quoi sur ton ordinateur. Tapoti tapota, et tu t'occupes même pas de faire venir un décorateur digne de ce nom. Ça fait au moins deux mois que j'ai dit à tout le monde que les rideaux jurent avec le reste et que la peinture blanche, c'est dépassé. Maintenant, c'est Crème de lait qui est tendance. Ou Chantilly.

— Ne parle pas de ce que tu ne goûteras jamais. Tu serais bien incapable de faire la différence entre les deux goûts même si tu essayais d'avoir l'air maligne.

— Je te surpasse en absolument tous les domaines. Et je peux te le prouver. »

M'arrêtais, concentré sur le visage chiffonné de vexation.

« Tu proposes… ? »

Elle tapa son poing dans sa main, puis referma ses ongles vernis sur mon bras pour m'arracher à la pièce. Au pas de course, couettes au vent, elle me tirait derrière elle, faisant claquer ses talons immondes au sol et les dents de son chien derrière mes mollets. Quelque chose risquait de souffrir du voyage.

« Là ! »

La cuisine était vide, rangée, ravitaillée – merci Watari – et nouvellement envahie de deux femelles qui n'avaient strictement rien à y faire. La pression relâchée, je pus me servir une tasse de café, généreusement noyée dans du lait puis sucrée et assaisonnée du verbiage blond.

« Concours de cuisine. Chacun choisit le plat de l'autre. On fera goûter à… Mogi. Lui, il est insia… imper… impartial.

— Et je gagne quoi à te ridiculiser ?

— Tu gagneras trop pas. Mais si tu gagnes, j'ai un gage. Et si je gagne, tu as un gage. »

C'était idiot. Et c'était tentant. La voir mettre les voiles pour la Patagonie valait le coup de supporter sa compagnie pendant un temps, d'autant que l'absence de la princesse relevait de l'intérêt général.

« Tu fais des cupcakes. Citron, crème au beurre.

— Toi, un steak de thon grillé au sésame et pousses de soja. On a une heure. »

Les ingrédients s'accumulèrent rapidement, envahissant le moindre espace disponible, laissant peu de vide pour manier le couteau. Ça lui éviterait au moins de faire fondre son beurre avec l'emballage. Elle tapotait son menton avec une cuillère en bois, visiblement peu inspirée sur les étapes de sa préparation.

Le morceau de thon mort ruisselait déjà sur une assiette, puant la marée assez fort pour rameuter les chats du quartier. Avec un peu de chance, les félins se ligueraient pour éradiquer l'ennemi canin et en faire leur déjeuner, pour peu qu'ils ne soient pas rebutés par la quantité de poils shampooinés à arracher avant d'arriver à la viande.

Personne ne m'avait jamais appris comment ni pourquoi découper un steak de poisson dans un morceau plus grand – l'intérêt était nul jusqu'à ce qu'un assassin trouve l'idée de transformer ses victimes en steak à ce moment-là, j'apprendrais les tenants et les aboutissants du métier consistant à tailler des animaux crevés comme les jardiniers taillent les arbres avant le printemps.

« Pffff j'ai pas d'idée créative pour la déco de mes cupcakes. C'est désespoirant.

— Tu n'as qu'à faire un cupcake inspiré de tes godasses. »

Elle arracha son échasse et la fracassa sur le plan de travail devant elle, puis claudiqua jusqu'au premier placard venu, gagnant ou perdant une quinzaine de centimètres à chaque changement de jambe.

« C'est pas mal, en plus comme ceux qui mangent ces trucs finissent par avoir le même popotin que les hippopotames, ce sera dans le thème.

— Ce n'est pas de la faute des cupcakes si tu as une prédisposition à avoir la croupe d'un percheron. Utilise ton cerveau autrement que pour décider des accords couleurs de ton vernis, tu-

— Ta gueule. Les cupcakes sont des pièges plus vicieux, meurtriers et terrifiants que des mines antipersonnel enfouies dans le sable d'un square.

— Ou d'un urinoir pour chiens ?

— Pareil. C'est terrifique et c'est tout. Chut maintenant, je refuse d'être toute déconcentrée. Occupe-toi du thon, vous avez beaucoup de choses en commun. »

Sa cuillère bâton de majorette s'abattit dans le pot de farine, faisant voler la poudre jusqu'à son visage. Parfaite imitation de geisha de carnaval.

Une dizaine de minutes, et la porte s'ouvrait déjà sur le premier intrus. Akemi, enfin tiré de sa contemplation musicale, se pavanait la truffe en l'air.

« Qu'est-ce que vous foutez ? La cuisine émet des vapeurs toxiques et pourtant vous faites rien cuire. Vous avec prévu d'arrêter avant de provoquer la mort des habitants ?

— C'est le thon, dans le grille-pain. »

À sa couleur joliment carbonisée, il allait falloir en faire un autre. À moins de gratter la croûte, et de dissimuler le tout sous le sésame.

« … Mais t'es con ? Ça peut juste tout cramer, foutre le feu et éventuellement te tuer.

— Oui ben du coup faut pas le faire. Maintenant, je le sais. »

Il sortit les dents, adossé au mur, parfaitement fier de lui et de sa présence sur le terrain.

« Je peux avoir une explication avant de prendre une photo pour la postérité ou c'est entre vous deux et classé secret défense ? »

Laissai Blondasse babiller et perdre son temps à gesticuler. Quand elle se retourna complètement, elle ne put pas me voir balancer la muscade dans sa préparation foirée. C'était elle qui avait réquisitionné le four et monopolisait la plaque de cuisson.

« Bon, je vais rester là pour arbitrer. Et vérifier que vous fassiez pas exploser le quartier.

— Beyond s'en est déjà chargé, pas loin. Ce serait chiant, une redite.

— Si tu le dis. En attendant, un steak de thon, personne n'imagine le cuire au grille-pain sans y avoir passé son cerveau avant. »

Il se concentra ensuite sur son téléphone, calé contre un saladier empli d'une masse jaunâtre visqueuse, non identifiée. Peut-être la crème au beurre, mais ça n'expliquait ni les grumeaux ni les traînées grises. Un générique de dessin animé strident envahit la pièce, sous les commentaires joviaux d'un mafieux bien trop heureux que Mayat lui ait fait découvrir les aventures de trois gamines dotées de super pouvoirs, créées plus ou moins dans une cuisine avec du sucre et des « tas de bonnes choses » ce qui n'aidait pas les dégénérés voulant reproduire la recette.

De son côté de l'enfer, Misa tartinait généreusement ses doigts de marmelade de citron, sifflotant tout en battant la mesure sur le rebord de sa casserole.

« Eh, Misa.

— Quoi ? Si t'essaies de me déconcentrer ça marchera pas.

— Tu veux pas mettre le grille-pain dans ton prochain bain à bulles ? Et l'allumer ?

— Ben pourquoi ? Il serait tout mouillé et le pain tout mou c'est pas très très croustillant. T'es bizarre. »

Peut-être que je pourrais lui pondre une théorie sur les biscottes sans sel devenant aussi savoureuses que de la brioche sans calories pour l'inciter à se suicider accidentellement… l'idée était plus appétissante que les pousses de soja se tortillant entre mes doigts comme autant d'asticots vivaces.

Le mafieux finit par éteindre son téléphone, pour s'approcher et analyser ce qui se tramait. Son nez froncé laissait supposer qu'il ne comptait pas prendre la place de Mogi et de son rôle de juge.

« Tu n'espères pas que ce sera comestible à la fin ?

— Tu n'espères pas être payé pour espionner par-dessus mon épaule et regarder les dessins animés ?

— Meh. Comme si tu avais encore la possibilité de me rembourser de tous mes merveilleux, généreux efforts à leur juste valeur.

— L'effort consistant à te mêler de toutes les conversations sauf celles auxquelles tu es convié ne compte pas.

— C'est ce que tu crois. On en reparlera. D'ailleurs, je m'inquiète, tu sais ? Il est chonchon, ton copain. Une idée de la raison ?

— Lui faut de nouveaux analgésiques. Passe-moi le bidule pour cuisiner, là. À côté de ta main. »

Un coup de spatule interrompit mon geste, passant bien trop près des phalanges innocentes. L'aigu de la voix cisaillant le glougloutement d'une chose cuisant à gros bouillons et dégageant une vapeur âcre défiait les lois de l'acoustique.

« Toi, arrête de parler de… de… de cette partie-là du corps ! C'est dégoûtant et c'est pas en rajoutant des mots compliqués que je vais pas comprendre ! Faudrait être franchement super trop bête pour pas comprendre, là, anal… gétruc. Pervers.

— Pourquoi elle est encore là ? Sérieusement. »

Akemi s'était redressé, bras croisés et tourné vers l'idiote. Toute plaisanterie évincée, il semblait sur le point de repeindre la cuisine en rouge. Pour peu que l'intérieur d'un corps bombardé de produits cosmétiques soit encore de couleur à peu près naturelle.

Je désertai la conversation, les insultes fusant joyeusement ne risquaient pas de faire avancer ce que j'essayais de faire avec le sésame. Finalement, entre un nom de champignon parasite et un curieux « Lâche cette couscoussière », la porte s'ouvrit sur un Watari au visage sinon étonné, au moins… quelque peu sorti de la routine. Jamais il ne laisserait son flegme se briser devant témoins.

« Ryuzaki ? Qu'est-ce que vous faites ?

— Je prouve à la jeune miss que je lui suis supérieur en tous points. » Comme si une quelconque preuve était nécessaire à qui que ce soit d'autre qu'elle et son cerveau insignifiant.

« Et tu t'amuses bien ? »

Une dégringolade de fouet résultant en un raz de marrée d'œuf battu fut sa réponse. Watari referma la porte en sortant, après avoir récupéré un service à thé neuf.

À peine quelques minutes de répit avant que la porte se rouvre une nouvelle fois brusquement, entraînant avec elle une brume de farine. Ou de fécule. Y avait-il seulement une différence. Luisant dans le brouillard, les deux lampes qui servaient d'yeux au commissaire me foudroyaient, embrassant aussi le champ de bataille.

« Ah ah ! Je savais que ça allait enfin prendre, cette crème au beurre sans gras ! »

L'attentat à l'intelligence culinaire ne fit pas dévier le vautour de sa proie. Ma spatule lentement reposée sur le rebord du saladier.

Mais qu'est-ce que j'étais en train de faire ?

Les ongles me griffèrent en m'arrachant à la cuisine sous les hourras de la connasse et les exclamations outrées du mafieux qui perdait d'office son poste d'arbitre du dixième cercle des Enfers.

Yagami faillit mourir en plongeant ses globes oculaires dans le serre-tête de Mayat imitant des bois de cerf blancs. L'image aurait été artistique, mais l'homme évita la mort d'une esquive habile tout en manquant de me déboîter l'épaule pour ne pas que je connaisse le même sort. Trop bonne excuse pour échapper au règlement de comptes qu'il me réservait.

Finalement, il me bazarda par la porte ouverte de sa chambre. Parfaitement neutre et bien rangée si l'on omettait le cadre avec la photo familiale sur la table de nuit. Quatre sourires éblouissants devant un paysage misérablement prévisible.

Sans pouvoir analyser davantage la pièce, je me retrouvais assis sur le lit de deux mains broyant mes épaules. Il faudrait que les habitants de cette maison perdent l'habitude de me traîner de force d'un bout à l'autre des couloirs. Mon ravisseur s'installa sur une chaise ramenée d'un coin.

« Tu prétends que l'affaire est prioritaire. Tu voudrais que je croie que tu… as des intentions qui ne méritent pas la pendaison, en ce qui concerne mon fils. Alors comment oses-tu perdre notre temps à tous à jouer dans la cuisine ?

— Je suis désolé.

— Pas encore assez, je te l'assure. Mais ça peut être arrangé. » L'exploration de la souplesse maximale de mes genoux pouvait être l'option retenue. En étais pas partisan.

« Vraiment. J'aurais dû… ignorer Misa. Mais elle est tellement elle que quand elle essaie de parler, c'est équivalent à une déclaration de guerre.

— Tu es adulte. Tu ne fais plus de concours de pâtisserie sous prétexte que tu n'as pas le droit de juste te battre avec une fille. Et tous tes enfantillages n'y changent rien. »

Quelle vision avait-il de l'âge adulte, exactement ?

« Je vais me remettre au travail.

— Raito le mérite. À cause de sa participation à cette enquête, il ne sera jamais plus comme avant. »

Et blablabla. Que c'était chiant, une figure paternelle. Raito aurait surtout mérité d'être délivré de ces ennuyeuses conversations sur les responsabilités, les manquements à l'honneur, le devoir de prouver qu'on était assez sérieux et investi pour ne pas mériter de se faire arracher les organes reproducteurs avec un taille-haie rouillé…


La protection étanche relâcha le bras, laissant les cheveux mal essorés goutter un peu trop près des plaies. Malgré tous les soins apportés, elles étaient encore loin d'être pleinement cicatrisées.

« Si tu préfères que ce soit Mayat, je la rappelle, elle s'occupera de Mogi plus tard.

— Pas vraiment. Sauf si tu as mieux à faire. »

Aïe. Le paternel avait mis une de ses exquises et nombreuses menaces à exécution. Mais à en croire l'air plus ennuyé qu'assassin, Raito n'était pas aussi enragé que son père. Il semblait même… apaisé ? Aucune foutue idée de comment c'était possible tellement c'était contraire à ce que tous les autres avaient hurlé sur tous les tons, mais je comptais bien en profiter.

Sur un raclement de gorge, je sortis le matériel nécessaire, bien plus limité qu'au cours des premiers jours et même premières semaines. Les risques d'amputation étaient écartés et il ne restait que la purulence épisodique et la douleur chronique à combattre. Les bandages, les analgésiques, les désinfectants, les outils de curetage.

« Je ne vais pas répéter quarante fois que je suis désolé. Je vais réduire mon sommeil des prochaines nuits pour rattraper le temps perdu et voilà. »

Une pichenette sur mon front me fit plisser les yeux. Et sourire.

« C'est pas ce qu'on te demande. Mais tu aurais dû savoir depuis le temps que t'approcher d'une cuisine n'est pas une bonne idée. Watari va mettre des heures pour nettoyer ce que vous avez fait là-bas. Ça défie les lois physiques.

— Hmpf. Tu vas pas me reprocher d'avoir essayé de m'améliorer.

— Non. Mais ce n'était pas forcément le domaine le plus urgent. »

S'il arrivait à papoter sans tressaillir sous la curette, c'était qu'au moins je n'étais pas véritablement doté de deux mains gauches. J'immobilisai mieux son membre en entourant le coude de mes doigts. Ça faisait… longtemps que je n'avais pas pu profiter d'un peu de vrai calme en sa compagnie. C'était presque étrange, mais je n'allais sûrement pas regretter d'avoir un sujet de conversation qui ne donnait envie à aucun de nous d'utiliser une arme contondante.

« Tu regretteras que je n'aie pas fini. Elle va se pavaner partout en disant que j'ai déclaré forfait.

— Hmm. Si elle oublie que tu lui dois un gage, tu peux t'estimer heureux.

— Elle n'a aucune espèce d'esprit ou d'originalité. Elle me fera manger ce qu'elle a préparé, ou je serai interdit de sucre une semaine.

— Comme si tu allais respecter ta parole.

— Comme si j'avais envie de parler d'elle avec toi.

— Sois pas jaloux. »

Sur un reniflement éloquent, je changeai d'outil pour récupérer le désinfectant. Comme si considérer la mémoire de Misa possiblement supérieure à trois heures était une incitation au calme.

« Vois pas de quoi je serais jaloux. Je ne le suis pas.

— Sûr.

— Si tu t'amuses bien, au moins la journée n'est pas perdue, c'est l'idée ? Dis-moi si je te fais mal, au lieu de mettre ma parole en doute. Si elle donne un gage acceptable pour mon intégrité physique et qui ne pénalise pas l'avancée de l'enquête, je verrai ce que je peux faire. Même si je n'ai pas perdu. J'ai été éjecté de la compétition par ton père.

— Tu aurais dû mieux écrire les règles, pour être assuré de ne pas perdre. »

Le brachial antérieur avait été plus exposé que le reste, il avait du mal à se remettre malgré tout ce qu'on pouvait balancer dessus.

« Tu manges correctement ? Si tu dégueules sans arrêt, ça ne facilite pas ta guérison.

— Oui, maman.

— Hmpf. Si tu veux que ce soit ta maman qui te soigne, je t'arrange ça. Bonne chance pour l'explication. »

Sa respiration profonde ne s'était pas accélérée quand j'avais commencé à enrouler le bandage. Ce n'était pas l'idéal, mais toujours mieux que de laisser les plaies ouvertes à tous les germes virevoltant. Parmi eux, les poils de chien n'étaient même pas nécessairement les pires.

« Je doute qu'elle avale que tu sois tombé de ton skateboard, ou qu'un animal du zoo t'ait boulotté le bras. Paraît que quand on est grand, on ne fait plus ces choses-là.

— Parce que tu m'imagines vraiment sur une planche à roulettes ? » Le dédain était tellement exagéré que c'était une injonction à l'encourager.

« Évidemment. Je te vois très bien rejoindre tes petits camarades tardigrades au parc de jeux pour comparer vos techniques de rupture des cervicales et vous pousser à tour de rôle sur les balançoires, vomissant aléatoirement sur le tourniquet.

— Absolument charmant, en effet. Pas de balançoire et de goûter volé ? Ou les goûters, tu les gardes pour toi maintenant ?

— Je ne prends pas de goûters. Bouge ton épaule, pour voir. »

Les mouvements s'assouplissaient, avec les exercices et le temps. Toujours ça de pris.

« Tu appelles ça comment ? Tes dix-huit repas de la journée ?

— Pourquoi pas. Sauf que le nombre varie. Tu as compté, savoir si dix-huit, c'est la moyenne ? Je crois que je mange différemment selon les saisons. Je préfère le lemon curd au printemps, les pop-tarts en juil-

— Pitié. Ce n'est même pas qualifiable d'aliment, ces trucs.

— Meilleur que toutes les jardinières de légumes du monde.

— Tu vas te transformer en muffin avant tes trente ans.

— Ce qui me rendra absolument délicieux et irrésistible. »

Rien que l'idée d'un muffin de ma taille… si j'avais été plus jeune et moins occupé, j'aurais trouvé intéressant de calculer le temps qu'il m'aurait fallu pour le manger.

« Arrête, tu vas baver. Ce serait immonde. Quand je pense que tu te crois apte à juger ce que je mange, ça donne des envies de sabotage des usines Lutti dans tout le pays.

— Tu oserais pas ? »

J'étais sûr à 85% qu'il n'oserait pas. Ce serait viscéralement mauvais. Diabolique. Machiavélique. Mais son sourire de sphinx était un peu trop illisible. L'amusement dans ses iris pouvait ne vouloir rien dire, ou juste qu'il se délectait à l'avance du spectacle de ma souffrance. Aucune envie de me retrouver en sevrage forcé. Watari avait déjà tenté, et il n'était pas le seul à s'en souvenir, à l'orphelinat. Dans le doute, il valait peut-être mieux ne pas exagérer… trop de choses en dépendaient.

« Enfin, tu fais ce que tu veux. Si ça t'amuse de te nourrir d'air frais, de thé à rien et d'amour paternel, il y en a un qui ne sait plus quoi en faire.

— Merci de l'autorisation. Pour ta gouverne, je mange aux repas communs, et entre-temps, quand j'ai du temps libre une fois le reste fini, je voue tout mon amour à analyser ce qui aurait pu trahir l'emplacement de Beyond dans les meurtres de Kira. »

Le dernier pansement en place, je laissai tomber mon front contre mes genoux sur un gémissement. Il n'était pas en colère de ma… pause pâtisserie. Il était parfaitement heureux de pouvoir s'en servir comme rappel acide et argument d'autorité au cours de n'importe quelle conversation pour les dix prochaines années.


Le réveil fut brutal. Tiré de mon rêve sanglant par un étranglement qui se révélait la transposition d'une présence canine inacceptable pour mes poumons, je me redressai contre la tête de lit, faisant tomber le clébard de mon dos. Ses poils multicolores depuis la dernière débilité de sa maîtresse parsemaient les draps, bien attirés par les miettes de biscuits puant la viande synthétique. Quelques minuscules répliques d'os étaient encore là pour achever de prouver que ce n'était pas mon pain d'épices qui avait encouragé la bête à s'introduire chez moi. La porte ouverte en grand devait sans aucun doute possible encore porter les empreintes digitales de la soi-disant actrice chanteuse. Encore un peu et elle se mettrait au numéro de cabaret.

Une bouteille d'eau attrapée, j'essayai de me dégager les voies respiratoires mais les sifflements persistaient. Saloperie. Les poils avaient repoussé bien trop vite. Et par tous les esprits humains les plus détraqués, qui avait donc pu penser qu'il était de bon ton de teindre un animal blanc en huit couleurs criardes différentes pour l'assortir avec le bordel qui servait de cervelle à sa propriétaire ? C'était terrifiant d'idiotie et j'en aurais presque été à plaindre cette sale bête. Presque. D'un geste sec, je tirai la couette hors du lit, réveillant la bestiole par la même occasion, qui grogna avant de remonter directement sur le matelas et de se rouler en boule au beau milieu de mon oreiller, entre les pralines et le téléphone.

Quelqu'un m'en voulait donc au point de dresser un chien à prendre toutes les décisions les plus énervantes. Tant pis.

Je dépiautai ma couette de plumes, abandonnant le drap contaminé directement au sol. Le lin blanc parsemé de poils paillettes pouvait bien finir incinéré, maintenant.

Le couloir portait encore des traces de miettes ponctuées de filets de bave. Dégoûtant. Et quand c'était moi qui laissais des miettes de strudel sur un canapé, c'était un attentat. Ben voyons.

Pas trente-six solutions possibles de repli. Les canapés n'étaient pas exempts de contamination allergique. L'ancienne chambre de Matsuda avait été reconvertie en débarras pour un tas de matériel médical et informatique et quelques archives. Et la nouvelle, inutile d'y penser.

En restait une d'où mon lit était reparti il n'y avait pas si longtemps… et ça valait mieux que de dormir avec Mogi ou Mayat et risquer de finir écrasé ou délesté d'un ou deux reins.

L'obscurité était presque totale, mais je me guidais assez facilement. Un des avantages à ce que lui ait été élevé correctement et n'ait pas l'habitude de jeter par terre à peu près tout ce qui lui passait sous la main. Tombai en premier contre un coin de lit, et en tâtonnant pour me trouver une place, il était clair qu'il y en avait assez peu. Raito s'était endormi presque au milieu, enroulé dans sa couette comme une crêpe au sucre.

Le plus doucement possible, je grimpai à côté de lui, tentant de ne pas tirer sur les draps, de ne pas le heurter. Moins il me sentirait, mieux il dormirait, moins il aurait de chances de se réveiller, et moins je risquais d'être défenestré.

Finis par tirer ma propre couette au-dessus de moi, retrouvant avec plaisir un semblant de confort acceptable. Plus qu'à retourner à ce rêve idiot et surtout ne pas y inclure Raito sous peine de vraiment connaître cette fois un réveil compliqué et gênant.

Un bras s'abattit directement sur ma tempe dans un mouvement lourdaud, m'arrachant un juron automatique et faisant sursauter le malheureux responsable d'avoir bougé dans son sommeil.

« Qu'est-ce que… où je…

— C'est moi. C'est que moi. Tout va bien. » Le besoin de le rassurer passerait peut-être si sa voix se calmait, si sa respiration ralentissait. Pour l'instant, son poignet dans ma main continuait d'être maintenu et caressé du pouce.

« L ?

— Oui. Désolé du réveil, ça fait longtemps que tu ne bouges plus autant en dormant, ça m'a surpris. »

Il se redressa un peu, alluma sa lampe.

« Pourquoi tu es sur mon lit ? Qu'est-ce que tu fais ?

— Je pensais moins te déranger comme ça. Voulais pas te pousser. Tu dormais bien.

— Ton lit ?

— Raflé par un million de poils hargneux décidés à raccourcir ma vie. »

Ce n'était même pas vraiment un rire, ce soupir… mais c'était délicieux. Presque autant que de savoir que ma main sur son bras ne le gênait pas assez – même inconsciemment – pour qu'il la chasse.

« Tu te fais voler ton lit par un chien de quoi ? Dix kilos ? C'est du joli.

— Je peux aller dormir ailleurs si tu préfères. Akemi a un lit assez grand pour deux. Il sera d'accord.

— T'es vraiment trop con. Et tu ne devrais pas en être fier.

— Je sais. » Et c'était beaucoup trop bon de l'être, surtout quand on se décalait pour me laisser une vraie place, que je n'avais plus eue depuis longtemps. Si mienne, cette place.


Tout le monde était réuni dans une même salle, pour une fois, hormis la pétasse partie remuer ailleurs les deux ballons de gymnastique qui lui servaient accessoirement à s'asseoir.

« Bien. Il faut que nous remettions à plat ce que nous savons. »

Mogi se passa un linge humide sur le front. L'empilement de tasses pleines de café devant le commissaire Yagami ne concurrençait pas Akemi qui avait directement embarqué la cafetière et l'entourait de ses bras en grognant quand quelqu'un l'approchait. Mayat enroulait une à une ses interminables extensions dans des bigoudis fluo, se transformant peu à peu en balle de massage à picots. Watari avait son ordinateur pour prendre des notes, mais passait plus de temps à piocher dans ses œufs ou ses baked beans qu'à s'intéresser au reste, rendant nerveux le reste de la troupe et me rendant malade avec l'odeur de l'infâme bubble and squeak. Par un curieux miracle – et que dieu garde la reine – personne n'avait fait de remarque sur ma répulsion pour le petit déjeuner anglais. Et après une si bonne nuit, c'était la bienvenue. Mon humeur pas gâchée par des stupidités. Pas encore.

« Nous avons peu d'indices sur l'endroit où se trouve Beyond, mais il faut que nous nous replongions dans ce qui est sûr.

— En restant aussi vigilant sur un éventuel décalage entre les meurtres de Kira et ce qui est montré à la télé.

— Ou aux informations diffusées par Internet. »

Du coin de l'œil, je notai que le mafieux s'était décidé à attaquer sa cafetière directement au bec verseur. Yagami se massait la tempe d'une main en buvant sa première tasse.

« Oui. Il faut continuer à trier les degrés de criminalité pour détecter tout changement d'idéologie. Ça lui est déjà arrivé.

— Le prédire serait mieux, mais je ne crois pas que ça arrivera. L'important est de ne pas laisser le peuple céder à la panique.

— Au fanatisme. Ce serait pire que tout, on n'aurait plus d'emprise et ce serait chaotique. »

Le reste ne fut qu'une suite de phrases complétées à deux, et le plan, puis la répartition des tâches en découlèrent facilement. Ce n'était que pures logique et stratégie, il fallait tisser un piège assez fin pour être certains de finir par attraper Beyond. Sans plus mettre en danger aucun d'entre nous. Les minutes filaient, envolées sur une réflexion galopante. Plus jamais je ne devais la laisser s'en aller, être volée.

« Donc. Des questions ? »

Le reste de la meute releva la truffe, exceptée Mayat qui défaisait scrupuleusement la moitié droite de ses bigoudis en louchant dessus tout en gardant les yeux mi-clos. Un air de lobotomisée édifiant. Watari se contenta d'un bref regard avant de continuer ses tranches de bacon grillé.

« Moi, j'ai une question. » Le père. Bien sûr. « Puisque tu as pris des vacances à l'étranger pendant plusieurs jours, Ryuzaki, et que tu prends du temps pour faire des pauses, quand est-ce que nous pourrons avoir des vacances ? »

Plus insultant et condescendant n'était pas possible.

« Chef, ce n'est pas forcément le…

— Si ce n'était pas le moment, Mogi, lui n'aurait pas dû s'octroyer ce privilège. »

Bordel, s'il se croyait dans un gouvernement communiste fondé sur l'égalité des droits et la camaraderie, on était vraiment mal barrés. L'équipe était réduite au strict minimum vital, et pourtant la connerie s'y était concentrée. Et ça continuait, malgré tout ce que je pouvais essayer de faire passer en communication non verbale.

« En fait, ce n'est pas une question. Je veux que Raito prenne des vacances. Une semaine chez sa mère et sa sœur. Là-bas au moins il sera bien. Seul, sans pression inutile, il pourra manger correctement. » Un coup d'œil beaucoup moins discret que prévu se posa sur l'assiette de Watari. « Et sa famille sera heureuse de le voir et de s'occuper correctement de lui. » Il harponna ensuite son fils du regard, et s'étendit pour piéger une main dans la sienne. « Et ça lui fera plaisir. »

Raito cherchait visiblement le meilleur moyen pour contredire son paternel. Pas faute de l'avoir prévenu, pourtant, de son amour protecteur excessif. Et redondant. Les laissai se débrouiller une minute seuls, avant de faire glisser mon téléphone jusqu'au commissaire.

« Tenez. J'ai classé les enregistrements des vidéos et micros des trois dernières fois où nous avons eu cette conversation tous les deux. Vous les avez oubliées, selon toute vraisemblance. »

Le rougissement furibond s'accordait assez mal avec ses cheveux décidés à grisonner. Dommage pour lui, il semblait bien parti pour un monologue enragé de vingt minutes comme il en avait le secret. Distraitement, je grattais mon pantalon en dessous du genou, tout en cherchant vainement quelque chose à grignoter. Mais à part du café sans rien et un reliquat de sauce tomate haricotée, il n'y avait plus que des feuilles et des ordinateurs sur la table.

« Je vous promets que si vous écoutiez ça en vitesse accélérée au lieu de parler, ça nous éviterait à tous une migraine persistante et une perte de temps assez considérable. » Le dernier argument n'eut pas l'effet prévu. Pour un maniaque du temps et de sa gestion, il était bien prompt à le gaspiller en bavardage.

Et maintenant qu'il était lancé dans une énième tirade sur l'importance de l'entretien d'un lien mère-fils auquel je m'intéressais moins qu'à la vitesse de jaunissement du papier journal sous éclairage halogène, il pouvait durer des heures. Des semaines. Le regard un peu compatissant de son fils n'aidait pas à diminuer l'ennui, mais je comptais bien lui faire payer ses origines génétiques en réclamant un gâteau mandarine tonka maison. Le voir cuisiner avait toujours été épouvantablement fascinant. Et addictif.

Un claquement lointain annonça le retour tant attendu du tas de fanfreluches qui ne se fit pas prier avant de nous rejoindre, balançant un claironnant « La Une de Snoozer, c'est pour moi ! Je réquisitionne la salle de bains pour les deux prochaines semaines, j'ai des essais coiffure à mener ! Pour la musique ! Pour la gloire ! Pour le resplendissage du Japon à l'international ! » qui eut le mérite de réduire Yagami au silence pour une raison obscure. Sur un mouvement de poignet faisant virevolter une dizaine de bracelets métalliques, Starlette Couette-Couette première du nom bondit vers Mogi pour lui faire un câlin avant de reprendre son envol vers Raito… et d'être fauchée au passage par un pied traînant. Mayat ramena sa jambe à sa place, ne semblant pas plus émue qu'après avoir jeté un yaourt périmé à la poubelle. Elle déboucha son stylo et barra une ligne d'un coup sec, joignant le crissement du papier au piaillement de la volaille au sol derrière elle. Deux couettes platine revinrent à la surface, accompagnées des ongles indigo cramponnés à la table.

« Ouch. J'ai besoin d'un chevalier servant.

— Le Disneyland le plus proche est à Tokyo. Je te fais don d'un billet de train et d'un encouragement à y passer les prochaines années au poste de Raiponce.

— T'es méchant. Je veux pas être Raiponce. Elle est tout le temps enfermée. J'ai mal à la cheville.

— C'était couru d'avance, Cendrillon. On ne met pas des souches en guise de talons quand on a un cerveau incapable de coordonner ses mouvements élémentaires. Maintenant, sors, et on viendra te chercher à la crèche si on n'oublie pas. »

Qu'on me laisse parler sans prendre la défense de l'autre était en soi un indicateur sur l'envie de tout le monde de l'oublier définitivement à la crèche. Ou attachée à un arbre, sur une aire d'autoroute désaffectée.

« Je veux juste… partager ma journée. Parce qu'elle était ultra super chouette. Et que vous êtes toujours en train de ruminer des mauvaises ondes comme un gros micro-ondes. Mais un démon micro-ondes.

Que quelqu'un m'achève. » Mayat se prenait certes les décibels de plus près, mais depuis moins longtemps. J'allais finir par vraiment être méchant avec elles.

« Pourquoi on peut pas juste parler comme de gentils colocataires normaux ? Je dis ma journée, vous dites votre journée, on parle des sorties cinéma et de mon nouvel album et puis de vos… trucs, là. Genre vous restez assis à regarder des listes et la télé comme si c'était important. C'est pourtant simple, comme programme.

— Simple ? Tu es encore plus stupide que je le pensais. Et je te prenais déjà pour une idiote de première grandeur. Tu m'impressionnes. Pourquoi ne pas plutôt nous commander à manger comme la gentille colocataire parasite que tu es ? Ça te donnera une utilité. »

Elle fronça le nez jusqu'à en laisser des crevasses sur son fond de teint au moment de se défroisser comme un torchon secoué après lavage.

« Je peux faire ça. Qui veut quoi ? »

C'était… inattendu. Au moins autant à cause de l'heure de ce dîner improvisé que de l'acceptation d'une de mes idées par Misa. Il y eut un blanc, des toussotements, et Mogi se lança en quémandant une cachapa, qui lui valut un regard bovin de la mannequin. Sans doute pour ne pas lui faire de peine, il se rabattit sur une pizza. Celle que tu veux, sans préférence, histoire sûrement de ne pas la choquer avec des noms trop longs. Margherita, c'était une syllabe de trop. Akemi eut moins de délicatesse.

« De la fasole bătută en entrée. Et des mititei ensuite. Avec du pain.

— Je… quoi, avec le pain ? » Akemi se frappa les joues du plat des mains, ouvrant sa gueule comme la parodie la plus moisie du Cri trouvable sur une brocante de maternelle spécialisée dans les enfants lourdement handicapés mentaux.

« Tu ne connais pas les mititei ? Mais c'est le Saint Graal du barbecue, Princesse Porcinette ! »

Tous les fonds de teint du monde n'auraient pas pu cacher la rougeur prenant place sur les joues de porcelaine. Tant pis pour la réunion. Je descendis de ma chaise et fis signe aux autres que nous reparlerions plus tard. Après l'ouragan. Ou après la mort d'un des deux partis.


« Je n'arrive pas à croire que tu aies fini par accepter. »

J'arrachai une dent-de-lion et lui soufflai les aigrettes à la figure, sans pouvoir m'empêcher de rire en le regarder épousseter ses cheveux et en cracher une qui s'était déposée sur ses lèvres.

« C'était ça où ton père faisait exploser la maison. Sois content, tu peux ainsi travailler ton teint qui est tellement livide d'après lui. »

Il bougea son pied et ma pile de beignets s'effondra à moitié dans l'herbe.

« Oups. Désolé. Mes préoccupations dermatologiques et cosmétiques me rendent maladroit.

— Ouais. Dis pas ça à papa si tu veux pas qu'il te force en plus à faire douze bilans sanguins. Tu t'occupes de Kasugai et je prends Ichinomiya ? »

Après un épisode de tempête paternelle absolument pas calmé par Watari qui hochait la tête à chaque suggestion impliquant un éloignement, j'avais finalement cédé sur le besoin de soleil, ailleurs que dans le morceau de pelouse moribonde appartenant au QG. Le petit parc non loin suffisait bien à prétexter un déjeuner sur l'herbe, et prendre un sac permettait d'amener deux ordinateurs portables, des batteries de secours et assez de nourriture pour tenir quelques heures. Après tout, le soleil, il y en avait aussi à l'ombre des arbres.

« Je ne pense pas qu'il soit dans des endroits trop fréquentés. Il a besoin de calme.

— Ou en avait besoin, pour moi. Mais être isolé à la campagne, c'est aussi le meilleur moyen d'attirer l'attention des habitants. Il doit vouloir passer inaperçu. Et avoir les informations le plus rapidement possible, sans risquer de panne internet, ou de courant.

— Tu plaisantes. On est au Japon.

— Et ? Tu as déjà vu les coins reculés de la préfecture de Gifu ?

— Tu me vois faire du tourisme, sérieusement ?

— Autant de chances que de me voir sur un skateboard. À peu de choses près. »

Chacun avec un écran, il était facile d'éliminer rapidement des pistes, d'en creuser d'autres, malgré les conditions loin d'être idéales, entre l'ombre de l'arbre qui ne se décidait pas à être uniforme, le vent qui m'obligeait à dégager ma vue des cheveux trop longs – Mayat m'avait tendu une barrette poulet qui avait probablement été trouvée dans une poubelle et y était maintenant retournée – et les jeux des enfants pas tout à fait assez éloignés. Me rappelait un des seuls vrais voyages touristiques qu'on avait réussi à m'imposer de ma vie.

« Le Kent en hiver, voilà un isolement bien infect. J'ai été forcé de mettre en pause une enquête juste parce qu'il y avait cette excursion moisie et que Watari était déterminé à ce que je me fasse des amis. Cinq jours à traîner les pieds dans la boue avec un vent à faire s'envoler l'envie de vivre et des débiles qui s'extasient de la différence entre Carduus nutans et Caardus crispus. »

Il releva la tête, adossé à l'arbre, me fixant comme attendant la suite.

« La différence c'est que nutans a des fleurs tombantes et est plus petit. Et les chardonnerets le préfèrent. Mais crispus est mellifère. Et ça m'a jamais servi dans aucune enquête, c'est te dire l'utilité d'aller se traîner dans ce bourbier abandonné de toute âme sensée. »

Il souriait, ce con, se rendait pas compte que j'avais juste envie de virer son clavier pour venir l'embrasser plutôt que de me rappeler que retenir les particularités d'une vingtaine de chardons ne m'avait jamais apporté autre chose qu'un semblant d'occupation désespéré et un excellent moyen pour m'endormir en les récitant dans différents ordres.

« Et tu t'es fait des amis ?

— Non. J'en avais pas l'utilité. »

Sur un haussement de sourcil, il se replongea dans son travail, me laissant au mien, un peu ralenti quand je devais éplucher les brins d'herbe d'un malheureux beignet fourré à la châtaigne.

Nous restait encore au moins deux heures de batterie et de soleil avant de devoir songer à rentrer. Et ce n'était pas si désagréable, finalement.

Un cri dépité s'éleva un peu plus loin, m'arrachant au plan de rues à contresens d'une banlieue déprimante. Derrière moi, à une cinquantaine de mètres, des tables d'échecs étaient à la disposition des joueurs, par tous les temps. Et visiblement, une vieille femme semblait faire régner la terreur sur la bande d'adversaires qui se pressait devant elle.

C'était puéril. Terriblement puéril, que de ne pas résister à cet attrait.

Je le savais.

« Raito ?

— Tu ne peux pas être sérieux. » N'avait même pas eu besoin de relever les yeux ou de ralentir sa vitesse de frappe. Me laissai tomber sur les fesses, pour disposer d'un pied libre et aller appuyer contre sa cuisse. Insister. « Arrête. On ne va pas aller jouer maintenant. Ça prend déjà assez de temps de faire l'aller-retour à pied jusqu'ici parce qu'il paraît que c'est bon pour nous de marcher un peu. Si on commence une partie, on en a pour un moment. Et quand j'aurai gagné tu voudras une revanche, et on n'aura rien fait.

— Et si on allait juste régler son compte à l'orgueil de mamie Écharpe à pompons ? Ça prendra pas longtemps. Et ce sera drôle.

— Humilier les aînés en public fait donc partie de ton humour. Bien. On en apprend tous les jours.

— Techniquement ce n'est pas mon aînée. Et être vieille ne la dispense pas d'une leçon d'échecs et de savoir-vivre.

— De mieux en mieux.

— Elle se vante plus que moi quand j'arrive à respecter le temps d'infusion d'un sachet de thé noir.

— Tu crois que c'est possible, humainement ? Tu en es toujours content deux semaines plus tard.

— Peut-être qu'elle n'est pas humaine. Il n'y a qu'un seul moyen de savoir. »

Qu'il était dur de le faire bouger. Me rapprochai, tapotai l'écran, puis passai ma tête au-dessus pour le regarder à l'envers. Puis son visage. Et juste là, le tressaillement de sourire me dit que j'avais gagné. Plus qu'à pousser un tout petit peu. Une main sur son genou.

« S'il te plaît ? »

Il soupira en fermant son écran, et tout fut rassemblé rapidement avant de nous diriger vers une victoire ô combien assurée.

La vieille bique était plus revêche qu'une oie arthritique et avait refusé que je joue sous prétexte que je lui rappelais son junkie d'arrière-petit-fils qui dilapidait ses allocations en crack sans penser à sa pauvre mère. Par contre, elle avait gloussé comme la dernière des dindes de Thanksgiving quand Raito s'était assis devant elle. Ce salopard avec son sourire charmeur et ses manières bien trop maîtrisées me laissait pourrir derrière son épaule, obligé de le regarder jouer.

Ça restait distrayant, et mieux que de passer l'après-midi au QG à éviter les importuns. Prévoir ses coups à l'avance et parfois ne pas avoir raison parce que nous n'avions pas les mêmes approches était finalement mieux que de renvoyer moi-même mamie à ses orties.

La dernière feinte ne fut reconnue que lorsque la fin de la partie fut annoncée d'un ton poli. Il ne l'avait même pas écrasée autant qu'il l'aurait pu, la laissant prendre quelques pièces pour sauver son honneur. Comme s'il avait la moindre importance.

Mais de la laisser le garder, ça en avait. Son épaule enserrée doucement, alors que sa ridicule adversaire plissait les yeux pour comprendre ce qui lui était arrivé.


Le programme fureteur qui se chargeait de vérifier le trajet et la vitesse des informations avait frémi. Temps d'arrêt. Ça n'aurait pas dû lui arriver encore, puisque Raito et sa petite clique de geeks et autres demi-traîtres étaient censés avoir oublié l'idée que je puisse être le roi des connards au pays des fils de putes.

Mon thé reposé un instant, écrasant sans cérémonie les miettes de cookies au fudge depuis longtemps disparus. Ce n'était jamais que la troisième assiette, et il en restait encore à la cuisine.

Tout en faisant de réguliers allers-retours entre ma bouche et le pot de miel de cerisier avec ma cuillère préférée, je vérifiais la sécurité du système. L'ignorer pendant si longtemps n'avait pas forcément été la meilleure idée, mais puisque Raito s'y baladait allègrement, il avait forcément dû s'assurer que je n'en profitais pas pour papoter avec Beyond des mérites comparés de la confiture de fraise et d'orange, ou de ceux de la brûlure à l'acide et de la simulation de noyade.

Mais il n'y avait rien à voir. Tout semblait en ordre, sans explication pour ce qui gênait mon veilleur. Pourtant, ce genre d'erreurs ne se produisait plus depuis des années. Fallait que j'en sois sûr. La nuit déjà bien avancée me retenait encore d'aller frapper quelques portes plus loin. D'autant que j'avais récupéré une chambre désinfectée de toute trace d'animal nuisible. Jusqu'à ce que la monstruosité affublée nouvellement d'un tutu et d'une corne de licorne ne soit à nouveau incitée à transformer la pièce en piège mortel, c'était un endroit sûr.

Malgré tout, je ramais, et trouver l'éventuelle faille me prendrait tellement plus de temps que de poser la question au principal concerné. Il était parti se coucher dramatiquement tôt, prétendant être fatigué. Si c'était une technique pour faire culpabiliser son père de l'avoir forcé à sortir, elle était efficace. Mais il n'était pas obligé de réellement s'endormir avant tout le monde, Misa et son sacro-saint besoin de sommeil réparateur de teint et protecteur de rides compris.

Quelque chose m'échappait. Et contacter Artémis serait inutile et éventuellement dangereux. Si elle pensait encore que j'étais responsable de tout, elle pouvait très bien décider d'attaquer plus frontalement en s'apercevant qu'elle était découverte. Et balancer la merde par quintaux dans les pales du meilleur ventilateur à sa disposition.

Je soupirai. Le réveiller n'avait rien de charitable. Mais ça pouvait difficilement attendre le lendemain si Artémis s'amusait à tout pirater au milieu de la nuit et à se promener dans mes systèmes, dans mes dossiers, dans la partie des archives qui n'existait pas que sur papier… elle détiendrait un moyen de pression ou un pouvoir beaucoup trop grand pour elle. Contre moi. Contre des personnes qui ne devaient être contrôlées que par moi.

Laissais mes doigts courir sur une joue tiède, profiter un peu, partir enrouler quelques mèches entre eux. Ça faisait trop longtemps.

« Raito ? » Un chuchotement ne pourrait pas le tirer de son sommeil, je réitérai l'opération de plus près, passant ma main contre sa nuque exposée. Adorable. Sa moue froissée alors qu'il émergeait un peu et ses yeux embrumés de rêves auraient mérité toutes les mièvreries du monde, chantées en canon par des licornes coiffées de marguerites.

Son baragouinage n'avait aucun sens jusqu'à ce qu'il attrape son téléphone, s'éblouisse un peu plus avec, puis le rabatte écran contre bois dans un claquement excédé.

« L'est trop tôt. Reviens plus tard. »

Il se retourna, et tenta d'enfouir sa tête sous sa couette. Manœuvre échouée comme j'y étais accroupi, il ne se démonta pas et finit par arracher son oreiller de sous sa tête pour le poser par-dessus.

C'était… une première. Même lorsque je lui avais téléphoné régulièrement au beau milieu de mes meilleures heures de travail, alors qu'il allait encore à l'université, il s'était toujours fait un point d'honneur à me répondre.

Avec toute la patience disponible, j'allais éteindre le plafonnier un peu trop violent peut-être, puis allumer la petite lampe à côté du lit. La teinte chaude de l'ampoule serait plus confortable.

« Raito. Il faut vraiment que tu te réveilles.

— Hmmm. D'main. »

Me réinstallai sur son lit, tapotant l'oreiller qui faisait office d'ombrelle. Une main en imitation de ventilateur tenta vaguement de me dissuader de recommencer. À la place, je laissais glisser ma propre main le long de son corps, à travers les draps chauds. Le plat des côtes, le creux léger de la taille, l'arrondi de la hanche. Puis je remontai. Mais la respiration ralentissait et de toute évidence je ne l'aidais pas à s'éveiller. Pinçai la cuisse à travers la couette, parfaitement indolore et à peine assez perceptible pour déclencher un soupir un peu plaintif.

« Promis, je n'en ai pas pour longtemps. Mais c'est important.

— Je te déteste, je te jure. »

Il rejeta l'oreiller qui s'écrasa au sol dans un flouf cotonneux.

« Qu'est-ce que tu as ? Pourquoi tu peux pas juste me laisser dormir pour une fois ?

— Je te laisserai dormir demain matin. Jusqu'à huit heures, même, si tu veux. Marmotte.

— Ferme-la. »

Sans aucune violence ni conviction, l'ordre perdait clairement en mordant. Et en embrasser l'auteur devenait une option privilégiée dans un meilleur univers. Lui avais jamais dit à quel point il était parfaitement beau, encore somnolent, absolument adorable.

« Bientôt. Est-ce que tu as pensé à dire à ta grande copine que ce n'était plus la peine de me fliquer et de chercher à m'anéantir pour haute trahison ?

— Art ? Oui. Évidemment.

— Super. Elle t'a cru ? Ou elle pense qu'il s'agit d'une odieuse manipulation de ma part, ou que tu l'as fait sous le coup de menaces infâmes ? »

Sur un bâillement accusateur, il se frotta les yeux avant de se hisser pour s'asseoir à peu près. Ne s'y serait pas mieux pris pour me faire culpabiliser d'écourter sa nuit pourtant déjà longue de plusieurs heures.

« Pourquoi ? Il y a un intrus dans ton système soi-disant parfait ?

— Je comptais un peu sur toi pour me le dire. Je t'aurais bien apporté du café pour t'aider à émerger, mais tu m'as plus ou moins interdit de m'approcher de la cuisine. Donc il faudra te contenter de madeleines, si tu en veux. Sinon, je peux te faire l'honneur de te servir un verre d'eau au lit.

— Petit déjeuner au lit royal. De la flotte et un gâteau beaucoup trop sucré et éventuellement à moitié grignoté si je n'ai pas trop de chance. Et devine. J'ai pas de chance.

— C'est pas un petit déjeuner, à cette heure… j'ai cru comprendre que tu étais à cheval sur le nom des repas selon l'heure. »

Mauvaise approche. Mais bon lancer de téléphone de sa part.

« Ce n'est l'heure pour aucun repas, abruti.

— D'accord. Pas de madeleine. Pas de verre d'eau. Mais j'ai besoin de toi. »

Joli regard plein de colère mal jouée, ou mal embrasée. Il était trop fatigué pour m'engueuler correctement et si je n'avais pas été sincère dans l'urgence, j'aurais testé si c'était le cas pour le reste.

« S'il-te-plaît ? Tu en auras pas pour longtemps et après on pourra dormir. Promis.

— Moui. Jusqu'à la prochaine urgence urgente qui pouvait parfaitement attendre cinq heures de plus.

— Je te promets sur la Sainte Frangipane que je te laisserai dormir.

— Sur tout ce que tu as de plus cher, donc. T'as intérêt à respecter ce que tu dis. »

Il s'extirpa de la couette tant bien que mal, frissonnant au contact de ses pieds sur le sol trop froid.

Le regarder s'escrimer sur son clavier tout en mangeant des chouquettes avait quelque chose d'hypnotisant. Il n'avait pas voulu revenir sur son matelas pour le faire, et à en juger par ses paupières beaucoup trop lourdes, il avait eu raison.

« Si ta copine veut prendre soin de toi, tu peux lui dire de ne pas me forcer à te réveiller à ces heures, tiens. Et lui suggérer de chercher Beyond, si elle s'ennuie. À vrai dire, j'ai toute une liste de choses à lui faire faire. Tu la veux ?

— Ta notion du copinage a été passée au grille-pain, elle aussi ? »

Hmpf. Fronçai le nez, vexé que mes expérimentations lui soient parvenues en détail.

« Qui a mouchardé ? Misa ou Akemi ? Cette espèce de poire à lavement ne sait plus comment se rendre intéressante, c'est affligeant.

— Personne n'a eu besoin de me le dire. Vu l'état du truc, c'était évident. Maintenant, tais-toi un peu. »

Je le laissais donc prendre son temps, dodeliner de la tête, tenter de dissimuler et bâillement et écarquillement des yeux pour ne pas se rendormir, tout en picorant le sucre perlé sur mon premier petit déjeuner, appréciant le calme de la nuit et l'apaisement des tensions. C'était si bien.

Il finit par refermer l'ordinateur, repoussé, puis par se lever pour aller se recoucher, sans un mot pour moi. Comme si c'était acceptable. Rassemblai mes restes sur un plateau avant de le suivre jusqu'à sa chambre. Disparaissait déjà sous les draps, et sa main tâtonna jusqu'à se poser sur l'interrupteur et s'immobiliser.

« Je compte jusqu'à trois. »

Mon plateau abandonné au sol, je me glissai au lit et profitai de l'obscurité – en avance sur le décompte – pour me défaire d'un jean bien trop inconfortable pour dormir. Mais être contre Raito, profiter de son odeur, sa présence, aurait de toute façon suffi à ma nuit. Content, je déposai ma bouche contre des mèches aux senteurs de pin. Demander plus était… précoce.

« Bonne nuit. » Un assentiment mal formulé et je ne pouvais déjà plus espérer de réponse.

Tant pis. Dormir là était aussi bien.

Un coup de pied et le froid soudain. Pas dus au mammouth laineux violet qui me poursuivait en pensant que je voulais voler les baies rouges dont il se nourrissait et me lançait de la neige carbonique avec sa trompe…

Machinalement, je ramenai la couette sur moi, surveillant du coin de l'œil Raito sortir de sa chambre, laissant la porte ouverte. Beaucoup trop vif pour un milieu de nuit, selon ses habitudes. Passai en revue ce qu'il avait mangé et bu après mon goûter et qui aurait pu expliquer un tel empressement. Mais sauf à s'être goinfré des reliefs du petit déjeuner anglais de Watari, rien n'aurait dû l'agiter à ce point. Même l'idée de le manger. À moins que lui aussi ait été poursuivi par un animal mort depuis un ou deux millions d'années. L'image était assez amusante, pour lui qui était habitué à éviter un résidu de loup et un mammouth à couettes à qui il ne manquait que la quadrupédie pour que l'illusion soit parfaite.

Mais il n'y avait pas un bruit. Vérifiai l'heure sur mon téléphone. 6 heures 13.

6. 13.

Mauvais pressentiment frissonnant, je sortis dans le couloir.

« Raito ? » La porte des toilettes était fermée, sans lumière. Pas là.


Une fois encore, vous savez à qui envoyer vos déclarations de haine pour la fin de ce chapitre x) Rendez-vous aux alentours du 20 décembre (ne riez pas pour la date, ne riez pas) pour le prochain chapitre !

Précision : La chanson du clip de Misa existe réellement. Je suis tombée dessus par hasard un jour où j'écrivais ma partie du chapitre avec Youtube qui tournait tout seul. Ne connaissant pas la chanson, je suis revenue sur l'écran Youtube et j'ai vu un sosie californien de Misa au niveau capillaire et vestimentaire. En plus, les paroles de cet extrait de chanson collent extrêmement bien à la relation Raito/Misa dans Death note selon moi (au moins pour le début de l'histoire), je me suis donc dit que j'allais l'inclure. La chanson : Black Sheep ft. Brie Larson (Clash at Demonhead), elle est extraite du film Scott Pilgrim.