Disclaimer : One Piece est l'oeuvre de Oda Eiichiro, je ne cherche pas à faire de profit avec ce texte.

Genre : UA, Angst, H X H

Pairing : Sanji x Gin

Warning : Morts de personnages, sous-entendus sexuels

Musique : Final Hours & Time's End, de Theophany.

Notes (ou plutôt blabla, à ce niveau) : OK ! Voici ma première fanfiction après un hiatus de... sept ans ? Le contexte de cette histoire est celui d'un objet céleste qui se dirige vers la Terre et menace de s'y écraser. C'est un cauchemar que j'ai déjà eu au moins trois fois, récurrent et traumatisant.

C'est un OS dont l'idée m'est venue après la première fois que j'ai eu ce cauchemar, et cela remonte à des années (sûrement plus de dix ans, fiou !) et elle me revient à chaque fois que l'été est particulièrement caniculaire. J'ai commencé à enfin écrire cet OS en mai dernier, mais après un été mouvementé, je n'ai pu le finir que récemment.

Je n'ai rien d'une scientifique, ce texte est censé avoir une portée plus mélancolique que logique. Il y a sûrement des incohérences, mais j'ose vous demander de passer au-dessus.

On se retrouve plus bas pour la suite de cette note qui se transforme en monologue... Bonne lecture !


Une histoire de la fin des temps


La moitié des tables du Baratie était occupée, ce qui, compte tenu de la situation, montrait le succès du restaurant. Sanji écrasa son mégot de cigarette dans le cendrier à côté de l'entrée, avant de pénétrer dans le bâtiment. Il y faisait un peu plus frais qu'à l'extérieur, mais la chaleur restait étouffante. Tirant sur le col de sa chemise, il avança dans la salle, tout en prenant le temps de saluer les habitués, avec aux lèvres un bon mot et un sourire charmeur. Zeff l'accueillit d'un grognement après avoir jeté un coup d'œil à l'horloge près du comptoir.

— Problème de traffic ?

La plaisanterie indiqua à Sanji qu'il n'était pas vraiment en colère. L'humour restait le meilleur des remèdes.

— Nami.

Et le chef cuisinier sembla comprendre, hochant simplement la tête en faisant un geste vague de la main que Sanji interpréta sans problème : qu'il se dépêche d'aller en cuisine.

Patty et Carne s'affairaient déjà derrière les fourneaux, dégoulinant de sueur. Malgré les températures caniculaires, Zeff insistait pour qu'ils portent chacun une tenue adéquate, arguant qu'on ne cuisinait pas en marcel et short de bain.

Retroussant ses manches, ses cheveux blonds ramenés vers l'arrière, Sanji s'attela à la préparation des premières commandes. L'ambiance du Baratie restait étonnamment bon enfant. Voilà longtemps qu'ils ne chantonnaient plus que les titres de Brook, un crooner autrichien dont Zeff était fan et possédait tous les disques. Les dernières émissions de radio remontaient à plus de deux ans, après tout.

Comme beaucoup de monde, Sanji avait fait de son mieux pour ignorer. Comme beaucoup de monde, il avait préféré continuer à vivre normalement. Cependant, il était bien difficile de faire comme si de rien n'était quand la fin du monde était annoncée.

Un vacarme assourdissant le fit sursauter, et il manqua de se brûler avec la sauce qu'il s'apprêtait à verser sur l'un des derniers rôtis de leur réserve. Les cris paniqués des clients alertèrent les trois chefs, qui se précipitèrent jusqu'à la salle du restaurant.

— Chef, vous allez bien ? s'enquit Carne.

Zeff se retourna vers ses trois employés. Sa jambe de bois écrasait la joue d'un homme rachitique qui serrait les poings sous l'humiliation de s'être pris une raclée par un vieillard éclopé.

— Dis-moi, mon garçon, tu ne crois pas que c'est futile, par les temps qui courent ? interrogea Zeff, les yeux baissés vers le délinquant. Un grognement lui répondit.

Sanji balaya la salle des yeux. Une dame tenait serré contre sa poitrine son sac-à-main défraîchi d'une grande marque qui n'avait même plus de valeur. La lanière déchirée pendait vers le sol.

— T'as vraiment essayé de braquer nos clients, face de pet ? brailla Patty dans un éclat de rire.

L'homme lâcha un juron qui lui valut un coup de jambe de bois dans l'épaule. Zeff aimait la politesse. Sanji observa l'homme, qui semblait à peine plus âgé que lui. Maigre, la peau mate, il avait les traits tirés et fatigués, comme beaucoup de personnes, à vrai dire. Le ventre de l'homme manifesta sa famine. Sans surprise, Zeff s'écarta, l'air grave.

— Lève-toi, mon garçon. Installe-toi là-bas et sois sage, veux-tu.

Sous le regard surpris des clients, mais également du jeune homme, Zeff tendit la main à ce dernier. Il n'y avait que ses trois employés pour savoir que le chef ne laissait personne mourir de faim.

— Mais franchement, ça sert à quoi aujourd'hui ? s'indigna Carne, une fois de retour en cuisine en compagnie de ses deux collègues.

— Même l'apocalypse arrêtera pas les criminels, c'est ainsi que l'Homme est fait, philosopha Patty, à la surprise des deux autres.

Sanji fut celui chargé de préparer le repas et de servir l'homme.

— Mange tant que c'est chaud. Bon appétit.

Pas un regard levé vers lui, pas un seul geste. Sanji plissa légèrement les paupières, se demandant s'il oserait refuser de manger sous prétexte d'avoir été humilié par un vieillard. Quand il tourna les talons, Sanji fut cependant rassuré en entendant le cliquetis frénétique des couverts contre la porcelaine, et un sourire satisfait se logea au coin de ses lèvres.

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— Gin.

La voix éraillée surprit Sanji. L'homme qui avait essayé de braquer les clients du Baratie sortit de l'ombre du bâtiment adjacent, alors que Sanji venait de sortir les poubelles, dernière corvée avant de finir sa journée.

— J'espère que tu as compris la leçon, Gin, répondit simplement Sanji, portant une cigarette à ses lèvres.

Gin s'avança vers lui en silence. Sanji le fixa sans bouger, louchant finalement quand la flamme d'un briquet vacilla sous son nez, enflammant le bout de sa cigarette.

— Sanji.

— C'est joli.

— C'est ta façon de draguer ?

— Ça fonctionne ?

Le chef cuisinier éclata de rire. Gin lui adressa un premier sourire.

— Ton riz pilaf… C'est le meilleur repas que j'ai mangé depuis longtemps, avoua Gin qui n'avait définitivement plus rien d'effrayant.

— De rien, rétorqua Sanji dans un sourire en coin. Il avait toujours été fier de ses talents de cuisinier.

Appuyé contre le mur du restaurant, Sanji leva les yeux vers le ciel. Ce serait pour bientôt. Dans sa poitrine, son cœur se mettait toujours à battre plus rapidement, quand il y pensait. A ses côtés, dans la même position, Gin restait silencieux. Son regard s'était baissé vers Sanji, fixant les traits de ce dernier.

— T'as prévu quoi, toi ?

— Rien de spécial.

Sanji ne lui retourna pas la question, parce qu'il n'avait pas envie de savoir. Il n'avait posé la question à personne, ni à ses proches, ni à ses collègues. C'était pourtant la conversation la plus courante. La plus déprimante, même s'ils disaient que c'était rassurant. Sanji ne voyait pas trop comment certains pouvaient se montrer optimistes, dans cette situation. Lui assurait simplement vouloir voir la mort en face, même si elle se présentait sous la forme d'un gros caillou cosmique.

La voix de Gin brisa malgré tout le silence qui s'installait à nouveau.

— J'pense aller au bord de la mer.

Sanji se redressa sans accorder un regard à Gin. Balançant son mégot par-terre, il retourna à l'intérieur du restaurant sans le moindre mot.

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Il était tard, quand Sanji accrocha le tablier dans son casier. La salle de repos était déserte et silencieuse. Seul Zeff se trouvait encore dans le restaurant, accoudé à son bar. Il s'était donné pour mission de finir toutes les bouteilles d'alcool qui s'y trouvaient avant la fin. Sanji se demandait s'il y arriverait. Après l'avoir salué, il quitta le Baratie.

La chaleur n'était plus aussi terrible qu'en plein jour. Le ciel d'un bleu clair cachait la majorité des étoiles. Voilà bien quatre ans qu'il n'avait plus vu certaines constellations. Les rues quasi désertes lui donnaient l'impression de vivre dans une ville fantôme. C'était le cas, d'une certaine manière.

Comme à chaque fois qu'il approchait de son immeuble, son cœur se serrait. Les vitres pulvérisées de plusieurs appartements témoignaient du destin funeste qu'avaient choisi ses voisins désespérés. Celle de son appartement était intacte, et il en ressentait toujours un immense soulagement. Il n'avait pas envie qu'elle finisse comme ça.

— Je suis rentré !

A son ton enjoué ne répondit qu'un vague grognement. Nami était, comme à son habitude, allongée sur le canapé. D'une main, elle s'éventait le visage avec un vieux magazine. Ses lèvres imprimèrent à peine un baiser en retour de celui que lui donna Sanji sur les siennes. Sur l'écran de leur télé, le même film tournait en boucle. Superstitieuse, Nami craignait que si elle éteignait le poste, il ne se rallumerait plus. Ce qui était probablement vrai.

— Tu as faim ? s'enquit-il en ouvrant les placards.

Aucune réponse. Nami ne faisait plus de grands efforts, quand elle trouvait qu'une discussion était inutile. L'immense stock de pâtes qu'elle avait fait ne l'intéressait plus, elle qui avait été si fière d'elle, trois ans auparavant.

— Un mec a essayé de braquer les clients du restaurant.

Assis sur le peu de place que sa petite-amie avait daigné lui laisser sur le canapé, Sanji ne se laissa pas impressionner par le mutisme de celle-ci. Il avait bien vu, du coin de l'œil, que pendant une brève seconde, son regard à elle s'était détourné de l'écran de la télévision pour se poser sur lui. Et pendant cette brève seconde, Sanji reconnut la femme curieuse dont il était tombé amoureux, il y avait dix ans.

— Zeff l'a étalé si facilement, le pauvre gars n'a rien vu venir.

Nami se redressa légèrement, une bretelle de sa robe d'été blanche glissant sur son épaule.

— On lui a servi un repas, tu sais comment est Zeff. Même aujourd'hui, il nourrit qui en a besoin.

Avalant quelques pâtes, Sanji ne remarqua pas tout de suite que Nami l'observait.

— Sanji ?

Ses yeux rencontrèrent les siens. Le chef cuistot sentit ses palmes devenir moites contre le bol tiède qu'elles tenaient.

— Fais-moi l'amour.

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Dans le ciel d'un bleu limpide, l'immense objet céleste s'approchait de jour en jour. Calme et silencieux, il était magnifique dans toute sa promesse de fin du monde. A de très rares heures, il se cachait des regards inquisiteurs grâce à la salvatrice rotation de la Terre. Plus personne ne comptait les jours, et les nuits n'existaient plus nulle part sur le globe. Personne ne comprenait pourquoi, mais depuis sept ans qu'il était apparu, personne ne comprenait plus grand-chose.

Sanji avait oublié s'il s'agissait d'une comète ou d'une planète. Ça lui importait peu. Tirant sur sa cigarette, il ne pouvait détacher son regard de la splendide menace cosmique. Nu, il s'essuya le front du revers de la main. Les températures ne baissaient guère plus, se rapprochant de celles d'un été caniculaire d'une époque où l'on s'inquiétait encore du réchauffement climatique.

Derrière lui, Nami gémit. Elle pleurait chaque nuit, depuis un peu plus d'un an. Sanji ne l'interrogeait plus sur les cauchemars qu'elle faisait. Le mutisme de la jeune femme était survenu à peu près au même moment que ces terribles songes inconnus. Pourtant, au début, elle avait été si forte. S'ils avaient encore des réserves de nourritures et d'autres objets utiles pour la survie dans un monde qui connaissait ses derniers jours, c'était grâce à elle.

Jetant son mégot par-dessus la balustrade de son balcon, Sanji inspira profondément. Son regard balaya la ville à ses pieds, si calme malgré la panique latente. Quelque part dans le clair de la nuit, un coup de feu retentit. Quelqu'un d'autre n'avait pas voulu attendre.

Sanji retourna dans le lit conjugal, fixant le plafond.

Qu'allait-il faire, lui ?

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Ce fut le remue-ménage qui le réveilla. Sanji ne savait jamais s'il avait dormi ou non, si plusieurs heures s'étaient écoulées, ou s'il n'avait roupillé que quelques minutes.

— Nami ?

Réalisant que sa fiancée ne se trouvait plus à ses côtés, Sanji paniqua. Elle ne sortait du lit qu'une fois qu'il était parti au Baratie.

— Tu as bien dormi, mon chéri ?

Interdit, Sanji resta appuyé contre le chambranle de la porte. Nami se tenait près de la machine à café, remuant des œufs dans une poêle.

— Je voulais te faire une surprise.

Sanji esquissa un léger sourire, avançant enfin dans la cuisine. Dans sa hâte, il n'avait rien enfilé, et Nami lui lança son tablier dans un rire.

Assis face à face, comme avant, le jeune couple dégusta un petit-déjeuner bienvenu. Nami l'interrogea sur le Baratie, et comment se passaient ses journées. Elle ne s'excusa pas de son apathie, Sanji ne releva pas. Il ne pouvait détacher ses yeux de sa compagne, et se remémora leur rencontre, quand son cœur s'était entiché de la belle rousse.

Ils passèrent la journée à parler de ce passé révolu, avant l'annonce qui avait ébranlé l'humanité entière. Et justement, ils n'évoquèrent que des souvenirs qui remontaient à plus de sept ans.

Quand l'heure de partir pour le Baratie sonna, Sanji serra Nami dans ses bras, humant le parfum de ses cheveux. Son shampoing à la mandarine lui manquerait. Son étreinte se fit plus forte quand il sentit qu'elle la lui rendit.

— A plus tard, mon amour !

Il lui adressa un large sourire, et elle lui en offrit un en retour.

Alors que la porte de l'immeuble se referma derrière lui. Sanji leva les yeux vers l'objet céleste, sa vision brouillée par les larmes. Il fit de son mieux pour ignorer la tache que les larmes de Nami avaient laissée contre son épaule.

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— Salut.

Sanji arqua un sourcil confus.

— Qu'est-ce que tu fiches encore ici ?

Gin se contenta d'éclater de rire, suivant le cuistot à l'intérieur du Baratie. Le restaurant était moins fréquenté que la veille, tout comme la veille il avait été moins fréquenté que le jour d'avant.

— Vous avez du succès, fit remarquer Gin.

— Certains viennent par habitude et parce qu'ils ne savent pas quoi faire. Le Chef ne ferme pas les portes, alors il y en a qui sont là dès le matin.

Gin observa Sanji, un sourire au coin des lèvres.

— Ça ne sert à rien de braquer le restaurant, on t'a dit, le prévint Sanji.

A nouveau, Gin éclata de rire, levant les mains dans un geste appelant l'innocence.

— Hé, tu fais quoi dans les cuisines ? menaça une grosse voix.

Gin accorda à peine un regard à Carne, qui levait déjà un poing menaçant à son encontre. La main de Patty le força à le baisser.

— Voyons, c'pas comme ça qu'on traite les clients, hein m'sieur tête de hareng ?

Sanji roula des yeux, se dirigeant vers les vestiaires. Gin le suivit.

— T'es tombé amoureux ou quoi ?

— Tu m'refais du riz pilaf ?

Le chassant d'un geste de la main, Sanji secoua la tête. Néanmoins, quelques minutes plus tard, il s'attelait à préparer le repas commandé par Gin. Ce dernier s'était installé à une table qui faisait directement face aux cuisines, et si Sanji jetait un coup d'œil par delà le hublot, il pouvait voir ce regard perçant qu'il sentait sur lui quand il avait les yeux tournés.

— Vous avez fait du stock, y a sept ans ?

— Le monde s'est pas arrêté de tourner à ce moment-là. Les denrées qui se font rares, ça fait seulement un an.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, il y avait eu des hommes et des femmes pour continuer à rendre la vie (du moins, ce qu'il en restait) agréables à ceux qui voulaient tenir jusqu'au bout. Quand les scientifiques avaient annoncé que toute tentative de survie serait vouée à l'échec, même les plus tenaces avaient baissé les bras.

— Tu m'as toujours pas dit c'que tu comptais faire.

— Cuisiner. D'ailleurs, je dois y retourner.

Gin posa sa fourchette, et Sanji put sentir ses iris noirs le suivre jusqu'à la cuisine, d'où il ne sortit plus jusqu'à la fin de son service, étrangement mal à l'aise.

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— T'as une meuf ? Un gars ?

— Une fiancée.

Gin émit un sifflement admiratif, et quelque peu exagéré, suivit d'un ricanement que le cuistot n'apprécia pas vraiment.

— Elle fait quoi ?

— Elle survit.

— Des marmots ?

— Rentre chez toi.

— Toi d'abord.

Sanji grimaça. Il n'en avait pas envie. Ce n'était pas pour rien qu'il traînait, malgré le fait que Zeff lui ait assuré que le sol n'avait pas besoin d'être lavé une quatrième fois. Le vieillard n'avait même pas eu la bonté de l'inviter à boire un verre. Ou deux, ou dix. C'était son moment de la journée à lui, celui qui durait toute la nuit. Sanji se demandait toujours comment le vieux arrivait à bosser sans avoir la gueule de bois.

— Tu faisais quoi avant ?

— J'bossais sur un bateau de transport.

— La mer te manque ?

— C'est pour ça que j'veux mourir en l'admirant. J'imagine ce truc s'écraser dans la mer, et les vagues m'engloutir avant que le feu n'efface tout. Ouais, j'pense c'est une belle fin.

Mourir. Le sort était jeté, chacun connaissait son avenir. Personne ne survivrait. Il y avait bien eu des rumeurs sur de riches personnes ayant réussi à quitter la Terre dans l'espoir d'établir une colonie ailleurs, mais Sanji y croyait peu. Tout comme tous se doutaient que tous les bunkers dissimulés sous terre n'aideraient personne. C'était peut-être mieux que tout disparaisse.

— Je vais rentrer.

— A demain.

Sanji ne sut pas vraiment pourquoi ces mots le rassurèrent.

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L'appartement était silencieux. La télévision éteinte lui renvoyait sa mine déconfite, alors qu'il s'assit sur le canapé. Vide.

Nami n'avait pas laissé de lettre. C'était mieux ainsi.

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Assis sur son balcon, Sanji observa le ciel clair de la nuit.

Et lui, que comptait-il faire ? Maintenant, il pouvait se poser la question. Maintenant que Nami n'était plus là, qu'il n'avait plus rien à quoi se raccrocher. Qu'allait-il faire ?

Le Baratie n'était pas une raison suffisante pour rester, Zeff le leur avait assez répété. S'ils étaient solidaires et loyaux, Patty et Carne ne resteraient pas jusqu'au bout.

Sanji avait coupé les ponts avec sa famille depuis des années. Et de toute façon, le téléphone ne fonctionnait plus.

Écrasant sa cigarette sur le béton à côté de sa cuisse, Sanji balança rageusement son mégot par-dessus la rambarde. Pour la première fois depuis des années, il se mit à pleurer. Et à maudire ce corps céleste qui avait tout gâché.

Le matin suivant, les premiers tremblements de terre secouèrent la ville.

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— Gin ? J'te pensais au bord de la mer.

— Nan, j'avais des trucs à régler avant.

Voilà plusieurs jours que Sanji n'avait plus vu l'homme aux traits tirés, qui semblait plus épuisé que jamais. Il ne voulait pas l'admettre, mais il lui avait manqué. Sans qu'il n'ait besoin de le commander, Sanji lui prépara son riz pilaf avec un entrain qui lui avait manqué, ces derniers jours. Patty et Carne le remarquèrent, mais contrairement à leur habitude, ils se contentèrent de sourire sans faire de commentaire. Depuis quelques jours, une mine soucieuse tirait leurs traits, et ils se tendaient à chaque fois que la terre tremblait. Sanji était même certain qu'ils se retenaient de pleurer.

Gin poussa devant lui l'assiette vide de toute miette dans un soupir satisfait. Face à lui, Sanji s'était installé à peine le plat déposé sur la table, quelques minutes plus tôt, et l'avait observé dévorer son riz tout en dégustant un verre de vin.

Alors que l'atmosphère était bon enfant, un homme débarqua en pleurs dans le restaurant. Zeff le saisit par l'épaule et le soutint jusqu'à une table. Il portait un uniforme de l'armée, la Marine. Ceux qui avaient juré rester au service des citoyens coûte que coûte, jusqu'au bout. Tous les clients purent entendre ce que l'officier confia au chef à la jambe de bois.

— Ça y est, c'est officiel. C'était le dernier bulletin d'infos. C'est pour dans trois jours.

Un silence de mort tomba dans le restaurant. Zeff fut le premier à le briser, annonçant solennellement une tournée qui ne fut pas acclamée, mais bienvenue.

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— Tu pars ce soir ?

— J'sais pas. Nan. Mais bientôt.

— Tu veux venir chez moi ?

Gin posa un regard surpris sur Sanji qui se contenta de tirer sur sa cigarette. L'homme leur ayant apporté la nouvelle de la fin du monde imminente était toujours effondré sur la table qu'il occupait depuis, Zeff lui tenant compagnie avec son meilleur bourbon. Tous les autres clients étaient rentrés chez eux, tout comme Patty et Carne.

Ils marchèrent en silence. Sanji ne vivait pas loin du restaurant. Là où vivait Gin resterait un mystère. Ce dernier fredonnait une chanson populaire qui fit sourire le cuistot. Une chanson à boire que les soulards du Baratie connaissaient bien. Sa cigarette jetée dans un coin, il se mit à chanter avec lui.

Yohohoho, yohohoho.

— Ah ouais, t'es riche c'est ça ?

Un rire répondit à Gin, qui visita l'appartement sans attendre d'y être invité. Sanji fouilla les placards à la recherche d'alcool. Il savait que Nami en avait planqué quelques bouteilles.

— C'est ta fiancée ?

Sanji leva les yeux. Gin se tenait devant une photo accrochée à un mur. Nami et lui y posaient devant un moulin à vent. Souvenir de leurs premières vacances en amoureux.

— Oui. Nami.

— Elle est partie ?

— Il y a une semaine.

Gin tourna le regard vers Sanji. Pendant quelques secondes, il ne dit rien. Cherchait-il des mots compatissants ? Allait-il lui présenter ses condoléances ? Le blond grimaça à cette idée.

— Sacrée paire de nibards.

— Tu veux mourir ?

— Dans trois jours.

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Gin avait été un marin. Après un passage raté dans l'armée, il était tombé amoureux de la mer, et naviguer avait été son rêve. Il s'était néanmoins retrouvé mêlé à des histoires de contrebandes, et avait fini pirate des temps modernes. Son histoire avait fait rire Sanji sans que celui-ci n'explique pourquoi, s'esclaffant toujours plus sous le regard vexé de l'autre homme, jusqu'à ce qu'il le rejoigne dans son fou rire.

Assis sur le balcon, ils sentirent la terre trembler une fois de plus. Le phénomène était de plus en plus fréquent, et d'après les informations qu'ils avaient pu obtenir, cela venait du ciel. Sanji n'y comprenait rien, ayant juste saisi que l'approche du corps céleste de leur planète rendait cette dernière instable. Ou quelque chose comme ça.

— Viens avec moi.

— Où ça ?

Gin poussa un soupir agacé. Sanji répondit d'un sourire. Gin le bouscula de l'épaule. Sanji lui rendit son coup. Gin l'embrassa. Sanji ne le repoussa pas.

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— Tu pars quand ?

— Pas cool. Même pas de petit-déjeuner ?

Sanji roula des yeux, Gin ricana, terminant de se rhabiller. Il se retourna pour observer le cuistot qui semblait plongé dans ses pensées, cigarette au bec et regard tourné vers la fenêtre. Visiblement, il aimait rester nu.

— J'sais pas, répondit finalement Gin, qui semblait attendre quelque chose.

— Je dois faire mes adieux.

— Donc tu viens ?

— Mourir seul, ça m'angoisse.

A sa grande surprise, Gin ne rétorqua pas, lui qui semblait toujours plaisanter. Sanji le regarda enfin. Après tout, ce n'était pas parce qu'ils avaient couché ensemble qu'il était censé le connaître par cœur.

— Moi aussi. On part quand t'es prêt.

Sanji put voir les jours de Gin s'empourprer quand il lui répondit d'un sourire.

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Aucun client n'était attablé dans le Baratie. Aucun bruit ne provenait des cuisines. Patty et Carne ne s'étaient pas montrés. Zeff avait déjà lancé son disque favori de Brook.

— Qu'est-ce que tu viens faire ici, petit cornichon ?

Voilà bien longtemps qu'il ne l'avait plus appelé ainsi. Sanji cacha ses larmes dans les vestiaires, avant de filer dans les cuisines sans un mot. Gin l'avait accompagné, mais avait suggéré de rester dehors.

— Quoi, un dernier repas de condamnés ?

— Ouais. Et tu vas me faire le plaisir de le manger, vieux croûton.

Pour toute réponse, Zeff lui asséna un coup sur le crâne avant de se lever vers le bar. Il y revint avec dans les mains sa meilleure bouteille de saké.

— Dis à ton petit copain de venir. Il va crever sous le soleil.

Une seule bouteille de saké ne suffit évidemment pas. A eux trois, ils réussirent presque à vider le bar de Zeff, qui devrait malgré tout relever son défi seul.

La journée fila à coups d'anecdotes et de souvenirs. Peu à peu, ils avaient commencé à évoquer ces sept dernières années, et chacun réalisait que les deux autres avaient tout autant peur du cataclysme annoncé. Ce fut la première fois que Sanji vit Zeff pleurer ; la dernière, ce serait un peu plus tard.

— Vous voulez venir avec nous, Zeff ?

— Et quitter le Baratie ? Sûrement pas.

— Laisse tomber, Gin. Ce vieux chnoque est aussi têtu qu'une bourrique.

— Qu'est-ce que t'as dit cornichon ? Essaye déjà de réussir ta soupe du jour !

Sous les éclats de rire de Gin, les deux cuistots se mirent à glousser aussi. Un tremblement de terre plus violent que tous les autres mit fin à cette journée.

— Filez. Il me reste des bouteilles à vider. C'est pas au plancher de les éponger.

Sanji déposa le balai qu'il avait saisi pour rassembler tous les éclats de verre dans un coin du restaurant. Gin finissait de relever une dernière chaise. Zeff les observait d'un air paternel qui fit perler au coin des yeux du blond des larmes qu'il ne parvint, cette fois-ci, pas à cacher.

— Fais attention à toi, petit cornichon.

— Merci pour tout, vieux croûton.

L'étreinte dura plus longtemps que les deux hommes l'avaient imaginé.

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— Demain, hein…

— Hmhm.

Sanji tira sur sa cigarette, sa main libre caressa tendrement les cheveux de Gin, allongé sur lui. Les tons différents de leurs peaux nues le fascinaient. La terre avait souvent tremblé, et aussi sûr était-il de ses talents au lit, Sanji savait que ce n'était pas le fruit de leurs ébats. La fin du monde était proche.

Après les adieux avec Zeff, les deux hommes étaient retournés à l'appartement, dans l'objectif de préparer leurs affaires. Mais que glissait-on dans sa valise, pour l'apocalypse ?

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Gin possédait un van cabossé (sûrement volé), et Sanji ne put qu'éclater de rire en l'apercevant. Il s'étonnait lui-même d'en être encore capable, alors que dans moins de vingt-quatre heures, ils n'existeraient plus.

La mer se trouvait à un peu plus de deux heures de route. Sanji n'était pas sorti de son quartier depuis deux ans, mais fut étonné de tout reconnaître. Il s'était attendu à des ruines, mais tout était étrangement encore en bon état. Certes, il y avait des enseignes brisées, des vitres éclatées, des voitures abandonnées, mais le chaos avait été balayé. Par du vide.

Ils croisèrent peu de monde en ville, et une fois à l'extérieur, il n'y avait plus personne. Des animaux, parfois. Des chiens errants qui hurlaient au clair de l'une qu'ils ne voyaient pas, des chats qui ne chassaient même plus les rats qui passaient devant eux en courant. Sanji nota qu'il n'y avait pas d'oiseaux.

Mais dans le ciel, menaçante, cette boule cosmique qui s'écraserait bientôt sur eux, annihilant toute vie.

Sur la plage, pas âme qui vive. Et c'était tant mieux. Gin avait évoqué la possibilité que son idée soit partagée, mais personne n'avait osé voir la mort en face, semblait-il.

Abandonnant le véhicule sur le parking désert, les deux hommes gagnèrent le sable brûlant. La mer avait énormément baissé. Un odeur désagréable frappa un instant Sanji jusqu'à ce qu'il s'y habitue. Il n'avait pas envie de savoir d'où elle venait. Gin étala une serviette sur le sable, y attirant Sanji.

Ils firent l'amour une dernière fois.

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— C'est beau.

— C'est terrifiant.

— L'un n'empêche pas l'autre.

Gin pleurait. Sanji compatissait. Les bières tièdes qu'ils buvaient ne les aidaient pas à leur faire accepter leur sort.

— J'aurais bien aimé te rencontrer plus tôt.

— Je ne serais pas sorti avec toi.

— On aurait pas couché ensemble ?

— Ça dépend, t'aurais braqué le restaurant ?

— Probablement.

— Alors non.

— Rabat-joie.

Gin avala le reste de sa bière. Sanji alluma une cigarette.

— J'ai toujours crû que ce serait ce qui me tuerait.

Le silence qui suivit fut seulement troublé par un énième tremblement de terre. Face à eux, au-dessus de la mer, le corps céleste s'avançait en fanfare, une traînée de feu embrasant le ciel étrangement violacée. La vue était aussi spectaculaire que magnifique.

— Sanji, j'ai une faveur à te demander.

Le cuistot tourna un regard curieux vers Gin qui fouillait le sac dans lequel il avait apporté les bières, ayant pourtant assuré que les précédentes avaient été les dernières. Il en sortit une arme à feu. Sanji sentit son sang se figer, et il se releva, paniqué.

— Non, Gin... Tu peux pas me demander ça. T'as pas le droit !

A sa plus grande stupeur, Gin leva vers lui un regard suppliant, empli de tristesse.

— J'y arriverai pas, Sanji. J'peux pas !

Sanji entendit ce que lui-même n'arrivait pas à admettre jusque-là.

— J'ai peur.

Tombant à genoux devant Gin, Sanji le prit dans ses bras. Les larmes se mêlaient aux cris de terreur, ceux qui hurlaient l'injustice d'une fin horrible. Ses doigts se crispèrent sur les vêtements de Gin, et ce dernier se confessait dans une suite de mots confus. Sanji resta muet, mais le serra plus fort contre lui.

L'arme se retrouva dans les mains du blond. Elles tremblaient, comme la terre, comme le monde. Comme tous ceux qui attendaient l'inévitable. La fin de toute chose.

— Merci, Sanji, et à dans une autre vie.

Gin ferma les yeux. Le canon contre sa tempe tremblait un peu.

Son corps tomba raide, juste après le coup de feu.

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Encore une cigarette. Une dernière pour la route. Sanji fixait le corps céleste jusqu'à s'en cramer les yeux, même si les larmes qui s'y trouvaient ne séchaient pas. Il n'avait plus la force de jurer contre lui, de le maudire. Le ciel était plus fort.

Dans son esprit, les images de ses proches se succédèrent.

D'abord Nami, quand elle souriait encore. Leur premier baiser, la première fois qu'ils avaient fait l'amour, la demande en mariage. Puis le personnel du Baratie. Patty et Carne à qui il n'avait pas pu dire au-revoir, puis Zeff à qui il n'avait pas voulu dire adieu.

Et puis Gin, dont le corps gisait à côté de lui, le sang de sa blessure mortelle se mêlant au sable. Une histoire de la fin des temps.

Sanji jeta son mégot devant lui. La chaleur le consumerait bientôt. Sur ses joues roula des larmes dont il ne servait plus à rien de retenir. Seul dans un monde voué à disparaître, il baissa les yeux vers le corps de son dernier amant. Celui à qui il avait assuré vouloir rester jusqu'au bout, la nuit précédente.

— Pardon, j'ai menti...

Sa main tremblante tâtonna sur le sable. Ses doigts se fermèrent sur l'arme à feu qu'il guida jusqu'à sa tempe. Sanji s'allongea face à Gin.

Il y eut donc un second coup de feu.

Et quelques heures plus tard, l'impact.

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Notes de fin : Je suis bizarrement émue que ce texte soit enfin écrit, et publié. Je ne sais pas si ce pairing a des fans. J'aurais très certainement pu faire mon retour avec un qui est plus populaire (parce que c'est loin d'être mon OTP), mais dès le départ, c'était avec eux, ça a toujours été avec eux.

Si vous êtes fan de films catastrophes, peut-être y voyez-vous des allusions à certains. Croyez-le ou non, c'est involontaire ! Les claires références sont déjà spoilées dans la proposition de musique : Majora's Mask (le jeu Zelda où la Lune menace de s'écraser sur le monde de Termina).

Ce texte est également publié sur AO3, avec une scène supplémentaire, FFnet n'autorisant pas l'explicite. Mon pseudo sur ce site est le même qu'ici !

Merci d'avoir lu mon texte ! N'hésitez pas à laisser un commentaire si le coeur vous en dit !