Auteur : Kitsu34
Fandom : Saint Seiya (manga originel)
Couple : Milo x Camus
Disclaimers : L'univers de Saint Seiya appartient à M. Kurumada.
Page blanche – Chapitre 1
D'abord un son. Lointain et léger. Persistant. Il ne parvenait pas à comprendre ce que c'était. Comme un bip, une respiration mécanique et artificielle. Et puis la lourdeur incommensurable de son propre être. Comme s'il était englué en lui-même, pris au piège d'un corps inerte et désobéissant.
La conscience d'être lui revint tout à coup. Il sut avec certitude qu'il vivait. Mais tout en lui semblait ne plus fonctionner, être à l'arrêt. Et finalement l'atroce peur s'empara de lui et le submergea quand il entendit les voix.
« Signes indéniables de réveil… Coma profond… Plusieurs mois… Un miracle... Regardez bien... »
Un pincement douloureux sur son corps, comme une agression. Pourtant, malgré la douleur, le noir engourdi et opaque ne se déchira pas. Il resta perdu dans les limbes de son être profond, immobile et muet. Solitaire.
Il décida alors de se mettre en marche, en mouvement. Lentement, avec opiniâtreté, il se débattit contre les ténèbres, pour les faire reculer. Il devait le faire, il pouvait y arriver. Combien de temps cela lui prit-il pour enfin remonter de ses propres abysses depuis ce frémissement ténu qui l'avait réveillé ? Impossible de le savoir avec certitude. Mais un jour, avec une peine et une fatigue immenses, il ouvrit les yeux.
Tout d'abord, il ne vit rien. Trop de lumière et de blanc après toute cette noirceur l'aveuglèrent. Puis sa vision s'ajusta et il vit un visage bienveillant, féminin, qui le contemplait en souriant. La femme était vêtue de blanc. Une infirmière. Il était à l'hôpital.
Pourquoi ? Comment ? Que s'était-il passé ? Il aurait voulu poser tant de questions ! Mais il était déjà épuisé et sentait le sommeil le prendre. Résigné, il cessa de lutter et se laissa capturer par l'obscurité si connue.
La fois d'après, il réussit à bouger un peu ses yeux et deux doigts. Mais rien d'autre. Sa langue refusait de lui obéir, comme le reste de son corps. Bien des réveils passèrent, sans qu'il puisse échanger avec les infirmières qui prenaient soin de lui. De temps en temps un nouveau visage apparaissait, puis disparaissait. Cela n'avait pas d'importance. Le temps filait, élastique comme un chamallow. Combien de jours ? Impossible de le savoir, toujours.
Puis enfin, il émit un borborygme et parvint à tourner la tête. Ce jour-là, un groupe de docteurs vint le voir et parla longtemps à côté de son lit. Il ne comprenait rien de ce qu'ils disaient. Il devait être trop épuisé pour le faire.
Pourtant, à dater de ce jour, il récupéra de plus en plus de forces, assez pour s'asseoir dans son lit et suivre les soignants de la tête. Mais son palais demeurait obstinément silencieux et ses oreilles ne captaient qu'une cacophonie de sons incompréhensibles lorsque les autres tentaient de lui parler. Il ne comprenait pas un mot.
Cette solitude dura longtemps. Des mois. Comme il le sut plus tard, quand le langage lui revint, il avait survécu à l'impensable mais son cerveau avait été touché. Il avait été plongé durant onze mois dans un coma profond, très proche du stade de la mort cérébrale. Son réveil tenait du miracle, ce qui expliquait le défilé de docteurs dans sa chambre. Aucun d'entre eux n'avait d'explication. C'était un miracle, c'était tout.
Par contre, il comprit très vite que ce miracle avait un prix : recevoir une nouvelle vie vierge de tout ce qui le constituait précédemment. Comme une page blanche. Il ne se rappelait plus de rien, pas de son identité, bien sûr, mais même plus de comment se tenir debout ou de comment manger ou parler. Il dut tout réapprendre depuis le début, comme s'il était un nouveau né. Un nouveau-né adulte, d'environ vingt-cinq ou vingt-six ans, ainsi que l'avaient estimé les médecins, et encore rien n'était sûr à ce sujet. Un homme grand, blond, aux yeux bleus limpides, et bien construit malgré la fonte musculaire provoquée par des mois d'alitement. Un visage inconnu qu'il avait soigneusement contemplé, avec curiosité et une pointe de détresse, la première fois qu'on lui avait tendu un miroir.
Durant sa convalescence, l'hôpital passa une annonce sur les réseaux sociaux et dans les journaux pour que sa famille puisse se manifester, mais personne ne vint le réclamer. Son infirmière attitrée, Debbie, émit l'hypothèse que sa famille devait se trouver avec lui dans l'avion et qu'ils étaient donc morts puisqu'il était le seul survivant de la catastrophe…
Il hocha la tête et ce fut tout. Il accepta d'être orphelin. C'était plus commode pour tout recommencer. A zéro. Du moins c'est ce qui lui vint à l'esprit quand il quitta enfin l'hôpital, son sac trop léger sous le bras, accompagné par une assistante sociale, pour rejoindre le foyer qui l'hébergerait. Oui, il valait mieux n'avoir aucun vestige de cette vie d'avant qui n'existait plus.
Avec détermination, il suivit l'assistante sociale et traça résolument son chemin dans cette gigantesque ville hurlante qu'on lui avait dit s'appeler New York.
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D'un air soucieux, Saga des Gémeaux, perché sur un à-pic surplombant le chemin aux marches innombrables, scruta l'île. La vibration de Camus avait disparu depuis la veille. Encore. Il se mordit la lèvre inférieure, en proie à une sourde inquiétude. Dans quel état le récupérerait-il cette fois ? Le regard bleu s'obscurcit et les déferlantes qui l'habitaient se levèrent. La dernière fois, c'était impressionnant, alors cette fois-ci, qu'est-ce qu'il ramènerait au onzième temple ?
D'un bond puissant, le chevalier d'or des Gémeaux se propulsa en bas du chemin millénaire et se ramassa avec élégance au pied du parvis du premier temple. Puis il prit son élan et, comme une flèche, traversa Rodorio le plus vite possible sans toutefois mettre qui que ce soit en danger. Arrivé sur le port de Iéranissia, il convoqua d'un éclat de cosmos la patrouille de garde. Ceux-ci se hâtèrent de répondre à l'appel et s'agenouillèrent bientôt devant Saga.
Celui-ci apprit la mort de l'âme la réalisation de sa pire crainte : Camus du Verseau avait pris hier le bateau pour le continent… Avec un soupir de résignation et après avoir congédié les gardes, le Chevalier d'or des Gémeaux s'assit sur le ponton qui s'avançait dans la mer et entra en méditation : de toute façon, il n'avait rien d'autre à faire en attendant le prochain bateau…
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Saga le retrouva finalement. Après avoir visité trente-sept bars et boîtes une bonne partie de la nuit. Il le retrouva avachi sur une table miteuse d'un bar louche, dans une ruelle borgne. Visiblement, Camus était complètement saoul, et s'il n'avait pas été chevalier d'or, il aurait vraisemblablement versé dans le coma éthylique. Il sentait fortement l'alcool de mauvaise qualité, imprégné dans ses vêtements et ses cheveux, des cernes prononcées ornaient ses yeux clos, et, pour couronner le tout, son teint habituellement blanc tournait au verdâtre cireux. Saga se passa lentement la main sur le front d'un air las et désemparé. Il ne savait plus quoi faire pour aider son ami. Personne d'ailleurs ne savait quoi faire… Camus sombrait dans l'alcoolisme et la dépression et rien ne semblait capable de l'en tirer.
Le Chevalier des Gémeaux empoigna la loque vautrée devant lui et la hissa d'une main, avec facilité, sur sa puissante épaule, puis il reprit le chemin du port. En chemin, une sensation éminemment désagréable le fit s'arrêter immédiatement et larguer sans ménagement son fardeau à terre, qui grogna sourdement. Consterné et figé, Saga jeta un regard furibond à l'ivrogne tombé à terre qui ronflait sans cérémonie. Le salaud lui avait vomi dans le dos ! Il ferma les yeux en plongeant en lui-même et en inspirant fortement par le nez. Il ne devait pas s'énerver ! Camus allait mal et avait besoin d'aide. Il le savait, mais c'était vraiment de plus en plus dur. Combien de temps encore aurait-il la force de continuer ? Les autres avaient déjà lâché… Il ne restait que lui pour l'aider, alors il devait tenir.
Un peu plus violemment qu'il ne l'aurait voulu, il happa Camus et le tira comme une poupée de chiffon pour le jeter à nouveau sur son épaule avec résignation. De toute façon, il avait du vomi plein le dos, ça ne pouvait pas être pire… Plein le dos… Oui, c'était le cas de le dire... Il expira lentement et reprit sa marche en assénant une bonne claque sur les fesses de Camus.
« Allez, sac à vin, on rentre ! Je te préviens : dès qu'on arrive, je te fous à la douche sans cérémonie, histoire que tu décuves ! »
Camus bougea légèrement mais sa poigne puissante le tint en place. Un murmure caressa doucement l'oreille gauche de Saga et il saisit quelques mots chuchotés d'une voix brisée par une souffrance et une douleur impossible à rendre et à mesurer :
« Joyeux anniversaire, mon amour... »
Saga s'arrêta net à nouveau, glacé par une brusque compréhension. Il héla un passant et lui demanda d'une voix urgente de lui donner la date. Et avec la réponse de l'homme qui ne s'arrêta même pas pour lui donner l'information, il se sentit submergé par la compassion et la culpabilité.
Le huit novembre.
Bien sûr. Il aurait dû savoir, faire attention à Camus ce jour-là ! Il avait merdé ! Merdé absolument ! Il jeta un regard triste à l'homme dévoré par la peine qui pesait sur son épaule.
On était le huit novembre.
C'était l'anniversaire de Milo aujourd'hui.
Et cela faisait quatre ans qu'il avait disparu…
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