Noah ne pensait pas devoir se taper la vaisselle, mais il fallait croire qu'en ce jour, tout était contre lui. Entre la route, la purge de Stiles dans le désert et son inquiétude concernant la possibilité d'être découvert… Le shérif peinait un peu à encaisser. Alors si, en plus de tout cela, les appareils ménagers commençaient à le lâcher… Il allait vouloir se coucher avant même d'avoir pu faire quoi que ce soit. Enfin, que pourrait-il avoir à faire à cette heure-ci, de toute manière ?

S'il y en avait bien un qui dormait, d'ailleurs, c'était Stiles, dont l'épuisement était réellement palpable. Noah savait fort bien qu'il avait toujours besoin de repos après une purge, mais chaque fois, il ne pouvait empêcher son ventre de se nouer. Si ce genre de choses n'arrivait pas si souvent que cela, c'était toujours difficile, car un peu plus long à chaque fois. Et cette fois-ci… Stiles dormait vraiment beaucoup. Noah n'était pas sans savoir ce que cela signifiait : autant dire que son moral s'en retrouvait sapé. Il avait l'habitude d'un fils solaire, hyperactif, toujours dans le mouvement. Alors dès qu'il se purgeait… Noah savait que les prochaines heures seraient déprimantes pour lui. S'il était content que son fils se repose au lieu de faire le fou, il était toutefois difficile pour lui de réprimer cette tristesse si particulière qui ne manquait jamais de pointer le bout de son nez. Il détestait réellement cette situation… Contre laquelle il ne pouvait malheureusement rien faire.

Personne ne pouvait arrêter la chute d'un X. Stiles était en quelque sorte… Arrivé à maturité. Sa déchéance était en marche.

Noah aimerait se dire qu'il devrait profiter de lui à fond vu qu'il savait depuis le départ que c'était ce qui arriverait, mais… Il n'y arrivait pas. Parce qu'au final, il ne s'y était pas préparé, contrairement à Stiles. Il avait vécu au jour le jour, enchaîné les heures de boulot sans les compter… Et c'était seulement ces derniers temps qu'il se rendait compte de son erreur – d'où sa décision future de prendre un boulot moins chronovore. S'il ne pouvait pas rattraper le temps perdu, il comptait bien éviter d'en perdre davantage. Stiles méritait qu'on lui accorde ledit temps, ainsi que toute l'attention qu'il méritait. Pourquoi fallait-il que les meilleurs partent toujours les premiers ? Noah aurait mille fois voulu prendre sa place, mourir avant lui. On ne faisait pas des enfants pour les regarder partir. On les choyait, on les aidait à prendre leur envol et on s'éteignait, en leur insufflant tout l'amour possible.

Stiles n'avait même pas dix-huit ans. Il ne les atteindrait jamais.

Noah stoppa tout mouvement et toute réflexion lorsque la sonnerie si familière de l'entrée de la maison se fit entendre. Un peu perplexe car ni lui, ni Stiles n'attendait personne, Noah se sécha les mains et lança un rapide scan télépathique. Il se raidit et s'évertua à chasser toute pensée négative de son esprit le plus rapidement possible. Parce qu'il reconnaissait la signature psychique de celui qui venait de presser le bouton de la sonnette.

Scott avait beau être du genre lent, il n'était pas non plus stupide et saurait percevoir les émotions de Noah si celui-ci ne les contrôlait pas. Et puisqu'il était hors de question que l'on s'interroge d'aucune manière les concernant lui et son fils, le shérif s'efforça de faire de rapides exercices mentaux, puis de se remémorer de la manière la plus détaillée possible le déroulé de la dernière affaire criminelle qu'il avait traitée. Dans ce genre de moments-là, il pensait froidement… Sans toutefois se départir de son humanité. Il faisait juste… La part des choses.

Et c'est ainsi qu'il ouvrit la porte de l'entrée, une petite quinzaine de secondes plus tard. Noah était une machine de guerre à la rapidité stupéfiante sur le plan mental, mais ça… Personne ne le savait. Personne ne le saurait jamais. Non parce qu'ici, Noah n'était rien de plus que Noah Stilinski, le gentil et un peu naïf shérif de Beacon Hills. Son visage se para automatiquement d'un semblant de sourire, de ceux qu'il arborait habituellement en présence de la meute. Scott en étant le chef, il ne devait surtout pas agir différemment – quoi qu'il n'était pas certain que le latino remarque quoi que ce soit à ce sujet.

Scott, tout sourire, le salua et prit de ses nouvelles. Puis, il demanda à voir Stiles – ce à quoi Noah s'attendait – pour l'informer de la tenue d'une réunion de meute, une réunion dont la date serait vite établie, en fonction des disponibilités de tout un chacun. Le shérif sortit une excuse toute prête, qui n'en était pas réellement une : Stiles dormait, ainsi il n'était pas disponible mais le rappellerait très probablement à son réveil.

- Je lui dirai que tu es passé, ajouta-t-il naturellement.

Noah ne craignait absolument rien. Après tout, il n'avait fait que dire la vérité. Simplement, il en avait gardé une partie secrète. Mais ça, aucun instinct lupin ne pouvait le deviner, encore moins le déceler. La preuve en était que Scott ne remit pas en doute ses paroles et s'en alla sans autre forme de procès. Et même si leur entrevue avait été très courte, Noah ressentit un intense soulagement en refermant la porte. Il n'y avait pas à dire, Stiles le préoccupait réellement et devoir faire semblant, c'était difficile. Devoir assurer pour tromper les sens et les instincts d'un loup-garou, encore plus. Heureusement que Scott était d'un naturel lent. Noah imaginait sans mal des loups comme Derek ou Isaac le percer à jour, ou du moins deviner que quelque chose n'allait pas. Si le shérif devait être honnête, il devait avouer qu'il était encore tout retourné par la demande inédite que lui avait faite Stiles avant de se laisser tomber d'épuisement sur son lit.

Celle d'avoir un câlin de sa part.

Un câlin.

Stiles ne lui demandait jamais de geste d'affection de ce genre. Il était toujours dans la retenue, dans cette optique de ne pas abuser des bonnes choses, mais également… De les préparer au reste, l'un comme l'autre. Stiles parce qu'il pouvait facilement devenir dépendant à ce genre de démonstrations affectives et que Noah… Devrait définitivement faire une croix dessus bientôt.

Et cette demande inédite mettait surtout Noah face à une réalité qu'il avait longtemps négligée : la terreur de Stiles. Une terreur hurlant par le silence. Bordel. Stiles avait beau savoir ce qui l'attendait depuis le départ, il commençait à non pas à s'en rendre compte, mais à le redouter. A se demander comment cela se passerait. Noah, lui, savait.

Oui, il savait comment les X-Psis s'éteignaient.

Mais plus que l'idée de mourir, c'était celle de se faire griller par la meute qui terrifiait viscéralement Stiles. Il était clair que chacun de ses membres comptait beaucoup pour lui et que les perdre lui ferait bien trop mal pour qu'il puisse s'en remettre. A côté de cela, il était hyperactif et savait que l'on avait parfois du mal à l'apprécier à cause de ses tocs, ses manies, sa personnalité. Chaque amitié, il l'avait durement gagnée… Et il refusait l'idée d'en perdre une seule à cause de sa véritable nature. Ainsi, emporter son secret dans la tombe était son souhait le plus cher, et celui qu'il s'évertuait à réaliser. Même s'il n'était pas vraiment d'accord avec cette façon de faire, Noah l'encourageait toutefois dans cette voix. Parce qu'au fond, il le comprenait. Et puis, le shérif ne voulait pas gâcher sa dernière volonté, pas alors qu'elle était si importante pour lui.

xxx

Stiles n'avait pas rappelé Scott. A la place, il lui avait envoyé un message, lui indiquant qu'il était fatigué mais disponible les jours qui viendraient. Et comme Scott restait Scott, il ne s'attarda pas là-dessus, ne lui demanda pas la moindre explication. Ne chercha pas à savoir. Sans mentir, si ce côté de lui avait tendance à le blesser, Stiles s'en accommoda cette fois-ci tant il n'avait pas la tête à trouver une excuse, quelque chose de crédible à lui sortir. Ainsi, l'indifférence aléatoire de Scott l'aidait à gagner du temps sur ce qu'il pourrait dire aux autres… Quoiqu'il n'aurait pas de réels comptes à leur rendre, ni de gros mensonge à leur sortir. Le sien était tout préparé, pour la journée de cours qu'il avait manquée à cause de sa Purge : il s'était senti mal, trop mal pour assister aux cours qu'il avait, par conséquent, manqués. Cette explication, bien réelle, se suffisait à elle-même.

Scott lui répondit toutefois rapidement, en lui disant que la réunion de meute aurait lieu le lendemain, en fin de journée. Soit, Stiles dit qu'il serait là. Il ne la manquerait pas. Maintenant, restait à voir dans quel état il se pointerait au lycée, puis au loft. Techniquement, une bonne nuit de sommeil, en plus de l'énorme sieste qu'il avait faite dans son lit, devrait lui faire du bien et lui assurer un semblant de forme. Ça va bien se passer, s'encouragea-t-il. Il était clair que mentir commençait sérieusement à le fatiguer et que... Sa déchéance, il la sentait lentement survenir. Stiles soupira et descendit. Il pensait passer la soirée à s'occuper après avoir mangé avec son père, mais il ressentait le besoin de chercher son affection.

C'est ainsi qu'il fit irruption dans le salon, le regard baissé, et qu'il demanda à un Noah traînant sur son téléphone s'ils pouvaient regarder un film ensemble. Ou un match de basket. Peu importe. Sitôt qu'il eut accepté et allumé la télévision, une lueur douloureuse animant son regard, Stiles n'hésita pas à s'assoir à côté de lui, encore moins à poser sa tête sur son épaule.

Il s'endormit avant la fin du film.