Hot gum - Sofia Isella


Harry…

Après mes pleurs, bien après qu'on se soit lâchés, encore après que mon esprit soit redevenu clair, nous sommes allés danser.


Je sais bien que ce n'est pas la suite logique à ces révélations qu'il m'a faites. Nous aurions dû en parler, prévoir une séance, ou juste rester dans le bureau. Je ne sais pas ce que nous aurions dû faire. Mais je sais que danser n'était même pas dans ma liste.

Assis par terre avec lui, je pensais à notre évolution, à la façon dont une relation si chaotique en est arrivée là. Je me fais aider par mon ancien ennemi, je pleure même dans ses bras. De plus en plus, je lui fais confiance et l'observe tout faire pour me tirer vers le haut, lui qui a tant aimé me voir en bas. Du moins, c'est ce que je pense.

Lorsqu'il s'est relevé pour retourner à son fauteuil, lorsque j'ai constaté que j'étais stoïque depuis trop longtemps, je me suis levé à mon tour.

Comme attiré par sa présence rassurante, je l'ai suivi, lui ai tendu la main sans idée précise derrière la tête. Mon esprit est clair, mais bien plus profond que d'habitude, c'est comme si je n'étais plus vraiment moi. Je n'ai même plus l'impression de m'exprimer comme avant.

Lui aussi semble différent, puisqu'il a pris ma main dans la sienne volontiers, sans ciller. J'ai envisagé un instant de parler, peut-être remettre les échanges piquants de nos premières discussions sur le tapis. Finalement, j'ai préféré me taire, parfois, je pense que la profondeur et la signification d'un silence parlent plus que des mots vides pour combler un trou béant.

Il s'est levé, encore. Puis sans trop prévoir la suite, j'ai fait un signe de tête en direction de la porte, et il a choisi de sortir de la pièce, moi derrière lui, nos mains toujours scellées.

Les basses semblent vouloir me percer les oreilles, ma tête tourne un peu, mon cœur en prend le rythme et je souris. Cette sensation est revigorante, me rappelle que dans toute la merde qui m'arrive depuis toujours, il y a des moments comme celui-là. Des moments étranges, avec des personnes improbables, mais un plaisir infini.

Alors je secoue mon corps de gauche à droite de façon disgracieuse, de façon à me défouler, de façon à tout éloigner de moi. Tout sauf lui, car bien que je n'y croie pas, le voilà qui danse avec moi. Nos hanches se balancent du même côté au même moment et nos mains jointes se lèvent et se baissent en rythme. Le patron du Bag'lette danse avec Harry Potter dans son bar où l'anonymat est maître.

Si j'avais pensé accepter ce genre de rendez-vous pendant ma sortie shopping…

J'ai bien conscience de ne plus le détester, je l'accepte presque, à force. Mais là, tout de suite, la seule chose dont j'ai envie dépasse ce que je suis prêt à accepter. Je ne sais pas si c'est la reconnaissance que j'éprouve pour lui, mon attirance pour son nouveau physique, l'ambiance ou le soulagement ; mais je meurs d'envie de danser contre lui. De le tenir pour qu'il ne s'envole pas, pas avant la fin de la musique. Peut-être même jusqu'à la fin de la nuit.

La foule est collante, presque étouffante, le bar est blindé comme jamais je ne l'avais vu l'être jusqu'à présent, il ressemble à une boîte de nuit. Comme la dernière fois, le côté sensuel des mouvements des sorciers et sorcières présents me frappe. Même sur de la techno, les voilà qui se serrent les uns contre les autres, comme en quête de chaleur, de réconfort.

Ce ne serait pas si choquant, dans cette pièce, à ce moment et avec cette musique, de se lâcher un peu.

Avant de pouvoir envisager de changer nos mouvements, je cherche à capter son regard. Je le trouve sans soucis, puisqu'il ne fuit jamais mes yeux, et je regarde les reflets que les lumières multicolores créent. Je ne me vois pas, mais je suis certain que nos yeux reflètent la même chose, cette même impression de différence. Ce moment est hors du temps, hors des séances, hors des traumatismes, hors des amis, hors de Draco et Harry.

Je libère ma main, qu'il laisse partir, un sourcil dressé pour me questionner. Lorsque je l'approche de sa hanche, je reste à une bonne dizaine de centimètres, pour qu'il me donne ou non son consentement. Je vois un sourire en coin se dessiner sur son visage suivi d'un mouvement de bassin qui achève le trajet de ma main que j'enroule autour de sa ceinture.

Il reproduit ma technique et je l'autorise d'un mouvement de tête à imiter mon geste sur mon propre corps. Instinctivement, nos corps se rapprochent et il n'y a même plus cinq centimètres entre nous.

Ma respiration s'accélère encore en me rappelant de notre première séance, à la sensation de son torse contre mon dos, puis lors de nos rendez-vous dans son bureau, nos petites proximités ; les mains dans le dos, les fronts qui s'entrechoquent et les doigts qui se touchent au passage. Il y a quelques minutes, nos corps entremêlés dans une étreinte forte pour apaiser mes pleurs.

Peut-être que cette fois-ci, la sensation sera différente.

Je n'ose pas détourner mon regard du sien, étrangement, c'est le meilleur moyen pour me convaincre que ce que je fais est « ok », que tout va bien. Que je ne franchis pas de limites.

La techno laisse place à de la pop, et plusieurs couples se forment autour de nous pour sauter à deux. Je le sais parce qu'ils nous cognent à chaque saut et que le sol tremble un peu.

Draco renforce sa prise sur ma hanche et rapproche finalement nos bassins, geste que j'encourage en accompagnant ses mouvements. Nos corps se touchent et ça ne ressemble à rien de ce qu'on a fait jusque-là. Ce toucher est spécial. Il n'est pas pour une séance, il n'est pas là pour perturber l'autre ni pour le conforter. Il est là par envie, par liberté.

Je ferme les yeux et nous sautons avec les autres, je pourrai presque hurler les paroles avec eux, si seulement je les connaissais. J'ai l'impression que mon cœur va s'arracher, j'ai l'impression que le sien aussi.

Je sens son souffle sur mon visage de temps à autre, je devine à l'odeur de menthe qu'il dégage qu'il a la bouche ouverte. Je souris, l'esprit toujours plongé dans le noir, l'imaginant essoufflé par nos sauts répétés.

Ma deuxième main a depuis longtemps trouvé son épaule, la sienne n'est pas sur moi. Peut-être est-elle en l'air ? C'est si étrange de le voir s'amuser comme ça. Je veux dire, il ressemble plus à un homme qui danse la valse dans un salon de 90 m2 avec des moulures au plafond et un orchestre payé pour la soirée. Mais non, ce soir, Draco Malfoy danse dans son propre bar sur de la pop en tenant fermement Harry Potter contre lui.

J'ai envie de rire. Moi qui voulais tant ressentir des choses, du moins un semblant de positivité. Moi qui ai fui ma propre famille. Moi qui voulais juste être seul, et dormir. Moi qui étais si vide. Moi qui pensais avoir un nouveau fléau à porter. Harry qui demande l'aide à Malfoy. Potter qui fait confiance à Draco. Harry et Draco qui se rencontrent enfin.

Le pire, ou le meilleur, c'est que je voudrais que ça ne s'arrête jamais. Je ne veux pas avoir à me réveiller demain en me posant des questions sur cette nuit, sur ma faiblesse puis mon regain d'intérêt de plus en plus assumé pour un blond agaçant au possible.

Ce qui rendrait ce moment parfait, c'est qu'il n'y ait pas d'après.

- Tu te rends compte que tu danses sur de la musique moldue Malfoy ?

- C'est de ta faute Potter, c'est toi qui as une mauvaise influence sur moi.

- N'est-ce pas toi qui gères ton propre bar ?

- Certes, je gère mon club, mais je n'avais jamais dansé sur les musiques au programme.

- Je me sens bizarre ce soir.

- Tu devrais avoir l'habitude.

Cette discussion, hurlée dans l'oreille de l'autre, est la meilleure que j'ai eue depuis des années.

Mes yeux, que j'ai à nouveau ouverts, dévorent l'expression taquine de mon « thérapeute » pour les mémoriser.

- Je ne l'ai pas, comme je ne pensais pas apprécier de sauter d'un immeuble sans magie. Pas après ce que j'ai vécu. Je reproduis tout ce qui m'a mis dans cet état.

- C'est normal. On fonctionne de la même façon, on se guérit de ce qui nous fait mal. On remplace les anciens souvenirs par des nouveaux. On est toxique envers nous-même, sûrement envers les autres aussi. Même si rassure-toi Potter, le Harry que je connais ne fera rien qui pourrait blesser un de ses proches volontairement.

- Où veux-tu en venir ?

Cette discussion devient définitivement trop profonde, trop sérieuse pour être dévoilée au cœur d'une piste de danse animée. Nous ne sautons plus, nous nous sourions toujours. Sa main est toujours sur ma hanche. Ma main est toujours sur la sienne.

- Peut-être que tout aurait pu changer avec le temps. On aurait pu se donner la peine d'être des gens bien, si on l'avait voulu. Des gens comme il faut, dans les normes. Mais toi et moi, on brûle à l'adrénaline.

L'impression de déjà-vu me submerge alors que la musique change encore. Un nouveau son pop commence, moins violent que le précédent, et accompagne ma réaction. Ce qu'il me dit, que je ne suis pas quelqu'un « comme il faut », je me le dis à chaque fois que j'ouvre les yeux.

- J'ai toujours su que je ne suis pas un héros. Tu sais Draco, je n'ai qu'une seule envie, c'est ressentir. Quelque chose de puissant, qui me donne la chair de poule, qui fasse battre mon cœur plus vite. Mais je ne suis ni naïf ni ignorant, tu le sais aussi bien que moi. Tout ce qui est puissant est destructeur. L'adrénaline, c'est presque un mode de vie ; mais tu as raison : je veux que ma vie soit compatible avec celle des gens que j'aime.

Il ne me répond pas, mais je sens sa deuxième main saisir mon autre hanche, il en profite pour serrer ma taille entre ses doigts. Je ne sais pas trop pourquoi, mais je me dis que le Draco du genre peureux que j'ai connu s'est enfoncé quelque part à l'intérieur de lui pour ne plus en ressortir. En quelques mois, puis en quelques interactions avec moi, je vois un Draco Malfoy à l'opposé de ce que je connaissais de lui.

Quand je pense au Harry qui a mis pour la première fois les pieds ici. Un Harry amer, abîmé et perdu. Je le suis toujours, mon cas est loin d'être résolu. Mais… Le mieux est là. Je dirai même que le mieux en question est dans mes bras. Par Merlin, je suis dans de beaux draps.

Il ne faudrait pas que j'oublie que la morsure d'un serpent peut être fatale.