Stiles Stilinski allait bien. C'était ce qu'on se disait et qui restait toujours à l'état de fait, car on ne pouvait l'imaginer autrement. Après tout, il souriait. Continuait d'user de ce sarcasme qu'on lui connaissait bien. Il aidait, protégeait à sa manière.

Alors, c'est qu'il allait bien et en soi, on n'avait pas totalement tort. Ce à quoi on ne pensait pas, c'était la fragilité de ce bien-être relatif. A l'instabilité de cette humeur que l'on pensait inchangeable. A la manière dont Stiles se battait secrètement pour qu'elle le soit. Parce que c'était ce qu'on attendait de lui, non ? Fut un temps où Stiles ne se préoccupait pas trop de ce genre de détails. Parce qu'à ce moment-là, il ne faisait partie d'aucun groupe. Alors une meute ? C'était encore différent. Plus compliqué qu'un simple groupe de potes. Là, on parlait d'une bande de justiciers discrets dont la plupart des membres étaient pourvus de pouvoirs surnaturels. Pas lui. Lui, c'était l'humain de service dont la seule arme était la parole. Quoiqu'il avait sa batte de baseball. Enfin, elle ne servait pas à grand-chose face à un loup-garou énervé, mais… Eh, au moins, il ne se baladait pas sans rien. D'ailleurs, il avait envisagé de se procurer un truc. Quelque chose qui pourrait faire en sorte de pimper sa batte. Le but ? Y ajouter de l'aconit. Là, elle aurait le pouvoir d'être un tant soit peu… Utile.

Le truc, c'est que ce que la meute faisait… C'était sympa, mais ça lui faisait un peu peur. En soi, il était de nature curieuse et adorait mettre son nez là où il ne le fallait pas, le problème là-dedans… C'est qu'on se servait de lui comme appât. Facile, après tout, il était humain. Il s'agissait d'une pauvre petite proie sentant le loup-garou. L'appât parfait. Le truc, c'est qu'il n'aimait pas ça parce que souvent, ça dérapait. Par chance, il s'en sortait souvent sans une égratignure mais parfois… Parfois c'était lourd, parce qu'il finissait blessé. Ça, ce n'était pas si grave. Ce qui l'embêtait davantage, c'était surtout le fait qu'on ne lui demandait pas toujours si ça allait. Il ne demandait pas à ce que ce soit systématique, mais… Un peu plus souvent.

Paradoxalement à cela, puisqu'on ne cherchait pas souvent à s'enquérir de son état après une mission d'ordre surnaturel, il n'osait pas demander à ce que ce soit le cas. Ainsi, Stiles avait fait son entrée dans un cercle vicieux qu'il pensait avoir quitté des années plus tôt. Mais ça, c'était une autre histoire.

Si Stiles se savait quelque peu fragile par rapport à ses amis, il vivait dans l'illusion qu'il restait plutôt fort sur le plan mental. Stable. Il se voyait comme celui qui aidait les autres à garder leur sang-froid tout en paniquant un peu de son côté. Après tout, s'il avait survécu à une possession démoniaque… C'est qu'il était fort, non ? S'il s'en était sorti, s'il ne faisait que quelques cauchemars de temps à autres, ça allait, n'est-ce pas ? Ce n'était pas parce qu'il était allé passer quelques jours à Eichen House pendant cette période qu'il était instable… D'autant plus que c'était lui qui l'avait voulu, à un moment où il n'était pas certain de la marge de manœuvre qu'il avait pour agir contre le Nogitsune.

Et puis la mort de Donovan… Elle le hanterait, c'est sûr. Pour autant, il arrivait à vivre avec, comme le lui avait dit son père. Il y arrivait, parce que c'était ce qu'on attendait de lui. Il avait mal ? Certes. En attendant, il était encore en vie, contrairement à Donovan. Et même si Stiles avait fini par faire la part des choses et avait compris qu'il s'agissait plus d'un accident qu'autre chose, c'était parfois un peu difficile. La morsure ancrée dans son épaule lui rappelait chaque jour ce qu'il s'était passé. Il aurait beau tout faire pour avancer, ces images reviendraient toujours le hanter durant ses soirées les plus mornes. Il n'oublierait jamais. Ni Aiden, ni Allison, ni Donovan. Les circonstances avaient beau être différentes pour chaque mort, Stiles restait quand même concerné. Pour leur mémoire, il devait repenser à eux. Pratique, lorsque la morsure du dernier agissait comme un pense-bête, lui repassait automatiquement un film mental de ces évènements qui l'avaient marqué.

Même des années après, les images restaient intactes. Mais Stiles n'en parlait pas. Tout le monde avait ses démons, il fallait juste qu'il apprenne à gérer les siens.

- Fils ?

Le sursaut qui secoua le corps de Stiles fut brusque. Presque violent. Réintégrer le monde réel était toujours difficile… Surtout lorsqu'il se perdait aussi profondément dans ses pensées. Il releva un regard fatigué vers son paternel, qui venait d'entrer dans son bureau. Les années passaient, le temps continuait de s'écouler, mais l'uniforme de shérif lui seyait toujours parfaitement.

- Tout va bien ? S'enquit Noah, l'air préoccupé.

- Parfaitement bien, répondit Stiles en adoptant un air calme, qu'il agrémenta d'un petit sourire. Excuse-moi, j'ai eu une absence.

- Seulement une absence, tu es sûr ?

Une bouffée de chaleur envahit le corps de l'hyperactif, dont le sourire prit des accents de sincérité. Il avait de la chance, quand il y repensait. Travailler avec son père, être son adjoint, c'était… Le moyen de continuer à exercer son flair d'enquêteur tout en… Faisant avec ces absences-là. On ne pouvait pas dire qu'elles étaient récurrentes. Mais elles revenaient… Parfois.

- Sûr et certain, Papa.

Tout allait bien, il était juste un peu fatigué, un peu à l'ouest. Ça arrivait. Il était humain, après tout. Humain, comme son père qui, lorsqu'il y repensait, était le seul à lui demander si ça allait et insister. Il finissait toujours par lâcher l'affaire mais au moins… L'intention y était. C'était le plus important.

Noah lui ébouriffa les cheveux et Stiles leva les yeux au ciel. Il ne le dirait pas mais même en étant adulte, il continuait d'adorer ce genre de gestes. Ça lui rappelait un peu son adolescence qu'il avait vécue sans innocence. Alors il ne disait rien, il savourait en secret.

- Si tu as besoin d'aide concernant l'affaire sur laquelle tu travailles… Tu peux me demander de l'aide, tu le sais.

Ce n'était pas une question, même si ça y ressemblait. Il s'agissait plutôt d'une proposition implicitement explicite, parce que le nombre de dossiers étalés sur le bureau de Stiles était effarant. La moitié de la meute avait beau avoir quitté la ville, le nombre d'affaires surnaturelles ne baissait pas. Et Stiles, en spécialiste de la chose, s'occupait d'enquêter pour trier les cas, mettre de côté ceux qui n'étaient pas complètement rationnels. Parfois, il allait épauler son père sur d'autres affaires déjà en cours… C'était variable. Mais s'il y avait bien une chose dont il était certain, c'est qu'il ne s'arrêtait jamais. Il était le seul à s'occuper de ce pôle-là. Jordan Parrish ? Il était devenu son exécutant. Longue histoire.

- Papa, la plupart du temps, c'est moi qui t'aide, rit doucement Stiles.

- Raison de plus pour que je te rende la pareille, fils.

Noah y tenait, notamment parce qu'il le trouvait de plus en plus fatigué. Stiles avait beau lui dire que tout allait bien, le shérif était certain qu'il passait de mauvaises nuits… Et ne prenait pas le temps de se reposer.

- Tout va bien Papa, vraiment.

Son esprit était lentement en train de partir en vrille, mais lui-même n'en avait aucune conscience. Il savait juste que se lever chaque jour… Était un véritable défi. Pas juste parce qu'il dormait mal – c'était habituel. Il avait simplement l'impression que le poids qu'il cessait de se traîner depuis des années ne diminuait pas, bien au contraire. Il croissait.

Névrosait.

Mais Stiles continuait de se lever, d'aller travailler, de sourire. Parce que c'était ainsi que devait se dérouler la vie et parce que… Ce serait toujours ce qu'on attendrait de lui.

Noah poussa un soupir.

- Les collègues sortent ce soir et… Ils m'ont proposé de venir au bar avec eux.

Une lueur de peur passa dans le regard de Stiles.

- Cool, mais… Fais attention. Pas plus d'un verre, d'accord ?

Cette fois-ci, son sourire avait perdu de sa sincérité. Même si aborder ce sujet restait difficile malgré les années, Stiles se devait le faire. Il n'oublierait pas. Il n'oublierait jamais.

- Pas plus d'un verre, lui promit Noah sans mal le prendre. Mais j'aimerais que tu m'accompagnes.

Stiles leva un sourcil étonné. Son père ne sortait pas souvent… Pourquoi n'en profitait-il pas ?

- Je me dis que ça pourrait être sympa et… Qu'on pourrait passer un peu de temps ensemble en dehors du poste.

Noah ne le disait pas, mais il s'agissait aussi pour lui d'une excuse pour sortir Stiles de son bureau et de ses dossiers sanglants.

De son côté, l'hyperactif se mordit la lèvre inférieure mais savait d'ores et déjà que son père avait gagné. Comment lui refuser quoi que ce soit ? De toute façon, ça ne pouvait pas lui faire de mal, d'autant plus qu'elles étaient rares, les occasions de profiter de son père en dehors du travail.

- C'est à quelle heure ?