Chapitre 28
Chaque début de semaine, Navy allait à son rendez-vous de suivi psychologique avant d'aller en mission. Elle ne savait pas exactement ce qu'il s'y passait mais plusieurs choses étaient certaines : la jeune femme en ressortait avec ses doutes en moins, des objectifs en tête et l'esprit bien plus tranquille. Après chaque rendez-vous, elle partait aussitôt en mission, l'accomplissait, rédigeait ses rapports, s'entrainait et, avant qu'elle ne s'en rende compte, une autre semaine débutait avec un autre rendez-vous, d'autres missions, d'autres rapports et d'autres entrainements. Cette routine lui convenait : Navy effectuait son travail et elle ne se souciait de rien d'autre. Il y avait bien des maux de tête qui arrivaient de temps en temps, peu avant ses rendez-vous mais ils disparaissaient dès la séance terminée alors elle ne s'en préoccupait pas, ayant peu de temps pour cela.
Elle n'avait plus revu Sakazuki depuis leur dernier échange, il y avait un peu plus de deux mois. Pas qu'elle s'en préoccupait réellement mais elle aurait pensé que…
Un mal de tête soudain la prit et elle s'arrêta un instant pour reprendre son souffle. Elle secoua la tête et, en se concentrant de nouveau sur sa mission, son mal de tête passa. A cause de cet instant d'inattention, une présence inconnue put se glisser derrière elle et Navy eut tout juste le temps de se décaler qu'une masse s'abattit à l'endroit où elle se trouvait un instant auparavant.
« Meurs, soldat ! »
Un autre coup de masse fendit l'air mais, cette fois prête, Navy chargea son poing de Haki et brisa l'arme d'un coup. A cause de l'élan, l'inconnu partit en avant et la brune n'eut donc aucun mal à l'assommer d'un coup de genou. Elle sortit ensuite son poignard mais alors qu'elle leva le bras pour l'achever, une main l'arrêta en attrapant son poignet.
« Il est déjà à terre. Que comptes-tu encore faire ? »
Reconnaissant la voix, son corps se figea et en lâcha le poignard.
« Sabo ? »
Le susnommé la relâcha mais elle ne bougea pas pour autant, son mal de tête revenant. Voyant son état, Sabo s'adoucit et il posa une main sur son front. D'un air soucieux, il vérifia rapidement son état :
« Armencia ? »
Mais Navy n'entendait pas. Elle regardait l'inconnu au sol qu'elle allait achever… et de tous ceux avant lui. Alors, son corps réagit dans un réflexe pour préserver son esprit : il choisit de lui faire perdre connaissance.
Lorsqu'elle ouvrit les yeux, Navy se trouvait dans une pièce qu'elle ne connaissait pas. Ça commençait à devenir une habitude et l'idée ne lui plaisait pas beaucoup. Entendant des exclamations de voix, elle se leva et s'approcha de la porte avant de l'ouvrir légèrement. Elle entrevit Sabo de dos parler vivement :
« Ils lui ont retourné le cerveau ! Armencia n'est pas comme ça !
- Plus d'une dizaine d'années est bien assez suffisant pour que quelqu'un change. Tu ne peux pas la défendre autant sous prétexte que tu la connaissais il y a quatorze ans. Elle doit payer pour tout ce qu'elle a fait, répondit une voix qu'elle ne reconnaissait pas.
- Je te pensais plus malin. Regarde les archives à son sujet. Pas un mort, pas une injustice avant ces deux derniers mois. Elle n'a pas changé en quatorze ans mais en huit semaines ! »
Navy tira un peu plus la porte, faisant arrêter la conversation. Le blond se tourna aussitôt et s'avança vers Navy tandis que son interlocuteur se contenta d'un ''tch'' avant de partir dans la direction opposée.
« Armencia. Comment te sens… commença Sabo avant de se faire couper par un signe de la main de Navy pour lui intimer de se taire
- Je dois retourner à New Marineford. »
Sabo secoua négativement la tête.
« Quelque chose ne va pas et il faut d'abord…
- Je ne t'ai rien demandé à ce sujet. Si tu veux me rendre un service, dépose-moi près de la base marine la plus proche, coupa froidement la jeune femme.
- Ce n'est pas…
- Je vais me débrouiller alors. »
Mais avant qu'elle ne puisse faire quoi que ce soit, Sabo posa ses deux mains sur ses épaules.
« S'il te plait. »
La sincérité qu'elle discerna dans son regard eut raison de ses barrières et elle voulut abandonner mais aussitôt cette pensée créée que le mal de tête lui revint, plus douloureux que jamais et, pour cause : c'était le début de la semaine.
« Je… Je ne peux pas rester.
- Pourquoi ? »
Navy retira les mains du blond de ses épaules et le fusilla du regard, son mal de tête passé une fois sa nouvelle réalisation en tête.
« Vous êtes l'ennemi à abattre. Je vous ai déjà fait une énorme faveur en ne vous dénonçant pas à chaque fois mais ça s'arrête là. Vous êtes des terroristes et ma mission et de vous arrêter par tous les moyens.
- Ce ne sont pas tes propos. Ce n'est pas toi ça.
- Qu'en sais-tu ?
- Armencia…
- Ce n'est pas mon nom ! »
Sabo fronça les sourcils et croisa les bras.
« Très bien. Qui es-tu alors ?
- Je suis… »
Navy se tut, hésitant soudainement. Qui était-elle ?
« Je suis… vice-amirale de la Marine et je dois…
- Ce n'est pas ce que je te demande. »
Navy secoua la tête et força Sabo à se décaler pour sortir de la pièce.
« Il faut que tu te fasses aider, tenta une dernière fois le blond.
- Je me fais déjà aider. Je vais voir un psy, et ce à cause de l'un des vôtres.
- Quoi ? Que s'est-il passé ?
- Dragon ne t'en a pas informé ? Demande-lui qui est Miledieu et ce qui… »
La douleur fut présente, la coupant un instant.
« Ce qui… Loubia… Ce qui est arrivé aux… »
Mais rien n'y faisait, quelque chose bloquait. Pourquoi allait-elle à ces rendez-vous chaque semaine ?
Ne sachant pas quoi répondre, Navy eut soudainement du mal à respirer. Se rendant compte du problème, Sabo l'attrapa et l'aida à se poser. La jeune femme ferma les yeux et souffla, tentant de reprendre contenance.
« Je… Je ne peux pas… Dragon doit savoir, demande-lui.
- D'accord, d'accord. Laisse-moi quand même te raccompagner. »
Sans un mot de plus, Sabo resta auprès de Navy et la raccompagna jusqu'à la base la plus proche, ne la laissant que lorsqu'il ne put plus rester à ses côtés.
D'ordinaire, la brune l'aurait charrié et remercié mais son mal de tête l'empêchait d'articuler et elle ne put se diriger vers la base que par automatisme, se demandant en boucle la même question :
Qui était-elle ?
La vice-amirale rentra sans encombre à New Marineford et se dirigea automatiquement vers le cabinet. Cependant, une fois devant, un sentiment de malaise la prit et, sans réfléchir, elle fit demi-tour et se mit à courir. Quelque chose n'allait définitivement pas chez elle.
Les semaines suivantes, Navy évita comme la peste le cabinet, enchainant les missions. Cependant, ses maux de tête devenaient fréquents, la déconcentrant souvent. De plus, elle remettait en cause tous ses agissements et hésitait, si bien qu'au fil du temps, elle finissait par rentrer blessée après chaque mission. Malgré cela, elle y retournait à chaque fois, ne souhaitant pas s'écouter penser.
Un matin, alors qu'elle revenait à son appartement après une énième mission, elle vit un soldat juste devant sa porte, soldat qu'elle reconnut sans peine.
« Koby ? Que fais-tu ici ? »
Ledit Koby la regarda et, voyant son état, s'approcha d'un air inquiet.
« Tu vas bien ? Non, bien sûr que ça ne va pas. Tu n'as pas trop mal ? Tu t'es fait soigner correctement ? »
Son débit de paroles augmentait au fur et à mesure que le rose l'examinait, s'assurant qu'il n'y avait rien de grave. Navy posa une main sur son bras, l'arrêtant d'un geste.
« Ça va. Que fais-tu ici ? Répéta la jeune femme
- Je n'avais plus de nouvelle de toi alors je suis venu voir… enfin… ce n'est pas… tu sais… »
Le rose s'empourpra, faisant légèrement sourire Navy pour la première fois depuis un moment. Ayant pitié, elle ne releva pas l'embarras de son cadet et se dirigea vers sa porte d'entrée pour l'ouvrir.
« Tu as dû faire un long voyage. Un café ?
- … Volontiers. »
Navy entra à l'intérieur, suivie par Koby qui ferma la porte derrière lui. La brune revint peu de temps après avec deux tasses et haussa un sourcil en voyant Koby toujours près de l'entrée, n'osant pas bouger. Avant de réellement s'en rendre compte, la brune se mit à pouffer de rire, mettant dans l'embarras le jeune homme.
« Mais… Tenta le rose
- Désolée, désolée. Je ne t'ai pas fait entrer pour que tu serves de nouvelle décoration. Assieds-toi. »
Koby obtempéra et elle déposa une tasse devant lui.
« Merci.
- Pas de quoi. » Répondit-elle simplement en s'appuyant contre la table pour boire son café
La vice-amirale profita du silence pour se poser, étonnée de ne presque plus sentir son mal de tête. Elle ne rechigna pas à cette constatation, bien au contraire, mais la trouvait étrange. Elle n'eut pas à y penser plus car ce fut le rose qui brisa le silence en premier.
« Tu as l'air fatigué.
- Hm… je reviens tout juste d'une mission alors je n'ai pas encore dormi.
- C'est vraiment seulement ça ? »
Navy le regarda et resserra sa prise sur sa tasse.
« … Ça va. »
Koby n'insista pas, se contentant de regarder autour de lui.
« … C'est joli chez toi.
- Hm. Je n'ai pas réellement eu l'occasion de décorer mais j'imagine que l'appartement en lui-même est joli. »
Le silence se fit une nouvelle fois et chacun but son café. Étonnamment, ce fut Navy qui brisa une nouvelle fois le silence :
« … Je n'essayais pas de t'ignorer, tenta-t-elle de se justifier. Je… je ne sais pas. Le temps est passé, beaucoup d'événements se sont enchainés et… »
La jeune femme s'arrêta en sentant une main sur son épaule. Koby s'était approché sans qu'elle ne s'en soit rendue compte.
« Tu as le droit de ne pas vouloir appeler tous les soirs. Tu as le droit de mettre ta carrière au premier plan. Je veux juste savoir si tu vas bien. »
Navy regarda le garçon et, se rendant enfin pleinement compte de son état, elle secoua légèrement la tête et souffla :
« Non… Non, je ne vais pas bien. »
Son cadet ne demanda pas plus de précision et se contenta de s'approcher un peu plus pour la prendre dans ses bras. Elle n'avait pas eu l'occasion de recevoir une étreinte de qui que ce soit ces derniers mois mais, à ce moment, elle se rendit compte que c'était exactement ce dont elle avait besoin. Alors, elle s'accrocha à lui et prit enfin le temps d'écouter ses pensées.
Monstre…
Ce fut au départ ce qu'elle entendit. Toutefois, les bras qu'elle sentait autour d'elle ne trompait pas : elle n'était pas plus un monstre qu'un autre. Doucement, elle tenta de rationaliser avec elle-même.
Elle avait été créée pour être un soldat parfait. Mais elle ne l'était pas… et ce n'était pas son souhait. Elle avait commis des actes atroces ces derniers mois mais quelque chose n'allait pas. Elle se souvenait à peine les avoir faits.
« … Je ne souhaite pas être un assassin. » se dit-elle plus pour elle-même
Koby ne bougea pas, se contentant d'acquiescer.
Elle n'était pas la fille de Ronan, ni celle de Dragon… mais ne pouvait pas se considérer comme la fille de Sakazuki. Elle n'était pas l'arme du Gouvernement malgré les expériences… pourtant elle n'était pas tout à fait libérée malgré les tentatives… Ce qui la définissait par le passé n'était plus d'actualité et ce qui aurait dû la définir à présent n'était pas assez proche de la vérité… enfin, était-ce réellement le cas ?
« Je ne sais pas ce que je suis » souffla-t-elle.
Alors, Koby desserra doucement son étreinte et posa ses mains sur ses épaules, la regardant dans les yeux.
« Tu es Monkey D Navy. Rien de plus, rien de moins.
- Ce n'est pas… ça ne fait pas parti des noms qu'on m'a donné.
- Est-ce vraiment important ? »
Navy cligna des yeux, ne sachant pas immédiatement quoi répondre à cette question. Était-ce vraiment important ?
« Peu importe qui tu as été, je ne vois que Monkey D Navy. » continua Koby
Un rire nerveux se fit entendre de la part de Navy. Koby reprit son air peu sûr et s'empourpra.
« Enfin… si ça ne te dérange pas ? Sinon, on peut chercher… je ne veux pas te forcer à quoi que ce soit… »
Le rire de Navy se fit plus franc et elle caressa affectueusement la tête du rose.
« Non non. Ça me va très bien. Monkey D Navy… me va très bien. »
Face à la simplicité du rose, elle se demanda pourquoi il lui avait semblé si difficile d'arriver par elle-même à cette conclusion. C'était peut-être cette touche de sincérité et de naïveté qui lui manquait. Elle tira un instant sa joue, faisant grommeler légèrement le plus jeune, avant de se reculer.
« Promis, je te donnerai plus de nouvelles à l'avenir.
- J'espère bien, sinon il faudra que je revienne te tirer les oreilles. »
Navy leva les yeux au ciel et lui donna une pichenette sur le front, faisant protester une nouvelle fois le rose. Elle sentait son cœur moins lourd mais ses préoccupations étaient toujours présentes.
Elle devait régler tout ça.
« J'ai beaucoup à faire. Je devrais me préparer.
- Tu es sûre ? Je peux… »
Navy secoua la tête.
« J'ai certaines personnes à aller voir.
- Oh… d'accord. Je vais te laisser alors. »
Le rose se recula et commença à se diriger vers la sortie. Il s'arrêta toutefois un instant, revint devant Navy sous le regard étonné de cette dernière mais repartit une fois de plus avant de revenir, semblant changer d'avis plusieurs fois.
« Tu voulais me demander quelque chose ? »
La question arrêta Koby qui hésita avant de s'exprimer :
« Oui… enfin non. Peut-être plus tard quand ce sera plus calme pour toi ? »
Navy l'observa alors que la gêne était croissante pour le garçon.
Il en était chou.
Sa réaction fit sourire la jeune femme qui hocha la tête.
« Je règle toutes mes histoires et je t'invite à dîner, ça te va ? »
Les joues de Koby s'empourprèrent. Il hocha doucement la tête et la brune le laissa sortir. Une fois la porte refermée, Navy reprit son air sévère et se prépara pour sortir. Elle avait des comptes à rendre et elle comptait bien tout régler pour ne pas laisser le rose inquiet.
Elle se rendit sans plus attendre à la base, ignorant les regards étonnés des soldats. Il fallait admettre qu'elle n'avait pas passé beaucoup de temps à la base, n'y allant que pour rendre ses rapports à des heures en général très décalées afin de ne croiser personne. Connaissant le chemin par cœur, elle se dirigea sans flancher jusqu'au bureau de son supérieur et frappa quatre coups fermes à sa porte. Après avoir reçu la permission d'entrer, elle le fit et ferma la porte derrière elle. L'air y était pesant et elle hésita un instant à s'exprimer. Cependant, le regard moins sévère que d'ordinaire de Sakazuki la convainquit de prendre la parole. Elle respira lentement et se tint droite pour s'exprimer :
« J'ai besoin d'un service. »
Sakazuki prit le temps de d'abord poser son stylo avant de répondre d'une voix qui lui sembla étonnamment calme :
« Je t'écoute. »
