Pyjama était un petit chaton quelque peu curieux qui n'appréciait pas trop de rester au même endroit. Il lui fallait toujours bouger, découvrir de nouveaux horizons. Et dans cet appartement à la grandeur incommensurable, il y avait des tas de coins et de cachettes qu'il appréciait beaucoup. Mais lorsqu'il se fatiguait, il adorait s'étaler sur des étendues douces et confortables, comme un canapé ou un lit et, de préférence, avec un humain dessus. C'est tout naturellement qu'il avait donc élu domicile contre l'humain sans poils qui dormait à l'étage. Il l'aimait bien, il était tout chaud, mais bien moins que l'autre, qui dégageait, pour lui, une chaleur presque insupportable. Puis ledit autre avait ce petit quelque chose qui l'agaçait, alors que le premier était comme un doudou pour lui. Un doudou contre lequel il adorait se pelotonner. Pourquoi n'était-il pas là ces derniers jours ? En tout cas, il lui avait manqué.
Stiles, de son côté, ne pensait pas vraiment à Pyjama. A vrai dire, il n'avait même pas remarqué qu'il était là, à ses côtés. Il dormait, alors… Il n'avait pas conscience de grand-chose, encore moins des bandages autour de ses poignets, des quelques pansements ici et là. Il ne sentait pas la douleur en bas de son dos qui irradierait à son réveil seulement, ni même les quelques bleus qui s'étaient formés un peu partout sur son corps. Stiles n'avait rien remarqué ou du moins pas grand-chose lors de son précédent éveil, parce qu'il n'était pas vraiment là. Son corps, il ne l'avait pas complètement réintégré et… Cela faisait déjà un moment qu'il l'avait quitté. Epuisé aussi bien mentalement que physiquement, il dormait d'un sommeil profond. Réellement profond. Du genre à ne pas se réveiller à cause d'un bruit quel qu'il soit. Son inconscient, gardien d'une cage dorée, désirait y garder sa conscience. Parce que c'était pour le mieux, parce que c'était là où elle était en sécurité. Autrement, comment l'empêcher de se désagréger ? Le monde extérieur était si dangereux… Trop, pour un jeune homme comme Stiles. C'était comme si son armure et toutes ses défenses avaient cédé, comme si toutes ses faiblesses étaient à découvert, prêtes à être exploitées et sucées jusqu'à la moelle. Jusqu'à ce qu'il cède définitivement. Si Stiles était conscient à cet instant, il se serait fait l'effet d'un arbre dépourvu de son écorce protectrice. A la merci de tout. Il aurait tremblé de tous ses membres, cherchant l'impossible.
Cherchant à se protéger.
L'impossible, parce qu'il n'en avait plus la force. Il n'avait plus rien. N'était plus rien. Ça, il le savait au plus profondément de lui, mais ne s'en souviendrait pas à son réveil. L'inconscience avait cela de bienheureux qu'elle gardait dans l'ignorance – lorsqu'elle n'était perturbée par quelque cauchemar que ce soit. Par chance, le sommeil de Stiles ne fut pas perturbé par cet élément-là et il dormit longuement sans penser à rien, sans même savoir qu'il s'était endormi. En fait, l'hyperactif ne savait même pas qu'il avait fini par perdre à nouveau connaissance dans les bras de Derek, quelques minutes après son premier réveil qui datait maintenant de deux bonnes heures. Il n'était pas vraiment au courant, parce qu'il n'était pas complètement là. Ce temps qu'il s'accordait malgré lui, c'était celui de la réassociation. De la fusion nouvelle entre son corps et son esprit, sa psyché brisée. C'était quelque chose de long et fastidieux qu'il ne pouvait pas se permettre avant – question de survie. De survie mentale. Mais Stiles n'avait pas conscience de tout ça. Il n'avait conscience de rien, pas même du fait qu'il tentait inconsciemment de se sauver.
Alors Pyjama ? Bien sûr qu'il ne le sentait pas, roulé en boule contre lui, berçant son corps de ronronnements apaisants. Néanmoins, ses traits s'étaient détendus à son arrivée et ses doigts se faisaient moins serrés sur les draps.
Et c'est ce que constata Isaac lorsqu'il osa jeter un coup d'œil au travers de la porte entrouverte. Boucles d'or avait le visage ravagé par l'angoisse et les traces des larmes qu'il avait laissées s'écouler dans son coin. Sur le balcon. C'était plus facile, de pleurer seul, d'autant plus qu'il n'aimait pas montrer cette facette de lui aux deux Hale. D'ailleurs, c'était pour cette raison qu'il s'était éclipsé pendant qu'ils parlaient, puis qu'il avait pris la décision, un peu plus tard, de monter voir Stiles. Juste pour… Oui, le voir. Surveiller si tout allait bien. Et c'était le cas.
Mais Isaac avait du mal à se sentir rassuré. A vrai dire… Il se souvenait un peu trop bien de ce moment où il l'avait découvert dans la forêt, et pas juste parce que c'était frais. En fait, il avait même compris ce qu'il lui était arrivé bien avant de l'emmener au loft. Il avait suffi qu'il l'aperçoive, qu'il sente son odeur, qu'il perçoive toutes ces choses sur lui… Et qu'il voie ses yeux.
Isaac avait déjà vécu dissocié. C'était arrivé quand il était un peu plus jeune, lorsque son père… Vivait encore. Souvent, c'était sa tête qui agissait par automatisme, qui mettait en place ce mécanisme de défense pour mieux lui faire supporter les coups – dont il n'oublierait jamais la violence. Parce que c'était trop dur. Dans ces moments-là, il ne répondait plus de rien et perdait le souvenir de ce qu'il s'était passé. Parfois ça revenait, parfois non et d'autres fois, il lui fallait simplement trouver un stimulus pour faire remonter les souvenirs perdus à la surface. Il y avait d'ailleurs quelques trous dans la vie d'Isaac, des trous qu'il ne chercherait jamais à combler.
Il était certain que Stiles avait dissocié, lui aussi. Dans une certaine mesure. Son absence, la manière dont ses yeux fixaient le vide, sans éclat… Pour Isaac, c'était très parlant.
Et ça l'inquiétait profondément.
Parce qu'Isaac savait ce que ça faisait, ce qu'on ressentait. Réintégrer son corps n'était jamais chose facile… D'autant plus qu'on découvrait les marques de violence comme si elles venaient d'apparaître. Et c'était pire encore dans le sens où Isaac avait compris ce qui était arrivé à son ami… Même s'il adorerait se tromper. C'était pour cela qu'il n'avait rien dit lorsque Peter lui avait silencieusement demandé de le laisser parler avec Derek. Parce qu'il savait ce qu'ils allaient se dire… Et qu'entendre les mots n'aurait fait que lui faire davantage de mal. Il y avait des choses qu'Isaac était capable de supporter… Et d'autres non. Y penser était déjà suffisamment suffisant.
Bien sûr, le nombre de questions qu'il se posait était incalculable. Que faisait Stiles dans la forêt ? Qui s'en était pris à lui ? Comment était-il arrivé là ? Cette histoire présentait bien des zones d'ombres… Qu'Isaac n'était pas certain de pouvoir avoir le courage de découvrir lui-même. Pas en ce jour, en tout cas.
Par contre, prendre soin de son ami, oui. Le protéger, coûte que coûte.
Stiles était un soleil que l'on ne devait pas se laisser s'éteindre… Au risque de perdre sa lumière à tout jamais.
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Derek n'aimait pas savoir Peter et Isaac ici, au loft. Pas maintenant, en tout cas. Cependant, il n'avait pas eu le cœur de leur refuser cette demande, que le plus jeune lui avait faite d'une voix si tremblante, la main dans celle d'un Peter au faux air neutre. Même une heure plus tard, Derek la réentendait comme si Isaac venait de la lui faire. Evidemment, l'espèce de couple qu'ils formaient respectaient les conditions données par celui que l'on surnommait Big Bad Wolf. Rester dans la chambre de Peter, ne pas chercher l'attention de Stiles. Pas tout de suite. Disons que Derek était devenu passablement protecteur avec lui et qu'il n'était pas certain de savoir à quoi s'attendre le concernant. Néanmoins, une chose était certaine : Stiles ne voudrait sans doute pas voir qui que ce soit. Pas même lui, en soi, mais… Derek savait y faire et de toute manière, il ne comptait plus le lâcher.
Le laisser retourner chez lui était une erreur qui le faisait culpabiliser à un point inimaginable. Techniquement, tout était censé bien se passer : le flic à l'hôpital, Stiles aurait été tranquille quelques jours… D'ailleurs, il était censé passer l'après-midi avec son père, et voilà que Peter et Isaac le lui avaient ramené dans un état… Indescriptible par son horreur.
Bien sûr, Derek savait. Ça s'était passé.
Le loup-garou poussa un soupir tremblant, un évènement assez rare le concernant… Oui, suffisamment pour être souligné. Il passa une main devant ses yeux humides. Il n'allait pas pleurer, pas vraiment… Mais savoir qu'il aurait pu empêcher ça en insistant davantage pour que Stiles reste le minait profondément. Sur ce coup-là, il n'avait pas assuré.
Et maintenant ?
Derek n'avait absolument aucune idée de quoi faire. Et même si la logique voudrait qu'il se lance à la traque de cette ordure qu'était l'agresseur de Stiles, il s'en sentait incapable. La peur le chevillait désormais au corps. La peur de le laisser seul, de ne pas être là à temps. Stiles était devenu… Imprévisible, désarmant. Impossible pour Derek de prévoir la moindre de ses paroles et actions, le moindre de ses actes, gestes. Il était hors de question qu'il ait à nouveau à avorter une éventuelle tentative de suicide de sa part : il ne pouvait pas laisser une telle chose arriver à nouveau… Au risque de se perdre lui-même.
Maintenant, restait à trouver quoi faire, quoi dire. Comment agir, comment aborder le sujet. Comment l'aider.
Car Derek savait pertinemment que le prochain réveil de Stiles, qu'il soit calme ou violent, serait délicat à appréhender.
