Tête haute, Candice déboula dans l'openspace qui ne tarda pas à se remplir de ses collègues. Ils attendaient une dizaine de filles. Toutes avaient été marquées d'un surligneur rose sur la liste et l'espoir d'éclaircir quelques points venait presque disperser les nuages ambiants. Elles se firent toutes interrogées. Et toutes étaient unanimes, Dubosque était loin d'être le parfait patron qui se souciait de ses employés. Au contraire, plusieurs affirmaient avoir subi de l'humiliation, des propos déplacés, dégradants, voire parfois des gestes incongrus. Et parmi elles, seule Camille osait manifester son désaccord. Elles, préféraient se murer dans le silence et subir. Et certaines affirmèrent même avoir accepté un marché peu licite. Le frère de Dubosque était venu leur proposer de participer à des soirées privées dans lesquelles il fallait parfois accepter de partager la nuit d'un homme. Et l'appât du gain avait pu en convaincre plusieurs. Tout était réalisé sans accord avec le patron, non tenu au courant des agissements de son frère. Alors elles s'étaient résignées à entretenir ces hommes d'un geste mécanique. Et certains devenaient fidèles, voire même un peu trop… L'un d'eux semblait aduler Camille et venait à la charge, souvent. Un certain Tito, d'après elles, jeune barman fraîchement croisé par l'une d'entre elles dans un bar agathois. Et celui-ci se serait montré trop entreprenant avec plusieurs d'entre-elles. Et c'était ce genre de comportement qui pouvait révolter Candice. Alors, elle s'empara des photos et quitta l'openspace d'un pas déterminé.

« Monsieur Dubosque, demanda Candice en débarquant devant sa cellule, est-ce que vous pourriez me parler de Tito s'il-vous-plaît ?

- Euh… C'était un brave gars. Il a bossé pour nous quelques fois… Pendant les grosses soirées surtout…

- Est-ce que vous pourriez l'identifier sur vos photos, s'il-vous-plaît ?

- Euh… C'est lui ! déclara-t-il en pointant du doigt un jeune barbu.

- Vous avez son identité ?

- Non… Il s'appelait juste Tito avec nous. Il faisait des extras au black un peu partout sur la côte… »

La blonde le remercia avant de retourner dans l'openspace où les policiers l'attendaient de pied ferme.

« Alors ? demanda Antoine.

- C'est lui… Mais on a qu'un surnom… déclara-t-elle en soufflant.

- Y a bien un moyen de le retrouver, c'est pas possible ! pesta Élodie.

- Aucune des filles n'a accepté de porter plainte… se désola Val. J'ai essayé de les convaincre mais mon discours sur le féminisme et l'idéal d'égalité n'a pas eu l'air de faire mouche…

- C'est la synergie de groupe ça… Il faut qu'il y en ait une qui flanche pour que toutes suivent… expliqua Candice dépitée.

- Et ce Tito là, si y en a une qui l'a croisé récemment, c'est qu'il bosse toujours dans un bar du coin non ?

- Ouais… En fait, Émilie a fait la tournée des bars pour espérer le croiser. Elle avait tout compris… Camille a dû l'écrire dans son journal…

- Mais on a rien retrouvé.

- Non parce qu'elle les a arrachés… C'était sa preuve ! Ce soir-là, elle a du le croiser au Cubanos et elle a réussi à l'amadouer avant de le traîner sur la corniche et elle a du tout lui déballer…

- Tu veux qu'on regarde la liste de ceux qui bossaient là-bas ? demanda Ismaël.

- Ouais… On sait jamais…

- Je les contacte ! »

Ismaël s'exécuta sous les yeux attentifs de la commandante qui écoutait la discussion avec attention. Elle l'observa raccrocher et le fixa avec empressement.

« Du nouveau? demanda le chef en faisant irruption dans la pièce.

- Peut-être... se contenta de répondre Candice. Alors ?!

- Ils connaissent pas de Tito… Mais je me dis, après le scandale y a sept ans… Il aurait très bien pu changer de surnom, non ?

- C'est possible… mais t'as la liste du coup ?

- Les patrons me l'envoient ! Et comme ils étaient nettement plus minutieux que les Dubosque, ils ont même noté les noms de leurs agents au black…

- Alors, fais voir ! s'empressa-t-elle alors que les feuilles sortaient de l'imprimante.

Attentif, Antoine la contourna et se plaça derrière elle de sorte à pouvoir lire les feuilles à son tour.

- Là ! On a un certain Nikola Maksuti… lança Ismaël.

- Rien à voir avec Tito… s'étonna Mehdi.

- Regarde quand même ! Tito c'est typique des pays de l'est ! ordonna-t-elle à Ismaël. Sergei Vlaskovitch aussi… Ça pourrait coller… réfléchit-elle à haute voix.

- Nikola machin a un casier pour violences…

- On a le motif ?

- Actions virulentes pour le PCF pendant les manifestations… Usage illégal d'explosifs… Atteinte aux forces de l'ordre…

- Et qui était un fervent communiste actif en Yougoslavie après les années 30 ? lâcha fièrement Candice.

- Tito… compléta Antoine.

- Exactement.

- Je crois qu'on le tient ! On y va ? lança Candice en s'emparant de son sac.

- Commandant ? l'interrogea Loïc.

- Oui ? »

Le brigadier se décala et laissa apparaître leurs témoins précédents dans l'encadrement de la porte. Surprise, Candice écarquilla les yeux et bégaya.

« On a réfléchi et… on a décidé de porter plainte… pour tout… avoua la plus combative. Pour Camille et sa sœur… »

Candice les fixa d'un grand sourire, émue par leur courage. Elle croisa le regard du commissaire qui l'encouragea d'un signe de tête à les traîner dans son bureau. Il ferma la marche et écouta sa partenaire.

« On a retrouvé le fameux Tito… On va aller le chercher et tout sera officiellement terminé…

- Bien… soupira l'une d'entre elle, soulagée.

- Et pour les plaintes ?

- Je vais vous orienter vers mes brigadiers, ils…

- Euh… C'est-à-dire que… la coupa la première. On aimerait que ce soit des femmes, on… Je suis pas certaine d'arriver à parler devant un… devant un homme…

- Occupez-vous en avec Val et Élodie, lança Antoine. Je vais envoyer Nathan avec Ismaël et Mehdi coffrer Tito.

- Ok… accepta-t-elle »

Finalement satisfaite, la blonde orienta les filles vers les bureaux correspondants avant de donner ses instructions à ses collègues. Certes déçue de ne pas directement l'approcher, Antoine lui promit qu'elle aurait la charge de l'interrogatoire. Elle accepta, avant de prier ses hommes de se dépêcher et de leur rappeler de chercher une quelconque preuve chez lui.

. . . . .

Une heure plus tard, le commissaire sortait de son rendez-vous avec le major. Les chiffres du mois étaient plutôt bons et étonnamment, cet entretien s'était démarqué par une certaine brièveté. Rapidement, il traversa le couloir et débarqua dans l'openspace où les agents féminins étaient concentrés dans leur tâche. Il s'apprêtait à faire demi-tour lorsque quelqu'un l'interpella dans le couloir.

« Louise ?! l'interrogea-t-il.

- On m'a téléphoné, vous relâchez Dubosque ?

- Ouais… On est sur une autre piste là…

- Tant mieux…

- Oui enfin, tout n'est pas gagné encore… Les filles sont en train de porter plainte contre lui…

- Hum… acquiesça-t-elle avant d'établir un contact visuel avec Candice de l'autre côté de la pièce.

- Dis-voir… Je voulais te demander quelque chose…

- Oui ?

- Je… Hier… Quand je suis remonté après notre discussion, on s'est un peu froissés, avec Candice et… je sais pas, j'ai envie de trouver une solution pour qu'elle comprenne que nous deux c'est du passé…

- Je comprends mieux le regard noir… lâcha-t-elle en souriant doucement.

- Ouais… Fin je me disais, ta proposition de café tient toujours ?

- Évidemment… Pourquoi ?

- Peut-être qu'on pourrait remettre ça à plus tard… Quand l'enquête sera bouclée je veux dire et… je pensais venir avec Candice.

- Si t'arrives à la convaincre de m'affronter plus d'une heure, ce sera beau… plaisanta-t-elle.

- Je lui dirai pas que tu seras là…

- Mais la connaissant elle va se braquer…

- Pas si j'arrive à lui faire comprendre mes intentions…

- Si tu le dis…

- Mais, c'est juste que j'en ai marre qu'elle s'imagine des choses entre nous je… j'veux la rassurer et que tout soit clair…

- Écoute, si tu penses que ça peut aider… Je suis d'accord…

- Merci…

- Mais tu sais… C'est pas facile pour moi non plus… de devoir affronter votre bonheur…

-Pardon ? l'interrogea-t-il perplexe.

- Bah c'est vrai… Vous vous aimez… Vous avez une famille… Deux jobs de rêve… Fin' moi à côté je…

- Tu sais bien que… notre vie n'est pas toute rose non plus… Et puis, j'ai pas mal morflé pendant toutes ces années aussi…

- Hum… C'est vrai… Et maintenant tu le mérites, ton bonheur…

- Ouais… Sauf que tu vois, c'est pas encore pour tout de suite… répliqua-t-il durement en jetant un œil sur Candice au loin.

- Pourquoi tu dis ça ?

- Ah ! Excuse-moi… déclara-t-il alors que son téléphone vibrait dans sa poche. Ouais Mehdi ?!

- Il est pas au Cubanos… On vient de parler au patron et ils l'ont pas vu de la journée.

- Mais il devait bosser ?

- Ils me disent que non… On aurait dû appeler avant, putain.

- Attends, je vais vous trouver l'adresse de chez lui… lança-t-il en s'excusant auprès de Louise avant de retourner derrière son bureau.

- Ok… Mais j'sais pas, j'sens un truc bizarre…

- Putain, il habite Gigean.

- Eh bah on est pas prêts d'y être ! s'offusqua Mehdi.

- Bon, rentrez à l'hôtel de police. Je vais y aller avec Marquez.

- Ok. »

Antoine souffla, agacé de ce manque d'organisation de leur part. Il sortit rapidement de son bureau et tomba sur Élodie.

« T'as terminé ? demanda-t-il.

- Ouais… C'était pas simple…

- Ok. Tito est pas au boulot. On va chez lui. Tu vas venir avec moi, on emmène Marquez. »

La commandante ne broncha point, se contentant d'obéir au commissaire qui venait d'entrer dans l'openspace en furie. Il interpella Marquez et lui fit signe de venir. De l'autre côté de la pièce, une blonde intriguée le regardait, perplexe. Elle finit par s'excuser et approcha Antoine, resté sur le pas de la porte.

« Qu'est-ce qu'il se passe ?

- On fonce chez Tito. Ils l'ont pas coffré, il bossait pas.

- Tu veux que je vienne avec vous ?

- Non, t'inquiète pas. Termine avec elle. On se tient au courant, d'accord ? »

. . . . .

Le commissaire gara le véhicule dans la rue. Rapidement, les trois agents de police claquèrent leurs portières et enclenchèrent le pas jusqu'à la maison du suspect. Pavillon typique des quartiers récemment construits en périphérie des centres-villes. Il observa le portail pas de sonnette. Heureusement pour eux, il était ouvert. Ils remontèrent la courte allée de graviers et Antoine frappa à la porte.

Un coup… pas de réponse.

Deux coups… pas de réponse.

« Monsieur Maksuti ! C'est la police.

- Y a sa voiture et le garage à l'air ouvert… observa la commandante.

- Je vais faire le tour… lança Marquez arme en main. »

Antoine frappa à nouveau. Encore plus fort. Et à nouveau, personne ne répondit. Soudain, les paroles de Mehdi revinrent à son esprit : « j'sens un truc bizarre ! » avait-il annoncé sans développer. Sécurité oblige, Antoine s'empara de son arme et suivit Marquez dans son tour de la maison. Le capitaine lui fit signe d'approcher. Doucement, il contourna le sapin et débarqua sur la terrasse où deux baies vitrées laissaient observer l'intérieur de la maison.

« BARREZ-VOUS OÙ JE FAIS TOUT SAUTER ! entendirent-ils hurler depuis le salon.

Antoine souffla, la situation était critique et dans ce genre de situation, il fallait faire preuve de calme.

- Calmez-vous. On veut juste discuter… lança-t-il doucement.

- Discuter ?! Mais vous me prenez pour un con ?! Mon patron vient de m'appeler, y a vos collègues qui me cherchent… »

Antoine jeta un coup d'œil furtif. Au milieu du salon, Tito, assis sur son fauteuil beige à côté d'une table basse bougeait son corps d'avant en arrière, signe flagrant d'angoisse.

« Est-ce qu'on peut rentrer ? demanda Antoine.

- NON ! Si vous entrez, je fais tout péter ! hurla-t-il à nouveau. »

Nouveau coup d'œil. Nouvelle angoisse. Aux côtés du serbe, trônait une jolie bombe artisanale fièrement posée sur une petite table basse en bois. Seules les négociations pouvaient apaiser la situation. Alors à nouveau, le commissaire souffla et tenta d'entamer la discussion.

« Alors discutons à distance…

- Mais je sais pourquoi vous êtes là ! grommela-t-il d'énervement. Mais j'irai pas en taule.

- Pourquoi iriez-vous en prison ?

- Parce que les gamines vont parler… cria-t-il.

- Les gamines ? demanda-t-il faussement innocent.

- Ces petites putes là ! Elles passaient sous mon nez, fringuées avec 3 bouts de tissus, juste pour attiser ma curiosité. Alors forcément au bout d'un moment, elles ont gagné. Enfin, surtout une…

- Et Émilie ? l'interrogea Antoine.

- Elle allait tout balancer. C'était pas possible… J'irais pas en prison je vous dis !

- Comment l'avez-vous retrouvé ?

- C'est elle qui m'a retrouvé ! Elle était comme sa sœur… Elle m'a allumé toute la soirée ! On a pris ma voiture et elle a voulu aller sur la plage. C'est là qu'elle m'a tout avoué. Elle savait tout. MAIS J'IRAIS PAS EN PRISON ! répéta-t-il fou de rage.

- Alors, avant toute chose, il faudrait que vous sortiez. D'accord ? On peut discuter… »

Le silence lui répondit. Antoine fronça les sourcils, surpris de cette non-réponse. Alors il prit son courage à deux mains et jeta un nouveau coup d'œil. Tito n'était plus là.

« Il s'est barré… chuchota Antoine à Marquez.

- Hein ?

Soudain, le téléphone du capitaine vibra dans sa poche. Candice…

Candice, c'est la merde. Il a complètement vrillé. T'envoie des hommes s'il-te-plaît.

- Vrillé comment ? demanda-t-elle paniquée.

- Il menace de faire sauter la baraque.

- Il est plus là… chuchota Antoine. J'y vais !

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-elle perplexe.

- Non ! ANTOINE ! cria Marquez. »

Antoine ne l'écouta pas, profitant de l'ouverture de la baie vitrée pour s'immiscer dans le salon. Un bruit de pas retentit soudainement, laissant apparaître Tito, à moitié ivre.

« J'avais dit PAS BOUGER ! hurla-t-il avant qu'un bruit d'explosion ne retentisse.

- ANTOINE ! hurla Candice alors que Marquez venait de chuter à terre. »

La blonde se figea, paralysée par ses souvenirs. Et son téléphone chuta en concomitance avec son corps qui s'effondra brusquement sur le sol.

. . . . .

« Oui allô ?

- Oui David, c'est moi… Comment vont les enfants ?

- Les enfants ça va, ils sont en sécurité chez ma mère. Le pire qui puisse leur arrivée là ce serait de s'empiffrer de gâteaux… Sinon j'suis chez toi. J'attends une équipe pour fouiller ta maison.

- Non ! Non ! C'est pas la peine, annule… Parce que… Ça y est on a arrêté le coupable, c'est fini.

- Ah attends ! Deux secondes, y a un paquet sur ta boîte aux lettres… Personnel… Intéressant ça…

- Quel paquet ? De quoi tu me parles ?

- C'est un cadeau de qui ? Verner ? Dumas ? Parce que tu crois que j'ai pas vu ton petit jeu avec ton adjoint ?!

- De quel paquet tu me parles ?

- Bien sûr… Bah je vais regarder…

- Non ! Non ! Non ! T'ouvres pas… T'ouvres pas, David non ! »

Elle venait de revivre la même scène mais d'une intensité démultipliée, la convainquant presque qu'elle se retrouvait 8 ans en arrière. Mais cette fois ci, les choses n'étaient pas tout à fait les mêmes. Ce n'était pas David, c'était Antoine. Et l'histoire se répétait… Indéfiniment…