The Nightmare begins

Je me rappelle de ce jour-là comme si c'était hier. C'est fascinant de voir à quel point notre mémoire peut être sélective. Tôt le matin, comme à mon habitude, je m'aventurai en direction des sentiers et des grottes serpentant à travers les montagnes pendant plusieurs heures. La météo en cette fin d'automne était plutôt clémente, et un soleil radieux brillait à l'est des crêtes escarpées du Nibel lorsque je franchis le seuil du manoir. En tant que TURK, la sécurisation des alentours du village faisait partie de ma mission, et ces derniers temps, je m'y consacrais de manière obsessionnelle. Pas une seule journée ne passait sans que je m'engage dans cette vigilance scrupuleuse qui m'obligeait à traquer les monstres pendant des heures.

Je fuyais le manoir. Depuis leur mariage, je fuyais sa présence.

" Si elle est heureuse, alors c'est tout ce qui compte…"

C'est ce que je me disais, au commencement. Je me trompais, m'efforçant coûte que coûte d'ignorer cette sensation oppressante dans ma poitrine à chaque fois que mon regard se posait sur elle, sachant pertinemment qu'elle ne partagerait jamais mes sentiments. Leur union m'avait fait prendre conscience de cette réalité et avait définitivement mis fin à tout espoir.

Une ultime balle acheva le lézard volant que je combattais tandis qu'une gerbe de sang écarlate éclaboussait la crosse de mon fusil, ainsi que la chemise de mon costume. J'échappai un juron. Je n'aimais pas le sang. Je détestais sa texture poisseuse, que l'on ne parvenait à détacher qu'après un nombre incalculable de lavage, et son odeur âcre et métallique me restait dans la narines des jours durant ! Bizarre pour un TURK, me direz-vous.

Progressivement, le ciel ensoleillé de ce début de journée avait fait place au gris menaçant des nuages. Si bien qu'en fin d'après-midi, les premières gouttes de pluie s'écrasèrent sur mon nez, marquant ainsi la fin de ma patrouille dans les environs.

Il me fallut deux heures pour regagner le village. Il commençait à faire sombre, et la pluie ne montrait aucun signe d'accalmie. Par conséquent, j'étais complètement trempé jusqu'aux os en atteignant enfin le manoir.

Je traversai le hall d'entrée d'un pas hâtif, veillant à ne pas souiller le sol en marbre impeccable de mes vêtements dégoulinants. Mes enjambées rapides me portèrent jusqu'au grand escalier menant à l'étage, en direction du petit bureau que j'utilisais comme chambre, niché au fond de l'aile est.

Soudain, un bruit inattendu capta mon attention : des sanglots. Des sanglots provenaient de sa chambre, à gauche du couloir, juste avant la mienne. Dans l'intimité de son espace, elle laissait libre cours à ses émotions. À cette heure, je m'attendais pourtant à ce qu'elle soit toujours en bas, dans le laboratoire. Ce n'était pas la première fois que je la surprenais en train de pleurer. Et à chaque fois, cela me déchirait le coeur un peu plus.

La première fois, c'était quelques semaines seulement après leurs noces. C'était un jour où le hasard m'avait conduit à la croiser au bord du petit lac, derrière le bourg. Quand elle m'avait entendu approcher, elle s'était immédiatement resaisie, avait essuyé ses joues humides, et m'avait adressé un sourire trompeur, en se mettant à me parler de la pluie et du beau temps, comme pour faire diversion.

Depuis lors, il me semblait de plus en plus fréquent de la découvrir en proie à ses tourments intérieurs. Pourquoi versait-elle ces larmes ? Elle était mariée depuis plusieurs mois, une période où l'on pouvait espérer qu'elle rayonnerait de bonheur. Il est vrai que le jeune professeur n'était probablement pas l'homme le plus expressif dans ses démonstrations d'affection. Ni le plus charmeur. Ni le plus joyeux ni le plus romantique. Bon, à part ses talents intellectuels et sa passion indéfectible pour la rigueur scientifique, il aurait été malhonnête de ma part de prétendre ne pas m'être interrogé sur ce qui avait pu attirer la femme que j'aimais chez lui. Cependant, je demeurais perplexe face à l'apparente tristesse de cette dernière.

À l'époque, j'ignorais la véritable raison derrière leur mariage. J'avais naïvement cru qu'elle m'avait rejeté autrefois parce qu'elle avait été séduite par ce brillant professeur de sciences. Encore une fois, je me trompais. J'appris plus tard, bien trop tard, de la bouche de l'homme qui était devenu ma némesis, qu'un chantage immonde avait contraint celle que j'avais toujours aimée à devenir son épouse.

Dès sa jeunesse, Hojo avait une mentalité déviante. Malsaine. Une sorte de pervers narcissique incapable de supporter qu'une femme aussi belle et talentueuse puisse être son égale. Pourtant, elle l'était bel et bien. Après tout, n'était-elle pas la brillante élève du Professeur Grimoire Valentine, mon défunt père, lui-même un scientifique de renom ? En collaboration avec le Professeur Gast, ils avaient tous deux été à l'origine de la découverte du corps de la créature céleste, qui allait engendrer le projet.

Si j'avais connu à l'époque la véritable raison pour laquelle Lucrécia avait accepté de l'épouser, j'aurais été prêt à commettre un meurtre. Comme je l'ai déjà dit, ça n'est qu'au moment où, attaché par des sangles à une table d'opération, à demi étourdi par les drogues qu'il m'avait injectées après m'avoir tiré une balle trop près du coeur, qu'il prit un plaisir sadique à me révéler la vérité, qu'elle même n'avait jamais osé m'avouer.

C'était pour moi. C'était pour moi, qu'elle l'avait épousé…

Naguère, un incendie était survenu dans le laboratoire. Il aurait pu coûter la vie à Lucrécia, qui en était elle-même à l'origine. À la place, cela avait emporté celle de mon père, qui s'était sacrifié pour la sauver. J'avais appris cela lorsque, par hasard, je tombai sur les fichiers concernant le défunt Grimoire Valentine, sur l'ordinateur de Lucrécia. Une terrible dispute entre nous s'en était suivie. Elle s'en voulait terriblement. Pourtant, je ne lui avais jamais rien reproché. Aussi dramatique fut-il, c'était un accident…

La culpabilité qu'elle éprouvait envers sa mort l'avait poussée à accepter le chantage de Hojo. Ce dernier l'avait menacé de parvenir à me faire évincer de la Shinra. Suffisamment fourbe et retord, aucun doute qu'il serait parvenu à ses fins.

Le décès de mon parent sur la conscience, elle ne voulait pas ajouter à cela le fait d'être à l'origine d'un harcèlement qui aurait conduit à mon renvoi de l'entreprise.

Elle avait accepté. Et cela avait été le début du cauchemar. De notre cauchemar.

La main crispée sur la poignée de sa porte, je me résignai. J'avais un désir brûlant d'entrer dans cette chambre, de la réconforter, de la serrer dans mes bras... mais je savais pertinemment qu'elle n'aurait pas accepté mon aide. Cependant, je ne renonçai pas à l'idée de lui redonner le sourire. Une idée venait de naître dans ma tête.

La veille, le Professeur Gast et Hojo étaient repartis pour Midgar. Leur visite était censée durer seulement deux jours, le temps de présenter un rapport au président et aux principaux responsables sur l'avancement du projet. Cela signifiait que j'aurais l'opportunité de passer une soirée en tête-à-tête avec celle que j'aimais, et je n'avais pas l'intention de la laisser passer.

En hâte, je me précipitai dans ma chambre et échangeai mon costume bleu marine ainsi que ma chemise, que je lançai négligemment dans le vide-linge, contre un simple jean anthracite et un vieux t-shirt noir délavé. Puis, bravant les éléments, je sortis en direction de l'auberge.

Là-bas, je passai commande d'un panier-repas complet pour deux personnes, accompagné d'une bouteille de leur meilleur cru. Depuis notre arrivée à Nibelheim, j'avais tissé des liens amicaux avec le propriétaire de la petite guinguette du village, qui faisait également office d'hôtel pour les voyageurs de passage. À cette époque, les montagnes de Nibel étaient encore parcourues régulièrement, attirant de nombreux aventuriers en quête des grottes qui abritaient de la Mako sous forme de cristaux purs. De plus, le franchissement des crêtes constituait le seul moyen de se rendre au Village Fusée sans avoir à traverser tout le continent par le Sud.

Après une courte attente, les bras chargés de provisions, je regagnai le manoir. Là, je me mis à préparer le petit salon pour la soirée : je dressai soigneusement la table, allumai quelques bougies et installai le vieux tourne-disque que Lucrécia chérissait tant. Son amour pour la musique, qu'elle ne partageait guère avec son "tendre" époux, lui avait été transmis par sa mère, et elle avait également appris à jouer du piano dès son plus jeune âge.

Peut-être que l'atmosphère de la pièce semblait un tantinet trop romantique, mais nous avions déjà passé suffisamment de temps ensemble pour qu'elle le prenne simplement comme un geste d'amitié sincère.

Enfin, je me décidai à partir la chercher. À l'étage, plus aucun son n'émanait de sa chambre pendant que je frappais doucement à sa porte. Aucune réponse. Il me vint à l'idée qu'elle avait probablement dû rejoindre le laboratoire.

Je n'appréciais pas particulièrement les sous-sols du manoir. Si j'avais eu conscience que j'allais y passer les trente prochaines années de ma vie, enfermé dans un cercueil, je crois que j'aurais détruit cet endroit à grands coups d'explosifs. Il aurait sans doute mieux valu. Si seulement j'avais su…

Effectivement, c'est là que je la découvris, penchée au-dessus d'un microscope optique, absorbée par ce qu'elle observait dans la lunette.

« Je ne sais pas ce que tu regardes comme ça, mais ça a l'air passionnant ! », m'écriai-je, la prenant par surprise.

Elle ne m'avait même pas entendu arriver.

« Oh ! Vincent ! Tu m'as fait peur ! », me réprimanda-t-elle gentiment en relevant le nez de son instrument. En guise de vengeance, elle me donna un petit coup de poing sur le bras, ce qui fit naître un sourire sur mon visage.

« Que regardais-tu ? lui demandai-je en m'approchant de son bureau.

- C'est absolument fascinant ! Les résultats de nos recherches ont progressé de manière significative ces dernières semaines ! », s'exclama-t-elle avec enthousiasme.

Elle me faisait penser à une enfant qui venait de découvrir une cachette remplie de bonbons.

« Tu te souviens, je t'avais parlé des cellules de notre Cetra ? reprit-elle.

- Bien sûr, tu ne parles que de ça depuis des mois, affirmai-je.

- Et bien, nous avions convenu d'un protocole afin d'en injecter à des souris…

- Attends, vous avez injecté des cellules d'une Ancienne fossilisée à des souris ? répétai-je, un peu surpris par leurs drôles d'expériences.

- Hum, pas tout à fait en fait, répondit-elle en penchant la tête sur le côté. Pour être exacte, il s'agit d'acide ribonucléique. Pour implanter des cellules, il nous aurait fallu des cellules souches. Or, vu l'état dans lequel nous avons retrouvé Jenova, c'était impossible. Avec de l'ADN complet, cela n'aurait pas marché non plus, mais avec l'acide ribonucléique nous… », elle s'interrompit brusquement en voyant le regard un peu perdu que je lui jetai.

« Bon, regarde, ça sera plus simple ! », dit-elle en se décalant pour me laisser la place devant sa table de travail.

Sur celle-ci se trouvait un petit aquarium rectangulaire en plexiglas. À l'intérieur, une demi-douzaine de souris s'agitaient frénétiquement. Certaines se cachaient dans de minuscules boîtes servant de repères, tandis que d'autres jouaient joyeusement. À première vue, rien ne me semblait inhabituel, jusqu'à ce que mon regard se pose sur l'une d'entre elles.

« C'est cette souris là que vous avez torturée, n'est-ce pas ?

- Oh ! Tu exagères, Vincent ! Nous ne l'avons pas "torturée" ! Regarde ! Regarde à quel point elle est devenue plus grande que les autres ! », lança-t-elle en montrant l'animal.

En effet, celui-ci était deux fois plus grand que ses congénères, et son comportement semblait différent. Plus calme, presque serein, ce qui était étonnant pour un rongeur.

« Et ce n'est pas tout ! poursuivit-elle. Elle ne tombe même pas malade ! Nous leur avons injecté des extraits de virus et de bactéries, et celle-ci a résisté à tout ce que nous avons essayé de lui donner ! C'est incroyable ! Ses cellules semblent se régénérer beaucoup plus rapidement aussi ! »

Elle marqua une pause, avant de me dire :

« Si tout se passe bien, nous pourrons bientôt entamer des essais sur des humains…

- Sur des humains ? Vous n'allez pas un peu trop loin là ?

- Pourquoi donc ? Les tests sur les injections de Mako ont déjà été très concluants. Si cela peut rendre les humains plus forts et plus résistants, nous pourrions peut-être lutter contre certaines maladies et...

- Et, un jour viendra où vous irez trop loin ! la coupai-je. Pourquoi ne pas faire vos tests sur des nourrissons tant que vous y êtes ! »

Je la vis se renfrogner. Nous avions déjà eu cette discussion sur les expérimentations humaines, par le passé, et elle savait parfaitement ce que j'en pensais. Si, pour les scientifiques de la Shinra, elle y compris, c'était clairement la voie à suivre car cela représentait l'évolution de la société et un progrès indéniable, mes propres convictions différaient grandement. Néanmoins, en tant que simple TURK, je n'avais aucune influence sur les décisions prises.

Ainsi décidai-je de changer de sujet :

« Bon, en attendant, il est temps de manger ! Parce que toi, tu n'es pas une surhumaine !

- Oui. Tu as raison ! Je meurs de faim ! Avoua-t-elle en posant sa main sur son estomac.

- Ah ! Tu m'en vois ravi ! »

Elle ôta sa blouse qu'elle accrocha aux patères à côté de la porte. Puis elle se retourna en m'interrogeant, curieuse :

« Vraiment ? Pourquoi ça ?

- Tu verras ! C'est une surprise ! »

Nous remontâmes jusqu'à l'étage et elle me suivit jusqu'au salon. Lorsque ses yeux se posèrent sur la table, son sourire radieux et la pointe d'émerveillement dans son regard m'arrachèrent un sentiment d'amour comme elle seule savait me le faire éprouver. C'était dans ces moments-là que je me rendais compte à quel point elle était précieuse pour moi.

«Et bien Vincent ! Tu as mis les petits plats dans les grands !

- Comme je savais que nous n'étions que tous les deux, je me suis dis que c'était l'occasion de passer une soirée agréable.

- Tu as même remonté le tourne-disque ! »

Pendant que je nous servais deux grands verres de vin, elle actionna le mécanisme de l'appareil. Celui-ci grésilla quelques secondes, avant qu'une douce musique classique n'envahisse la pièce. Alors que nous trinquions, chaque infime détail de son élégant visage se gravait dans ma mémoire.

Sans être raffiné, le dîner que m'avait concocté le cuisinier de l'auberge réussit à combler nos papilles affamées. Le menu se composait d'un velouté de légumes de saison, suivi d'une tourte de volaille aux champignons absolument délicieuse. Cependant, c'était le dessert qui avait irrémédiablement conquis le cœur de ma bien-aimée : elle avait une passion pour les douceurs, et la tarte renversée à la Pom'sotte et aux amandes avait été une véritable révélation pour elle.

Nous partageâmes un moment des plus agréables, et la bouteille de vin que nous avions vidée dans son intégralité nous aida à nous sentir un tantinet guillerets, presque euphoriques. Elle avait changé les morceaux du tourne-disque à plusieurs reprises. Une fois notre repas achevé, c'était une musique douce, captivante et mélodieuse qui se déployait dans le petit salon. Le rythme était lent et sensuel, il invitait à la tendresse, à l'intimité…

Rassemblant mon courage, je me levai et lui proposai ma main. Je savais qu'elle adorait danser, mais les occasions se faisaient plutôt rares depuis le début du projet à Nibelheim. Certainement enhardie par l'alcool, elle accepta mon invitation muette.

Je la serrai contre moi, sa main délicate dans ma paume, son autre main posée sur mon avant-bras, la mienne abandonnée au creux de sa taille. Nos regards accrochés l'un à l'autre, elle me souriait, radieuse. Mes doigts s'entrelacèrent instinctivement aux siens et je rapprochai son corps gracile au mien.

Je ne voulais pas que cette soirée s'achève. Jamais.

Les choses auraient-elle pris une telle tournure, si une violente bourrasque à l'extérieur n'avait pas arraché une partie du dispositif électrogène, nous plongeant brusquement dans l'obscurité ? Cette question demeurera à jamais sans réponse.

Le morceau sur lequel nous dansions venait de s'achever, mais ni elle ni moi n'osâmes faire le moindre geste. Le temps paraissait suspendu.

Le son lointain de la pluie qui battait contre les fenêtres s'ajoutait à la symphonie de notre propre respiration. Nous restâmes immobiles, bercés par la musique de l'averse et l'intimité que nous avions créée.

Peut-être que le destin avait orchestré cette bourrasque pour nous rapprocher davantage, pour nous donner l'occasion de nous perdre encore plus profondément l'un dans l'autre.

Nimbés par la lueur des bougies que j'avais allumées plus tôt, son regard de jade m'envoûtait.

Tout à coup, je la vis s'approcher et quelque chose de doux et humide effleura ma joue. Puis mes lèvres. Ça n'était que de chastes baisers, des caresses furtives, mais mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine.

Sa main remonta jusqu'à ma joue. Tendrement, je murmurai son nom :

«'Lucia… »

Elle posa son index sur mes lèvres :

« Chhhh… » susurra-t-elle, en capturant de nouveau ma bouche avec la sienne.

Je mentirais si je disais que je n'avais pas rêvé de cette scène un nombre incalculable de fois, et ce fut pour moi impossible de la repousser. Je l'aimais, à en mourir.

Je répondis à son timide baiser en lâchant la bride à mon propre désir. Plus fougueux, j'approfondis cet échange en lui faisant prendre un chemin plus sensuel.

Ma langue caressait la sienne, ma main droite glissait dans sa longue chevelure soyeuse, retenue en queue par son éternel ruban. La gauche se perdait au creux de ses reins.

Un doux gémissement lui échappa, elle me chuchota alors entre deux baisers :

« Vincent…aime-moi. Juste pour cette nuit…aime-moi… »

J'étais à l'aube de mes vingt-sept ans. Sans être un bourreau des coeurs, je n'étais pas non plus totalement innocent, j'avais donc déjà eu quelques expériences amoureuses. Je savais qu'elle aussi, avant son mariage, avait déjà connu l'amour entre les bras de son ancien petit ami. Ce qui, d'ailleurs, me rassurait ; un profond sentiment d'effroi me saisissait en imaginant que Hojo aurait pu être son premier amant.

Crédule, j'espérais qu'une première nuit pourrait conduire à une deuxième. Puis une troisième. Ainsi, petit à petit, elle aurait fini par quitter son mari.

Je l'embrassais toujours passionnément lorsque je la soulevai entre mes bras pour la porter à l'étage. Dans le secret de sa chambre, la passion dévorante que j'avais pour elle depuis si longtemps prit le contrôle de mes gestes les plus intimes et je m'ingéniai à faire monter son désir en parcourant son cou de baisers, tandis que ma main dégrafait un à un les boutons de son chemisier bleu à volants. Celui-ci chuta vaporeusement par terre, bientôt rejoint par mon t-shirt, qu'elle m'aida à faire passer par-dessus mes épaules. À demi-nu, je dévorai ses lèvres, grisé par le contact de sa peau contre la mienne. Je me souviens encore de sa douceur, de son parfum…

Rapidement, le reste de nos vêtements empruntèrent le même chemin. Nus, allongés côte à côte entre ses draps, ses soupirs lascifs exacerbèrent mon envie d'elle, néanmoins je tenais à faire durer ces instants aussi longtemps qu'il me l'était possible. Ainsi, je m'attardai dans les caresses voluptueuses que je lui prodiguais durant un long moment.

Abandonnée entre mes bras, elle se donna entièrement à moi et l'extase que nous atteignîmes fut sans commune mesure.

Nous fîmes l'amour deux fois cette nuit-là, avant de nous endormir, exténués. L'aube nous cueillit dès le lendemain, tendrement entrelacés sur sa couche. Trop vite à mon goût, il nous fallut nous séparer. Les autres professeurs n'allaient certainement plus tarder à rentrer de leur petit séjour.

Cette nuit fut pour moi inoubliable. Elle hante encore mon coeur et mon corps.

Pendant les semaines qui suivirent, je gardais l'espoir insensé qu'une occasion similaire à celle qui nous avait rapprochés cette nuit-là se présente à nouveau. Mais en vain. Hojo était constamment présent, et leurs recherches les absorbaient à tel point qu'ils avaient à peine le temps de prendre un repas de temps en temps. Rapidement, le comportement de Lucrécia à mon égard devint également plus distant. À ce moment-là, je commençais à penser que les remords et la culpabilité la rongeaient peut-être…

Environ deux mois et demi après cette nuit mémorable, je rentrais d'une courte mission qui m'avait fait rapatrier à Midgar. C'est alors que je les surpris, Hojo et elle, dans le bureau. Une atmosphère tendue semblait flotter dans l'air. Mon regard se posa sur Lucrécia, mais elle détourna les yeux. Elle paraissait mal à l'aise.

« Ah Vincent ! Tu arrives à point nommé ! Nous avons justement quelque chose à t'annoncer ! », s'écria le professeur.

Il souriait, mais son sourire avait quelque chose de déplaisant, de néfaste.…

« Lucrécia attend un heureux évènement ! » confia-t-il en posant sa main sur l'épaule de 'Lucia, juste avant d'aller s'asseoir sur la chaise, derrière le bureau au fond de la pièce.

Pris au dépourvu, je mis quelques secondes à réagir. Cette nouvelle me choquait. Néanmoins il fallait que je me secoue, sans quoi mon comportement s'avérerait suspect. Feignant l'enthousiasme, je déclarai :

« C'est…c'est merveilleux ! Toutes mes félicitations !

- Et ça n'est pas tout ! continua-t-il. Nous avons décidé de faire de notre enfant le tout premier humain qui bénéficiera des gènes des Anciens, in-utéro !

- C'est…c'est vrai ? balbutiai-je, complètement abasourdi par cette révélation.

- Qu'est-ce qui est "vrai" ? », demanda-t-il.

Je perçus un mépris flagrant dans sa voix nasillarde. Pris d'un élan de panique, je protestai :

« Que le docteur Crescent…que Lucrécia veut prendre part à ce projet ? »

Le visage de Hojo ne se séparait plus de ce rictus odieux. J'aurais donné cher pour le voir disparaître.

Je me tournai vers Lucrécia. Elle me rétorqua :

« Oui, c'est vrai. Pourquoi es-tu si surpris ? »

L'émotion dans sa voix était palpable. Je sentais bien que quelque chose n'allait pas. J'aurais tellement voulu pouvoir lui parler, seul à seul. Sur le coup de l'émotion, j'aurais certainement eu le courage de lui poser la question qui me brûlait les lèvres. Ce courage qui me fit tant défaut par la suite…car j'avais si peur de sa réponse.

« Mais…mais, utiliser ton propre enfant…pour des expériences, bredouillai-je.

- Je ne sais pas ce que tu sous-entends, mais elle et moi sommes des scientifiques. Nous savons ce que nous faisons ! Tu es la dernière personne ici à avoir son mot à dire là dedans ! Maintenant, fiche-nous donc la paix ! », fulmina Hojo à mon encontre.

Oui, quelque chose n'allait vraisemblablement pas. Dans ma tête, j'avais la conviction profonde que je devais agir, que je devais m'immiscer dans ce projet, dans cette folie. Je n'en fis rien car, à cette époque, je manquais cruellement de courage.

« Mais…

- Mais quoi ? Si tu as quelque chose à dire, dis-le ! » s'emporta Lucrécia.

Que voulait-elle que je dise ? Aurait-elle souhaité que j'intervienne ? Aurait-elle voulu que je clame haut et fort, en face de celui qu'elle avait pris pour époux, que cet enfant n'était sans doute pas le sien ? Que j'avais parfaitement le droit d'avoir 'mon mot à dire', car il s'agissait probablement de mon bébé !

« Tu es sûr que c'est vraiment ce que tu veux ? » fis-je, résigné, à l'intention de ma bien-aimée.

Elle releva enfin ses grands yeux verts dans ma direction et objecta, furieuse :

« Est-ce que j'en suis sûre ? Est-ce que j'en suis sûre ! Si cela ne concerne que moi, alors oui, j'en suis sûre ! »

Je soupirais. Je n'avais pas mon mot à dire. Je n'étais que le TURK qui ne comprenait rien à la Science. C'est ce dont j'essayais de me convaincre. Je n'ai rien fait. J'ai simplement regardé. Je n'ai même pas essayé de l'arrêter…

Y avait-il une raison plus profonde, qui puisse expliquer le fait qu'elle l'ai laissé mener ce projet, sans jamais s'y opposer ?

Les premières semaines s'écoulèrent sans que le moindre incident ne vienne perturber sa grossesse. Elle était même plus resplendissante que jamais. Nos conversations étaient rares, souvent limitées à des échanges banals sur la vie quotidienne. Trop de tensions et de non-dits demeuraient entre nous.

Pourtant, un souvenir particulier reste gravé dans ma mémoire : cela se produisit un après-midi, au début du mois de février. La météo était radieuse, et, par pur hasard, je trouvais ma bien-aimée dehors, assise dans le vieux rocking-chair sur la grande terrasse donnant sur les jardins. Orientée au sud, cet endroit baignait dans la douce chaleur du soleil, ce qui annonçait un printemps fort précoce.

Elle était occupée à confectionner une petite brassière pour nouveau-né. Son ventre s'était légèrement arrondi, ce qui la rendait encore plus magnifique à mes yeux.

Je m'approchai paisiblement et l'interpellai :

« De la laine blanche ? Tu ne veux donc pas savoir si ça sera un garçon ou une fille ? »

Elle s'arrêta de fredonner à mon approche, mais continuait toujours de se balancer tranquillement dans sa chaise, les yeux rivés sur son ouvrage.

« J'ai commencé à tricoter cette brassière dès que j'ai su que j'étais enceinte, m'expliqua-t-elle. Je me suis dis qu'il allait bien me falloir neuf mois pour l'achever ! C'est pour ça que j'ai choisi du blanc… »

Elle était néanmoins plus pâle qu'à l'accoutumé, mais à ce moment-là, je ne m'en inquiétai guère, mettant cela sur le compte de sa grossesse.

« Et maintenant ? Sais-tu quelle couleur tu aurais dû choisir ? repris-je, curieux.

- Et bien…disons qu'il n'aurait pas fallu que je choisisses du rose ! fit-elle avec une pointe d'humour.

- C'est un garçon ?

- Ah ! Ah ! Oui ! C'est un garçon ! »

Son rire éclata joyeusement. Elle était heureuse d'attendre cet enfant, et cela la rendait éblouissante.

« J'espère qu'il te ressemblera, lui confessai-je.

- Ça ne serait pas si terrible s'il ressemble à son père », me répondit-elle.

Etait-elle vraiment sérieuse ? Pensait-elle réellement que le physique de son époux n'était pas 'si terrible' ? Ou bien…

Je la vis arrêter subitement ses mouvements de bascules, ainsi que son tricot, pour se concentrer sur je ne savais trop quoi. La main sur son ventre, elle poussa un petit cri :

« Oh !

- Tout va bien ? demandai-je, inquiet.

« Il….Il a bougé !

- Qui ?

- Comment ça 'qui' ! Enfin Vincent ! Le bébé ! Oh ! Il bouge encore ! Viens ! Donne-moi ta main ! »

Un peu hésitant, je m'accroupis juste à ses côtés. Elle m'attrapa la main avec insistance et la posa sur son ventre. Un peu gêné, j'entamai :

« Je ne sens ri…Oh ! Wow !

- Ah ! Tu l'as senti !

- Oui ! Il m'a donné un coup ! »

Nous éclatâmes de rire.

« Tu as déjà une idée de prénom ? cherchai-je à savoir, curieux.

- Oui.

- Et comment s'appellera ce jeune homme ?

- Mmh…et bien, j'avais pensé à…Sephiroth…

- Sephiroth ? répétai-je. C'est joli. D'où te vient ce prénom ?

- Ah ! C'est un secret !

- Sephiroth Crescent…ça sonne plutôt bien », concédai-je.

la main toujours posée sur l'abdomen de ma bien-aimée, le petit être qu'elle portait était décidément bien vif :

« Ah ! Il est d'accord ! Il vient de me redonner un coup !

- Ou alors il n'aime pas du tout ! » conclut-elle en riant joyeusement.

Notre petit intermède fut interrompu lorsque le professeur Gast s'en vint quérir Lucrécia. Lui et Hojo avaient besoin d'elle, en bas, au laboratoire. Déçu, je la vis se lever et le suivre à l'intérieur.

Les regrets ne changent pas le passé. Mais je ne peux m'empêcher de penser… de regretter...de ne pas avoir agi. De ne pas l'avoir éloignée. Loin de la Shinra. Loin de Hojo. Dans un endroit où elle aurait eu la possibilité d'élever ce fils qu'elle chérissait tant.

La suite des évènements fut une véritable descente aux enfers. Mon inquiétude grandissait de jour en jour, alors qu'elle se montrait de plus en plus épuisée et livide, au point qu'elle perdait fréquemment connaissance sans explication. Les remords quant à ma tentative avortée de la dissuader d'accepter ce projet insensé me rongeaient.

Le jour où je la trouvai inconsciente au milieu de sa chambre fut la goutte qui fit déborder le vase. Il était impératif d'agir avant qu'un drame ne se produise. La peur de la perdre, qu'un malheur ne la frappe, elle, ainsi que l'enfant qu'elle portait, m'envahissait.

Prêt à en découdre avec son époux, je descendis au laboratoire. La mémoire me joue des tours car, à partir de ce moment, et jusqu'à mon réveil dans ce cercueil, trente années plus tard, tout reste flou.

Je me souviens m'être emporté contre Hojo. Les mots durs ont fusé, je l'ai traité de « fou » et lui ai lancé des menaces pour qu'il arrête ses expériences. Le temps s'est arrêté lorsque j'ai vu qu'il sortait un revolver de sous sa blouse. Trop tard pour réagir. La détonation retentit, suivie de son rire dément. Puis Lucrécia est arrivée. Son visage exprimait l'horreur face à ce qui venait de se passer. Les larmes coulaient. Ensuite, tout s'est embrouillé dans mon esprit, une mosaïque d'images et de sons fragmentés.

Je me souviens des tortures infligées par Hojo, de la douleur insupportable. Après m'avoir catalogué comme une « expérience ratée », c'est Lucrécia qui a tenté de me sauver. Je me souviens de la cuve dans laquelle elle m'a placé. Une solution désespérée. Elle a pris la décision d'implanter en moi les gènes de Chaos, une créature qu'elle avait étudiée pendant des années.

Des flashs de mémoire me montrent son visage derrière la vitre teintée de cette étrange prison de verre. Et…sa voix…qui hurle face à Hojo…désespérée :

« Rends-moi mon fils ! Tu entends ! Rends-le moi ! Laisse-moi le voir ! Ne serait-ce qu'une seule fois ! »

Était-ce le mien également ? Était-ce mon fils qu'elle avait porté ?

La première fois que je tombai nez à nez avec lui, lorsque je fus aux côtés du jeune Cloud et de son équipe, je ne pus ignorer l'absence de ressemblance avec son supposé géniteur, Hojo. Rien dans son apparence ne rappelait cet homme abominable...

Quoi qu'il en soit, cette créature n'était plus mon fils. Mon véritable fils était mort il y a plusieurs années déjà.

Même si j'ai fini par retrouver ma bien-aimée, enfermée pour l'éternité dans son cristal de Mako, je ne peux me résoudre à lui poser cette question. C'est inutile. Au fond de moi, je connais déjà la réponse. Et cette réponse ne fait que renforcer le poids de mes remords.

J'ignore combien de temps je vivrai, mon espérance de vie ayant été considérablement augmenté par mes nouveaux gènes. Quelque part, je me dis que mon cauchemar ne fait sans doute que commencer…et que c'est le prix payer pour mon péché…

Fin