Le repas se déroula dans une ambiance un peu lourde, selon Jackson. La raison ? Stiles. Pas qu'il ait fait quoi que ce soit de particulier ou qu'il respire le mal-être, simplement… Il ne parlait que peu, n'ouvrait la bouche que pour dire le nécessaire. Et ça, c'était un changement que Jackson trouvait particulièrement déroutant. Actuellement, il se repérait grâce à la routine. Il aimait sentir qu'il avait l'habitude de quelque chose, savoir ce qui allait arriver, ne pas avoir de surprise. Or, le semi-mutisme de Stiles en était une. Jackson adorait le silence, là n'était pas le problème, simplement… C'était rassurant, d'entendre l'hyperactif parler de tout et n'importe quoi lorsqu'ils mangeaient, tous les deux. Sa voix participait à son ancrage dans le réel, lui évitait de se perdre dans ses pensées volatiles et volubiles. Son esprit fonctionnait toujours trop vite, sans cesse à la recherche du moindre élément inquiétant qui pourrait s'avérer être une menace pour lui.

- Tu veux un yaourt ?

Jackson releva brusquement les yeux vers Stiles, qui le regardait d'un air atrocement fatigué. Mais il faisait l'effort de sourire un peu, comme toujours, de faire bonne figure. Le kanima secoua la tête et la baissa vers son assiette. Il n'était pas du genre à prendre un dessert, surtout lorsqu'il voyait qu'à côté, il peinait à manger la moitié de ce qu'on lui servait. Pourtant, Stiles faisait l'effort de toujours lui donner une part réduite, histoire de ne pas lui faire peur : même ça, ce n'était pas suffisant. Alors non, Jackson ne gaspillerait pas davantage alors qu'il se savait incapable de terminer sa propre assiette pour l'instant. Néanmoins, ses yeux accrochèrent à nouveau le visage de l'humain qui, sans se vexer, reprenait une bouchée de riz.

Si Jackson lui avait toujours trouvé le teint clair, sa peau lui paraissait réellement pâle et laissait apparaître un peu plus clairement le résultat d'une nuit quelque peu difficile. Ses cernes commençaient à se voir. Non, Stiles ne lui semblait pas en forme et Jackson espéra qu'il irait rapidement se reposer après le repas. D'ailleurs, il pourrait l'aider, tout ranger une fois le repas terminé, ne serait-ce que pour lui faire gagner un peu de temps… Mais déjà, il s'en sentit incapable. Et s'il cassait quelque chose ? N'en déplaise à Stiles, Jackson continuait de craindre une montée de violence soudaine de sa part… Ça passait devant tout le reste. Ainsi, lorsque son ventre refusa d'accueillir davantage de nourriture, Jackson mit ses mains sous la table, les posa sur ses cuisses. Puis, il les serra en poings en faisant au mieux pour que ses émotions transparaissent le moins possible sur son visage. Il se connaissait l'expression angoissée, mais tenait à ne pas y ajouter la colère qu'il ressentait. Une colère certaine envers lui-même. Celle de ne rien oser, de souhaiter que Stiles puisse se reposer mais de ne rien faire pour l'aider. La peur était plus forte que tout.

Ainsi, c'est à moitié paralysé qu'il regarda Stiles débarrasser à la fin du repas et qu'il l'entendit lui dire qu'il pouvait retourner vaquer à ses occupations sans aucun problème… Ce que Jackson fit, par automatisme. Si le fait de retourner dans sa chambre n'était pas un ordre, le simple fait que Stiles lui en donne l'autorisation, comme toujours, lui donnait pourtant cette dimension-là. Jackson avait un cadre, une « mission », quelque chose de simple à suivre. Alors oui, il s'exécuta… Mais pas sans se sentir mal, sans que son instinct se réveille, commence à l'alerter. Il y avait quelque chose qui le dérangeait, qui n'allait pas vraiment… Qui l'inquiétait.

A vrai dire, il eut besoin de vérifier qu'il se trompait, mais ne fit rien, resta cloîtré dans sa chambre… Jusqu'à ce qu'il sente Stiles s'endormir. De par ses sens surnaturels, Jackson l'épiait en quasi-permanence. Un réflexe chez ce jeune homme qui désirait voir arriver toute menace potentielle. Cette fois-ci, ses dons lui servirent surtout à se donner le courage de redescendre et d'aller voir l'hyperactif.

Stiles ne faisait jamais ça et pourtant, il était là. Allongé sur le canapé, endormi, une serviette humide sur le front. Et c'était bête, mais Jackson fut surpris. Surpris, oui, alors qu'il avait senti malgré lui sa fièvre, sans vraiment la deviner. Sans même y penser. D'ailleurs, il le vit frissonner dans son sommeil, lui qui n'avait même pas pris de plaid… Sans doute avait-il compris son état et s'était dit qu'il valait mieux rester dans cette configuration, plutôt que de garder son corps chaud. Et évidemment, il ne lui avait rien dit, rien laissé entendre de son état qui ne semblait pas extrêmement gênant, mais pas non plus sans conséquences. En avait-il au moins parlé à son père, ou à Isaac ? Jackson espéra que oui, ou que sa fièvre n'était pas si importante que cela. Par conséquent, il repartit dans sa chambre. Des occupations, il n'en avait pas des tas, mais s'en satisfaisait : lire un livre, s'allonger, regarder le bleu du ciel depuis sa fenêtre… C'était bien plus que ce à quoi il avait droit autrefois. Puis c'était calme, reposant. Il s'agissait d'activités simples qui lui permettaient doucement de se réapproprier son existence, d'agir par lui-même, en solo. Des activités qu'il n'arrivait pas à faire en présence d'autrui pour l'instant, mais… Dans l'intimité de sa chambre, il y arrivait et trouvait que c'était mieux que rien.

C'est alors qu'il se mit à penser à Isaac. Si la chose lui arrivait régulièrement, cette fois-ci fut légèrement différente.

Isaac était redevenu tout ce qu'il n'était plus : fort, sûr de lui et surtout… Il avait guéri. De ce qu'il savait, ils avaient plus ou moins vécu le même genre de choses, mais le fait est qu'il avait suffi de quelques mois à l'autre loup-garou pour guérir. Jackson en était presque au même point, et il peinait à avancer. Parler ne lui semblait même pas envisageable, même s'il lui arrivait parfois d'articuler un mot ou deux lorsqu'il avait besoin de quelque chose de précis… Ou qu'on lui posait une question ouverte, à laquelle répondre oui ou non était impossible. Il y avait, par conséquent, des moments où Jackson se demandait sérieusement comment Isaac avait fait, comment… Il avait réussi à s'en sortir. Si les soins des Stilinski y étaient pour beaucoup dans sa guérison, il était clair que ce n'était pas tout. Quel avait été son déclic ? Si Jackson n'en avait aucune idée, il restait néanmoins certain d'une chose : il enviait Isaac pour sa force et sa guérison. Serait-il capable de suivre le même chemin que lui ?

Il n'allait pas tarder à le savoir.

Car vint un moment, une petite heure plus tard, où il commença à sérieusement s'inquiéter et descendit. Disons qu'il n'avait pas l'habitude d'un Stiles dormant tant de temps en journée. A l'étage, il n'avait rien entendu de plus que de légers bruits de frottement, comme si Stiles se tournait de temps à autres.

Mais en arrivant dans le salon, Jackson cligna des yeux à de nombreuses reprises. Stiles s'était-il levé ? Le canapé, vide de tout occupant, le rendit perplexe. Il tricha alors un peu, étendit ses sens quelque peu bridés par ses blocages personnels… Sans que cela ne donne rien. A vrai dire, Jackson fronça les sourcils. Il n'entendait aucun cœur battre dans la maison et en même temps… Si Stiles était parti, il aurait sans doute perçu la porte d'entrée s'ouvrir et se fermer, puis sa vieille carlingue de Jeep démarrer. Puis de toute manière, l'hyperactif ne s'absentait que rarement et lorsqu'il le faisait… Il le prévenait. D'ailleurs, il se débrouillait toujours pour ne pas le laisser seul dans la maison plus de quelques minutes.

Dans sa paranoïa naissante, Jackson commença à se sentir mal. A traverser la maison malgré le fait qu'il n'entendait aucun cœur battre, que… L'air se faisait graduellement lourd. Sa gorge se nouait, son ventre se serrait.

Mais pas complètement d'angoisse.

Cuisine. Toilettes. Salle de bain. Bureau. Au rez-de-chaussée, tout y passa. Jackson, ignorant la douleur de ses jambes dont les blessures guérissaient fort lentement, décida d'aller voir à l'étage. Entra dans chacune des chambres avec la peur au ventre de se faire surprendre et réprimander pour ouvrir des portes qu'il ne fallait pas. Mais rien, personne. Jackson regarda par la fenêtre de sa chambre, qui donnait sur la petite cour des Stilinski… Et sur la Jeep de Stiles, bien présente, garée à sa place habituelle. Sa respiration se fit irrégulière tandis que son cœur, lui, battait déjà la chamade. Par peur d'avoir manqué quelque chose, Jackson retourna à l'étage d'en-dessous et c'est essoufflé qu'il y arriva. Essoufflé ? Le loup-garou porta une main à sa gorge. C'était comme si un lien l'enserrait et faisait en sorte de réduire la quantité d'air qu'il pouvait respirer. Inspirer commença d'ailleurs à devenir réellement difficile. Jackson mit automatiquement ça sur le compte de l'angoisse qui croissait en lui… Et qui le bouffait, encore et encore. Sauf que sa vue se fit floue et il ressentit le besoin d'ouvrir la première fenêtre qui lui tombait sous la main. C'est alors qu'il tiqua.

Pourquoi l'air de l'extérieur lui paraissait-il aussi pur ? Pourquoi avait-il l'impression de respirer un peu mieux ? Pourquoi… Une violente douleur le stoppa brutalement dans sa réflexion perturbée par le stress.

L'instant d'après, Jackson s'effondra, l'arrière du crâne en sang.