Chapitre 9 : Toute Vérité n'est pas bonne à dire
- Quelle connerie…
Serena maugréait dans son coin. Elle fixait le pupitre du prédicateur qui parlait à grand renfort de gestes amples et brusques. Georges avait décidé d'ouvrir la salle de conférences aux membres d'une branche obscure d'une religion, contre un beau paquet de fric. Elle écoutait, à l'arrière, l'homme menacer les dizaines de personnes rassemblées d'Enfer et de Damnation éternelle si ils ne pliaient pas à tel ou tel précepte d'un autre âge. Lors du passage sur l'avortement et la contraception, Serena fut si offusquée qu'elle pensa : Une petite pression de noûs associée aux photons produits par les néons et je réduis ce type en miettes… ou son pupitre… ça passerait pas pour un châtiment divin ça ? Presque inconsciemment, la jeune femme démarra le processus de concentration et joua à l'élastique avec sa conscience, élargissant ses perceptions et concentrant son énergie qui lui permettait d'agir sur le monde physique. Le processus noétique s'interrompit brusquement quand elle entendit une voix à côté de lui :
- J'ai toujours détesté les prédicateurs…
Elle sursauta et sentit sa conscience claquer comme un élastique. Brusquement paniquée, elle dirigea le faible flux noétique produit par sa courte concentration en direction d'un des muffins disposés sur les tables tout près. D'un coin de l'oeil, elle observa le gâteau redevenir la pâte à dessert bon marché qu'il avait été avant cuisson.
- Putain Ed ! Tu m'as fait flipper… Marmonna la jeune femme
Il lui jeta un regard moqueur et se re-concentra sur le prédicateur. Bien fait pour moi, pensa la jeune femme, j'avais décidé d'arrêter ces conneries.
- Je trouve qu'il s'inspire pas mal de Himmler dans ses gestes…
- Tu dois sans doute vouloir dire Hitler… Corrigea Serena
- Oui, oui… Le fou des années 40… Il faisait ses discours de la même manière. C'est assez flippant de voir que les gens ont l'air réceptif
- C'est une secte Ed… Ils savent attirer les gens désespérés qui sauront sensible à toutes ses conneries, même si elles sont énormes.
- Ça me rappelle des souvenirs. Je trouve ça dégueulasse, de profiter de la misère des gens… Dit Edward, le regard sombre
Serena soupira. Ils gardèrent le silence quelques minutes.
- Pourquoi tu restes à écouter ? demanda le garçon
- Je pourrais te retourner la question, Répondit Serena
- Je reste parce que je veux savoir pourquoi TOI tu restes… Dit Ed, avec un regard de victoire
- Pfff… Je reste parce qu'il est important de s'intéresser à tout. De connaitre les discours et les opinions de tout le monde, même quand ils sont à l'opposé de ce que toi, tu penses. Savoir ce que disent et pensent ceux qui ne sont pas de ton avis, c'est souvent enrichissant. Ça permet de s'ouvrir l'esprit et de reconsidérer ce que tu croyais certain. Et puis, même si ça ne te fait rien reconsidérer du tout, il est important de connaitre les arguments de tes adversaires, afin de pouvoir y réfléchir et de pouvoir les retourner contre eux le moment venu.
- Voilà encore des paroles bien sage maître Jedi, Railla Ed
- Alors moi je te fais découvrir les merveilles du 7ème art et toi, tu les retournes contre moi ?
Georges fit signe aux deux jeunes de revenir à l'accueil. Serena et Edward obéirent et se firent passer un savon :
- Laissez les clients tranquilles ! Ils me payent beaucoup trop cher pour que je vous laisse les embêter
- Avec toutes les saloperies que ce gars a balancées sur les homosexuels, tu les acceptes encore chez toi ? Demanda Serena
- Raison de plus pour leur soutirer le maximum de fric, à ces espèces d'enculés
- Insulte appropriée, Valida Alicia, levant le nez de son livre.
Les deux cadets faisaient sagement leur devoir, dans le petit salon. Serena et Ed les rejoignirent, et la jeune femme leva les yeux très hauts au ciel quand elle survola le devoir de chimie des deux lycéens.
- Vraiment, je ne comprends pas pourquoi ils vous apprennent des théories tronquées.
- C'est pour simplifier les choses, Réna… Dit Alicia, avec lassitude
- J'avoue qu'il manque pas mal de trucs dans tes leçons de chimie organique, Renchérit Edward.
S'ensuivit un échange entre les deux frères, Alphonse soulignant tous les trous existant dans les théories enseignées par le lycée. Ed et Al sortirent alors une quantité industrielle de mots complexes et inconnus à Alicia qui sentait sa perplexité augmenter. Serena, en revanche, plus à l'aise avec les théories exposées par les deux frères, observait l'échange avec un sourire grandissant.
- Attends deux minutes Al… Si ils vous enseignent les liaisons acide-base, comment ils ne peuvent pas vous enseigner le concept de molécule protique ? Demanda Ed, dans son délire chimique.
- Des molécules pratiques ? S'étonna Alicia, s'adressant à sa grande sœur
- PrOtique. Avec un O, comme dans chimie Organique. Répondit-elle avec emphase
- C'est quoi ? J'ai posé la question à Serena ! Merci messieurs ! Dit la cadette des Wolfe en arrêtant les frères Elric qui s'apprêtaient à expliquer.
- C'est quand une molécule peut libérer un ion hydrogène dans son environnement. Les molécules protiques sont des molécules polarisées et les solvants protiques qu'elles forment sont souvent à la base des liaisons acide-base.
Serena se pencha vers les frères Elric, et leur demanda si ils avaient quelque chose à ajouter.
- Non, pas grand chose… C'est essentiel dans la caractérisation des solvants. Certains sont moins protiques que d'autres et il faut donc les associer à une base plus forte pour que l'échange de protons se fasse et que le couple acide-base se forme
- Le proton ? Demanda Alicia d'une petite voix
- L'ion hydrogène, Ali… Tu sais, Ed… Si Alicia ne sait pas ce que c'est qu'un solvant protique, c'est parce que le lycée se contente de leur enseigner les bases. Ce genre de subtilité chimique, c'est enseigné dans les facs de chimie. Pour ceux qui veulent faire de la chimie. Sachant que tu n'as jamais fait d'études supérieures, ni toi, ni ton frère, ça m'étonne pas mal que tu connaisses ce genre de truc.
Toujours le même débat, toujours les mêmes questions. Edward sourit et répondit alors :
- Je peux te retourner la question, encore une fois. Tu n'es pas inscrite en classe de chimie, à ce que je sache.
- Comme tu l'as constaté, je vogue pas mal de cours en cours. J'ai entendu parler de cette notion pendant un de mes voyages touristiques sur les bancs de la fac de chimie
Serena mentait avec aplomb. Cette connaissance, comme beaucoup d'autres, venait de la Vérité. Mais elle ne lâcha pas Ed du regard et continua sur sa lancée :
- Tu sais… Elle est vraiment étrange, votre éducation… Il y a encore un quart d'heure, tu confondais encore Himmler et Hitler. Tu viens d'apprendre l'existence de la guerre de Troie en regardant un film. Et tu n'avais jamais entendu parler de Voltaire avant que je te file sa Pléiade complète. Par contre, vous êtes une vraie encyclopédie en ce qui concerne la chimie, la physique, la biologie. Vous parlez même de concepts obscurs, qui n'existent pas encore ou qui n'existent plus. Il y a de quoi se poser des questions. Qui vous a fait classe ?
Edward se pencha légèrement à son tour et dit :
- Parle moi de ta noétique. Je te parlerai de ma scolarité.
- Toujours la même répartie hein ?
- Et toujours la même réponse de ta part, Dit Edward en s'adossant à son fauteuil, l'air tranquille.
Les deux ainés ne se départirent pas de leur sourire et ne se quittèrent pas des yeux avant de longues secondes. Le jeu continuait. L'essence et le feu, pensa encore une fois Alicia, en retournant à sa chimie organique tronquée.
Deux heures plus tard, Serena regardait partir avec mépris le prédicateur et son équipe.
- Gerbant, vraiment… Dit-elle en se levant pour aider George et Alicia à ranger la salle de conférences.
- Tu sais ma belle… Je te trouve vachement critique de tout ce qui est religion. Dit George quelques minutes plus tard.
- Je pense juste qu'on a peut partir du principe que la religion est une mauvaise idée. 3000 ans que ses conneries existent et tu trouves vraiment que ça vaut le coup, au niveau collectif ? Répondit Serena
- Dieu aide beaucoup de croyants à traverser la vie… Dit George, d'un air posé
- Je te parle pas de Dieu, je te parle de religion
- C'est pareil ! Se récria l'hôtelier
- Non. La religion, c'est toute l'organisation qu'on construit autour de Dieu. Dieu, c'est autre chose. C'est un concept.
- Donc tu crois en Dieu ? Demanda le quinquagénaire en lui donnant une pile de chaise à ranger.
Elle prit son fardeau et demanda :
- Tu parles du Dieu le Père qui sait tout, qui peut tout et qui agit constamment sur nos petites vies humaines ? Qui nous dit comment il faut vivre pour être dans le droit chemin ?
- Bien sûr… C'est ça, Dieu. Non ?
- Alors si Dieu, c'est ça, non, je n'y crois pas. Trancha la jeune femme en se tournant vers le fond de la pièce
- Donc tu crois en rien ?
- J'ai pas dit que je croyais en rien du tout. J'ai dit que je ne croyais pas en cette vision de Dieu. Je pense que ce Dieu n'existe pas. En tout cas, pas sous cette forme.
- Sous quelle forme alors ?
Elle soupira en rangeant les chaises. Serena se tourna vers son ami en disant :
- Pour moi, Dieu... Dieu n'est pas là pour nous dire comment on doit vivre. Il observe, il voit tout, il entend tout. Il ne juge pas, il n'a pas vraiment de notion de bien ou de mal. Il n'est pas là pour ça. Il est là pour surveiller et corriger quand... on marche sur ses plates bandes.
La vision fugace de la silhouette blanche passa devant ses yeux. Le murmure des milliers de voix reprit à son oreille : Petite idiote.
- Il est bizarre, ton Dieu… S'étonna George
- Si tu le dis, Sourit Serena en lui prenant le tas de chaises suivant.
- Ça ne sert à rien de le prier alors, ton Dieu... D'ailleurs, tu l'appelles comment ? Dieu ?
- Je l'appelle pas. T'as raison, ça sert à rien de le prier. Il s'en fout, des prières humaines. C'est... L'Univers et la Particule. Le Tout et l'Un. L'Origine et le Monde. La Cause et ses Effets.
Elle soupira en posant les chaises à leur place. Elle dit pour finir, d'une voix étrange :
- Mais la plupart du temps, quand j'y pense ou quand j'en parle... je l'appelle « La Vérité »
- La Vérité ?
- La Vérité. Confirma Serena
Elle voulut se tourner et adresser un sourire à George, quand elle croisa le regard d'Edward, sur le pas de la porte. Il la regardait, comme paralysé de stupeur. Serena lut dans le regard d'Ed une lueur étrange, mélange d'émotions contradictoires. Il y avait de l'espoir, de la peur, de la compréhension. Mais aussi et surtout, une étincelle de mépris. Tout sourire disparut de son visage et, pendant quelques secondes, l'Univers tout entier s'évanouit. Ils ne restaient plus qu'eux, tous les deux, leurs regards fixés sur celui de l'autre. Les souvenirs de la Porte de la Vérité assaillirent à nouveau la jeune femme. L'ignorance vertigineuse et l'effrayant savoir infini. La douleur glacée que la Vérité avait imposée à son esprit. Et la sensation désagréable d'une cicatrice qui s'ouvre à nouveau. L'expérience unique d'un enfant qui fait une bêtise trop grosse pour lui et qui en subit les conséquences. Et lui, face à elle, qui semblait comprendre.
Serena s'appuya contre les chaises qu'elle venait de poser et sentit alors un poids se libérer de sa poitrine. Il comprenait. Edward Elric comprenait. Elle le voyait dans son regard. Les mots qu'elle avait employé - Dieu, le Monde, l'Univers, la Vérité - faisaient écho chez lui, elle le sentait. Si il comprend, c'est que peut être, il l'a vu aussi… Je ne suis pas seule.
Edward ouvrit la bouche et dit :
- La Vérité hein ? Intéressant, comme choix de vocabulaire.
Les mots étaient cinglants, durs. Pleins de cette ironie vicieuse qu'elle n'avait entendu qu'une seule fois et qui hantait encore ses cauchemars. Petite idiote… Tu t'es dit que ça pouvait être intéressant de jouer à Dieu…Pourquoi donner alors que je peux prendre… ma petite scientifique adorée… Il ne la comprenait pas. Elle n'avait pas trouvé un frère d'arme mais un juge. Quelqu'un qui la méprisait, parce qu'elle était méprisable. Un profond sentiment de colère et de désespoirs lui tordit le ventre. Elle répondit, hargneuse :
- Mais c'est parce que je suis une personne intéressante, sale microbe !
Sans attendre que quiconque ne relève et sans laisser le temps à Ed de réagir, elle s'enfuit vers l'étage.
Quand elle entra dans sa chambre, elle était beaucoup plus essoufflée qu'elle aurait du être. Elle alla se passer de l'eau sur le visage et contempla son reflet dans la glace. Pendant un court instant, elle revit l'adolescente paumée dans sa propre tête qu'elle avait été. Elle prit plusieurs grandes inspirations et s'adressa à son reflet :
- Ne rêve pas. Ne cherche pas à te rassurer. Voir la Vérité, c'est pas si commun. Tu te cherches simplement des excuses. L'idée que quelqu'un ait plus être aussi stupide que toi.
Elle chassa les dernières images de la Porte et de la Vérité. Elle chassa les dernières sensations de brulure. C'était du passé. Il lui avait fallu des années pour s'en sortir. Hors de question qu'un malentendu entre elle et son voisin de chambre ne la fasse replonger dans des souvenirs et des regrets qu'elle avait réussi à mettre de côté.
Elle sortait tout juste de la salle de bain quand la porte de la suite s'ouvrit pour laisser passer Edward Elric. Elle sursauta. Pour couvrir son malaise, elle cria.
- Personne ne t'a appris à frapper, avant d'entrer chez les gens, le nain ?
Pour la seconde fois, Edward ne releva pas la provocation. Il avait toujours la même lueur dans les yeux mais cette fois, le mépris dominait. Serena se sentit agressée par son regard et lui dit :
- Ne me regarde pas comme ça
- Tu ne m'as pas répondu
- Je n'ai pas dû considérer que ta question avait de l'intérêt. Sors de chez moi.
Ed ne bougea pas. Il continua :
- Vraiment intéressant, ton concept de Dieu. Le Monde, le Tout et l'Unique, l'Univers. La Vérité.
- Chacun sa façon de voir le Très-Haut.
- Le plus intéressant, c'est de voir à quel point tu as l'air certaine de ce que tu avances. Comme si tu l'avais vu de tes propres yeux.
Il s'avança vers Serena qui, pour la première fois depuis de longues années, détourna les yeux. Edward avait remarqué la vulnérabilité de la jeune femme mais il n'était pas connu pour faire preuve de délicatesse. Il voulait la mettre au pied du mur. Il fallait qu'il soit sûr.
- Serena...
- Lâche moi et dégage !
- Qu'est ce que tu as fait ? Dit Edward, d'un ton dur et ferme.
Serena prit une respiration douloureuse. Elle le regarda dans les yeux et dit, sur le même ton :
- Rien de se qui te regarde
- Me prends pas pour un con putain !
Ed la prit par les épaules et la força à le regarder droit dans les yeux. Il dit, plein de colère :
- Qu'est ce que tu as fait ?
- Lâche moi tout de suite. Ou la suite ne va pas te plaire.
Mais Edward serra plus fort. Elle menaçait en l'air. Elle se sentait vide.
- Tu as ouvert la Porte pas vrai ? Hein ? Hein ?
Il la secoua, sans trop de brusquerie mais fermement. Elle baissa la tête. Edward la lâcha, dégouté. Il avait sa réponse. Il dit :
- Alors tu es bien plus idiote que je ne le pensais.
Le mot idiote réveilla la colère et la force de la jeune femme. Elle fonça vers le jeune homme en train de quitter la pièce et d'un geste ferme, elle le plaqua contre la porte. Elle cracha :
- Évidemment Edward ! Évidemment que j'ai ouvert la Porte. J'ai vu ce qu'il y avait dedans. J'ai vu la Vérité ! Évidemment !
L'ado perdue était partie, remplacée par la colère froide d'une adulte qui refusait de se laisser mépriser. Elle continua :
- Évidemment que j'ai été stupide Edward. Mais j'avais 12 ans. J'étais seule ! Ma mère était malade, elle délirait toute la journée ! Et dès que la nuit tombait, elle hurlait ! Toutes les nuits ! Mon père s'est barré ! Ma grand mère était en train de développer la même putain de maladie. J'étais seule au monde, pauvre con ! J'étais seule avec ma petite soeur ! Deux gamines face au monde.
Elle serra le poing et continua sur sa lancée :
- J'avais 12 ans et rien d'autre que mon putain de cerveau pour nous sortir de la merde. Moi et ma soeur. Ma petite soeur que j'avais juré de protéger. Alors oui, j'ai fait une connerie. Je me suis pris pour Dieu. J'ai voulu guérir ma mère. Je me suis servie de la noétique. Cette putain de science que tu veux absolument que je t'apprenne !
Elle le lâcha et recula. Elle étendit les deux mains, paumes contre le ciel et dit, avec la même ironie qu'il avait utilisé quelques instants plus tôt :
- Tu veux que je t'apprenne ? C'est ça, la noétique !
Ed sentit les manches de sa veste se déchirer et voler littéralement vers les deux paumes ouvertes de Serena. Elles formèrent deux boules rougeâtres et s'enflammèrent. D'autres objets dans la pièce prirent leur envol pour léviter autour de la boule de feu d'un air menaçant. Les yeux dorés d'Ed s'agrandirent. Serena continua :
- Le pouvoir presque absolu de l'esprit entrainé sur la matière. La volonté qui modèle le monde. C'est ça que j'ai voulu accomplir.
Elle ferma les poings et les deux boules de feu se désintégrèrent en deux paquets de tissus noircis qui s'écrasèrent au sol. Les autres objets retournèrent sagement à leur place.
- C'est ça que j'ai accompli. Je savais faire. Mes théories me semblaient parfaites. J'avais 12 ans putain ! Je croyais que je pourrais faire reculer la maladie de ma mère. La faire retourner dans les gènes dont elle était issue. Je voulais remonter le temps. Modifier l'essence de l'esprit de ma mère. Mais c'est impossible. C'est comme si j'avais voulu ressusciter une morte.
Elle semblait épuisée, à présent.
- J'ai franchi la ligne et j'ai été punie. J'ai vu la Vérité. J'ai eu accès à… tout ce savoir… Et comme j'avais pris, je devais rendre. J'ai été punie. Parce que j'ai été stupide.
- Qu'est ce qu'elle t'a prit ? Dit Ed, d'une voix rauque.
- Du Temps.
La surprise se peignit sur les traits de l'ainé des deux frères.
- Ce que j'avais de plus précieux. Deux ans de passé effacés. Les derniers souvenirs de ma mère en vie. Les derniers souvenirs de ma grand mère en bonne santé. Les derniers souvenirs du temps où j'avais une vraie famille. Et surtout, elle m'a pris deux ans de mon avenir. J'ai été dans le coma pendant deux ans. Ma grand mère ne pouvait plus s'occuper d'Alicia. Ma mère est morte et je n'ai même pas pu assister à son enterrement. J'ai laissé ma petite soeur. Je l'ai abandonné. J'avais juré de ne jamais la laisser seule mais je l'ai fait parce que j'ai été trop stupide ! Voilà ce que la porte m'a pris. Ce n'est pas un organe, un membre ou je sais pas quoi. Mais ça laisse des traces qui ne s'effaceront jamais. Voilà ce que la Porte m'a laissée. Du savoir à ne plus savoir quoi en foutre et des regrets.
Edward et Serena se regardèrent longuement. Elle était épuisée, comme si le fait de parler de son passé lui faisait revivre toutes les misères qu'elle avait vécues. Ed, de son côté, sentait le monde tanguer sous ses pieds. La Porte existait de ce côté aussi. La Vérité était toujours là, au dessus de lui, à contempler son oeuvre. Il fut arraché de ses pensées par les paroles de Serena :
- Si la Porte t'est familière, si tu sais que la Vérité réclame un tribut… C'est que tu as été aussi stupide que moi…
Edward sentit son coeur tomber dans sa poitrine. Une pensée égoïste fusa dans son esprit. Je ne veux pas qu'elle sache. Elle pourrait pas comprendre. Elle va me traiter comme un monstre. Je veux pas qu'elle sache. Il fit le geste de partir mais elle l'en empêcha.
- Compte pas t'échapper aussi facilement…
Son regard doré rencontra le bleu infini de Serena et il craqua à son tour, hurlant dans la chambre :
- Je ne veux pas m'échapper ! Qu'est ce que tu veux que je te dise, tu as tout résumé ! Moi, je n'ai pas voulu sauver ma mère, j'ai voulu la ramener à la vie !
Cette fois, ce fut au tour de Serena d'écarquiller les yeux. La résurrection ? Vraiment ? Si certains l'abordaient dans les écrits, elle avait toujours considéré cela comme un mythe. Comme le tabou ultime. Pas étonnant qu'il ait été puni. Mais Ed ne s'arrêta pas là et continua sa confession :
- Sauf que j'ai été encore plus stupide que toi. J'ai entrainé mon frère avec moi. On l'a fait ensemble. On a été puni ensemble. Ils m'ont volé une jambe et le corps de mon frère. J'ai dû sacrifier un bras pour le ramener et le rattacher à une armure. Pendant des années, on a lutté de toutes nos forces, affrontés des choses horribles. On a vu des gens mourir et d'autres commettre des actes abominables. Et on a fini par s'en sortir. Contre un autre sacrifice de taille…
La jeune femme ne comprenait rien. Rattacher une âme à une armure ? Perdre puis récupérer un bras, une jambe, un corps tout entier que la Porte avait pris ? Hésitante, comme timide, Serena avança la main vers le trou béant qu'elle et la noétique avaient fait dans la veste d'Edward et qui laissait apparaitre son bras. Elle toucha délicatement la peau de son ami. Il frissonna à ce contact et croisa son regard. Il fut surpris. Il n'y avait ni mépris, ni peur dans le regard de Serena. Juste de la compassion et de l'incompréhension. Il sentit alors combien il avait été injuste avec elle.
- C'est ton vrai bras. Dit-elle simplement en retirant sa main.
- Je t'ai dit… On a tout récupéré.
- Comment… Ça veut dire qu'on peut récupérer notre tribut ? Qu'on peut reprendre à la Vérité ce qu'elle nous a prit ?
L'espoir perçait dans sa voix. Le soulagement aussi. D'avoir enfin trouvé quelqu'un qui avait traversé la Porte. D'avoir enfin trouvé quelqu'un qui s'en était sorti, comme elle. Puis les autres questions revinrent.
- Ed… Ce que tu me racontes… La résurrection. Le rattachement d'une âme à un corps étranger non organique. J'ai beau chercher… C'est impossible.
- Je… Oui… C'est impossible… Dit Edward
- Mais alors… Qu'est ce que tu me racontes ?
Serena avait l'air perdu. Elle ne doutait pas de la sincérité du jeune homme. Sa colère et son désespoir avait été trop virulent pour être feints. Elle passa une main dans ses cheveux trop longs, dégageant son visage. Elle ne comprenait pas.
- Je ne peux pas t'expliquer…
- Pourquoi pas ?
- Tu ne comprendrais pas…
- Ne me sous-estime pas. Je suis ouverte d'esprit.
- Serena… Je ne veux pas...
- Quoi ? Me dire ?
- Non… je ne veux pas que tu penses que je suis un monstre.
Elle fut soufflée. Edward avait encore une fois l'air totalement sincère. Elle prit son temps, fit défiler des dizaines d'hypothèses dans son esprit, dont celle, totalement absurde, de la magie noire. Puis, elle finit par dire :
- Encore une fois Ed… Je suis ouverte d'esprit.
- Serena…
- Je te rappelle que j'ai fait voler et s'enflammer des morceaux de tissus il y a cinq minutes. Il y a 500 ans, j'aurai été brûlée pour ce genre d'exploits. Je suis calée, question monstre.
Sa dernière réplique arracha un sourire au jeune homme. Il se redressa et dit :
- Très bien. Si tu veux entendre toute l'histoire, je vais devoir appeler Alphonse.
Il se dirigea vers la porte et elle ne le retint pas. Elle lui demanda :
- Et elle s'appelle comment cette histoire ?
Il se retourna et lui dit, avec un sourire triste :
- L'Alchimiste Fullmetal. Et crois moi, ça tient en plusieurs heures.
