Quand Dean émerge, il fait encore nuit. Il cligne des yeux plusieurs fois, un peu surpris de ne pas s'être réveillé en sursaut comme d'habitude, le cœur battant et debout en un clin d'œil. Il grogne et enfonce sa tête dans l'oreiller.
Minute.
Dans sa chambre, la fenêtre est à droite du lit. Là, elle est à gauche, une faible lueur détache un carré dans la pénombre. Il tend la main vers la table de nuit, s'éclate un doigt contre le bois, râle tout bas, et arrive à allumer la petite lampe de chevet. Il promène son regard dans la pièce et tombe sur le sac de voyage bleu de Castiel posé au sol devant l'armoire.
Oh merde.
Pas de psy en vue, et dans le lit il ne perçoit pas d'autre chaleur résiduelle, il a dû partir il y a un bon moment. Un peu honteux mais sans pouvoir s'en empêcher, il prend l'oreiller dans ses mains et le renifle, à la recherche d'un peu de Castiel. C'est léger, mais c'est là, ça sent la cannelle, et il savoure quelques secondes. Il n'a pas envie de se lever. Il est là pour se reposer non ? Personne ne va lui reprocher de le faire, même si c'est dans le lit de son psy. Oh et puis merde, ce sera le problème du Dean du futur. Il éteint la lampe et s'allonge, l'oreiller dans les bras.
Il se réveille à nouveau un peu plus tard, l'aube n'est pas loin de se lever. Cette fois, il est certain de ne plus pouvoir se rendormir. Alors il quitte le lit à regret.
La maison est totalement silencieuse, il marche à pas de loup vers sa chambre pour enfiler quelque chose de plus que son t-shirt et son boxer. Castiel n'est pas là, il n'est quand même pas monté à l'étage ? Avec un sweat et un bas de jogging en plus sur le dos, il se dirige discrètement vers la cuisine, en traversant le salon. Et là, il le voit, allongé sur le canapé en cuir, vaguement enroulé dans une couverture écossaise. Un de ses bras pend dans le vide, il a les lèvres entrouvertes, et il est foutrement adorable. Dean se sent franchement coupable d'avoir dégagé le psy de son propre lit. Pour se faire pardonner, il va lui faire un petit dej d'enfer.
Mais avant ça, il a des conseils à demander.
Il prend son téléphone et va s'enfermer dans la cuisine pour ne pas risquer de réveiller Castiel. Il regarde l'heure avant d'envoyer son message : 7:23. C'est raisonnable.
Hey Charlie, t'es debout ?
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Tu m'agresses au réveil ? Qu'est ce qui ne va pas chez toi ?
Il ricane. Sadique.
Je peux te poser une question ?
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Si c'est sur le boulot, niet.
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Nope, rien à voir.
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Accouche.
Il tape un message, hésite, l'efface. Recommence.
Dean ?
Il se lance comme on saute d'une falaise, en fermant les yeux et en serrant les fesses.
Je crois que j'ai un gros faible pour Castiel.
La réponse met de longues secondes à arriver. Tu m'étonnes. Il regrette qu'elle ne soit pas en face de lui pour voir sa tête. Il se mordille le pouce avec un sourire sur les lèvres.
C'est pas une question ça.
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Je sais. Je suis un peu perdu.
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Tu fais pas juste un transfert ?
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Un quoi ?
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Tu sais, en psychanalyse, quand tu transfères tes sentiments et désirs inconscients sur le psy.
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Déjà, je fais pas de psychanalyse. Et nan, je crois pas, j'avais pas envie de lui sauter dessus quand on se voyait dans le cabinet.
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Ah, c'est à ce point ?
Elle ajoute une multitude d'émoticônes de coeurs, de personnages qui s'embrassent et il doit se retenir de rire. Ou de pleurer, il n'est plus très sûr de ce qu'il ressent à cet instant précis.
Ouais. Comment je peux être sûr ?
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Du calme garçon, il est peut être hétéro.
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Nope, il était en couple avec un homme pendant des années.
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Oh. Je vois. Eh bien, fais comme avec les filles que tu dragues peut-être, non ? Ça ne change pas grand chose tu sais que ce soit un homme.
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J'ai pas envie qu'il me prenne pour un hétéro en mal d'exotisme comme tu dis.
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Va savoir, peut-être que lui, il aime ça. Je dois y aller, je peux t'appeler ce midi ?
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Bien sûr.
Il pose son téléphone sur la table et se frotte les yeux. C'est forcément une connerie monumentale. Il aime les femmes. Il a aimé beaucoup de femmes. De tous les genres et de toutes les formes. Il reprend l'appareil et recherche "transfert" sur internet. Il n'est pas beaucoup plus aidé. Il n'a pas l'impression que c'est ce qui lui arrive. Il perd ses moyens devant l'homme Castiel, pas vraiment devant le Docteur Novak. Il abandonne en soupirant et se lève préparer la pâte à pancake.
Le psy débarque presque une heure plus tard, encore plus chiffonné que la veille. Le cœur de Dean tombe comme une pierre dans sa poitrine quand il le voit entrer avec son t-shirt et pantalon de survêtement blancs, ses cheveux noirs dressés sur la tête et ses yeux encore bouffis de sommeil. Il déglutit avant de poser les assiettes sur la table histoire de s'occuper et de ne pas rester à le fixer comme un imbécile.
- Hey Cas, vous avez bien dormi ? Je suis vraiment désolé, je vous ai viré de votre lit cette nuit ?
Castiel tique un peu au diminutif employé, mais il ne commente pas. Il prend un verre d'eau et essaye de décoller ses paupières, pendant que ses méninges redémarrent doucement. C'est difficile de gérer Dean au réveil quand on a le cerveau qui tourne au Diesel. Après une longue gorgée, il finit par répondre.
- Ce n'est pas grave. Vous ne contrôlez pas vos actions en plein sommeil.
- Ouais mais quand même, vous avez pas à dormir dans le canapé, vous pouvez me réveiller ou me virer.
Haha. Plus facile à dire qu'à faire.
Castiel s'est réveillé en pleine nuit avec la sensation désagréable d'être observé. Et effectivement, quand il a allumé la lumière, son patient se trouvait debout, raide comme un piquet, devant son lit. Avant qu'il ait eu le temps de dire ou faire quoi que ce soit, Dean s'était ensuite laissé tomber sur le matelas, l'écrasant à moitié avant de le serrer contre lui comme un doudou géant. Il a eu assez de mal à se libérer de la véritable prise de catch qui le retenait pour tenter de s'en approcher encore pour le ramener dans sa chambre. Alors il a rejoint le canapé et terminé sa nuit là-bas.
- Ne vous inquiétez pas pour moi. Pour l'instant, je veux que vous récupériez le plus possible le sommeil qui vous manque. Je pense que les crises s'arrêteront d'elles même.
- Ouais, ben ça irait plus vite si vous dormiez avec moi.
Dean se serait giflé. Mais qu'est ce que tu fous bordel !
- Je veux dire, ça me ferait moins loin à marcher.
A l'aide, tuez moi.
Castiel tourne lentement la tête vers lui et lui lance un regard un peu hagard avant de froncer les sourcils.
- C'est une idée.
…
Quoi ?
- Je peux mettre un matelas par terre, peut être qu'avoir simplement une présence dans la même pièce règlera le problème.
Dean est au bord de l'infarctus. Il essaye de respirer normalement, de ne pas se mettre à faire un truc complètement con comme partir en courant ou au contraire sauter dans les bras du Doc.
- Ouais, pourquoi pas. Ça ne coûte rien d'essayer.
Castiel hoche la tête, incroyablement sérieux, et commence à manger, ignorant complètement Dean qui reste planté devant l'évier à récurer une poêle déjà rutilante.
- J'ai un rendez-vous en visioconférence ce midi, ça ne vous dérange pas ?
Ils ont mangé en silence, et débarrassent la table. Dean évite résolument de poser son regard sur l'ange descendu du ciel.
- Non, j'ai un coup de fil à passer aussi.
Castiel acquiesce doucement, et sort de la cuisine. Quelques minutes plus tard, il l'entend monter l'escalier, et la douche s'allumer à l'étage.
Dean a vaguement fait semblant de faire des trucs en attendant que le Doc s'enferme dans sa chambre avec son pc portable pour son rendez-vous. Il respire enfin à nouveau, regarde l'heure toutes les cinq secondes en attendant que Charlie l'appelle. Il finit par enfiler la parka de Sam et sortir marcher un peu autour de la maison.
Ses pas le conduisent devant les chênes où ils ont déposé les restes du chevreuil la veille. Il ne reste plus grand chose, les coyotes ou les renards ont dû se faire plaisir dans la nuit, mais quelques corneilles sont toujours là, se disputant les derniers reliefs. Il observe un long moment les oiseaux noirs tirer sur les quelques parcelles de viande, se disputer un morceau, sautiller de relief en relief. Et son téléphone sonne enfin.
- Hey.
- Salut mon grand, raconte moi tout.
Dean rit un peu nerveusement.
- Qu'est ce que tu veux que je te dise de plus ?
- Ben déjà, comment se fait-il que toi, Deano macho, le mec qui a plus de la moitié des filles hétéro de la ville à ton actif, tu craques sur un mec ?
- J'en sais rien. Il - Bon. Il est canon déjà, et -
- T'as déjà trouvé un autre mec canon ?
Dean réfléchit. Il y a bien quelques acteurs, mais est ce que ça compte ?
- Ben, y'a Docteur Sexy.
Elle rit et il l'entend manger quelque chose de croustillant.
- Ouais, c'est vrai, j'avais oublié ton obsession pour lui. Bon, ensuite ?
- Et je sais pas, il m'apaise, sa voix est magique. Et il est adorable au réveil. Oh d'ailleurs, je me suis retrouvé dans son lit cette nuit.
- … Pardon ?
Dean éclate de rire, fier de son petit effet.
- Calme toi, je suis somnambule. Ça fait deux nuits que je me lève et que je me promène dans la maison. Une fois dans le salon, il m'a ramené dans mon lit ensuite. Et cette nuit je suis entré dans sa chambre, j'ai squatté son plumard. Le pauvre Doc a fini dans le canapé. Mais j'ai dormi au moins six heures.
- Oh la vache, roule lui une pelle de ma part. C'est un miracle ce type !
Dean ricane, le rouge lui monte un peu aux joues.
- Ne va pas trop vite, d'accord ? Je sais même pas si je vais être capable de - de le toucher.
L'hilarité de Charlie est coupée net.
- Je sais mon grand.
Elle sait qu'il ne parle pas du fait que Castiel soit un homme, mais de toucher quelqu'un en général. Dean ferme les yeux un instant, avant de suivre des yeux une corneille qui s'éloigne en marchant sur les feuilles mortes.
- Il a proposé de dormir dans ma chambre ce soir, pour voir si j'arrête de faire le marathon la nuit. Sur un matelas par terre bien sûr.
- Bien sûr.
Il reste silencieux de longues secondes.
- Dean ? Prends ton temps, d'accord ? Ne te lance pas là dedans juste pour te prouver quelque chose.
La pluie commence à tomber en fine bruine. Il rabat sa capuche sur sa tête.
- J'ai envie - Je - Je crois que j'ai juste besoin de lui. Je me sens bien avec lui.
- D'accord. Eh bien tu as encore quelques jours de vacances avec lui, et ensuite tu le verras encore en consultation. Essaie peut-être déjà de voir si une amitié est possible avant d'essayer de le coincer contre la table et de te rendre compte que finalement les mecs, c'est pas pour toi.
Dean expire un petit rire un peu pathétique.
- Tu as raison, il faut que je me calme. Autant il me trouve moche à crever et il peut me coller le râteau du siècle.
- S'il a des yeux, il ne peut pas te trouver moche, Dean, même moi je te trouve beau. Mais le risque zéro n'existe pas. Et avant de te lancer, réfléchis bien à ce qu'implique une relation entre deux hommes. Ne lui fait pas de faux espoirs non plus.
Il creuse du pied dans les feuilles mortes. Il y a pensé, hier soir, avant de s'endormir.
- Il a des yeux, les plus beaux que j'ai jamais vu. Si tu l'avais vu hier… On est allé chasser, il m'a fait une démonstration de tir à l'arc. Et y'a pas que l'arc qui bandait si tu vois c'que je veux dire.
Elle éclate de rire avant de lâcher une exclamation dégoûtée.
- Winchester, t'es vraiment un sale con. Mais c'est plutôt une bonne nouvelle. Je dois y retourner, tu me tiens au courant ?
- Bien sûr, avec tous les détails anatomiques.
- Crétin !
Il range son téléphone dans sa poche et reste encore un moment debout au milieu des arbres, perdu dans ses pensées. Il entend des pas s'approcher, et sa gorge se serre. Castiel s'arrête à sa hauteur, et reste immobile, observant les oiseaux.
- Un groupe de corneilles s'appelle a murder of crows. Je ne trouve pas que cela rende justice à ces animaux intelligents et sociaux.
Dean tourne la tête vers lui, et leurs regards se croisent. L'émeraude coule et se fond dans le saphir, il plonge dans la mer d'huile douce et calme. Il cligne des yeux avant de réussir à s'en décrocher.
- Quand il était gamin, Sammy piquait les jumelles de John pour observer les oiseaux. Un jour, il est tombé sur un type dans un parc qui le regardait s'émerveiller devant les nuages d'étourneaux, ceux qui font des formes incroyables dans le ciel, vous savez. Il lui a appris plein de trucs, mais tout ce que j'ai retenu, c'est qu'on appelle ça une murmuration. J'ai trouvé ça joli.
Castiel hoche la tête, un sourire doux aux lèvres.
- Vous voulez regarder un film, Cas ? Il va pleuvoir toute la journée d'après la météo. J'en ai quelques-uns sur mon disque dur, on peut le brancher à la télé.
- Cela me va. J'ai peu l'occasion de m'intéresser au cinéma.
- Vraiment ? Il faut vite corriger ça Doc !
En effet, Castiel n'y connaît rien en septième art. Dean est proprement outré qu'il n'ait jamais vu Star Wars, Indiana Jones ou le Seigneur des anneaux - mais il a lu les bouquins. D'autorité, il lance La Communauté de l'Anneau, vaguement convaincu que le psy appréciera davantage le médiéval fantastique à la science-fiction où l'aventure.
Ils s'installent dans le canapé, théière et mugs prêts sur la table basse. Dean décroche régulièrement du film, mais pas parce qu'il s'endort. Il voit du coin de l'œil Castiel qui s'investit comme si sa vie en dépendait devant les images qui défilent à l'écran. Il le voit parfois froncer les sourcils, parfois être sincèrement ému, et c'est passionnant à regarder.
- Alors ?
Le premier film est terminé, et Dean s'étire en faisant craquer son dos un peu endolori.
- Eh bien, il manque beaucoup de choses, mais je dois avouer que les acteurs rendent parfaitement hommage à leurs personnages. Je pense qu'il est de toute façon impossible d'adapter parfaitement cette œuvre dans un format aussi court.
Court ? Chaque épisode en version longue dépasse les trois heures, même davantage pour le dernier.
- Mais vous avez aimé ?
Il est quand même légèrement inquiet, parce que s'il a détesté, il vient de lui infliger presque quatre heures de torture.
- Oui, j'ai beaucoup apprécié.
- On peut faire un plateau télé et regarder Les Deux Tours.
Castiel acquiesce.
Ils regardent donc le second volet avec un reste de chevreuil accompagné de haricots verts - le psy a insisté - enveloppés côte à côte dans la couverture écossaise. Dean est au paradis.
Il ouvre un œil tard dans la nuit. La fenêtre est au bon endroit, check. Il est couché, check. Mais pas dans son lit. Il est par terre, sur le matelas qu'ils ont installé quelques heures plus tôt. Il a les narines pleines du parfum de Castiel. Il est entouré de la chaleur de Castiel, c'est bouillant. Il est à moitié sur Castiel, la tête sur sa poitrine.
Le psy est allongé sur le dos, un bras au-dessus de la tête, lui sur le flanc. Il a la main sur le ventre de Cas, il serre faiblement son t-shirt blanc, comme s'il avait peur que son oreiller se sauve. Et sur sa nuque, il sent les doigts chauds et doux qui caressent à peine la racine de ses cheveux. Il est retenu par un bras solide, c'est réconfortant et brûlant.
Chui bien…
Et il se rendort, le sourire aux lèvres. Bon courage, Dean du futur.
