Chapitre 30

La crosse dans une main, l'écouvillon de nettoyage dans l'autre, Dean ne sortit de sa torpeur qu'en entendant vibrer son téléphone. En sursautant, il posa sur le tissu devant lui les objets qui l'encombraient, et s'empara de l'appareil pour consulter le message qu'il venait de recevoir. C'était Cally, une chasseuse qui opérait dans l'Indiana. Informée de la requête des Winchester par l'un des nombreux contacts que Dean avait sollicités depuis l'aube, elle indiquait avoir eu vent d'une personne susceptible de les renseigner sur les divinités ancestrales et proposait de creuser. Après avoir relu le message deux fois, Dean eut une moue dubitative. Aucun de leurs pairs n'avait été en mesure de les aider, Sam et lui, à propos des Érotes, et son espoir qu'il existât quiconque ici-bas disposant d'une information au sujet de Chaos, là où le puits de connaissances où ils vivaient semblait devoir rester muet, était bien mince. De plus, qui avait jamais dit que Chaos était une divinité ? Dean réévalua sa décision d'avoir donné peu de détails sur l'affaire. Il avait certes évité de sonner l'alarme contre un danger mal défini, mais voir de quelle manière la question avait dévié au gré du bouche à oreille n'était pas pour lui donner confiance.
Sans une réponse, se promettant de le faire plus tard, il reposa le téléphone et voulut reprendre le nettoyage de son Colt 1911, même s'il savait pertinemment qu'il ne ferait pas le moindre mal à Chaos avec de la poudre. Mais les pensées qui l'avaient fait dériver revinrent suffisamment occuper son esprit pour l'en détourner.

Car si Sam et lui s'étaient expliqués la veille, scellant de nouveau la paix aussi bien qu'ils l'avaient pu, il ne se sentait pas libéré pour autant. D'autres sujets, subjectivement tout aussi importants à ses yeux que la question de Chaos ou des dieux de l'Amour, n'avaient pas été abordés, et il en éprouvait une indéniable frustration.

Ils s'étaient quittés la veille au soir peu après s'être entendus pour tenter de peser dans cette crise qui couvait. Pas pour se donner de l'importance, mais bien pour contribuer, s'ils le pouvaient, à éloigner le danger avant qu'il ne les dépasse et parce que l'un et l'autre, de façon plus ou moins assumée, admettaient leur part de responsabilité dans l'émergence de cette nouvelle menace. Ils ne s'étaient pas revus depuis. Pour Dean, qui avait passé la moitié de la nuit à chercher le sommeil, le réveil avait été rude, et il n'était sorti de sa chambre que pour constater l'absence de Sam, sans doute parti depuis longtemps déjà pour son footing quotidien. Une douche, deux donuts à demi-rassis et un café plus tard, Dean avait ainsi commencé à battre le rappel, puis il s'était attelé à nettoyer son revolver, et si pendant tout le temps où il s'était consacré à cette tâche, rien dans l'absence de son frère ne lui avait semblé anormal, il fallut qu'il arrivât au bout du remontage de l'arme pour réaliser que Sam était parti depuis au moins trois heures. Même avec sa nouvelle routine où l'exercice physique avait repris sa pleine place, Dean estima que le délai devenait suspect, et toutes sortes d'idées de plus en plus étranges se mirent à lui trotter dans la tête. Il fit un temps les cent pas, vérifia son téléphone, héla même son frère depuis le couloir principal, mais au moment où il décida de se préoccuper sérieusement de sa disparition, ce dernier réapparut soudainement.
Sans s'annoncer, il fit lentement irruption dans la bibliothèque depuis les escaliers de la salle de contrôle, et Dean vit tout de suite qu'il n'était pas en tenue de course.

- Hey, lui lança-t-il avec mesure en faisant un pas dans sa direction, soulagé de le voir. Tu te pointes enfin ?
- Salut, retourna Sam dans un soupir, laconique.
Il termina de gravir la volée de marches de pierre d'un pas lourd, presque traînant, qui aiguillonna l'estomac de Dean d'une pointe d'anxiété. Ce dernier constata que Sam, l'air soucieux et la mine pâle, portait le jean et la chemise de la veille, et l'aîné eut la conviction que le cadet ne revenait pas de son footing coutumier. Si ç'avait été le cas, Sam aurait été vêtu différemment, et c'était vrai aussi s'il avait déjà fait un détour par la douche. Pourtant, Dean demanda quand même, sans y croire, le timbre trop morne pour faire illusion :
- Je commençais à me poser des questions, où est-ce que t'es allé cavaler, cette fois ? T'es parti des heures, t'as décidé de remonter toute la deux cent quatre-vingt-un ?
Dean espéra, en dépit du bon sens, recueillir une réponse affirmative, mais Sam ne lui en fournit aucune. Pas tout de suite. Le regard bas, un peu perdu dans le vague, il s'arrêta près de la première table, attendit un instant avant de tirer la chaise devant lui puis, en s'y asseyant, soupira à nouveau.
- Je ne suis pas allé courir, déclara-t-il.
La confirmation, superflue, ne fit qu'accroître l'inquiétude de son frère, qui pressentait qu'il s'était passé quelque chose dont il aurait dû avoir connaissance. Un nœud insidieux resserrant tout doucement sa gorge, il observa Sam qui avait l'air éteint, pas tout à fait là, et quand la manche de ce dernier glissa un peu le long de son bras gauche alors qu'il se frotta le visage, Dean remarqua le bandage qui lui entourait le dessus du poignet.
En pâlissant, l'aîné des deux hommes avança vers son frère en longeant les tables par le côté où celui-ci était assis, mais d'un pas si lent qu'en plus d'être parfaitement silencieux, il fut finalement encore assez loin de Sam lorsqu'il questionna avec prudence et méfiance, la voix rauque, comme si chaque son lui éraflait les cordes vocales :
- Et où est-ce que t'étais...?
Le regard de Sam, alors, se posa sur lui. Avec l'expression de déjà savoir que ce qu'il allait dire ne saurait plaire.
- En Enfer, annonça-t-il simplement.

Le temps parut suspendre son vol, alors que Dean, se figeant à trois mètres de son frère, accusa le coup. Pas un seul instant, il n'eut l'idée de penser que Sam lui disait autre chose que la vérité, mais étrangement il se rendit compte qu'il s'était presque attendu à pire. Cela n'enleva rien au choc qu'il reçut en découvrant d'où revenait son cadet, stoïque, et entre colère et déception il cracha bientôt d'une voix persiflante, les yeux écarquillés :
- Qu'est-ce que t'as dit ?
- Dean, je t'en prie, n'en fais pas une montagne ! implora Sam en se relevant soudain d'un bond preste. Il fallait que je tente quelque chose.
Il poussa un profond soupir de désarroi et de frustration et, plantant là son aîné qui tâchait de digérer, il se dirigea vers une étagère basse, placée contre le mur près d'un fauteuil de cuir dans un recoin entre deux piliers, et dont la partie supérieure faisait office de bar en supportant quelques bouteilles. Les traits de Dean se crispèrent d'effarement, et d'une voix tonitruante il s'écria :
- En Enfer ?!
Sam, étonnamment, se servit un whisky, emplissant un verre plus que de raison sans égard pour les éclaboussures d'alcool qu'il projeta sur le bois du plateau. Il absorba d'une traite la moitié du liquide, percevant le pas furieux de Dean qui, dans son dos, revint vers lui à toute allure, et alors qu'il le vit apparaître sur son flanc droit il entendit sa voix tonner à son oreille :
- Qu'est-ce que t'es allé foutre là-bas, bon dieu, t'es pas bien ?! Pourquoi tu m'as rien dit, qu'est-ce qui t'as pris !
- Pas la peine de hurler, opposa Sam d'une voix au volume beaucoup plus raisonnable. Il n'y a aucun danger avec Rowena, tu sais bien qu'elle ne nous ferait pas de mal.
- Ça vaut aussi pour la vermine qui grouille là-bas ?! tempêta Dean. Tu crois qu'elle les tient tous en laisse, t'as grillé un neurone, ou quoi ?! Putain, et c'est moi le suicidaire !
- Du calme, ok ? riposta Sam d'un regard dur. Je n'y suis pas allé sans arme ! Et puis, qu'est-ce que tu croyais ? Que j'allais rester le cul sur une chaise à attendre le déluge ?
- Et à quoi c'était censé servir de retourner là-bas ? renchérit-il d'yeux furieux. À part risquer de te faire zigouiller !
D'un geste brutal, il arracha le bandage du bras de son frère pour découvrir une entaille nette encroûtée de sang à demi sec. Sam goûta peu d'être ainsi bousculé et retira son bras violemment.
- C'est bon, Dean, j'ai rien, détends toi, tu veux ?!
Ils s'affrontèrent du regard pendant un instant, chacun campant sur ses positions mais sans surenchère. Dean parut marquer le pas, même si le feu dans ses yeux restait vivace, et Sam, qui avait semble-t-il posé les limites, expliqua d'une voix plus calme :
- C'est moi qui me suis fait ça. Pour lancer le sort qui m'a amené là-bas.
Le premier-né, après un instant à le regarder fixement, mâchoires serrées, aboya :
- Tout seul ! Sans personne de l'autre côté pour l'entretenir et garder la porte ouverte !
La manière dont Sam baissa légèrement les yeux en attesta.
- J'ai demandé un chauffeur pour rentrer, se justifia-t-il avec une désinvolture apparente tout en profitant de ce que son frère parut ruminer sa pleine désapprobation pour se détourner et mettre entre eux une distance de quelques pas.
- C'est ça, fais le malin ! revint-il à la charge, effrayé à l'idée de ce qui aurait pu se passer. Bordel, mais qu'est-ce qui t'a pris ! Où t'es allé chercher cette idée, depuis quand on va piocher nos infos en Enfer !
- C'est loin d'être la première fois, tu le sais parfaitement, répliqua fermement le puîné en lui adressant un bref regard. À qui tu voulais te référer ? Cass ?
- Tu pouvais pas faire marcher le réseau ? reprocha Dean d'un air mauvais. Hey, boss, c'est toi qui les as réunis, à la base, pourquoi t'as pas sonné tes troupes ? J'y ai passé la matinée et j'ai déjà eu un retour, figure-toi, il...
- Arrête, coupa Sam d'une mine désabusée. Soyons sérieux, qu'est-ce que tu crois que les nôtres vont trouver ? On parle d'un truc plus vieux que n'importe quoi d'autre, rayé de ce monde peut-être des milliers d'années avant que le premier homme se soit dressé sur ses jambes, qui veux-tu qui trouve quoi que ce soit à son sujet, hein ?
- T'en sais rien, et moi non plus, asséna l'aîné des Winchester. J'ai même sonné Donatello, sois patient !
- Et il t'a appris quelque chose ? Apparemment pas, je me trompe ?
- Ok, dut bien admettre Dean, pas encore, mais toute façon, pour que cette saleté ait ses propres légendes il faut bien qu'on l'ait croisée un jour, même si ça s'est passé au fond d'une grotte à l'âge de pierre !
- T'as aucun moyen de savoir si le Chaos de la mythologie est le même, Dean ! martela Sam en écartant les bras, mains ouvertes. Et même si c'est le cas, combien de temps tu veux passer à éplucher tous les bouquins de la Terre et suivre de fausses pistes ? À moins que tu préfères supplier les anges de nous mettre dans le coup ?
- Castiel... n'a pas de mauvaises intentions, tenta de défendre Dean, sans autre argument, face à la révolte qui faisait bouillir son frère.
- Je sais pourquoi il agit de cette façon, et je peux comprendre, abrégea Sam en repoussant ses cheveux en arrière d'une main largement ouverte. Mais s'il ne nous dit rien de plus, et à moins que tu veuilles réinviter nos trois potes pour bavarder autour d'un café... L'Enfer est rempli de démons très anciens qui ont plus de bouteille que n'importe qui.
Pas n'importe qui. Il existait une créature, omnipotente, omnisciente, ou tout du moins qui l'avait été. Son souvenir glaça le sang de Dean qui fit tout pour la chasser aussitôt de son esprit et, sans rien dire, il garda longuement les yeux sur Sam qui le fixa en retour dans un silence égal. En un instant, déferlant comme les flots, des réminiscences plus perturbantes encore se manifestèrent à lui, et l'odeur du sang, la soif, la peur, firent frémir chaque parcelle de son être. Brièvement. Car, pour survivre au traumatisme de son séjour en Enfer qui pour lui avait duré des décennies, Dean avait dû apprendre à se blinder contre les fantômes de cette autre vie. Où il avait côtoyé, surtout pour le pire, certains de ces démons immémoriaux que Sam venait de faire remonter à sa mémoire comme autant de cadavres gonflés d'eau. Il se sentit ébranlé. Désorienté par l'écho que provoquèrent ces souvenirs de cauchemar en se fracassant contre les montagnes de questions qui accaparaient ses pensées aujourd'hui. Les paupières plissées d'incertitude, Dean ne put nier la relative pertinence du postulat de son frère. Qu'il existait peut-être un démon disposant du savoir nécessaire à une meilleure compréhension de la situation. Il répugna à l'admettre, à laisser ces créatures abominables reprendre corps, mais le regard de Sam, qui ne vacillait pas, le força à chercher à en avoir le cœur net.
- Reste surtout très loin de ces ordures, mit-il en garde dans un frisson. Je rigole pas, Sam, ces démons dont tu parles... sont d'une autre trempe que les sous-fifres qu'on a étalés. Moins on se frottera à eux, mieux on se portera, tous autant qu'on est.
- Je sais que tu connais ton sujet, concéda Sam d'un air grave, empreint d'un infini respect pour ce que son frère avait enduré. Mais je te rappelle qu'on est deux à avoir goûté aux plaisirs de l'Enfer.
Dean ne le savait que trop bien. Et, le regard extrêmement profond qu'il plongea à cet instant dans les yeux apaisés de Sam, ce regard humble et digne qui toucha son frère en plein cœur, fut le reflet d'émotions qui contribuèrent à l'apaiser lui-même. Il resta ainsi, sans parler ni bouger, pendant un long moment, et puis, en inclinant la tête deux fois en signe de résignation, d'abord à droite puis à gauche, il souffla :
- J'ai besoin d'un verre.

À son tour, il partit se servir un whisky, sans plus lésiner sur la charge. Le teint pâle, il l'avala d'une traite, puis reprit bruyamment son souffle en reposant le verre. Pensif, il parut alors vouloir se murer dans un silence inquiétant, penché sur les bouteilles. Sam, en se rapprochant, lui dit doucement :
- Pardonne-moi d'avoir fait ça dans ton dos. J'y ai pensé toute la nuit, il fallait que je bouge, que j'en aie le cœur net. Je ne voulais pas prendre le risque... que tu m'en dissuades.
Appuyé bras tendus sur les deux bords de l'étagère et le dos rond, Dean répéta d'une voix caverneuse :
- Tu aurais dû m'en parler. Aller là-bas tout seul était une connerie. Surtout si t'es convaincu qu'on n'a plus la baraka.
- Avec notre étiquette de trompe-la-mort, tu veux dire ? fit Sam en s'adossant au pilier de pierre à la droite de son frère.
- Hey, c'est tes mots, rappela ce dernier dans un regard.
- Tout s'est bien passé, confia pudiquement Sam avec une quiétude affichée. Dean, je vais bien. Depuis que Rowena a pris les rênes, en-bas, on est un peu... des VIP. Si on peut dire.
Dean se redressa, l'air effarouché. Si un tel statut existait, il n'en voulait guère.
- Je veux juste dire qu'elle nous y protège, précisa Sam. Il faut la jouer fine, je sais bien, mais si on ne lui demande pas son aide dans des situations comme celle-là, quand le faire ?
« Jamais » fut le premier mot qui vint à l'esprit de l'aîné des Winchester, en dépit des liens - souvent ambigus - qu'ils avaient partagés de son vivant avec la redoutable sorcière devenue reine des Enfers, et malgré la proximité particulière de Sam avec elle. Néanmoins, Dean gardait en tête que la mémoire de démons ancestraux constituait potentiellement un atout précieux, et bien que cela lui coûtât d'accepter de s'en remettre à leur science, il finit par interroger son frère d'un ton las :
- Je désapprouve, mais je suis plutôt mal placé pour te faire la leçon, surtout en ce moment, donc... Puisque c'est fait, maintenant, t'as appris quelque chose d'utile, au moins ?
Il espérait une réponse autant qu'il la redoutait. Sam ne ménagea pas le suspense. Il prit une profonde inspiration, croisant les bras sur ses pectoraux dont le volume s'épaissit encore, et secoua la tête. Dean faillit en rire.
- Ok, grogna-t-il. Un succès sur toute la ligne, quoi.
D'un pas plus frustré que déçu, il retourna jusqu'à la table où il avait nettoyé son arme, toujours posée sur le chiffon. Derrière lui, Sam nuança prudemment :
- Pour l'instant, peut-être. Mais Rowena va mobiliser ses ouailles. Que ce soit sur Terre ou en Enfer, ils vont ouvrir l'œil et sortir les squelettes du placard, pour que tout ce qu'i savoir sur Chaos... on le sache aussi.
Sam avait ponctué sa fin de phrase d'une réserve palpable, et bien que Dean n'en dît rien, il en sut la raison. Impliquer le monde des démons dans cette chasse aux informations ou cette chasse tout court, c'était fournir à leurs éternels opposants une occasion d'y peser plus que de raison, voire d'en tirer profit, ce qui ne pourrait constituer qu'une mauvaise nouvelle pour les humains. Même si Rowena demeurait bienveillante à leur endroit, les frères Winchester ne pouvaient écarter l'éventualité d'un conflit d'intérêt qui finirait par desservir leur espèce ; à supposer que les démons découvrent comment neutraliser la menace, à quel point les chasseurs étaient-ils sûrs d'être mis dans la confidence ? Il y avait un risque pour eux d'être doublés, c'était certain, mais ils choisirent implicitement de ne pas crier au feu pour l'instant, du moins tant qu'ils n'auraient pas aperçu les premières flammes. Sans le savoir, ils eurent exactement la même pensée au même moment, Sam et Dean priant de ne pas devoir tomber de Charybde en Scylla et, surtout, de ne rien avoir appris à leurs plus vieux ennemis qu'ils ne savaient déjà.
- Pfff, cracha Dean avec dégoût. J'aime pas ça, Sam. Pas du tout.
Son cadet revint lentement vers lui et se posta à ses côtés, les pouces accrochés à sa ceinture. D'un timbre que firent vibrer les graves de sa voix, il dit :
- J'ai foi en elle, Dean. Je sais qu'elle ne nous trahira pas. De toute façon, il y a peu de chances qu'ils ne sachent pas déjà là-bas tout ce qui se passe ici. On n'a pas grand-chose à perdre.
- J'espère que t'as raison, répondit-il avec bien moins d'optimisme. J'espère surtout que ta confiance en elle est justifiée et qu'elle a vraiment une main de fer pour gérer tout son monde, parce que franchement on n'a vraiment pas besoin qu'on nous la refasse à l'envers.
Sam hocha la tête, les lèvres serrées.
- On va rester vigilants, promit-il. Avancer prudemment... mais il faut qu'on avance. Pour renvoyer Chaos d'où il vient et vite passer à autre chose.
- Pour faire leur fête aux autres horreurs qui ont décidé de fêter la chute du Parrain, tu veux dire ? ironisa Dean avec amertume.
- S'il y en a d'autres, l'Enfer n'est pas au courant, apprit bientôt Sam d'une voix pesante. C'est peut-être bon signe.
- C'est ce que Rowena t'a dit ? vérifia Dean en visant Sam d'un regard perçant.
Le plus jeune des Winchester n'eut qu'un bref haussement de sourcils pour dire qu'il n'en savait guère plus que ce qui lui avait été confié. Sans pouvoir affirmer sans l'ombre d'un doute, que Rowena lui avait tout dit... ni que ses démons lui avaient tout dit, à elle.

- Bon, conclut Dean en tapotant nerveusement sur la chaise près de laquelle il se tenait, les dents serrées et les yeux fixes portés devant lui sur quelque point qu'il était le seul à voir. On n'a plus qu'à attendre, si je comprends bien...
Sam, l'air soucieux, haussa les épaules en secouant la tête.
- À moins qu'on déniche la bonne info par nous-mêmes, estima-t-il. Je n'ai pas trouvé de meilleure idée, désolé. Mais... tu parlais d'un chasseur, tout à l'heure... Qu'est-ce que...
- Une certaine Cally, Indiana. Ça te parle ?
- Pas vraiment, avoua Sam. Qu'est-ce qu'elle dit ?
- Elle parle d'un expert en divinités anciennes, qui aurait ptet des infos, révéla Dean d'une voix désabusée. Elle nous tient au jus.
Sam ne répondit rien, se contentant de rester planté près de son frère, qui en prit acte.
- Rien de bien consistant, hein ? reprit-il en écho à ce que son cadet pensait évidemment.
Il pivota sur lui-même et cala ses reins contre l'arrière du dossier de la chaise, sans avoir besoin de croiser le regard de Sam pour recueillir son avis.
- Des démons en guise d'indics, finit par maugréer Dean. De mieux en mieux.
- Si tu te souviens, osa timidement rappeler son frère au bout de quelques secondes, c'est un peu comme ça que toute cette histoire a commencé...
Dean inspira lentement puis expira par le nez, le bruit de son souffle se prolongeant un instant durant au souvenir du démon qui les avait confortés à suivre la piste vers Gloucester.
- Comment oublier, grogna-t-il. Quand j'y repense... j'ai l'impression que ça remonte à l'année dernière.
Sam se garda de le dire, mais Dean aurait pu jurer que son frère avait sur le bout des lèvres le décompte exact des jours qui s'étaient écoulés depuis cette rencontre, au port de Gloucester, qui avait bouleversé leur existence. Il le regarda alors pudiquement, laissant remonter la foule de sentiments qu'il avait pour lui, mélange de complexité et d'évidence, d'entrave et d'absolu, de constance et d'ébullition, jusqu'au moment où il lui demanda d'une voix posée, quand les yeux clairs de Sam croisèrent les siens :
- Qu'est-ce que vous vous êtes dit, exactement, avec Rowena ?
En baissant les yeux, Sam prit une seconde pour rejouer la scène dans sa tête, puis livra factuellement :
- Je lui ai dit qu'on avait découvert qu'une force ancienne avait fait surface et qu'elle en avait après les dieux... Qu'on la connaissait sous le nom de Chaos, et qu'on cherchait des infos pour savoir à quoi on avait affaire et parer au pire... Elle n'en sait pas plus que nous pour le moment mais elle a fait le lien avec certaines rumeurs qu'elle a entendues, sans me dire lesquelles. Elle va fouiller... Si elle découvre quelque chose elle nous le dira.
Dean hocha la tête, acquiesçant à un état des lieux qu'il connaissait déjà.
- Tu ne lui as parlé que de Chaos ? sonda-t-il avec circonspection. Pas des Érotes ?
Sam marqua la pause, prenant son temps pour répondre, prudent :
- J'ai dit qu'on avait eu affaire à eux, si... Que la rencontre ne s'était pas bien passée.
Dean opina du chef à nouveau, la nuque plus raide, puis d'une voix soudain plus ténue, il glissa en paraissant retenir son souffle :
- Tu lui as parlé de ce qui s'est passé après ? Tu lui as parlé... de nous ?
- Non, affirma-t-il sans desserrer les dents, d'un son sec comme le bruit du ricochet d'un galet sur l'eau. Elle n'a aucune raison d'être au courant, ni elle ni personne. Ça ne regarde que nous.

Malgré l'assurance dans sa réponse, Sam se rembrunit notablement. L'évocation de leurs rapports interdits lui parut soudain relever d'une mise au jour honteuse, et il en fut d'autant plus froissé que bien qu'il ne se sentît pas autrement coupable de la faute qu'ils avaient commise, il savait que ce secret entre son frère et lui en demeurerait toujours un. Le poids de leur folie parut tout à coup peser plus lourd, et voir Dean s'éloigner alors de plusieurs mètres en lui tournant le dos, fut une image qui déplut tout particulièrement à Sam. Il n'avait jamais pensé clamer haut et fort la nature nouvelle de leurs relations, mais que la question semblât revêtir pour son frère une importance significative lui laissa un goût amer en bouche.
Comme si, à nouveau, l'aîné de la fratrie n'éprouvait plus que remords et rejet.
- Dean, prononça-t-il alors sur un ton à la fois empreint d'une profonde gravité et d'une extrême bienveillance, rompant un silence devenu étouffant. Avec tout ça, on n'en a pas du tout reparlé, mais... où on en est, toi et moi ?
Sam se surprit à ne pas ressentir une peur si grande, à la perspective d'entendre la réponse de Dean. Ce dernier avait vu arriver la question et, finalement soulagé qu'elle lui ait été posée, il n'eut aucune intention de feindre ne pas l'avoir comprise ni de l'éluder. Ce sujet, il n'avait cessé d'y penser depuis la veille, sans savoir comment l'évoquer, sans même savoir quels mots il prononcerait alors, et si Sam ne pouvait voir le vague de son regard, il le vit en revanche hausser brièvement les épaules et secouer la tête en signe de désarroi. Passèrent les secondes, sans que Dean ne refît face à son frère, mais jaillirent ces mots qu'il prononça d'une voix lointaine et fatiguée, en même temps qu'il étira sa colonne vertébrale en écho à la profonde respiration qu'il prit pour se donner courage :
- Qu'on puisse se poser cette question... déjà avant, ça me donnait l'impression qu'on était dans un autre monde, mais t'entendre demander ça après tout ce qui vient de se passer... On dirait qu'on est dans un mauvais film.
La sentence fut âpre, et Sam n'en sortit pas indemne. Mais fondamentalement, et en dépit de ses plus profonds désirs, il savait que son frère n'avait pas foncièrement tort. Que la nature actuelle de leurs rapports défiait tant les règles établies qu'elle confinait au délire. Même assumé.
Dean se retourna alors vers lui, et en croisant le regard désarmé que lui adressaient ses yeux brillants, Sam, serrant les poings, comprit qu'il était prêt à livrer sans filtre tout ce qu'il avait sur le cœur.

- C'est... comme si j'avais pris une énorme claque, essaya d'expliquer Dean aussi bien qu'il le put. Comme si... me battre contre eux... contre toi... m'avait sorti d'un rêve pour me ramener à la réalité.
Visiblement affecté, l'air vulnérable et malheureux, il fit un pas vers Sam qui le fixait sans faillir, mais n'alla pas plus loin. Baissant soudain le regard qui se perdit dans le vague, le temps d'une pensée.
- Ça m'a réveillé, Sam, reprit-il d'yeux désemparés. Les avoir devant nous, enfin en position de faiblesse, à notre merci... J'y croyais plus mais c'est arrivé. J'ai eu envie de les étriper à un point que je peux même pas te décrire, j'ai revécu tout ce qui s'est passé à cause d'eux et... ce que j'ai ressenti à ce moment-là, ça a été comme un coup de couteau dans le sac que j'avais sur la tête. Tu comprends ?
Sam, l'air abattu, hocha douloureusement la sienne, ses yeux voilés de larmes sèches vissés sur Dean, qu'il écoutait lui dresser ni plus ni moins le bilan d'un intermède dont il entrevoyait la conclusion.
- Jusque là, on était dans notre bulle, tellement concentrés pour essayer de sortir la tête de l'eau qu'on ne voyait qu'un petit bout du tableau, justifia l'aîné des Winchester en songeant aux moments qu'ils avaient partagés et qui n'avaient appartenu qu'à eux. Ça m'était pas apparu aussi clairement avant, et peut-être qu'il fallait qu'on arrive à ce moment précis pour que je m'en rende vraiment compte. Ptet bien... qu'il fallait que je sois à deux doigts de perdre le contrôle avec eux, pour que l'électrochoc soit assez fort et que je voie à quel point notre vie a vrillé.
Sam, dans la douleur, comprit alors définitivement qu'il s'était trompé. Il avait cru que son frère avait fini par accepter pleinement l'intimité amorale qui les liait désormais, qu'il s'était pardonné sa conduite, mais les choses n'étaient manifestement pas aussi simples. Contrairement à ce qu'il avait pu ou voulu croire, Sam accusa le coup de découvrir que Dean n'avait vraisemblablement pas pris jusqu'alors toute la mesure du bouleversement qui affectait leurs rapports, et ne sachant que dire il rentra la tête dans les épaules en tâchant de faire bonne figure.
- On ne pensait qu'à nous, jugea Dean d'un air passablement nostalgique. Pendant tout ce temps, on n'a pensé qu'à nos pulsions du moment, et quand on a décidé de céder, pensant que l'histoire était réglée, on s'est même pas demandé sérieusement où ça nous mènerait. Mais notre vie ne peut pas se résumer à ça... On peut pas passer notre temps enfermés ici à vivre le moment présent et ignorer ce qui se passe dehors, Sam.
Ce dernier eut du mal à en supporter davantage. Tant pour la peine qu'il eut à se dire que tout était terminé, seule issue visible à ses yeux, que pour l'intense accablement qu'il sentait peser sur les épaules de son frère. Il ne voulait pas ça. Il refusait que ce fol abandon, cette éphémère incartade, cette improbable sortie de route qui lui avait apporté infiniment plus qu'elle ne lui avait coûté, ne s'achève dans le malheur, alors il intervint pour délivrer son aîné de sa culpabilité.
- Dean, arrête, le pria-t-il avec force en lui lançant un regard poignant. Tu n'as pas besoin de te justifier ni de te sentir fautif. C'est vrai qu'on s'est pas fait de cadeaux, et si ce qu'on vient de vivre t'a amené à... À voir les choses différemment... Si en fin de compte, tu veux qu'on redevienne uniquement des frères... c'est ok pour moi.
Dean resta muet pendant un moment, un regard dérouté rivé sur son cadet. Un élan d'effroi fit pâlir ses prunelles quand il réalisa le sens que Sam donnait à ses propos, et bientôt il réagit, la voix chancelante :
- Sammy... C'est pas parce qu'on s'est écharpés que je te dis ça... Je...
- Peu importe la raison ! coupa brutalement Sam en avançant d'un bon mètre, le feu dans les yeux. Je te l'ai dit, l'autre jour : s'il faut qu'on arrête, on arrête. J'étais sincère et je le suis toujours !
Ses lèvres frémirent, il marqua une pause et, sa voix vacillant elle aussi, il dit tout bas :
- Tout ce que je veux c'est qu'on soit ensemble. L'un près de l'autre, comme on l'a toujours été. Le plus important, c'est ça. Je ne veux pas que tout ça te rende malheureux. Je ne veux pas... que ça nous sépare.
Face à Sam qui paraissait bouleversé, Dean resta immobile et muet, comme groggy. Les mots qu'il venait d'entendre, sortis tout droit du fond du cœur de son frère, le prirent aux tripes, et le frisson qui le parcourut fut si prononcé qu'il sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque.
- Sam..., prononça-t-il dans un chuintement effaré.
Mu par une force nouvelle, les yeux écarquillés, il se précipita alors jusqu'à son cadet, et en lui prenant aussitôt la tête entre les mains il planta dans ses pupilles humides un regard vibrant de volonté.
- J'ai aucune intention de mettre les voiles, jura-t-il avec ferveur. T'entends ? C'est pas ce que je voulais dire, je... C'est seulement maintenant, que je réalise vraiment ce que tout ça représente pour nous... À quel point on est allés loin, à quel point ça nous a changés... Mais, ce dont je me rends compte aussi, c'est qu'en fait j'en n'ai rien à foutre.
Sam, démuni, resta suspendu à ses lèvres. Les yeux fébriles, il ne sut plus soudain de quel côté pencher et, la voix rauque, s'aventura à demander :
- J... Je comprends pas... Qu'est-ce que tu veux dire ?
Le regard de Dean parut se voiler de mélancolie et, de l'os du pouce, il se mit à frotter doucement la pommette de Sam en lui glissant avec tendresse :
- Juste que ça change rien... J'étais sincère, moi aussi, quand je t'ai dit que j'avais pris ma décision, l'autre soir... J'ai beau me rendre compte mieux que jamais de la portée de nos actes, la vérité c'est... que j'ai toujours pas envie que ça s'arrête.
Sam sentit son cœur vibrer si fort dans sa poitrine qu'il en éprouva une brève douleur. En serrant les lèvres pour juguler l'émotion qui le submergea, il ferma les yeux et colla son front à celui de Dean, sans un mot. Il mourait d'envie de le serrer dans ses bras de toutes ses forces, de lui dire qu'il l'aimait, de l'embrasser, mais il s'abstint de tout cela. Il refusa d'ajouter à la charge mentale que supportait Dean, une charge émotionnelle dont il n'avait guère besoin en l'instant. Il ne fit qu'alourdir les épaules de son aîné du poids de ses mains, en lui susurrant sans ambages :
- Qu'est-ce que tu attends de moi, Dean ? Est-ce qu'il y a quelque chose que je peux faire pour t'aider un peu ?
Sam sentit contre son front, la tête de son frère aller lentement de gauche à droite.
- Rien, affirma ce dernier d'une voix ténue. Il me faut juste un peu de temps pour... remettre de l'ordre dans mes idées.
Sam, après un instant, hocha la tête, non sans crainte de ce que cela signifiait. Dean le perçut peut-être. Il redressa la tête pour déposer une bise sur le front de son cadet et, après lui avoir affectueusement frictionné la nuque, se sépara de lui pour s'éloigner de nouveau en prenant une profonde inspiration.
- J'ai juste besoin d'un peu de temps, répéta-t-il la voix déjà plus forte une fois parvenu près d'une chaise dont il fit mine de vouloir tordre la traverse du dossier. Pour voir comment concilier les deux. Nous, et... notre vie. Je me rends compte que jusqu'à maintenant, c'était deux univers séparés. D'un côté, les moments où on se lâchait, et d'un autre, le train-train habituel. La chasse.
Sam, songeur, opina à nouveau du chef. Il repensa au poltergeist et au Djinn qu'ils avaient affrontés quelques jours plus tôt, et même au nid de vampires, encore avant. Des moments où leurs désirs charnels avaient été mis en stase, évidemment en raison des circonstances propres à l'instant, mais pas seulement. Avec le recul, il était assez simple d'admettre que pour mieux s'accommoder de leurs écarts de conduite, les deux frères avaient toujours plus ou moins consciemment eu tendance à essayer de les réduire à des moments d'exception, l'expression libératrice d'un trop-plein d'émotion cantonnée à une parenthèse onirique qui, une fois refermée, n'impacterait pas leur quotidien plus que l'écho d'un rêve. Succès mitigé, alors, car Sam avait le sentiment au contraire que leurs tourments n'avaient, depuis, fait que régenter leurs vies sans leur laisser une minute de répit.

Et soudain, ici même, en cet instant où son frère lui livrait ses pensées profondes, Sam comprit que cette sensation d'être gouvernés en permanence par leurs désirs coupables ne découlait pas d'un quelconque échec à les maintenir sous contrôle, mais bien du fait qu'ils n'avaient jamais vraiment réussi à seulement essayer de le faire.

- Merci, frangin, tomba alors la voix grave de Dean.
Sam, dans un sursaut, fut tiré de ses songes et redressa sèchement la tête pour croiser le regard grave de Dean, qui reprit :
- Merci d'avoir demandé où on en était. J'avais besoin qu'on en parle, parce que c'est le moment de se poser la question de ce qu'on fait maintenant. En tout cas, c'est le moment pour moi. Mais, après la manière dont je t'ai traité... Je savais pas comment faire.
- C'est du passé, ok ? essaya d'évacuer Sam. Inutile d'en reparler, ça n'a pas d'importance.
- Ça en a pour moi, protesta Dean d'un ton sans réplique.
Le puîné n'objecta pas, faisant fi de son désaccord par respect envers les remords qui minaient son frère. Puis Dean, doucement, poursuivit :
- On a... survécu à ces envies complètement dingues... On les a subies, et puis on les a acceptées, malgré le mal de chien que ça nous a donné, malgré toutes les règles et les principes sur lesquels on s'est assis. Et pourtant...
Il eut un rictus amer et secoua la tête en soufflant par le nez, l'air incrédule quant à ses propres conclusions.
- Et pourtant j'ai pas envie de tirer un trait dessus, confirma-t-il avec toute la lucidité et le sérieux dont il était capable, le répétant comme pour se donner une autre chance de réaliser qu'il faisait fausse route. Même si ce qu'on vient de subir avec ces deux enfoirés m'a fait voir à quel point on est à des années-lumière d'une vie normale, même d'après nos critères, je... Je me suis jamais senti aussi en vie. Et je... Je veux que ça continue.

Dean sentit ses jambes flageoler alors que jamais, après s'être entendu prononcer ces mots, il n'aurait imaginé avoir tant de mal à les dire. Sans qu'il sût vraiment pourquoi car les sentiments de Sam lui avaient toujours semblé moins incertains que les siens, il éprouva une peur tenace, soudain, d'entendre la réaction de son frère qui asséna alors sans l'ombre d'une hésitation, ébranlé et le cœur battant :
- Je le veux autant que toi...
Il marcha vers Dean sans en avoir donné l'ordre à ses jambes, pour s'apercevoir qu'il avait déjà fait trois pas lorsqu'il s'arrêta. Face à lui, Dean avait les lèvres tremblantes et le regard meurtri.
- J'ai jamais rien voulu d'autre, martela Sam en dépit de l'émotion qui l'étreignait. Rien, sauf préserver notre relation. Rien à faire de ces foutus dilemmes moraux impossibles à résoudre, je ne m'excuserai pas de ce que je ressens. Mais, Dean... je t'en supplie, ne te torture pas pour ce qui s'est passé. La manière dont t'as réagi avec eux je la comprends, et si j'ai prétendu le contraire c'est juste parce que j'avais trop peur que t'en fasses les frais.
L'aîné des Winchester hocha lourdement la tête. Son frère fut convaincu qu'il avait entendu le message, mais doutait qu'il fût si aisément en mesure de l'écouter. D'un pas lent, Dean franchit la distance qui le séparait encore de Sam, un regard aimant et reconnaissant posé sur lui, puis plaça les deux mains sur ses épaules.
- Ça va aller, jura-t-il avec sollicitude. Ne t'inquiète pas pour moi, ok ? D'ici quelque temps, quand j'aurai digéré tout ça.
Et, forçant un sourire, il ajouta :
- On a mieux à faire, toute façon. On a du pain sur la planche, pas vrai, Sammy ?
Tâchant de lui répondre par un sourire égal dénué de toute joie, Sam ne le contredit pas. Chaos rôdait toujours, là dehors, et la menace qu'il faisait planer était d'autant plus inquiétante qu'elle restait incertaine.