Partie 1.2

Par Kermadec

À l'approche de la bourgade, la marche des Aventuriers venait d'être interrompue par une passante. Celle-ci, à son propre étonnement, avait reconnu Aldo Azur au milieu de l'éclectique groupe.

— Vous êtes le célèbre ménestrel ? demanda-t-elle avec un fort accent local

— Oui, mais qui êtes-vous ? répondit l'intéressé

— Je… Je suis Siriana, j'adore ce que vous faites !

Dans un élan d'admiration, la femme, d'environ une cinquantaine d'années, se jeta dans les bras de l'immortel. Bégayant quelque peu face à son idole, elle proposa de lui fournir à boire ou à manger. Elle vivait et travaillait dans le coin, elle pouvait donc offrir ses services sans difficultés.

— C'est super sympa de ta part ! répondit Aldo avec aisance. Mais là, tu vois, je suis avec des potes, je voudrais pas les laisser en plan. On a un loup, deux chevaux, un chat, ça ferait beaucoup, mais franchement, c'est super gentil…

— Ce ménestrel, il parle vraiment n'importe comment… commenta Théo, plus loin"

Afin de couvrir les paroles blessantes du paladin, Bob s'interposa et s'adressa à l'inconnue.

— Excusez-moi, chère Madame, mais nous sommes à quelques mètres de l'auberge et on compte en profiter avec nos amis. Si vous êtes d'humeur à nous accompagner, ça serait avec plaisir.

— Oh ! Euh… Écoutez, venez avec moi, venez avec moi. Je vais vous montrer. Soyez les bienvenus ! Je ne m'attendais pas… Et vous êtes… Mais… Balthazar, tu as tellement changé !

Il fallut une seconde au pyromage pour reconnaître, à son tour, cette passante aléatoire. Derrière l'adoratrice gênée du ménestrel itinérant se cachait en réalité une ancienne nourrice de Bob.

— Tatie Siriana ! C'est toi ? T'es vachement plus petite que dans mon souvenir !

Une sincère étreinte accompagna la joie de leurs retrouvailles.

— Et tu connais personnellement sire Azur ?! s'étonna la tantine.

— Oui, c'est un ami ! T'as vu ça, il est super balèze. Je suis accompagné aussi de deux autres amis. J'ai ici Grunlek, qui est un maître nain très puissant, et Shin.

— On est trois, Bob… souligna Théo, grognon.

— Oui mais enfin, voilà, je parlais en matière de proximité… Voilà, c'est pour ça… Je disais, donc, Shin, un demi-élémentaire très habile avec un arc. J'ai des amis exceptionnels. Mais parle-moi de toi, Tatie, il faut absolument que tu me racontes tout ce qui s'est passé depuis qu'on ne s'est plus vus ! Ça doit faire quoi, maintenant ? Vingt ans ?

— Largement plus, mais je t'imaginais bien plus vieux. Que fais-tu donc pour t'entretenir ?

— Je suis devenu mage ! Je sais que Maman ne voulait pas, mais…

Au fil de leur discussion, les yeux brillants d'enthousiasme, Siriana les guida vers un lieu au sein duquel ils pourraient se reposer. Elle marchait à côté de Bob, son bras entrelacé au sien. Lorsqu'au bout de quelques pas, Aldo passa à sa hauteur, elle fit de même avec son autre bras, s'enserrant entre les deux hommes dans un carcan de bonheur. En chemin, elle héla un autre villageois afin qu'il leur cherche de l'eau.

Théo, agacé par tant de bonne humeur, et toujours vexé de ne pas avoir été présenté dans les formes, s'impatientait.

— C'est qui, le responsable, ici ?

— Hé, tu dois être gentil avec Tatie ! intervint Bob

— Il n'y a pas vraiment de responsable, ici… C'est un comptoir, un lieu de rendez-vous. C'est aux mains des paysans du coin, dont je fais partie. Les autres vont et viennent. Vous savez, il n'y a pas vraiment de problèmes ici, c'est une terre prospère. C'est tellement inattendu de vous rencontrer ici. Vous attendez quelqu'un ?

— On nous a dit que c'était ici qu'on pouvait trouver une certaine Meryle.

En disant cela, le paladin parcourut les alentours du regard. Il repéra des écuries, ainsi qu'un puits, au centre de la place. Enfin, de l'autre côté se trouvait le bâtiment le plus imposant du comptoir. L'étrange sentiment oppressant d'hérésie dont Théo ne pouvait se défaire depuis leur arrivée semblait émaner de cet endroit précis.

— Écoutez, avant d'entrer, je vous préviens. On doit retrouver quelqu'un là-dedans, mais je détecte de l'hérésie… Non, pas toi, Bob.

Siriana, aux anges, invita les aventuriers à profiter des lieux comme s'ils étaient chez eux. Elle se tiendrait à leur disposition s'ils avaient besoin de quoi que ce fût. Un peu plus timidement, elle demanda à Aldo si elle pourrait avoir le privilège d'écouter l'une de ses fameuses chansons.

— Je peux envisager une chanson, mais sachez que si je l'improvise, les paroles peuvent surprendre.

— Tatie connaît bien tes œuvres, elle doit s'y attendre, assura Bob.

— Réservons ça pour l'heure du souper. annonça le ménestrel avec un sourire

Sur ces paroles, le groupe entra dans le grand bâtiment. Théo repéra immédiatement Meryle, leur contact pour leur prochaine mission. Sa chevelure rousse passait en effet difficilement inaperçue dans un tel cadre. L'intérieur de la bâtisse était plutôt sobre, seulement orné de quelques tables et bancs. Une cuisine de fortune constituait l'essentiel de l'ameublement de ce comptoir.

Théo prit les devants. Il se dirigea vers la jeune femme, nonchalamment, le bouclier à la main. En s'approchant, le paladin constata la présence d'un coffre solidement verrouillé sur la table. Shin eut d'autres réflexes et se dirigea vers le buffet. Aldo prit place aux côtés de Théo tandis que le pyromage s'installa une table plus loin, avec sa Tatie. Grunlek resta à distance, en observateur.

— C'est vous, Meryle ? demanda Théo

— Oui, en effet. Je vous attendais.

— Vous avez une mission pour nous ?

— Plus qu'une mission. C'est une charge qui pourrait impacter toute l'histoire de ma famille.

— Racontez-moi.

Avant de répondre, Meryle regarda les différents voyageurs présents dans la pièce. Aldo, Grunlek, Bob, Shin… Son regard ne rata aucun d'entre eux, et la jeune femme demanda confirmation à Théo de leur appartenance à son équipe. L'inquisiteur hocha la tête.

— Je suis Théo de Silverberg, et ça, c'est les autres. Enfin, plus sérieusement, vous avez Aldo, ménestrel. Grunlek, nain. Shin, eau, et Bob, feu.

Les explications concises et simplistes de l'aventurier semblent satisfaire Meryle, qui reprend son souffle avant de poursuivre.

— Enfin assis ici, je trouve que ton armure brille… marmonna Aldo pour lui-même, composant certainement un futur chef-d'œuvre.

— Hum… reprend Meryle. Je suis ravie que vous soyez venus. Je n'y croyais pas trop. Vous savez, il y a des rumeurs au sujet des aventuriers… Ecoutez… mes parents sont morts. J'ai hérité de la couronne des Vacquo. C'est un objet précieux, empreint de mysticisme, et je ne suis pas prête pour en faire usage, ni même pour en comprendre les mystères. J'aimerais que cette couronne soit mise en lieu sûr. J'aimerais que vous l'emmeniez à la Banque des Fils du Savoir, afin qu'elle soit protégée par des gens dignes de ce nom.

— On peut s'attendre à être attaqués sur le trajet ? s'enquit le paladin

— Je ne vous cache pas que, depuis la mort de mes parents, j'ai eu vent de nombreuses convoitises. A mon égard, car je ne suis pas mariée. A l'égard de mon héritage, également. La fortune, je saurai la gérer. Cet objet mystérieux, mystique… Je ne me sens pas capable de l'avoir avec moi. La Banque des Fils du Savoir se trouve à quelques lieues de là.

En se remémorant la carte des environs, qu'ils avaient étudiée pour se rendre au Comptoir, les aventuriers estimèrent qu'il leur faudrait environ une semaine de voyage pour atteindre la Cité des Fils.

— Il vaut combien, cet objet ? demanda Shin d'un ton très naturel

— Sa valeur est… sentimentale. C'est un héritage de la famille des Vacquo. Mais, au-delà de ceci, cette couronne est pétrie d'énigmes à travers les âges. Elle a été forgée avec des gemmes précieuses et des métaux rares, dans le monde lunaire, sous terre. Personne n'en a percé tout à fait les mystères. Ce dont on est sûr, c'est qu'elle décuple la connexion avec la Psyché. Entre de mauvaises mains, elle pourrait représenter un danger. Imaginez quelqu'un qui se sent totalement incapable de maîtriser ses talents ou son lien avec les éléments. Pire encore, imaginez quelqu'un qui aurait un lien surnaturel et qui laisserait déferler sur le monde sa nature démoniaque…

Ces informations déclenchèrent une vive discussion parmi les aventuriers. Qui parmi eux serait à même de transporter un tel objet ? Shin et Bob ne devaient y toucher sous aucun prétexte. Grunlek était à risque également, à cause de la puissance qu'il tirait des gemmes de pouvoir. Bob émit même des doutes concernant le paladin, car lui aussi, en dépit de son humanité, possédait des pouvoirs que la couronne pourrait amplifier jusqu'à les corrompre. Ne restait qu'Aldo, dont l'immortalité n'avait pas de lien évident avec le plan élémentaire.

Bob se renseigna sur la nature du coffre. Meryle le rassura sur la qualité des matériaux. Ce contenant avait été spécialement fabriqué dans le but de protéger la couronne du monde extérieur, et vice-versa. Cependant, elle proposa au groupe de voir l'objet de leur quête, cet héritage tant redouté. Bob et Grunlek s'approchèrent, curieux.

Lorsque Meryle ouvrit le coffre, une étrange lueur en émana, comme une lumière noire. La couronne semblait être faite de roche et d'écailles. Quatre gemmes éthérées étaient enchâssées dans les quatres pointes qui composaient l'objet. Soudain, une impulsion se produisit.

Shin ressentit un frisson qu'il ne connaissait que trop bien. Icy venait de se matérialiser, et de grimper sur son épaule. Le demi-élémentaire trouva cela étrange : il ne l'avait pas invoquée, que faisait donc cette créature ici ? Il l'interrogea du regard, et cette dernière lui répondit, directement dans son esprit.

— Shin… il faut que tu voles cette caisse. L'avenir des élémentaires d'eau dépend de cette couronne. Shin…

La gravité de la situation était palpable. Dans l'esprit de Shin, la nécessité de ce vol ne faisait aucun doute. Il faisait confiance à Icy. Et pourtant… Quelle pourrait être la bonne décision? Pour l'heure, il n'agirait pas, mais cette nouvelle information était solidement ancrée dans son esprit.

Les autres aventuriers ne remarquèrent rien de tout cela. Ils restaient focalisés sur la couronne. Au même moment, la voix d'un homme plutôt âgé s'éleva depuis l'entrée du comptoir.

— Meryle ! Cette couronne ne te revient pas. Elle appartient autant à Ardras !

Bob, Grunlek et Aldo se tournèrent aussitôt en direction de la voix. Théo, quant à lui, focalisa un instant son attention sur Shin, qui semblait extrêmement troublé, les yeux fixés sur le coffre.