Disclaimer : L'univers de Kuroko no Basket que vous reconnaitrez aisément appartient à Fujimaki Tadatoshi. L'auteur de cette fanfiction ne retire aucun profit de son utilisation si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue.

Bonne lecture.


Shadow : merci pour ta fidélité et ton commentaire. Je sais que je le dis à chaque chapitre, mais c'est important. Vous êtes si peu nombreux à le faire… ^^

Oui Takao et Himuro vont travailler ensemble, leurs compétences sont complémentaires. Kuroko va avoir besoin de leur savoir pour un petit problème chez un de ses clients.

Aomine est très troublé et il se protège encore même s'il a décidé d'avancer, quant à Kagami, il ne se croit toujours pas capable d'écrire ce roman, il faut juste l'encourager un peu…

Je suis contente de voir que cette histoire te plait toujours. Je te laisse avec ce nouveau chapitre.

Yin Yang : merci pour ta review. C'est encourageant. Jusqu'à présent, je me demandais si j'allais continuer à la publier vu le peu d'intérêt qu'elle semble susciter. Tes compliments me touchent beaucoup.

J'ai fait des recherches pour ne pas raconter trop de bêtises. L'intrigue ça m'est venu d'un coup et ma bêta m'a beaucoup aidé.

Pour les vannes, eh bien, ils sont plus matures et leur expérience du basket dans leur jeunesse n'est pas du tout la même que dans le manga. Après dans un UA, j'essaie toujours de trouver quelque chose de différent avec quelques clins d'œil au canon.

Rassure-toi, tu connaitras la fin de cette histoire. Encore merci pour te review. J'espère que ce chapitre te plaira.

Guest : merci d'avoir pris le temps de lire et de commenter cette histoire.

Aomine et Kagami sont le couple phare de KnB et il y a beaucoup à faire avec eux. Ça me fait plaisir si tu apprécies l'idée et l'intrigue.

Et pour les scènes érotiques, je n'aime pas faire graphique parce que par moment ça frise la pornographie quand c'est mal maitrisé. Je préfère l'érotisme subtil à la vulgarité crasse. Ça oblige à un travail de recherche et la langue française est si riche qu'on peut éviter de tomber dans ce genre de texte.

Si ça reste dans un cadre humoristique, ça peut encore passer, et rassure-toi, tu connaitras la fin de cette fiction.

Je te laisse avec la suite, j'espère qu'elle te plaira.

Encore merci.


Le roman de notre histoire

Chapitre 11

La fin du mois de novembre approchait à grands pas et Kagami se réjouissait de voir ses livres afficher un gros regain d'intérêt depuis leur sortie en format poche par Seirin. Il était régulièrement en contact avec Furihata qui était tout aussi satisfait. Ce devait être peu ou prou la même chose pour les autres. D'une certaine manière, cette erreur du hacker les avait bien servis. Avec le recul, il devait s'avouer qu'au début il avait eu une certaine appréhension avant de s'engager avec Touou. En particulier lors de sa première rencontre avec Aomine. Harasawa lui avait paru ouvert et clair, mais son collaborateur avait semblé hésitant. Ou plutôt, il avait eu l'air d'un prédateur qui a mis la patte sur une proie très alléchante. Vu ce qu'il venait de traverser avec Rakuzan, cette attitude, même si elle fut très brève, avait fait clignoter toutes ses alarmes. Par la suite, le directeur du département Science-Fiction avait réussi à le rassurer en donnant des réponses correctes aux différentes questions qu'il lui avait posées.

Il avait également pris le temps d'éplucher tous les avis qu'il avait pu trouver sur Internet. Touou était notée quatre virgule sept sur cinq. Il y avait toujours des mécontents, mais la grande majorité indiquait une satisfaction globale. Rakuzan n'était qu'à trois virgule huit et certains commentaires ne faisaient pas dans la dentelle. Les reproches allaient du manque d'écoute de l'écrivain par son correcteur, aux cadences à peine supportables des tournées de dédicaces. Elles étaient bien organisées, mais à la fin l'auteur était épuisé. Et Kagami en savait quelque chose. Il y avait aussi la carence de certains formats, et la diminution de la publicité dès lors que le livre se vendait moins. Au-dessous d'un certain seuil, elle était purement stoppée sans que le romancier en soit informé. Et cette procédure ne faisait même pas l'objet d'un petit paragraphe dans le contrat. Sinon, la plupart étaient plutôt satisfaits. Jusqu'à présent. Car depuis l'affaire des droits d'auteurs, les avis étaient inexistants. C'était encore pire que s'ils avaient insulté ouvertement Rakuzan. Ne plus rien dire démontrait clairement un complet désintérêt pour cette maison d'édition. Regagner la confiance des écrivains ne serait pas facile.

La journée était ensoleillée mais un peu fraiche. Kagami les aimait comme ça. Vêtu d'un jeans et d'un pull léger en laine bordeaux à torsades de style irlandais sur une chemise blanche dont on ne voyait que le col (1), il regardait son jardin, un café à la main. Il aperçut Jade descendre du cerisier et se diriger vers l'arrière de la maison où se trouvait la chatière. Elle avait atteint sa taille adulte et elle était très belle avec son poil long, noir et brillant. La veille, il avait eu une visio assez mouvementée avec Aomine sur un point qui concernait les jeux du cirque durant la Rome Antique et la façon dont il fallait l'adapter à l'époque du roman. Chacun d'eux était resté sur ses positions et la conversation avait tourné court. Il allait bien être contraint d'en reparler et il n'était pas pressé. Dans sa poche, son téléphone vibra, il venait de recevoir un SMS. Il en prit connaissance et courut jusqu'à l'entrée.

— Vous avez dit que j'pouvais passer chez vous n'importe quand, déclara Aomine qui se tenait devant le portail.

Son estomac se tordit agréablement. Il était étrangement heureux de voir son correcteur. C'était la première fois qu'ils se rencontraient dans sa maison.

— Entrez, parvint-il à bredouiller tant il était content.

Aomine suivit l'écrivain et se déchaussa dans le genkan (2) pendant que celui-ci époussetait ses chaussons d'intérieurs.

— Il y en a de différentes tailles dans le meuble, lui indiqua-t-il.

— Jetables ? Bien vu, observa-t-il en palpant la texture qui ressemblait à du tissu fait de papier comme les vêtements de bloc opératoire qui étaient fournis aux patients.

— Ça évite du travail à la femme de ménage. Venez.

Le ton était légèrement contrarié. Kagami s'était interrompu juste pour une pause. Il était en pleine inspiration et il allait devoir rapidement noter ses idées pour les reprendre plus tard. Il se dirigea vers son bureau, suivi de son invité surprise qui avait bien senti qu'il n'était pas le bienvenu malgré la proposition lancée quelques semaines plus tôt. Peut-être était-ce dû à leur altercation de la veille. De toute façon, il faudrait remettre ça sur le tapis et trouver une solution. Et bien souvent le dernier mot allait à l'écrivain puisque après tout, il s'agissait de son œuvre. Mais Aomine savait comment présenter ses arguments pour que Kagami finisse par penser que les idées venaient de lui et non pas du correcteur.

C'était en cela qu'Harasawa lui avait notifié de ne pas lui rentrer dans le lard. Il lui montrait le sujet sous un autre angle, avec un point de vue différent. C'était son rôle, il le faisait bien, il en maîtrisait toutes les subtilités. De là à dire que c'était de la manipulation, il n'y avait qu'un pas de fourmi. Et c'était pour la bonne cause. Sauf que Kagami n'était pas si facile à leurrer. Et Aomine adorait qu'on lui résiste comme ça, que l'auteur confronte sa vision à la sienne, en expliquant son analyse et en tâchant de le convaincre que c'était lui qui avait raison. C'était excitant au possible.

— Vous voulez boire quelque chose ? Un thé ? Une bière ?

— Une bière s'il vous plait, répondit-il poliment en posant la sacoche de son ordinateur à ses pieds. Vous avez une très belle maison, tenta-t-il pour briser la glace.

— Merci. Tenez. Qu'est-ce qui vous amène ?

Depuis quelques semaines qu'ils travaillaient ensemble, une certaine convivialité s'était installée entre eux. Ils discutaient, plaisantaient, ils s'apprivoisaient. Une véritable sympathie s'était développait, sans parler de cette attirance qu'ils éprouvaient sans la montrer et qui se distinguait par la submersion de leur psyché respective d'images et de pensées que l'on aurait pu qualifier de parasites parce qu'elles étaient involontaires. Sans parler d'une imagination débordante et des rêves plutôt explicites qui attisait leurs sensations.

Et cet échange informel était la preuve d'une régression dans leurs rapports professionnels. Un peu comme s'ils étaient revenus au point de départ ou presque, alors que les choses étaient si bien engagées. L'un comme l'autre était persuadé que leur collaboration était très bénéfique pour ce roman, malheureusement c'était sans compter sur leur caractère mutuel bouillonnant et leur investissement passionné dans leur travail. Aomine avait fait le premier pas, peut-être fallait-il lui donner une chance de retrouver son chemin, celui du correcteur qui conseille et discute, pas celui qui décrète à tout prix. Parce que c'était bien de ça qu'il s'agissait. Emporté par son élan, il avait été à la limite d'un ordre dans le sens militaire du mot. Plutôt un ultimatum qui lui aurait fait perdre Kagami et son roman sans le moindre doute. Et l'écrivain l'avait inconsciemment capté puisque c'était lui qui avait mis un terme à la visio avant de prononcer des paroles qui auraient dépassé sa pensée et qui aurait sonné le glas de leur partenariat. Certes, son contrat l'engageait avec Touou, mais lorsque auteur et correcteur ne s'entendent plus, il était possible pour une maison d'édition de remplacer le second pour garder le premier. Le problème c'est qu'il n'aurait pas pu travailler avec quelqu'un d'autre et pour cette raison, il fallait donc qu'ils accordent leurs violons.

— Eh bien… nous avons eu un échange un peu… houleux, commença-t-il en saisissant la bouteille, et j'me suis dit que… puisque vous m'aviez invité à venir quand je l'pensais nécessaire, me voilà. On devrait s'efforcer de trouver un terrain d'entente.

— Je l'crois, effectivement, lâcha l'écrivain en regardant son interlocuteur, presque euphorique qu'il prenne l'initiative d'un enterrement de hache de guerre, mais sans le montrer, ça lui aurait fait trop plaisir.

— J'me suis emballé, déclara Aomine sans préambule, en croisant les mains en appui sur ses genoux. Je crois tellement en ce roman… J'n'aurais pas dû essayer de vous imposer à tout prix mes idées.

— Vous me présentez vos excuses ? rétorqua Kagami qui commençait à s'amuser de l'embarras de son vis-à-vis.

— D'une certaine façon. J'n'aurais pas dû insister, mais mon point de vue se défend, se récria-t-il incapable de s'avouer entièrement vaincu. Il m'arrive parfois d'oublier que j'suis pas l'auteur… seulement le correcteur…

Étaient-ce des regrets qu'il venait d'entendre dans ce murmure ? Aomine était-il jaloux du talent des écrivains dont il s'était occupé jusqu'à présent ? Voilà une facette qu'il n'avait jamais pressentie chez cet homme qui envahissait son esprit tel Attila conquérant l'Europe. Était-il une énigme qu'il fallait résoudre ? Avait-il le temps pour ça ? En avait-il seulement le désir ? Mais bien sûr que oui ! Il en crevait d'envie. Il voulait savoir qui était Aomine, aussi bien le correcteur que l'homme. Il avait remarqué l'ombre qui brouillait parfois son regard et il était curieux d'en connaitre l'origine. Mais pour ça il allait falloir faire preuve de subtilité pour l'amener à se confier.

L'écrivain le fixa de ses yeux d'un rouge foncé jusqu'à ce que ce dernier finisse par se sentir mal à l'aise et détourne les siens. Ce qui n'arrivait pas souvent. Aomine n'était pas du genre à se laisser intimider, mais là, en l'occurrence, faire profil bas était la meilleure stratégie. Il ne pouvait se permettre de perdre ce type parce qu'il aura été trop sûr de lui et trop pressant. Il ne baissera jamais les bras, ça, c'était clair. Il réclamait ce que Kagami pouvait faire de mieux et il était prêt à lui essorer le cerveau avec une centrifugeuse pour ça. Et l'auteur en prit soudainement conscience. Au bout de toutes ces semaines de travail en commun, il venait de réaliser pourquoi ce gars était si efficace. Il voulait faire d'une œuvre un chef-d'œuvre. C'était louable en soi et Kagami comprenait l'engouement dont il faisait preuve. Sauf que ses méthodes n'étaient pas toujours faciles à appréhender et encore moins, à accepter sans discernement. Maintenant qu'il avait admis cela comme un fait établi, il sera plus aisé de moduler l'ardeur d'Aomine. Il était foutrement heureux de voir à quel point celui-ci était enthousiasmé par le Prix de la Liberté et il fallait qu'il continue à travailler avec lui. C'était impératif. Vital ?

— De mon côté, j'n'aurais peut-être pas dû tout rejeter en bloc. Disons que c'est un statu quo. Qu'en pensez-vous ?

Il venait de lui tendre une perche et il espérait qu'il l'attrape. Sans ça, leur collaboration risquait de tourner court. Kagami appréciait le travail d'Aomine, mais il demeurait le seul décisionnaire quant à son roman et il comptait bien le rester. Il voulait bosser avec ce type. Il était parfait pour ça. Ça ne pouvait être personne d'autre. Il avait saisi l'essence de son histoire et ça, c'était juste… fantastique !

— J'en dis que nous allons devoir discuter à nouveau des jeux d'la Rome Antique, fit Aomine avec un petit rictus de regret.

— J'ai contacté un de mes anciens professeurs pour lui demander des précisions et il m'a envoyé plusieurs liens de bibliothèques universitaires, dont quatre Italiennes.

— Nous aurions dû commencer par là et ne pas tenir pour acquises nos maigres connaissances en la matière.

— Sur ce point, nous sommes d'accord. J'vais vous envoyer les url. Posez votre ordinateur en face du mien et vous avez une chaise, là…

Ils s'installèrent sur le bureau de Kagami et se mirent au travail. Après avoir consulté les sites, ils en arrivèrent à la conclusion qu'aucun d'eux n'avait effectivement tort ou raison. Les jeux du cirque étaient bien plus complexes qu'il n'y paraissait. Et maintenant il allait falloir adapter tout ça pour un univers futuriste. Ils n'en étaient pas encore là, mais nul doute que ça n'allait pas tarder. Et Kagami se dit qu'il valait mieux se battre le ventre plein.

— Vous dînez avec moi ? demanda-t-il en se levant sous le regard énigmatique d'Aomine qui venait de le balayer de haut en bas.

Pourquoi l'observait-il ainsi ? Qu'est-ce que ça cachait ? Sans attendre la réponse, il se rendit à la cuisine et commença à préparer le repas.

— Avec plaisir, entendit-il. Je suis ravi de profiter encore de vos talents culinaires…

Kagami se souvenait du jour pas si lointain où il avait apporté un bento au bureau d'Aomine. Il le soupçonnait de tout oublier lorsqu'il était complètement concentré sur son travail. C'est aussi une des raisons qui l'avaient poussé à mettre des alarmes sur son propre téléphone pour lui rappeler de manger tout simplement mais il avait fini par les effacer.

— J'peux vous aider ?

Il faillit sursauter en entendant cette voix chaude derrière lui. Elle l'avait enveloppée comme un lasso dont il lui fut impossible de se dégager pendant quelques secondes.

— Pourquoi pas ? sourit-il pour se donner une contenance. Je vais faire du katsudon (3). Vous aimez ?

— J'adore, fit Aomine qui salivait déjà.

— Le ricecook est là, sur le plan de travail. Et le riz, dans ce placard.

— Ça, je sais faire…

Le dîner prêt, les deux hommes s'attablèrent devant plusieurs petits plats dont le fumet mettait l'eau à la bouche. Ils se souhaitèrent un bon appétit et commencèrent à manger. Durant toute la préparation du repas, ils n'avaient pas parlé du roman. La discussion tourna essentiellement autour de la gastronomie. Aomine n'avait jamais été à l'étranger, mais il écouta avec un intérêt évident son hôte qui, lui, avait eu la chance déjà d'aller en Italie d'où il avait ramené un gout prononcé pour le café et en France où il avait séjourné avec son père lorsqu'il était adolescent,

— La cuisine française est l'une des plus raffinées du monde, expliquait-il. Ils ont une façon très vraiment unique de marier les saveurs et les textures, ça frise le divin. (4)

— Vous étiez à Paris ? demanda encore Aomine qui ne se lassait pas d'entendre ces histoires.

— Oui, dans un hôtel tout près de l'Arc de Triomphe. On a visité le Musée du Louvre, la cathédrale de Notre-Dame toute reconstruite, le Sacré-Cœur. Nous nous sommes aussi arrêtés dans la région de la ville de Cognac où ils font cet alcool et j'avoue que j'ai beaucoup apprécié les dégustations, expliqua le romancier avec un petit gloussement.

— Moi j'aimerais découvrir Athènes, la Grèce, confia le correcteur qui s'était laissé embarquer dans ce voyage à travers les mots de Kagami. La civilisation de la Grèce Antique a légué des vestiges extraordinaires.

— Qu'est-ce qui vous attire chez les Grecques ?

— Leur mythologie. Elle foisonne de récits épiques, elle parle des Dieux qui se promenaient parmi les hommes et leur en faisaient voir de toutes les couleurs. On y croirait presque tant les légendes qui nous sont parvenues la rendent vivante. Et leur histoire est passionnante. Toutes ces cités états qui étaient en guerre finirent par s'unir contre les Perses. Leurs scientifiques, leurs philosophes, ont marqué le monde entier jusqu'à nos jours. Leur cuisine est excellente également.

— Il existe beaucoup de civilisations dont la richesse culturelle est fascinante. La nôtre est très belle aussi, approuva Kagami, amusé par la fougue de son invité. Vous désirez un dessert ?

— Non, merci. Je suis repu. C'était délicieux.

— Merci. Installez-vous au salon, je nous apporte deux sakés.

Ils sirotèrent leur boisson quelques instants en silence, lorsque Jade pointa le bout de son museau. Elle s'approcha avec méfiance de l'étranger qui était entré dans sa maison. Elle huma prudemment d'abord le pied puis le bas du pantalon. Aomine tendit sa main qu'elle renifla et elle frotta sa tête contre les doigts. Il l'attrapa pour la poser sur ses genoux.

— Toi tu dois sentir Corail (5), hein ? dit-il en la gratouillant entre les oreilles. Comment tu t'appelles ?

— Jade.

— Jade… C'est forcément à cause de tes beaux yeux verts.

— Qui est Corail ?

— Mon chat, un rouquin avec des poils un peu longs comme elle. Elle doit sentir son odeur sur moi. Elle a quel âge ?

— Un peu plus d'un an. J'l'ai trouvé coincée dans l'cerisier du jardin. Et le vôtre ?

— Bientôt trois ans. La chatte d'un ami avait eu des petits.

— Opéré ?

— Oh oui ! J'habite dans un appartement et il m'a fait vivre un enfer avant ça. La chatte de ma voisine du dessus était en chaleur. Il miaulait toute la journée comme un écorché vif... Les voisins ont moyennement apprécié. Je l'ai fait opérer. Et Jade ?

— Stérilisée. J'adore les chats, mais si elle avait eu des chatons, j'aurais pas pu m'en séparer et même, on sait jamais vraiment s'ils vont être bien traités.

— Je vous comprends, moi aussi j'adore les chats. C'est un animal tellement fascinant…

Kagami n'avait cessé d'observer cette main qui caressait Jade confortablement installée sur les cuisses d'Aomine. Le geste était presque hypnotique, lent, très doux et la minette appréciait de toute évidence. Elle devait se sentir en sécurité. Il y avait de la sensualité dans ce va-et-vient, presque de la tendresse. Était-il comme ça avec ses maitresses ? Prévenant ? Respectueux ? Mais à quoi pensait-il ? Pourquoi ce genre d'idées lui traversaient-elles l'esprit ?

— J'ai vraiment eu l'impression que quelque chose vous avez véritablement énervé hier, observa le correcteur. Je ne vous avais jamais vu aussi remonté.

— Je suis désolé. J'venais de recevoir une nouvelle qui m'a contrarié plus que je ne l'aurais souhaité.

— Ça semble être encore le cas. Vous voulez en parler ?

— J'vais pas vous ennuyer avec ça.

— J'crois que mieux on s'connaitra, mieux on travaillera ensemble. Si j'comprends votre état d'esprit, vos sautes d'humeur, je saurai comment m'y prendre pour ne pas rajouter à votre souci.

— C'est rien… C'est en rapport avec Rakuzan… Le hacker a plus ou moins été localisé, mais c'est pas gagné. C'est à cause de lui qu'mon ami s'est fait agresser et j'ai vraiment la haine contre ce type…

— Je vois… Vous voulez vous défouler ? proposa Aomine avec un sourire en coin loin d'être rassurant.

— Pardon ? tressaillit l'auteur qui pensait toujours à cette caresse sur le dos du chat.

— Écrivez une scène de combat. Bien dure, bien sanglante. Ça s'ra pas la première dans votre histoire. Servez-vous d'cette colère pour la rendre… tellement réaliste que le lecteur ressentira la même rage que vous à travers vos mots, s'emballa une fois encore Aomine appuyant ses paroles avec des mouvements vifs des mains.

Kagami plongea sans retenue dans l'abime bleu qui l'observait. Utiliser ses émotions, des souvenirs d'une expérience, de son vécu, il l'avait déjà fait bien sûr. Un écrivain puise en lui-même avant tout pour raconter une histoire, le talent et l'imagination faisaient le reste. Mais jamais, il n'avait pensé à recourir à cette émotion-là. Cette colère qui parfois se rallumait comme un geyser irrépressible. Elle lui avait valu une thérapie à l'âge de dix-sept ans, après qu'il eut massacré un jeune homme un peu plus vieux qui l'avait trop provoqué sur son accent américain quand il parlait. Il fut diagnostiqué TEI (Troubles Explosifs Intermittents) léger. Il en fut très affecté et avait dû apprendre à se contrôler. Ça avait très bien fonctionné, jusqu'à aujourd'hui. La veille, lors de sa discussion très animée avec son correcteur, il avait senti ressurgir le spectre de cette fureur qu'il gardait enchainé au fond de lui et dont il avait une conscience aigüe. L'agression de Furihata avait certainement érodé cette maitrise. Et voilà qu'Aomine lui suggérait d'utiliser cette colère et tous les sentiments négatifs qu'il éprouvait pour écrire et apaiser cette violence qu'il avait en lui. C'était un vrai paradoxe. Devait-il prendre le risque de perdre ce contrôle devenu fragile, sachant à quel point ses réactions pouvaient être disproportionnées par rapport aux raisons qui les déclenchaient ? Les techniques de méditation et de relaxation de Kiyoshi allaient lui servir, bien plus qu'il ne les avait employées jusqu'à présent.

Aomine le fixait avec une rare intensité. Il voyait bien les rouages du cerveau de Kagami tourner à toute vitesse. Il se doutait qu'il réfléchissait aux avantages d'une telle méthode. Ils étaient énormes, mais le correcteur ignorait à quel point ce pouvait être dangereux. Il ne connaissait rien du passé de l'auteur ou si peu. Qu'arriverait-il si l'écrivain ne se maitrisait plus ? Cela pouvait-il se produire simplement en revivant cet évènement pour s'en servir ? Ce serait une victoire que de l'utiliser pour quelque chose de positif, mais le jeu en valait-il la chandelle ?

Kagami décida que oui. Aomine était indubitablement le correcteur dont il avait besoin. Pour ne pas risquer de l'effrayer avec son caractère brulant, il serait contraint de se contrôler et laisser filtrer juste ce qu'il fallait de négativité pour mener à bien cette histoire. Pas une négativité destructrice, mais productive pour jouer sur les sentiments des lecteurs et les embarquer dans la nouvelle Rome du XXVIe siècle, le Prix de la Liberté.

Ils étaient assis face à face dans les fauteuils du salon et s'observaient comme deux statues. Ce fut finalement Aomine qui brisa le silence pesant qui s'était installé depuis plusieurs minutes. Les réflexions de Kagami étaient visibles sur son visage, mais maintenant il fallait avancer et arrêter de cogiter. Sauf qu'il était à mille lieues d'imaginer ce qu'il avait en tête.

— Écrivez cette scène… ou même plusieurs tant que vous en ressentirez l'besoin, conseilla-t-il d'une voix à peine audible, dans le registre de l'intimité, chaleureuse et convaincante.

— Jusqu'à présent, vos suggestions ont été particulièrement concises, avoua Kagami, bien conscient qu'il faisait là un compliment. Nous allons poursuivre ainsi. J'espère juste que vous serez indulgent si jamais j'devais… m'emporter à nouveau…

Et pourquoi s'emporterait-il, hein ? Pourquoi mettait-il cet argument en avant ? Il se souvenait de la façon dont Kagami avait presque hurlé, les yeux exorbités, ses mains claquant sur la surface de son bureau. Ce comportement était-il habituel chez lui ? Personne n'aimait être contrarié, mais rares étaient ceux qui piquaient une colère comme un sale gosse qui fait un caprice. Non, il y avait autre chose de plus profond.

— J'ai bien compris qu'vous démarrez au quart de tour, plaisanta Aomine, mais vous avez vu que j'suis pas en reste. Je serai moins insistant si j'parviens pas à vous convaincre de discuter mes propositions.

— Je reconnais qu'j'ai le sang chaud, dit Kagami. Je serai plus tolérant, vous faites votre travail.

— J'y mets parfois un peu trop de… passion, dirons-nous. Surtout quand j'crois fermement en la qualité d'une œuvre.

— Peut-on dire qu'on repart sur des bases nouvelles et solides ?

— On peut le dire…

Ils échangèrent un sourire entendu. Cette conversation semblait avoir porté ses fruits d'un point de vue professionnel. Personnellement, il y avait encore plus de questions sans réponse, mais chacun avait bien l'intention de les trouver. D'une manière ou d'une autre.

Ils continuèrent à faire des recherches sur les jeux du cirque en écumant les sites des quatre bibliothèques universitaires italiennes. Jade se rappela au bon souvenir de son humain en sautant sur son bureau.

— Jade ! Non ! Pas le clavier ! s'écria Kagami en soulevant le chat pour le poser au sol.

— C'est quelle heure ? demanda Aomine en regardant sa montre. Une heure et demie ? Faut qu'je rentre…

— Vous voulez dormir ici ? Y a deux chambres à l'étage…

Pour sa tranquillité d'esprit, Aomine refusa. Cela requit un effort considérable de sa part, mais il tint bon. Il avait eu terriblement envie d'accepter, de découvrir l'intimité de l'homme derrière l'écrivain. Il aurait bien aimé savoir comment était Kagami au saut du lit, les yeux encore remplis de sommeil, les cheveux en bataille et une joie matinale propre à tous les hommes… Non, mauvaise idée. Très mauvaise. Un jour peut-être, mais pas maintenant. Pas encore ? Et Corail devait l'attendre de patte ferme devant sa gamelle vide avec son air de "C'est à cett'heure-là qu'tu rentres ? J'ai faim moi !", mais il retenait l'invitation pour une autre fois. Bientôt. Très bientôt ? La prochaine occasion serait la bonne.

Évidemment.

Il le faudra.

Il lui avait semblé percevoir des signes, des sortes de petits encouragements à tenter une approche plus personnelle. Mais ne prenait-il pas ses désirs pour la réalité ? Ses désirs… qui n'avaient fait que s'intensifier. Plus il découvrait cet homme, plus il lui plaisait, mais il ne voulait pas mettre en péril l'écriture d'une telle histoire en mélangeant vie privée et vie professionnelle. Une fois dans sa voiture, il inspira et expira longuement comme s'il avait été en apnée toutes ces heures passées avec le romancier, torturé par un délicieux chatouillis au creux du ventre. Il avait adoré cette soirée. Il s'engagea dans la circulation clairsemée à cette heure tardive, le sourire aux lèvres.

La demeure lui parut bien vide lorsqu'il referma la porte derrière Aomine. Kagami fut surpris de constater à quel point son correcteur prenait de la place de par son charisme et sa présence. Même Jade l'avait accepté comme un nouvel occupant de la maison. Il avait apprécié chaque seconde de cette soirée qui avait pourtant commencé de manière un peu tendue. Comme quoi, une bonne mise au point s'avérait souvent être une bonne chose. Il avait du mal à se sortir Aomine de la tête. Cet homme renvoyait une image, une incarnation de son idéal masculin qui le charmait indéniablement et l'enivrait doucement, pareil à un cognac qui marque la mémoire des sens. Ce n'était pas la première fois qu'il éprouvait une telle émotion, mais là, il y avait quelque chose de plus. Une attirance contre laquelle il avait des difficultés à résister. Non, contre laquelle il refusait de lutter. Ce sentiment était si agréable, il était si facile de se laisser glisser sur cette pente. Il en avait envie. Mais cela était-il envisageable ? Rien, ce soir, n'avait pu lui indiquer qu'il y avait une quelconque réciprocité. Il lui avait semblé recevoir quelques signes, mais il était tellement persuadé qu'une femme l'attendait quelque part qu'il ne voulait pas leur donner une signification erronée. Il éteignit son chevet et plongea dans un sommeil peuplé de rêves bleus…


Deux jours plus tard, Kagami se rendit dans les bureaux de Rakuzan à la demande de son PDG. Il n'y était plus retourné depuis qu'il avait remis son manuscrit corrigé et l'atmosphère différente qui régnait lui sauta immédiatement aux yeux. Tout était plus paisible, presque serein. Avant toute cette affaire, les gens paraissaient nerveux, comme craintifs. Là, certains souriaient. Que s'était-il donc passé pour qu'un tel changement soit perceptible sans même avoir une existence tangible ? Il monta jusqu'à l'étage de la direction et se présenta à la secrétaire qui l'annonça. Moins de cinq minutes plus tard, Akashi vint lui ouvrir en personne.

— Bonjour Kagami. Entre, j't'en prie, fit celui-ci d'un geste de la main.

Kagami fut immédiatement sur ses gardes. Cette attitude contrite et aimable masquait obligatoirement quelque chose.

— J'ai pas beaucoup de temps alors va droit au but, grommela-t-il sans cacher sa contrariété.

— J'vois qu'tu m'en veux toujours, constata Akashi en contournant son bureau pour s'asseoir dans son fauteuil en cuir rouge foncé d'un luxe ostentatoire (6) qui seyait bien au personnage. J'me suis pourtant excusé, reprit-il.

— J'ai peut-être accepté tes justifications, rétorqua l'écrivain en se laissant tomber dans l'un des canapés, malgré c'que t'as fait, mais j'te pardonnerai jamais même si je sais qu'tu t'en fous. Alors ? Qu'est-ce que tu veux ?

— Que dirais-tu que Rakuzan édite ton roman de Science-Fiction ? Je réitère mon offre.

— Non, merci Touou va s'en charger. Mes divers livres seront en format poche grâce à Seirin et toi, il te reste que "Sur les plages de Sado" que je peux pas encore proposer à une nouvelle maison d'édition, mais bientôt. Et t'as mes autres bouquins dont tu dois approvisionner les points d'vente s'ils te l'demandent.

— Ta rancune est tenace, j'peux comprendre. J'te renouvelle mes excuses. Et j'aim…

— Tes excuses ? explosa Kagami en bondissant comme un diable de sa boite incapable de supporter davantage l'hypocrisie d'Akashi. Tu les as présentés à Furihata que t'as fait tabasser ?

Akashi devint blême. Que savait Kagami de cette histoire ? La police n'avait aucune piste. Même si la plainte contre X avait été déposée, elle ne mènerait à rien.

— Tu m'accuses ? demanda le PDG en plissant les yeux et qui ne se sentait plus réellement enclin à faire des concessions.

— J'ai aucune preuve, mais je sais qu'c'est toi qui en as donné l'ordre. C'est probablement Nebuya qui s'est chargé de la sale besogne, non ?

Kagami ignorait à quel point il était près de la vérité. Un vent de panique décoiffa Akashi même s'il était vraiment innocent. Jamais il n'aurait fait une telle chose. Nebuya avait agi de sa propre initiative. Il fallait absolument couper court aux soupçons de l'écrivain et réorienter ses réflexions.

— J'ai commis des erreurs, admit Akashi. J'ai été sanctionné et vous avez été indemnisés. Je sais que tu m'accordes plus aucune confiance, mais j't'assure que j'y suis pour rien dans l'agression de Furihata. De plus, il est pas l'seul à avoir porté plainte. Alors pourquoi lui en particulier ?

— Parce que c'est lui qui s'est retrouvé être, par erreur, un des destinataires de ces mails, rétorqua Kagami, ivre d'une rage difficilement contenue. T'as fait appel à un hacker, il s'est planté. Et Furihata a payé les pots cassés. T'es qu'une pourriture !

— J'te répète que j'ai rien à voir avec ça, insista Akashi qui commençait à perdre son calme.

Et il disait vrai. Pourtant, tout portait à croire qu'il avait pu commanditer le tabassage en règle de l'écrivain. Mais il ne pouvait pas dénoncer Nebuya. Ce serait le trahir alors que celui-ci avait toujours été loyal envers son ami d'enfance. C'était hors de question.

— Tu m'dégoutes, cracha Kagami avec un mépris brulant dans la voix. Ne m'appelle plus jamais ou j'porte plainte pour harcèlement psychologique.

Akashi soupira profondément en fermant les yeux. Il n'était pas passé loin du drame. Il avait voulu faire amende honorable, sauf que, de toute évidence, il avait fait fuir son auteur phare sans espoir de retour. En tentant de la plumer juste un peu, il avait tué la poule aux œufs d'or. La maison d'édition finirait par s'en remettre, mais retrouverait-elle le même niveau qu'avant cette histoire ? Higuchi allait encore le sermonner avec ce ton méprisant qui lui faisait horreur. Tant pis, il supporterait. Il avait enduré bien pire. À ce souvenir, sa gorge se serra. Mibuchi était le seul à savoir ce qu'il avait subi en prison et son soutien lui était devenu indispensable comme une béquille qu'on garde toute sa vie, parce que la guérison complète n'est pas envisageable. Mais était-ce seulement souhaitable au risque de voir réapparaître l'ancien Akashi ?

Kagami avait tourné les talons et était sorti du bureau du pas assuré de celui qui sait qu'il a raison. Un sourire étira ses lèvres. Comme la fois précédente au téléphone, il jubilait. Il s'était, en plus, permis d'insulter son ancien éditeur. Quel pied ! Il décida d'aller chez Seirin, histoire de leur montrer qu'il était toujours présent. Même s'il était accaparé par son nouveau roman, il suivait de près l'évolution de ses ventes.

Le superviseur n'était pas là, mais son épouse le reçut. Elle avait apprécié Kagami dès le départ. Elle ne le laissait peut-être pas paraitre, mais avoir un auteur avec sa notoriété était un atout de poids pour Seirin. Ils discutèrent pendant plus d'une heure des livres réédités en format poche et la jeune femme ne cacha pas son enthousiasme. Les romans se vendaient comme des petits pains, en particulier avec l'approche des fêtes du jour de l'an où ils feraient partie des menus cadeaux offerts pour l'occasion. L'écrivain lui fit également part de sa satisfaction de travailler avec des personnes honnêtes. Le monde de l'édition désapprouvait haut et fort les méthodes de Rakuzan. Remonter la pente serait très difficile surtout lorsqu'elle se mettait à ressembler à un mur complètement lisse et interminable.


Malgré le nombre de librairies en baisse depuis plusieurs années à cause de l'arrivée du numérique, certaines résistaient encore et continuaient à proposer à leurs clients les ouvrages "papier". C'était valable pour tous les genres que ce soit le roman, le manga, les reportages, les collections, les dictionnaires, etc. Il ne faisait presque plus aucun doute que ces commerces étaient appelés à disparaitre un jour ou l'autre. Pas aujourd'hui, pas demain, mais qu'ils survivent jusqu'à l'arrivée du prochain siècle était fort peu probable. Certains défendront le livre papier pour la présence physique qu'il apporte lors de la lecture comme on ressent celle d'un ami, le poids dans les mains qui procure une capacité à se concentrer inégalée par un écran, l'odeur qui se dégage des pages que l'on tourne tandis que d'autres diront qu'ils peuvent en emporter cinquante dans une liseuse à peine plus grande qu'un smartphone. Le "bouquin" vivait probablement ses dernières années. Ce sera ça en moins à recycler, proclameront les écologistes. Mais ne risque-t-on pas de perdre tout ce qui fait l'essence d'un livre ? Cet objet que l'on ouvre tel un coffre aux trésors et dans lequel on va découvrir des secrets fabuleux ? Il offre l'évasion du quotidien, la capacité à se glisser dans la peau d'un autre quelques heures, la stimulation de l'imagination et tellement de richesses pour l'esprit. Le numérique pouvait-il offrir toutes ces sensations ?

Le Japon avait déjà entamé la modernisation de ce secteur d'activité depuis quelques années et pour l'instant, les résultats n'étaient pas probants même s'ils allaient légèrement dans le sens du numérique. Il faut vivre avec son temps. L'essentiel était que les gens continuent à lire. Kagami et les écrivains de sa génération avaient bien compris l'importance du e-book et si au début, il y avait eu quelques frileux envers cette technologie, ils étaient rapidement revenus à de meilleurs sentiments en voyant les bénéfices du high-tech. En particulier pour leur porte-monnaie.

Le principal était de conserver intacte la passion d'écrire et de raconter des histoires. Après, le format de vente était de moins en moins déterminant. De plus, les prix très abordables permettaient une plus large diffusion dans les milieux plus modestes qui ne pouvaient pas toujours s'offrir un ouvrage à presque quatre mille yens (7) au minimum pour un beau format. Seirin avait su s'adapter pour pérenniser son avenir. Et là encore, Kagami se félicitait de son choix.

L'un dans l'autre, cette petite visite avait contribué à le calmer. Mais, il sentait encore la colère lui bruler les veines. Il regagna son domicile et après un bon café, il enfila un survêtement, un t-shirt et alla s'enfermer dans la remise qu'il avait aménagée en salle de sport. Il commença par quelques étirements pour s'échauffer avant de passer des gants pour cogner dans le sac de frappes. Il se souvenait de quelques mouvements d'arts martiaux que son père lui avait appris et même s'ils n'étaient pas parfaits, ils lui permettaient de se libérer de cette colère qu'il ressentait toujours, mais moins intensément. Le pauvre sac devait se demander ce qu'il avait bien pu faire de mal pour prendre une telle volée de coups de pied et de poings. Hors d'haleine, Kagami finit par s'arrêter. Ses bras étaient lourds et ses tibias douloureux. Ça faisait bien longtemps qu'il n'avait pas maltraité son corps ainsi. Il se laissa tomber sur un banc, vida la bouteille d'eau qu'il avait amenée et passa une serviette autour de son cou. Il était éreinté. Après une bonne douche, il s'assit en tailleur sur le sol face au jardin qu'il apercevait à travers la baie vitrée et termina par une séance de méditation. Quand ses pensées s'en allèrent vagabonder dans un océan empli de nuances de bleu, il ne les retint pas. Il n'essaya même pas. Le bleu était vraiment une belle couleur. Celle du ciel par beau temps, celle de la mer lorsqu'elle est paisible, celle de ses yeux qui brillent comme deux saphirs…


Kuroko venait d'avoir la confirmation que ses doutes étaient fondés. La Shinkyo PMS Traders avait bien été piratée. Mais était-elle innocente ? N'avait-elle pas fait appel à un hacker, comme Rakuzan ? Le jeune comptable était bien au fait de cette affaire qui avait impliqué son ami Kagami. Le seul moyen de le savoir serait de chercher si l'un ou plusieurs des dirigeants avaient perçu des avantages en nature. Des voyages, des réductions importantes dans des boutiques de luxe, des bijoux ou une voiture neuve haut de gamme. Un détournement de fonds ne se traduisait pas toujours par un compte bancaire bien rempli dans un paradis fiscal.

Maintenant, il allait devoir en parler à son patron en évitant autant que possible de lui expliquer comment il avait eu ces informations. Pour l'instant, il n'était question que de mouvements d'argent un peu troubles. Pour commencer, il envoya les documents qu'il avait lui-même rassemblés et garda sur une clé USB ceux qu'Himuro lui avait fait parvenir. Il avait eu le hacker au téléphone et celui-ci lui avait certifié qu'il s'agissait bien d'un piratage, mais qu'il n'avait pas encore fouillé parmi les cadres de la société s'il y avait des choses étranges et suspectes. Les fonds détournés disparaissaient et apparaissaient sur plusieurs comptes bancaires avant de s'évaporer probablement en espèces sonnantes et trébuchantes. Coïncidence, le dernier mouvement se trouvait au Japon, là où Himuro et Takao avaient perdu la trace d'Itsmine quelques jours plus tôt. Pour l'instant, c'était au patron de Teiko Excompt de prévenir son client.


Haizaki venait de terminer sa petite entourloupe sur le compte de l'hôtel où il résidait depuis plusieurs semaines. Il avait piraté le système de vidéosurveillance et avait retiré tous les enregistrements où il était filmé. Depuis de nombreuses années qu'il évoluait dans le monde caché d'Internet, il avait rarement payé quelque chose. C'était si facile. Le Web était devenu incontournable. Plus rien n'était possible sans lui. Tous les organismes y avaient accès et pour les cyberterroristes, c'était du pain béni. La sécurité avait beau multiplier les pare-feux, les boucliers anti-intrusion, les logiciels antieffraction et tous les "anti tout et n'importe quoi", rien n'était inviolable. Le piratage prenait plus de temps, c'est tout.

Internet était un outil extraordinaire, mais comme tout, il avait son revers. Et ce revers pouvait être particulièrement dangereux. Rien ni personne n'était à l'abri. Les entreprises, les banques, les hôpitaux, les organismes gouvernementaux officiels et officieux, le système monétaire mondial, les places boursières ou comment détruire une multinationale en moins de temps qu'il ne faut pour cliquer sur la souris ou le pavé tactile, sans parler des trafics en tous genres, profondément enfouis dans la partie invisible du Web pour quatre-vingt-dix-neuf pour cent des utilisateurs.

Rien ni personne.

Et pour cet hôtel, ça ne lui avait pas pris plus de trente minutes pour tout faire. Il devait changer de planque. Il lui avait semblé par moment qu'il était tracé. Mais c'était si furtif qu'il se demandait s'il ne l'avait pas imaginé. Quand on a la police au cul, on devient un peu parano, non ? Et donc, le déménagement s'imposait. Il n'avait rien fait d'extraordinaire, juste mangé dans sa chambre la plupart du temps, quelques restaurants en ville, des consommations au bar de l'établissement, il avait fréquenté le sauna et le jacuzzi, rien de plus. Et l'hébergement, bien sûr. Mais dans quelques heures plus rien de tout ça n'existerait. Et lui, il se sera volatilisé. Comme il s'était volatilisé de l'orphelinat où il avait grandi, quelque dix-sept années auparavant.

Il ignorait qui était son père et sa mère l'avait laissé devant la porte de l'institution alors qu'il n'avait que trois ans. Autant dire qu'il démarrait mal dans la vie. D'un point de vue scolaire, il était un assez bon élève. Par contre, il démontra des facultés hors norme pour l'informatique. Il développa son talent en posant beaucoup de questions à ses professeurs et en restant tard le soir à l'étude où se trouvaient les ordinateurs qui servaient pour les cours. Trop curieux pour son bien, il plongea dans les tréfonds d'Internet pour ne plus en ressortir. À dix-sept ans, il se dota d'un compte bancaire fourni, mais discret. Il fit le mur avec pour seul bagage son ordi portable — acheté avec des fonds étranges et venus d'ailleurs et livré dans un petit commerce du coin — et les vêtements qu'il avait sur le dos.

Le monde numérique lui ouvrait les bras et il avait bien l'intention de lui faire un gros câlin pendant très longtemps. Loin d'être idiot et encore moins un saint — on ne survit pas dans un orphelinat sans se battre pour y arriver — il se tourna d'abord vers le piratage. Connaitre les secrets des puissants de ce monde, ça pouvait toujours servir. Ensuite, vers la cybercriminalité, car cette activité était beaucoup mieux rémunérée. Énormément mieux. Et si, pour se faire une place dans cet univers glauque et malsain, il devait écraser quelques orteils, qu'à cela ne tienne. Il avait également fait des recherches concernant sa mère dont le nom figurait sur les papiers qu'il avait sur lui quand il fut découvert devant la porte de l'orphelinat. Il avait trouvé un acte de décès datant d'une huitaine d'années et un rapport d'autopsie qui concluait à une overdose d'héroïne. Pas le moins du monde affecté, il songea qu'en l'abandonnant, elle lui avait rendu un grand service, d'une certaine manière. La seule chose de bien qu'elle eût faite pour lui. Qui sait ce qu'il aurait pu devenir avec une mère toxico…

Il termina ses bagages et se descendit à l'accueil pour rendre sa chambre. Le réceptionniste lui présenta la facture – qu'il effacerait plus tard - lui demanda si son séjour avait été satisfaisant et le remercia d'avoir choisi cet établissement. Entre ses grosses lunettes de soleil et sa casquette noire, bien malin celui qui parviendrait à donner une description de ce client si d'aventure ça devait se faire. Il prit un taxi et gagna un autre hôtel. Ni vu ni connu. Mais pas pour longtemps. Takao avait réussi à isoler son empreinte et Himuro avait créé un programme pour la reconnaitre et la traquer. Les jours de liberté d'Haizaki se réduisaient comme peau de chagrin…

À suivre…


(1) Photo. Pull irlandais de Kagami

(2) Genkan = c'est l'espace qui se trouve immédiatement derrière la porte d'entrée où les Japonais laissent leurs chaussures d'extérieures et mettent des chaussons pour la maison. Cela existe aussi dans les magasins, chez les médecins et même sur le lieu de travail.

(3) Katsudon = c'est une des variantes du Donburi, préparation culinaire typiquement japonaise à base de riz blanc et de différents ingrédients. Viandes grillées ou panées, poissons crus, légumes, condiments… L'ensemble est mijoté dans une sauce et servi dans un bol de riz. Le katsudon est la variante au porc pané.

(4) Moi j'ai l'esprit chauvin ? Je ne vois vraiment pas pourquoi vous pensez une chose pareille. Je ne fais qu'énoncer une vérité mondialement reconnue et acceptée. ^^

(5) Photo. Corail bébé Corail adulte

(6) Photo. Fauteuil d'Akashi. Ça méritait une photo.

(7) 3 955 yens = environ 25 €