Je ne sais même plus quelle formule utiliser pour présenter mes excuses... Bon, je me confonds en excuses pour cette attente ! Mais bon, le dernier chapitre est finalement là. Et en plus il est hyper long. Y a rien qui va !
J'espère que, malgré l'attente, certains sont encore là, et apprécieront cette fin, ou cette histoire de façon générale.
Pour info, je ne sais pas si je republierai, mais je suis en train de griffonner un texte qui étend cet univers de l'Iléveune, donc on verra bien.
Si vous voulez m'envoyer un message, même si je ne republie pas de suite, je reçois toujours les reviews dans ma boîte mail, et c'est évidemment toujours très motivant et appréciable de lire vos retours ou avis, et de me montrer que vous avez lu cette histoire !
Merci encore à .s !
La brume se lève enfin, après quarante minutes de chaos sur les routes, et le soir s'annonce lentement. La voix électrique et Vanessa Paradis qui chante les variations amoureuses gainsbardiennes se mue vers celle, éraillée et brisée, de Jane Birkin qui se rappelle les cimetières d'enfance, sans Gainsbourg. Lorsque la brume s'est tout à fait écartée, c'est la voix d'enfant de France Gall qui accompagne le voyage. La playlist aléatoire a été offerte par Xavier, personne ne sait bien pourquoi, et Caleb l'a mise en marche par principe. Il jettera la compilation lorsqu'ils seront arrivés, et il reste moins d'une heure. Alors France laisse sa place à Mylène, à l'arabe de Dalida et au latin de Juliette, à l'aigle de Barbara et à la louve des Brigitte, au Etienne de Guesh Patti et à la Makeba de Jain…
Lorsque Françoise d'Orléac rend son dernier souffle sur les notes de Michel Legrand, Caleb sait qu'il rentre. Il y a le clocher de la vieille église où plus personne ne va, il y a la barrière défoncée par des mômes en moto, il y a le petit cinéma à un écran qui n'ouvre que le Mardi soir, il y a l'école primaire et sa cour où il a donné ses premiers coups. Mais Caleb n'a pas besoin de ça. Ce ne sont que des repères, des informations géographiques, des lieux de passage. Il n'a pas besoin de ça, non ! C'est une sensation qui l'aide à se savoir chez lui, tellement fugace, tellement subtile, qu'il aurait du mal à l'expliquer. C'est le ciel qui est toujours le même sans jamais l'être, ce sont les bruits de pas et de murmures, c'est l'odeur de l'herbe et de vieilles pierres. Et avant : la lumière. Dans ce petit village de province où personne n'aime aller, où l'on habite par habitude mais jamais par volonté, que l'on quitte enjoué et que l'on retrouve morose, il y a une lumière qu'aucun autre village ne possède. C'est une lumière douce et profonde qui lèche les bâtiments et qui se teinte de couleurs froides à force de visiter les pierres, qui se colore de bleu à trop se baigner dans les ruisseaux clairs. Caleb est même persuadé que cette lumière, qui a contaminé l'écriture de son premier roman, celui qui lui a permis de gagner son ticket pour l'Iléveune, est capable d'absorber les paroles des gens qu'elle rencontre. Il suffit de tendre l'oreille pour l'entendre.
Depuis son départ pour la Capitale, il n'est revenu que deux fois. Il n'avait pas prévu une troisième fois. Il déteste ce village et tout ce qu'il renferme. Hormis sa Grand-mère. Et même pour elle, l'effort est difficile. Il s'arrange toujours pour lui rendre visite lorsqu'elle se rend chez une vieille amie.
Il prend l'allée de gauche et arrive au niveau d'un immense chêne. Le portail est ouvert, la maison est allumée. Il arrête la voiture, coupe le lecteur de CD. Fin du voyage. Franchement, si on lui avait dit qu'un jour, ce village serait un refuge… Une porte s'ouvre. C'est sa Grand-mère. Il tourne la tête à droite, vers le siège passager. Jude s'est endormi contre la vitre à la seconde où le moteur a commencé à tourner, et ne s'est pas réveillé une seule fois en cinq heures. Il gémit pour sortir de son rêve.
- Allez Blanche-Neige, t'as assez dormi.
- C'est la Belle au bois dormant qui dort, comme son nom l'indique, murmure Jude d'une voix étouffée.
- Ginnifer Godwin passe aussi son temps à dormir…
- Si ça t'amuse.
- Je te laisse te réveiller, moi je sors. Il y a une femme que j'ai très envie d'embrasser derrière ce portail…
Il n'attend pas la réponse de Jude et quitte la voiture, sans refermer la portière. Son pas précipité rejoint le portail, l'enjambe sans élégance. Derrière celui-ci, à l'abri des regards indiscrets, la Grand-mère de Caleb se tient droite, du haut de son mètre cinquante-trois. Ariette Stonewall est une femme petite, menue, un tout petit bout de femme, dirait-on, mais quel bout de femme ! Avec un mari mort à vingt-trois ans et deux enfants à élever, elle a enchaîné les petits boulots et s'est saignée aux quatre veines. Et lorsqu'elle pensait pouvoir vivre pour elle, une fois les enfants partis, elle s'est retrouvée à élever son petit-fils, que son père n'a jamais considéré. Mais avec Caleb, tout était différent. Caleb était intelligent, curieux, empathique, et profondément tourné vers l'art, ce qui passionnait Ariette.
- Comment était le voyage ?
- Pas super. Je suis content d'être là.
- Bien sûr que non ! rit Ariette. Mais je sais que tu es heureux de me voir.
Elle écarte ses bras maigres, et emprisonne son petit-fils avec. Caleb est forcé de se baisser, et il fait attention à ne pas la serrer trop fort, même s'il en a envie. Parce qu'elle est la seule personne qui lui manque, lorsqu'il est à la Capitale. Suite à la dissolution de l'Iléveune, il lui a proposé de venir vivre en banlieue, près de chez lui, mais elle a refusé.
- Tu sais combien de temps tu restes ?
- Pas encore. Ça va dépendre de lui. Il a vraiment besoin de repos.
- Je comprends.
Il l'embrasse encore, puis s'écarte. La portière claque, et Jude apparait à son tour. Il est à moitié endormi, son dos est courbaturé, et surtout, il n'est pas à sa place. Loin des feux de la Capitale, Jude n'est plus tout à fait Jude, parce qu'il a appris à se nourrir de ses lumières, de sa magnificence, et aussi de ses scandales. Caleb tend la main pour l'inviter à les rejoindre.
- Jude, je te présente la femme de ma vie.
- Ravi de vous rencontrer, Ariette.
- Et moi donc ! Depuis le temps que j'entends parler de vous !
- Surtout ces temps-ci, j'imagine…
- A vrai dire, je n'ai pas la télévision, et les gens du village pensent que je suis une sorcière, alors ils ne me parlent pas. Je ne sais même pas vraiment qui vous êtes, jeune homme ! J'ai préparé du thé, vous en voulez ?
Jude acquiesce et Ariette part devant.
- C'est n'importe quoi, réplique Caleb. Enfin, elle a pas la télé, et les gens pensent vraiment que c'est une sorcière, mais elle sait qui tu es. Elle a dû cacher tes livres. C'est pour te faire redescendre.
- Pourquoi on dit que c'est une sorcière ?
- Parce qu'elle a élevé un meurtrier.
- Excuse-moi, Caleb, c'était pas…
- T'en fais pas, c'est rien. C'est juste cet endroit…
Il donne vingt-quatre heures à son petit village pour apprendre la présence du nouveau couple scandaleux à la mode dans ce coin paumé du pays. Jude tout seul attirerait à lui tous les parasites du patelin sans aucune décence. Heureusement, l'aura de fous du village de la famille Stonewall devrait agir et les protéger des trop-curieux pour un temps.
Ariette ressort pour leur rappeler le thé. Pour éviter les silences gênés, elle décide de beaucoup parler. C'est l'avantage avec elle, elle n'a pas besoin d'interlocuteur, elle fait les questions et les réponses. Lorsque le thé est fini, Jude n'en peut plus. Il s'excuse, il est fatigué, il va aller dormir.
- Je te montre la chambre.
Caleb prend l'un des sacs de voyage et monte l'escalier. Il lui montre : en face, la salle de bain. La chambre est juste à côté. Il lance le sac sur le lit aux draps gris que sa grand-mère a pris le temps de faire ce matin puis il allume la lumière. Les murs sont presque vides, et il n'y a pas trace de l'ancienne existence de Caleb. Ariette n'est pas sentimentale. Elle a dit à son petit-fils qu'il aurait toujours droit à cette chambre, peu importe quand il venait. Mais elle n'allait pas non plus garder les posters et les cahiers d'école !
Jude n'a pas la force de fouiller les lieux. Il est épuisé, et il se déshabille pour aller dormir. Juste derrière lui, Caleb s'approche et plante un baiser sur son épaule, pour le faire sourire.
- Ta grand-mère est très bavarde.
- Elle fait ça pour t'empêcher de penser.
- Ça a marché. Tu viens te coucher ?
- Dans quelques minutes…
- Je dormirai sans doute… Ça ne t'ennuie pas ?
- Au contraire.
Il bascule son corps pour le tourner contre lui, et embrasse son compagnon, pleins feux. Il ressent toute sa fatigue, tout son désespoir, et surtout tout le reste. Les doigts tremblants de Jude se glissent sur sa nuque, caressent son cou et se logent entre les pans de sa chemise entrouverte. De son autre main, il tente de dénouer ses cheveux, et doit s'y reprendre à plusieurs fois. Caleb le laisse faire, juste pour voir. Il le laisse déboutonner sa chemise timidement, et effleurer la peau de sa poitrine, de ses épaules. Il le laisse balayer sa mâchoire de ses lèvres et de son souffle. Il le laisse presser son bassin contre le sien, en espérant une réaction appropriée. Le corps de Caleb est particulièrement coopératif, mais celui de Jude demeure sage, malgré toute la bonne volonté de son hôte. Après plusieurs tentatives, Caleb prend les choses en mains, à pleine bouche, en intensifiant les prudents baisers de son amoureux. Il passe la main sous son pull, la loge contre son cœur pour prendre le pouls de son excitation. Et il peut le constater : si le cœur y est, le corps reste interdit.
Il y a eu trop de ces moments-là entre eux. Jude qui abandonne toute conscience pour répondre à des désirs qui le terrifient, Caleb qui le supplie d'arrêter. Pour la première fois depuis des mois, Caleb ressent l'envie de Jude, sa faim d'intimité, son goût pour l'amour physique. Il ne veut pas éteindre ce feu qu'il sent s'enflammer dans sa poitrine. Mais il faut se faire une raison, les braises restent incrustées à sa chemise, et se refusent à descendre la ceinture.
Alors, pour ne surtout pas éteindre l'ardeur, Caleb se met à rire.
- Putain, soupire Jude. Fais chier… J'te jure, j'en ai vraiment envie, mais j'y arrive pas !
- T'en fais pas. Je suis claqué, de toute façon. On a tous les deux besoin de repos. Plus que de sexe.
- Ah oui ?
- Ouais. Enfin, d'ici trois jours, quand on aura récupéré, on passera la nuit à faire l'amour, évidemment !
- Tu crois qu'on va y arriver ?
Caleb ne sait pas si Jude émet un doute sur leur capacité à récupérer des derniers jours, ou à refaire l'amour. Dans les deux cas, Caleb se force à se montrer optimiste, pour contrebalancer avec l'opinion très sombre de son compagnon.
- Bien sûr que oui. Allez, va dormir. J'arrive dans quelques minutes.
Jude sourit, et c'est une victoire. Puis il part se coucher. A l'étage du dessous, les assiettes s'entrechoquent et l'eau se met à couler. Caleb descend dans la cuisine, et sa grand-mère coupe aussitôt le robinet, en le regardant. Il la connait, elle ne fait jamais la vaisselle le soir, elle reporte toujours au matin suivant. Elle a juste cherché à s'occuper en attendant le retour de son petit-fils. Elle essuie ses mains sur un torchon bleu roi avant de prendre dans les siennes les mains de Caleb.
- Alors, vous avez réfléchi combien de temps vous comptez rester ?
- Eh ben, je vais croire que tu veux me foutre à la porte !
- Bon sang, Caleb… Tu n'as rien à faire ici. Tu détestes cet endroit, tu détestes les gens… Tu détestes même les animaux d'ici !
- Evidemment ! Il n'y a que des canards, et je déteste les canards ! Ils sont stupides et niais, et méchants, et…
- Je savais que tu étais trop jeune pour l'Attrape-Cœur…
- Tu crois que c'est pour ça que je suis taré ? A cause de Salinger ?
- Tu n'es pas…
- … Il parait que pas mal de meurtriers de masse aux Etats-Unis avaient ce livre dans leur bibliothèque. En même temps, c'est un pays de tarés…
- Caleb, ça ne m'amuse pas.
- … Mais c'est aussi un pays qui a engendré Sylvia Plath et Megan Rapinoe, alors…
- Caleb, arrête.
Il arrête. Il est allé trop loin, il a compris. Sa grand-mère n'est pas encore prête pour une footballeuse qui change de couleur de cheveux tous les quatre ans.
- Je ne plaisante pas. Tu n'as rien à faire ici. Et tu ne peux pas rester. Je te dis ça parce que je te connais, et que je t'aime.
- Je sais, soupire Caleb, je sais. Mais Jude… Il a besoin d'espace, de respirer. Alors je vais faire un effort.
- Ecoute, je suis heureuse que tu sois avec un jeune homme charmant, et talentueux, et visiblement amoureux de toi. Mais je…
- Je sais. Tu t'inquiètes. T'as raison, je déteste cet endroit. Je hais chaque sourire hypocrite qu'on m'adresse depuis que je suis à l'Iléveune, je hais chaque parole mielleuse, chaque poignée de main admirative des élus, chaque plaque gravée à mon nom, chaque proposition pour qu'une école soit baptisée « Stonewall ». J'ai eu envie de vomir à la seconde où l'idée de revenir a germé dans mon esprit. A la minute où Jude s'est endormi sur le trajet, j'ai cherché la sortie qui m'empêcherait de venir. Mais je suis là. Je suis là parce que l'homme que j'aime a passé les derniers mois de sa vie sur les bancs d'un tribunal à plaider son innocence, et que la moitié de la Capitale l'attend avec des fourches pour avoir osé dire la vérité, et que l'autre moitié est composée de journalistes qui vont lui poser les questions les plus dégueulasses qu'ils ont en stock, et je…
Caleb respire. Il passe une main dans ses cheveux, dans l'espoir de les rabattre en arrière. Ariette l'écoute toujours, très attentive. Il se reprend.
- Je suis pas venu pour l'endroit. Lorsque j'ai réalisé que Jude ne pouvait pas rester à la Capitale, j'ai pas réfléchi une seconde, c'était… Je viens de passer les mois les plus longs et les plus difficiles de ma vie, et je sais que si j'ai survécu, c'est grâce à toi. Parce que tu es la femme la plus incroyable et la plus sensée du monde, et que tu m'as élevé. J'avais pas envie de montrer à Jude l'endroit où j'ai vécu, et je sais même pas s'il va réussir à s'épanouir, ou se calmer ici… Je voulais juste qu'il te rencontre, toi. Qu'il te connaisse. Qu'il comprenne que ce qu'il y a de plus beau en moi vient de toi.
- Oh, Caleb…
Elle vient se loger dans ses bras, contre sa poitrine. Elle n'a sans doute pas réalisé à quel point cette rencontre comptait pour Caleb. Elle s'est inquiété pour lui, comme toujours, et n'a regardé au-delà de cette inquiétude. Pourtant, c'est elle qui l'a élevé. Elle devrait savoir que Caleb réfléchi toujours tout, qu'il n'agit jamais sur un coup de tête, et qu'il ne fait jamais rien par contrainte.
Après plusieurs secondes, lorsqu'il la sent rassurée, il s'écarte de sa grand-mère pour retourner voir Jude, vérifier qu'il s'est endormi. Etonnamment, lorsqu'il pénètre la chambre, tout est calme. Pas calme comme les angoissants silences de son compagnon. Calme comme tranquille. Il perçoit la respiration de Jude dans le noir quasi complet, le froissement léger des draps lorsqu'il bouge, la basse légère qui s'échappe de ses écouteurs parce qu'il a encore du mal à s'endormir sans musique. Caleb attrape un pantalon de jogging qu'il enfile sans allumer la lumière. Lentement, pour ne pas le réveiller, il retire les écouteurs qui ont tous deux roulé sur le matelas mais n'éteint pas le portable calé sur la radio. La porte de la chambre est fermée parce que sa grand-mère se lèvera tôt demain matin, et il ne faut pas que le bruit réveille qui que ce soit.
Il essaie de se glisser discrètement dans le lit, et échoue lamentablement. A peine est-il couché que Jude se retourne et se love contre lui, sorti du sommeil. Il ne dit rien, enlace Caleb et plonge dans son cou. Son souffle est chaud est encore endormi, et le battement irrégulier de ses cils effleurent son épiderme, comme le butinement désorganisé et erratique d'un tout petit papillon. Caleb frissonne.
- Il est quelle heure ? demande Jude en se redressant sur un avant-bras.
- Pas tard. T'as dû dormir une heure, pas plus.
- Tu ne voulais pas discuter avec ta grand-mère ?
- Je l'ai fait. Pardon de t'avoir réveillé.
- C'est rien. Qu'est-ce qu'elle voulait te dire ?
- Bah, les trucs habituels. Que j'ai rien à faire ici, que je devrais repartir…
- Je vois. Et tu…
- … Je lui ai dis que je t'aimais. Ça a suffi.
Il sourit. Caleb ne le voit pas, il ne peut pas le voir, mais il sait. Jude est en train d'étirer le coin gauche de sa bouche pour créer une moitié de lune. Sans doute baisse-t-il aussi les yeux, et pour accentuer la gêne, il colore évidemment ses pommettes et ne va pas tarder à mordre son esquisse de croissant de lune. Caleb aimerait voir ce tableau, mais aime encore plus l'imaginer. Il glisse une main sur la mâchoire de son amoureux, caresse lentement son sourire et constate qu'il a eu raison. Le croissant de lune est bien à sa place, et il sent sous la pulpe sensible de son index le renfoncement laissé par la morsure. Sa peau garde en mémoire du sommeil une chaleur qui irradie contre sa paume, et ses yeux clos ne demandent plus qu'à s'habituer à cette entêtante obscurité.
Il laisse venir le baiser lorsque Jude s'extrait encore davantage de l'oreiller et signale à son compagnon toute son envie. Son corps se meut lentement au-dessus de lui tandis qu'il caresse ses cheveux, son oreille, son cou, son épaule. Bientôt son désir pulse dans son corps, et il ne veut pas le cacher. Sous le T-shirt, il sent le pouls de Jude qui l'enjoint à persévérer dans ce mouvement. Sous le pantalon en toile, il sent son appétit qui s'anime. Caleb interrompt le baiser, cherche à s'éloigner de Jude. Il voudrait planter son regard dans le sien, l'interroger sur ce qu'il souhaite, s'assurer que tout va bien. Jude le devance. Il maintient Caleb par la nuque et lui souffle :
- J'en ai vraiment envie, Caleb.
Jude retire son T-shirt, son pantalon, et reprend le baiser bercé par la voix sensuelle et lointaine de Christophe qui chante l'Italie. Sa peau brûle, et Caleb adore ça. Sa main s'étend jusqu'à sa cuisse, remonte aux fesses, s'y attarde, jusqu'à ce que Jude indique à Caleb qu'il a le droit de le saisir. Il trace à son compagnon le chemin à suivre, jusqu'à son sexe, et sursaute lorsqu'il l'enserre. Caleb recommence à l'embrasser, et ses baisers se font frénétiques. Il accélère les mouvements de sa main, en obéissant aux inflexions de la voix de son amoureux, son regard cherchant sans cesse la moindre trace d'inquiétude ou de douleur dans les yeux mi-clos rougeoyants. Il se rappelle lentement, subitement, comme il aime voir Jude se perdre dans le sexe, comme il le trouve sublime lorsqu'il ne parvient plus à réfléchir, comme il est fasciné par sa capacité à tout à coup oublier la décence de la bourgeoisie et la froideur de l'intellectualisme.
Il va bientôt parvenir à l'orgasme, Caleb le sent. Mais avant de l'y conduire, il veut savoir s'il a le droit, si Jude veut autre chose.
- Tu te sens comment ? murmure-t-il contre ses lèvres.
Il émet un son rauque que Caleb ne décrypte pas. « Eh bien… »
Il ne sait pas dire ces choses-là, ça le met mal à l'aise. Il a toujours eu l'habitude de se taire dans ces moments-là. Ses amants ne parlaient pas, jamais. S'ils souhaitaient Jude Sharp dans leur lit, ce n'était pas pour discuter. Pour ça, il y avait les séances de dédicace.
- Je crois que… J'ai un peu… peur.
- Tu veux que j'arrête ?
- Non, non. Je veux pas. Je veux que tu continues. C'est pas vraiment de la peur, c'est… une sorte d'appréhension.
- Tu appréhendes quoi ?
- Je sais pas exactement… Ça fait longtemps, alors…
- Je ferais jamais rien qui te…
- Je sais, je sais ! C'est pas…
Il cherche ses mots, baisse les yeux, se cache un peu dans la pénombre, et Caleb sourit. Qu'il est loin le distant professeur d'Université qui le prenait de haut lorsqu'il osait faire danser sa sœur !
- J'ai un peu peur de te toucher, je crois…J'ai l'impression de ne plus savoir comment faire.
- T'es pas obligé. Je peux m'en occuper, tu sais.
- Oui, rit Jude, je sais. Mais je crois que j'en ai envie. J'ai juste peur d'être maladroit.
- Dans ce cas, laisse-moi te guider.
C'est au tour de Caleb de servir de guide, de positionner le bras et la main de son amant, de l'inviter à partager sa chaleur. Les débuts sont timides, mais Jude retrouve rapidement le rythme habituel, celui qui tire des sons rauques et essoufflés de la gorge de son compagnon. Il se mord la lèvre. Il voudrait lui dire comme cette intimité lui a manqué, et se retient. Ce qu'il lui dira bientôt, c'est comme il est fier de lui, comme il l'aime, comme il le trouve courageux, comme il adore faire l'amour avec lui.
Il reprend le sexe de Jude et imprime un rythme un peu différent, un peu dissonant, pour lui arracher un cri qu'il fait mourir contre son épaule, parce qu'il n'est pas à l'aise à l'idée d'éveiller la maison.
- J'te trouve très sexy lorsque tu joues les amants timides et effarouchés…
« La ferme, et continue ». Il y a trop longtemps qu'il attend ça, il ne se fera pas prier. Caleb vient quelques secondes plus tard. Il reprend son souffle, capture celui de Jude et épuise son corps jusqu'à l'orgasme. Le halètement grave de Jude se perd contre la bouche de Caleb, qui étouffe la spontanéité de son désir. Complètement euphorisé, il le couvre de baisers : la bouche, le cou, la poitrine, le ventre, les mains… Jude tombe sur l'oreiller et menace de s'endormir.
- C'était pas mal pour une reprise…
- Hmmm… On débrieffera demain si ça t'ennuie pas.
Caleb sourit, et lui dit de dormir. Lui n'y arrivera pas. Son corps est encore en transe, il a besoin de temps pour dormir, alors il va se chercher un livre. Il tente de se lever, mais la voix ensommeillée de Jude le rappelle.
- Tu te souviens de ce que je me suis mis à écrire quand je suis arrivé chez toi ? Quand tu m'as surpris dans sa ta chambre. J'avais ton casque, je t'ai pas entendu arriver, alors tu l'as retiré.
Vaguement. Il se souvient avoir été étonné que Jude cache ses feuilles, avant de se rappeler de l'extrême nudité que demande l'écriture. Il hoche la tête, mais Jude ne voit rien. Il ne regarde rien.
- Je vais écrire sur tout ça…
- Sur nos parties de baise endiablées ?! rit Caleb.
Il n'a pas envie de rire. Il faut juste couper Jude dans ses paroles, pour ne pas entendre la suite. Putain, Jude, ferme-la ! Je veux pas de ça, je veux pas de son nom dans ta bouche après t'avoir embrassé, je veux pas de sa présence dans mon lit après t'avoir fait l'amour, je veux pas de son image, pas de son image avec la tienne dans ma tête ! Ferme-la, putain !
- Peut-être aussi. Il va falloir que ça sorte.
Putain… Tant pis. Il renonce très vite. Il va devoir continuer de vivre avec cette ombre lointaine au-dessus de leurs têtes, apprendre à l'effacer, apprendre qu'il n'y arrivera jamais complètement.
- T'es sûr ? Je veux dire… Il est en taule pour un moment, la Justice a fait son boulot.
- Je veux comprendre ce qu'il y a dans ma tête. Ce qu'il a cassé, et comment le réparer. J'ai commencé à écrire, mais ça va être très long…
Le silence se répand, pesant dans la chambre. Bien sûr que cette suspension sonne comme un « pardon » qu'il ne devrait pas être. Caleb s'en veut, soudain, d'avoir voulu priver son compagnon de ces mots, de ces mots que Jude n'avoue qu'à demi. Il doit à tout prix accompagner, écouter. Et pour ça, il doit aussi comprendre, se rappeler, que Dark n'a et ne sera jamais un rival.
Il se laisse glisser sur le sol et ne bouge plus, pendant de très longues minutes. Jude est allongé sur le matelas, ses jambes et son bassin couverts par le drap sombre, la tête tournée vers le plafond, les yeux grand ouverts. Caleb tend le bras pour attraper la main qu'il a posée sur son ventre dénudé, et la porte à sa bouche. Il l'embrasse alors que Jude rit. Il embrasse son poignet, remonte l'avant-bras, se redresse pour revenir au lit, embrasser sa bouche, le regarder ne pas comprendre.
- Je sais qu'on te l'a déjà un million de fois. Mais tu es tellement beau. Et on te le dit aussi beaucoup en ce moment, mais tu es tellement fort. Et, même si je te dis jamais, je suis tellement fier d'être à tes côtés.
- Parce que je vais écrire sur mon enfance ? Tous les écrivains le font…
- Je suis fier parce que tu es un immense auteur, l'un des meilleurs, et que je sais combien c'est difficile d'écrire sur les traumatismes de notre enfance. Y a tellement de choses que j'aime chez toi, Jude. J'aime ton air paumé lorsque je parle de comics, j'aime ton air suffisant lorsque tu parles de Kubrick. J'aime te surprendre à ton réveil, au comble de ton innocence, et j'aime te voir l'abandonner lorsqu'on fait l'amour. Et même si j'ai haï chaque seconde de ces derniers mois, même si cent fois j'ai eu peur de te voir imploser, même si ça fait des siècles que je n'ai pas été autant en colère, j'aime voir l'homme incroyable que tu deviens. Et crois-moi, le môme rebelle qui sommeille en moi déteste l'idée d'avouer qu'il est tombé fou amoureux d'un sale petit bourgeois prétentieux de la Capitale.
Jude sourit dans l'obscurité, puis se met à rire en le dévisageant.
- Je devrais te faire parler plus souvent après l'amour. Tu racontes vraiment n'importe quoi !
- Je suis toujours très lucide après le sexe, réplique Caleb. C'est toi qui te mets à te confier.
- Ah oui ? Etonnant. Pourtant, je ne t'ai encore rien confié sur un futur mariage dans l'Iléveune que je soupçonne très fortement…
- Un mariage ? fait innocemment Caleb. Entre qui ?
- Je ne suis plus d'humeur confidentielle.
- Je peux peut-être arranger ça.
- Tu peux toujours essayer…
Caleb mord le sourire de Jude.
- T'as bien fait, finalement, de débarquer chez moi en quittant l'Italie.
- Faut croire.
Janis fait mourir sa dernière note à vingt-sept ans, et Nina Simone prend le relai en déployant « Il n'y a pas d'amour heureux », et la nuit se brûle à la passion renaissante des amoureux en extase. Jude et Caleb font mentir la voix profonde, le texte militant, ils ne font que ça.
Pour une fois, tant pis pour Aragon.
"Jeux interdits" : C'est un film, je sais, mais je connais pas. C'était surtout l'occasion de rendre hommage à Jane Birkin qui a chanté cette chanson en hommage à sa fille Kate, et c'est de loin ma préférée de Birkin.
Ginnifer Goodwin et Blanche-Neige : Je regardais Once Upon a time lorsque j'écrivais, et c'est vrai que Ginnifer Goodwin (que j'aime cette actrice !) dort tout le temps !
Ariette : Petit hommage à Arletty
Les canards et l'Attrape-Coeur : Dans l'Attrape-Coeur de Salinger, le protagoniste se demande plusieurs fois où vont les canards du lac lorsque celui-ci est gelé. Et il me semble qu'il a été interdit quelques temps aux Etats-Unis (le livre, pas le canard) parce que certains meurtriers de masse qui ont ouvert le feu dans des écoles (putain d'actualité qui s'immisce partout !) avaient en livre de chevet l'Attrape-Coeur.
Megan Rapinoe : Toujours caser Megan Rapinoe quelque part... C'est une immense joueuse de foot, notamment connue pour changer de couleur de cheveux (oui oui, pour ses engagements et son ballon d'or surtout, je sais !)
"Il n'y a pas d'amour heureux" : ici chanté par Nina Simone (version très langoureuse) mais que je préfère par Brassens, poème d'Aragon qui traite de son amour pour sa femme et son pays en pleine guerre, et qui dit que l'amour heureux n'existe pas, et que c'est pas si grave. Sauf que la version un peu réécrite par Brassens et reprise par Simone est plus pessimiste, parce qu'il gomme l'idée que c'est pas si grave.
