La semaine avait passé vite. Trop vite. Comme ils ne voulaient pas accepter que la fin de ce qu'ils étaient l'un pour l'autre était là, au seuil de leur porte. Et quand il leur arrivaient d'y penser, que bientôt tout serait terminé, le désir les submergeaient. Comme si unir leurs corps était la solution. Comme si à avoir été aussi proche, ils ne seraient plus jamais éloignés. Ils savaient pertinemment qu'ils se fourvoyaient mais... Ils refusèrent de voir,tout en ayant l'esprit encombré par ça jusqu'au dernier instant. Jusqu'au matin où, comme tous les matin depuis un mois, Merlin descendait faire son tour, donner les directives d'Arthur à Léon et Guenièvre qui assurait la régence et puis en allant voir Gaius, s'informer de l'avancée de la décoction du remède. Mais voilà, aujourd'hui le remède était terminé. Et Arthur devait la prendre avant la nuit.. Avant la pleine lune qui l'avait vu être ensorcelé. Demain, tout serait fini. Et le cœur de Merlin s'effondrait. Il resta un moment dans les jardins ce jour-là. Plus de temps qu'il ne le fallait pour faire un nouveau bouquet et faire en sorte que le roi voit le printemps sans même sortir. Il resta là, les yeux dans le vague, sa marjolaine à la main. Le visage mort. Il tentait de trouver le courage qui lui faudrait pour affronter cette terrible journée. Une souffrance de plus, indélébile. Peut-être celle qui briserait le plus ce qui restait de son cœur malmené. La vie n'avait jamais été tendre avec lui. Le destin. Son destin. C'était lourd à porter. Mais pour Arthur. Pour la prospérité du royaume. Pour Camelot et ses habitants. Pour un idéal de paix et de justice. C'est pour ça qu'il affrontait tous les drames. Tous. Et la seule raison pour laquelle il ne s'était pas déjà enfui avec Arthur pour partir vivre ailleurs. Loin de toutes obligations. Loin de cette foutue destinée. Il expira longuement et pencha sa tête en arrière. Le ciel gris se reflétait dans ses yeux. Il regarda les nuages être ballotté par les vents violents d'altitude alors qu'ici la brise était douce. Il aurait voulu être un dragon au final. Aller si haut où les vents se déchaînent, se laisser broyer les ailes par les courants et chuter jusqu'à retourner à la terre. Définitivement. Il essuya furtivement une larme traîtresse et se releva. Pour Camelot. Et pour son roi.

Cela devait être aujourd'hui. Aujourd'hui il serait débarrassé du maléfice qui le rongeait depuis des semaines. Il pourrait retourner à une vie normale et ne plus rester cloîtrer ici. Pourquoi était-il si triste de ça. Pourquoi avait-il voulu que ce jour n'arrive pas. Il avait l'impression qu'on déchirait son âme en deux. Il porta sa main à sa poitrine, crispant ses doigts sur sa chemise là où son cœur semblait se consumer et il se replia sur lui-même, dans un cri silencieux déchirant. Il avait l'impression de mourir, la douleur était trop vive. Il voulait que ça cesse, par n'importe quel moyen. Il ne voulait pas vivre cette journée, ni aucune de celles qui allaient venir avant très longtemps. Il ne voulait plus, il n'en pouvait plus.

Merlin entra, sans s'annoncer comme d'habitude. Arthur se redressa à la hâte et fit mine de rien. Il fit semblant de ne pas avoir eu envie de mourir à l'instant et il détailla Merlin. Il portait un plateau de douceur, du pain d'épice, du pain perdu, de la confiture qui semblait bien être à la groseille et d'autres choses qui semblaient être tout à fait ce qu'il lui avait avoué vouloir manger le plus. Cette attention le fit sourire et le terrifia. Parce que bientôt il pourrait manger tout ça. Parce que bientôt il n'aurait plus besoin de Merlin pour survivre. Il le vit s'approcher, poser le plateau sur la table de chevet et s'assoir lassement juste à côté de lui. Il regardait tristement une petite fiole qu'il faisait jouer entre ses doigts. Comme Arthur voyait bien que Merlin était dans une sorte de mutisme pensif, il essaya de lui en faire sortir, mais il n'était pas vraiment bon pour tout ce qui était de communiquer. Certes ses envolées lyriques avant les combats étaient pleines d'entrain et de poésie mais la plupart du temps, c'est Merlin qui avait écrit ses discours et pour ceux qui avaient été spontanés, c'était tout de même Merlin dont ils étaient inspirés.

- Comment vont mes gens aujourd'hui ? Hasarda Arthur. Il n'avait pas moment où il s'était plus fiché du sort de sa cour mais il ne savait vraiment que dire.

- Le château est en effervescence. Tous prépare votre retour de demain. Il y aura un banquets et des musiciens, de quoi vous réjouir. Sourit il tristement.

-Me réjouir ? Ça devrait. Pourtant j'aurai donné beaucoup pour un mois de plus ici, seul avec toi. Cela aurait été réellement réjouissant. Arthur venait de parler à coeur ouvert, ce qui n'était pas un petit effort pour lui. Il regardait le sol, gêné, avec ce même regard triste et résolu qu'avait son serviteur. Celui-ci soupira bruyamment, tremblant. Comme si l'air en son corps était brûlant. Il lui mis la fiole dans la main et avec ses deux mains il resserra celle d'Arthur sur la précieuse petite bouteille.

- Il faudra la boire avant que la lune ne se lève.

- C'est tout ?

- Gaius à mis tout un mois à la préparer et vous dites « c'est tout » ?

- C'est que ... Il n'y a pas d'incantation à faire... De rituels, de sacrifices au milieu d'un lac ou autres endroits de culte de l'ancienne religion ... Quelque chose comme cela ?

- Non. Il vous suffit de boire et votre calvaire sera terminé. Sourit Merlin du mieux qu'il pût. C'est aussi simple que cela. C'est quand vous le voulez.

Arthur se força à respirer longuement. Il déboucha la fiole et la porta à ses lèvres mais il cessa tout mouvement avant d'atteindre sa bouche.

- Comment.

- Comment quoi ? Comment fait t-on pour boire ? Je sais que vous ne vous nourrissez plus comme un humain depuis quelque temps mais je ne savais pas que ces choses là s'oubliaient...

Arthur eut un demi sourire amusé avant d'être de nouveau plongé dans son angoisse.

- Comment vais-je faire pour vivre maintenant? Je sais que je reprendrai vite l'entraînement et la gestion du royaume, je n'ai d'ailleurs jamais vraiment arrêté de m'occuper de cela mais... Comment je pourrai épouser Guenièvre, qui est la reine parfaite pour ce royaume, vraiment. Elle est forte, pleine d'esprit, juste et compréhensive et capable de faire des choix difficiles. Bien qu'elle soit née servante, elle est faite pour régner. Mais comment je pourrais l'épouser et la rendre heureuse alors que ma tête est pleine de toi. Il tourna ses yeux vers ceux de Merlin et les larmes qu'il y vit, menaçant ses joues rendirent à son tour ses prunelles humides.- Comment alors que mon corps t'appartient toute entier. Comment alors que j'étais si heureux loin de tout ça. Comment je pourrai seulement espérer me satisfaire de ma condition et suivre ma destinée alors que l'objet de tous mes désirs, que la raison de tous mes péchés sera là, sous mes yeux, en permanence. Je ne pourrai pas résister.

- Mais.. Vous m'aviez dit que je n'aurais pas à partir. Vous m'avez fait promettre de rester auprès de vous... La voix de Merlin était tellement tremblante, et Arthur sentait la culpabilité l'envahir de l'intérieur et menacer de le noyer.

- Ce serait trop dur... J'ai.. J'ai trop d'affection pour toi... Ce sera pas supportable...

Merlin serra la mâchoire. C'était ce qui était prévu depuis le début. Il le savait, qu'en sauvant son roi, l'homme qu'il aimait, il devrait quitter tout ce qu'il avait, tous ses amis ici, Gaius et lui. Qu'il devrait tout abandonner. Il s'y était résolu à un moment donné mais l'affection que lui avait montré Arthur avait dû lui monter la tête et il s'était autorisé à délirer. Il regrettait cela. Parce que c'était trop dur.

- J'aimerai tellement qu'il y ait un autre moyen Merlin, j'aimerai tellement. Arthur éclata en sanglots sous les yeux effarés de Merlin qui n'avait jamais vu son roi dans un tel état de détresse. Il le tira vers lui et le blottit dans ses bras. Sa main passant et repassant sur son dos, son épaule recueillant ses larmes. Il pleurait aussi, en silence. Il resta un moment comme cela, à serré son prince contre lui. À le réconforter tendrement. D'une part parce qu'il ne voulait pas le lâcher. Même après que les pleurs se soient tarit. Mais surtout, il lui fallait du temps pour prendre la décision qu'il s'apprêtait à prendre. Il en fallait du courage pour se sacrifier pour la personne que l'on aimait. Merlin n'avait pas hésité une seule fois à donner sa vie pour celle d'Arthur, mais ce qu'il s'apprêtait à faire était pour lui peut-être pire que la mort.

- Et .. S'il y avait un autre moyen. Arthur se dégagea à demi des bras de Merlin pour regarder son visage résigné.

- Qu'envisages-tu ?

Merlin soupira lourdement.

- Je peux faire en sorte que vous retrouviez exactement votre vie d'avant, comme si tout ce qui c'est passé entre nous, n'avez jamais existé.

- Tu veux dire que tu peux effacer ma mémoire ?

- Oui. Je redeviendrai votre serviteur éclairé, votre confident, votre ami parfois et rien de plus.

- Mais toi tu n'oublieras pas.

- Sauf si vous le souhaitez réellement mais ... J'aimerai vraiment garder tous ces souvenirs. Ils sont précieux. Ils sont ce que j'ai de plus beaux.

- Si tu restes à mon service avec tous tes souvenirs, tu souffriras terriblement.

Merlin se contenta d'un haussement d'épaule et d'un faux sourire.

- ça ira pour moi. J'ai l'habitude de cacher ce que je ressens. Ça ne sera pas un problème. Jamais je n'espérais un retour à la relation que nous avions. Je veux juste continuer à veiller sur vous.

Le cœur d'Arthur battait à tout rompre. À quel point cet homme était fort. À quel point l'aimait-il pour avoir ses sentiments piétinés.

- Je peux pas te demander de faire ça et puis.. Le problème reste entier, si tu es là... même sans souvenir de nous, et même après avoir pris cette potion, je ne suis vraiment pas sûr que mes sentiments pour Guenièvre reviendrons. Qu'il seront assez forts pour bâtir avec elle l'avenir du royaume. Je ne suis pas sûr de l'avoir jamais aimé en fait.

- Si elle est vraiment la reine qu'il faut pour ce royaume, je peux vous faire tomber irrésistiblement et incommensurablement amoureux d'elle . L'amour n'est pas difficile à créer. Donnez moi un pantin de paille, de la mandragore et la formule adéquate, que je connais d'ailleurs, et accrochez le tout sous un lit et le tour est joué.

Arthur le dévisagea une seconde avec de se pencher précipitamment pour vérifier le dessous de son lit. Lorsqu'il se redressa, Merlin avait un sourire qui lui bouffait tout le visage et Arthur avait du mal à comprendre.

- Vous pensez que je vous ai ensorcelé parce que vous m'aimez ?

Maintenant Arthur avait compris. Et ses joues le chauffaient tellement qu'il ne doutait pas d'être devenu rouge pivoine.

- Vous m'aimez ?

- Je ... Tu le savais déjà non ?

- Hé bien ... Je savais votre affection et votre attachement pour moi mais... Pas que vous m'aimiez de façon irrésistible et incommensurable, tellement que vous pensez en être ensorcelé.

Arthur rougis d'autant plus, Merlin avait les yeux qui pétillaient et il se maudit un peu de n'avoir pas pû prononcer ses mots plus tôt. La joie qui l'envahissait à présent était clairement visible.

- Peut être que tu n'as pas utilisé la magie pour ça mais ... Tu m'a bel et bien ensorcelé Merlin.

Le cœur de Merlin cessa de battre un instant. Il déglutit difficilement et il se pencha sur son roi, déposant sur ses lèvres un baiser doux.

- C'est tellement bon de le savoir. Mais vous pouvez toujours courir pour que j'efface ces instants de ma mémoire, je peux mourir heureux à présent. Vous m'aimez.

- Et alors, tu m'aimes aussi non ?

- Oui, je vous aime.

Arthur ne savait plus comment on respirait. Sa bouche était sèche. Terriblement. Il regarda la fiole du remède qu'il tenait toujours en main. Il la porta une nouvelle fois à ses lèvres mais cette fois ci, il la descendit d'une traite. Il savait que la succube en lui n'attirait que la luxure, qu'elle n'était pas capable de sentiments mais il devait en être sûr. Il voulait savoir si tout ce qu'il ressentait était bel et bien réel.

Il eut quelques minutes de silence.

- Comment allez-vous messire ?

- Bien, je suppose. En fait, je ne me sens pas tellement différent d'il y a quelques instants.

Merlin désigna le plateau repas d'un mouvement de tête. Arthur trempa son index dans la confiture et après un moment d'hésitation, il le lécha. Il ne pourrait jamais d'écrire le sentiment qu'il ressenti et sentant sur sa langue le goût acide et sucré de la groseille. Ce fût presque trop. Quelque chose ne pouvait être aussi bon. Et alors qu'il venait d'attraper un morceau de pain d'épices qu'il dévora ni plus, ni moins, il réfléchit à ce qui, à l'instar du goût, venait de changer en lui. Il ne ressentait plus de dégoût pour Guenièvre, plutôt une bienveillante sympathie mais ce qu'il ressentait pour Merlin, ça, ça n'avait pas changé. Il l'aimait. Il l'aimait tellement.

Il finit tout ce qu'il avait en bouche et s'essuya les lèvres du revers de la manche. Merlin le regardait avec bienveillance, les petits plis prêts de ses yeux riaient autant que sa gorge à cet instant. Il était magnifique. Mais ces yeux demeuraient tristes. Et peut-être que plus jamais ses yeux ne riraient vraiment. Et c'était sa faute. Mais il ne pouvait rien pour cela.

- Merlin.

- Oui messire ?

- Demain à mon réveil, soit tu sera parti, soit je serai miraculeusement amoureux de Guenièvre. Tu as toujours veillé sur moi. Fais ce que tu penses être le mieux pour ce royaume. Mais surtout ne m'en dis rien.

Merlin hocha tristement la tête.

- Mes gens ne m'attendent pas avant demain alors... Le reste de ce jour et jusqu'à l'aube du prochain, prends moi.

- Vous ... Vous n'en avez plus besoin...

- Non. Mais j'en ai envie. Et j'espère que toi aussi. Et si c'est le cas alors nous allons faire l'amour, encore et encore jusqu'à ce que nos corps ne le supportent plus. Parce que je refuse de passer ces dernières heures avec toi loin de ton corps. Parce que ... Je t'aime. Je t'aime Merlin alors ... Jusqu'à demain, je t'en supplie. Fais moi oublier que je suis roi.

Les prunelles de Merlin étaient brouillées de larmes, sa respiration saccadée. Il ne pouvait rien répondre à ça. Il n'y avait rien à répondre devant pareille vérité. Alors il se pencha sur son roi jusqu'à ce qu'il soit allongé contre le matelas. Ils se dévisagèrent un moment, tout ce qu'ils ressentaient l'un pour l'autre, transmis par leurs yeux. Et après quelques allez retour de ses pupilles à ses lèvres, Merlin embrassa son roi.