Et... enfin... un début de quelque chose :)


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Je suis ivre. Tellement que votre présence est passée au second plan et que j'arrive à passer le temps en parlant joyeusement avec Ochako.

Ça me fait plaisir, je n'ai plus souvent l'occasion de la voir depuis que nous avons notre titre. Elle me parle de sa nouvelle agence où sa carrière se passe bien, tout comme sa vie qu'elle partage avec son petit-ami du moment.

Son bonheur me fait infiniment plaisir, mais je l'envie. Et apparemment, j'ai pensé à voix haute car elle m'envoie un nouveau sourire désolé. L'énième de la soirée.

Elle me connaît bien, elle sait que mon comportement est inhabituel. Je suis trop ivre, trop bizarrement joyeux, je parle trop fort : je suis trop, tout simplement.

Je parle d'autant plus fort que le restaurant se vide, ainsi que notre table. Je ne sais pas quelle heure il est, mais tout le monde repart lentement mais sûrement. Un temps plus tard, il n'y a bientôt plus qu'Ochako, Katchan, Eijirô, Ashido, Tokoyami et moi.

Et vous, bien sûr.

Je continue de vous ignorer du mieux que je peux, quand bien même votre voix grave me parvient régulièrement et m'envoie parfois des frissons involontaires tant elle paraît ronronner à mes oreilles. Quand j'arrête de babiller et que mes pensées divergent vers vous, je me rappelle soudainement comme votre présence, aussi amère soit-elle, me fait du bien. Je réfrène mes pulsions du mieux que je le peux, je m'empêche de simplement m'écouter et de me tourner vers vous et vous bombarder de questions, à l'image de tous les autres. J'ai pourtant tendu l'oreille malgré moi toute la soirée : je sais donc que votre traitement a marché et a fait des miracles sur votre corps - ça se voit dans tous les cas, d'autant plus de si près. Je sais que vous avez acheté un chalet reculé dans les Rocheuses et que vous y menez une vie douce et tranquille. Je sais que vous avez prévu de repartir dans quelques jours seulement.

Cette dernière nouvelle m'a encore donné une pulsion de vous sauter dessus pour vous supplier de rester. Mais comme toutes les autres, je me félicite de l'avoir ravalée. Comme je ravale présentement, maintenant que je n'ai plus Ochako sur qui m'épancher puisqu'elle est partie à son tour, l'envie irrésistible de vous prendre à part pour vous sommer de me dire en face ce que vous avez été incapable de me dire hier. Ce que vous avez préféré lâchement me faire comprendre par la fuite.

Oui, j'ai envie de vous mettre dans les dents que vous avez été incroyablement lâche hier et que pour la première fois de ma vie, vous m'avez déçu. All Might n'est pourtant pas un lâche. Je ne veux pas que le héros qui m'a forgé soit un fichu lâche.

Tokoyami part à son tour, insiste en me souhaitant une bonne soirée et en me rappelant qu'au besoin, j'ai toujours son numéro. J'aimerais pouvoir me réjouir qu'il soit si observateur de mon état, mais personne n'a été dupe ce soir. Je n'arrive même pas à m'en vouloir : pour une fois, le défi était trop dur à relever pour moi.

Ashido est ivre aussi, Eijirô a un coup dans le nez et Katchan m'envoie toujours des regards perçants. Ça fait peut-être bien une demi-heure que vous tentez d'amorcer un départ, mais Ashido insiste encore pour vous garder avec nous, arguant imparablement que vous êtes en retraite et que vous avez bien du temps à nous accorder. Pourtant, une partie de moi aimerait que ce calvaire cesse et que je puisse profiter de ma journée de repos demain dans un état plus efficace que celui d'aujourd'hui. Mais une autre partie de moi, évidemment bien plus importante, souhaiterait que cette soirée ne finisse jamais. Qu'aussi terrible soit notre situation, vous avoir enfin en face de moi et entendre votre voix, votre rire, me gonfle tellement le cœur que je souhaiterais que cela continue encore et encore. Que je me noie dans cette amertume empoisonnée. Aussi horrible soit-elle, elle est bien plus agréable que le rien, le vide, la mort dans mon âme que j'essuie quand vous me tournez le dos.

Mais vous finissez par partir, prétextant la trop grande fatigue du décalage horaire. J'ai envie de rire jaune en hurlant à l'excuse, mais c'est vrai que vos yeux, qui étaient pourtant bien plus lumineux durant l'interview, semblent à nouveau cernés d'épuisement. J'ai le fol espoir que vous avez passé une nuit aussi catastrophique que la mienne pour la même raison. Je reprends une gorgée de ma bière en m'implorant d'arrêter d'être aussi naïf.

Vous dites au revoir, je bataille pour continuer à vous ignorer. Si Ashido ne percute pas l'ambiance terrible que cela abat à notre table, mon couple d'amis n'en perd pas une miette. Sitôt que vous êtes parti, Katchan me siffle que j'ai intérêt à tout lui expliquer quand je serai en état de le faire. Je pouffe de rire dans ma bière et rétorque malgré moi qu'il n'y a rien à expliquer.

« Il n'y a que des larmes à pleurer ».

Katchan n'apprécie pas mon soudain lyrisme et le ton monte. Si d'habitude, j'encaisse ses éclats de voix avec la même facilité et le même détachement amusé dont je fais preuve depuis notre rapprochement à Yuei, ce soir, je n'ai pas envie d'entendre ses remontrances. Je n'ai pas envie de le décoder et de comprendre à travers sa colère qu'il s'inquiète simplement pour moi. J'ai juste envie de laisser exprimer mon ivresse, ma tristesse, mon désespoir, ma rage. Et pour la première fois depuis notre combat ce soir-là, le soir même où vous (encore) avez été celui qui est venu nous séparer, je lui crache au visage avec une telle hargne que ses yeux rouges de frustration se flétrissent pour n'exprimer que de l'ébahissement. Mon venin est si acide que je doute qu'Ashido sache faire mieux. Qu'Eijirô monte dans les tours sans attendre pour défendre mécaniquement son fiancé.

Je me lève et je pars sans un mot de plus.

Je m'excuserai demain. Pour le moment, j'ai l'esprit trop embrouillé par trop de choses.

Pour le moment, je suis trop ivre. Trop remonté. Trop déçu.

Trop brisé.

Tellement brisé que la réalité peine à arriver à moi et que je crois rêver quand j'entends une voix bien connue qui m'appelle :

— Jeune Midoriya !

Je me retourne et sursaute. Je suis pourtant à deux rues du restaurant, mais il semble que vous avez couru pour me rattraper. Je ne comprends pas d'où vous sortez. Vous êtes pourtant parti il y a un moment.

Je comprends encore moins pourquoi vous m'alpaguez.

Après m'avoir ignoré, fui, rejeté hier... ?

Vous vous foutez de ma gueule.

Je sens que j'exprime assez clairement ma colère pour que vous la deviniez sans peine. Vous restez à une distance raisonnable de moi et je vous vois blêmir comme jamais.

— ... Tu n'avais probablement pas envie que nous parlions, entamez-vous prudemment. Mais... Je trouvais cela trop horrible de nous quitter sur une soirée pareille...

Je lâche un éclat de rire sarcastique malgré moi. Je ne me reconnais pas. Je crois que Katchan a une terrible influence sur moi.

— C'est sûr que se quitter comme hier était carrément mieux, craché-je.

Vos yeux bleus, qui arrivaient un peu à affronter mon regard furieux jusqu'ici, tombent au sol.

Je ne vous ai jamais vu aussi misérable en face de quelqu'un. Et il faut que ce quelqu'un soit moi...

Et je me sens tellement stupide. Tellement méchant : une fois encore, j'arrive à me réjouir du fait que je ne sois pas le seul qui ait une emprise sur l'autre, dans notre duo improbable.

— ... Je n'ai pas su comment réagir hier et je me suis comporté de la plus terrible des manières. Je suis vraiment désolé, mon garçon... C'est d'ailleurs pour cette raison que je suis resté ce soir.

Évidemment, faible que je suis, ces excuses et ces explications me calment un tant soit peu et piquent ma curiosité. Je desserre légèrement les poings, je débande mon corps. Je tente de rester concentré sur vos paroles malgré l'alcool qui me brouille toujours les sens.

— En te voyant présent tout à l'heure, je me suis dit que j'allais en profiter pour m'excuser pour hier. Et que nous pourrions éventuellement en discuter de manière plus mature, loin de la lâcheté dont j'ai fait preuve...

Je suis heureux que vous repreniez mes propres conclusions. Mais je sais que vous avez toujours été lucide à propos de vous-même : si moi, votre plus grand fan, arrive à penser que vous avez été lâche... Évidemment que vous le pensez aussi.

— Mais j'ai vite compris que tu m'en voulais probablement. Et comment pourrais-je te le reprocher...

— Vous m'avez rejeté, souligné-je finalement, malgré moi, d'un timbre de voix que je juge pitoyable.

— Je suis désolé... J'ai à peine réalisé que tu étais vraiment là, hier. J'ai juste... paniqué, comme un imbécile.

Je déglutis. Paniqué. Vous qui ne paniquez pourtant jamais. Même si j'ai appris qu'aussi incroyable étiez-vous en tant que héros, vous êtes bien loin d'être autant un surhomme dans le privé : il vous arrive souvent d'être maladroit, de regretter vos paroles impulsives et de vous affoler lorsque la conversation vous échappe.

Mais jamais vous ne paniquez.

C'est pourtant la deuxième fois que ça arrive. À cause de moi.

— Si tu as le cœur et du temps à m'accorder... Accepte mes excuses sincères pour mon terrible comportement d'hier. Et si tu avais des choses à me dire, je t'écoute.

Vous tentez un sourire. Il est discret et timide, si loin de ceux que je vous ai toujours connus, mais il est incroyablement sincère. Tellement sincère que mon cœur se gorge d'émotions.

— J'aimerais énormément avoir de tes nouvelles de vive-voix, par la même occasion... J'ai eu des nouvelles de presque tout le monde ce soir, mais pas des tiennes...

Ma voix reste bloquée quelques instants. De nouvelles larmes me piquent dangereusement les paupières. Je ne sais pas si ça vaut le coup de batailler : aujourd'hui, dans mon état normal, j'arrive à les maîtriser la majorité du temps. Mais ivre comme ce soir, c'est peine perdue et je le sais.

Et ce n'est pas non plus comme si vous ne m'avez jamais vu pleurer.

— Je-... j'aimerais avoir de vos nouvelles aussi, All Might...

Ma voix est ridicule. Aussi faible et fluette que le jour de notre rencontre.

Mais ça ne paraît pas vous déstabiliser. Au contraire, cette phrase semble déclencher également une montagne d'émotions en vous.

— Je serais ravi de t'en donner, mon garçon. Mais... Peut-être que ce n'est pas le bon moment ? Tu as... beaucoup bu, ce soir...

— Ça ne sera pas le bon moment non plus quand vous repartirez aux États-Unis, ne puis-je m'empêcher de rappeler, toujours un peu amer malgré mes émotions qui jouent au yoyo.

— C-c'est vrai...

Je vous déstabilise encore. C'est vraiment insensé. J'essaie de me demander ce qui peut bien vous choquer le plus : le fait que je sois ivre ? Le fait que j'ose vous parler de cette manière ? Ou bien mon propre changement physique - mes centimètres en plus ? Ma prise de muscles ? Je vous vois qui n'arrête pas de balayer ma silhouette de bas en haut.

J'en viens stupidement à espérer que vous ne voyez plus le frêle collégien de l'époque, mais bien le héros - l'homme, que je suis devenu.

— Je... devrais peut-être te raccompagner chez toi, suggérez-vous tout à coup. Nous pourrons parler sur la route et je serais assuré que tu rentres sain et sauf.

Un petit sourire amusé se fraye un chemin sur mon visage méfiant.

— All Might... Je suis un héros pro, vous vous rappelez ? Je suis même dans le top 10 actuel, et... vous vous inquiétez que je n'arrive pas à rentrer chez moi ?

Vous vous grattez nerveusement l'arrière de la nuque.

— ... Disons alors que j'insiste. Pour me faire pardonner d'hier.

Ah...

Je suis vraiment trop faible.