Jackson était un homme de contrôle, qui aimait avoir la mainmise sur un grand nombre d'aspects de sa vie. Il détestait l'excès, abhorrait l'oubli, haïssait s'endormir loin de chez lui. L'inconnu le terrifiait.
Et pourtant, des jours qu'il était là, dans cette ville. Des jours que des suceurs de sang profitaient de lui tout autant qu'il profitait d'eux. Des jours qu'il bafouait ses principes et cessait de maîtriser sa vie dans son entièreté. D'aucuns le trouveraient un peu plus flexible, ceux qui le connaissaient pourraient aisément dire qu'il se détruisait. Et c'était le cas.
Mais qu'importe ? Personne n'était au courant de sa déchéance et Jackson ne voyait pas qui pourrait venir lui mettre des bâtons dans les roues. La meute n'irait pas le traquer, espionner ses activités, encore moins tenter de le remettre dans le droit chemin. Si Jackson Whittemore n'était plus que l'ombre de lui-même et se droguait au venin de vampire dès qu'il le pouvait, ce n'était rien d'autre que son problème. Son envie. Sa responsabilité.
Son regard céruléen assombri par l'obscurité scruta la vile au travers des vitres de la fenêtre de sa chambre d'hôtel. Ni trop petite ni trop grande, elle avait pour lui la taille parfaite : suffisante pour un homme seul, pas assez étroite pour qu'il se sente étouffé.
De toute manière, il n'y avait rien de matériel qui puisse l'étouffer : juste sa conscience et ses souvenirs. Les opprimer à leur tour n'était que justice tant lesdits conscience comme souvenirs ne lui laissaient que peu de répit. Jackson avait ce problème-là, de… D'aimer ce qu'il avait pourtant coutume de penser détester. Car maintenant, il adorait ce passé qu'il exécrait supposément au moment où celui-ci était présent. Et il y repensait, souvent.
En permanence dans cette ivresse de sobriété.
Enfin, la vie continuait. Quoique la qualifier d'existence serait plus juste. L'on ne vivait plus lorsqu'il s'agissait d'obligation, d'autant plus lorsque l'on se trouvait dans le couloir de la mort, installé entre une vieille femme et un orphelin. D'aucun savaient quand ils mouraient, mais ils attendaient chacun leur tour. Jackson, de son côté, pensait partir avant eux. C'était le poison qu'il sentait pulser aussi bien dans ses veines que dans sa tête qui le lui susurrait à l'oreille. Le pire, c'est qu'il était au courant. Chaque fois que ses yeux s'ouvraient, que ce soit sur un ciel de midi ou de minuit, Jackson ressentait la faiblesse inédite qui prenait possession de son corps au métabolisme prétendument incroyable. Un corps qui n'avait que faire des coups, des balles, des lacérations mais qui, contre un venin aussi doucereux que celui d'un vampire, devenait fébrile. Un corps qui, selon les cas, mourait.
Ou attendait son heure.
Jackson se redressa mollement et jeta un léger coup d'œil à son accoutrement. Le même que la veille, à la différence que les premiers boutons de sa chemise avaient été arrachés. Léger soupir. La silhouette quelque peu amaigrie s'extirpa du lit et s'engouffra dans la pièce voisine – une salle de bain tout à fait correcte. Ses doigts pressèrent l'interrupteur et la lumière illumina la pièce au point de l'aveugler un quelques secondes : la vie nocturne le déshabituait de la diurne. Jackson, quel que soit son état, en avait diablement conscience. Il avait rapidement inversé tout son cycle et ce, juste pour satisfaire son addiction croissante. Là encore, il allait assouvir sa soif de venin. Mais avant cela, il savait qu'il devait faire un effort. Sa dose, il fallait la mériter.
Jackson n'imaginait pas les vampires si à cheval sur l'hygiène – quoiqu'en y réfléchissant, c'était plutôt cohérent. Possédant un odorat semblable à celui des loups-garous, les morts-vivants aux longues canines mettaient un point d'honneur à ne faire affaire qu'avec des êtres propres qui prenaient un tant soit peu soin de leur apparence : et si Jackson s'occupait de la sienne, c'était uniquement pour obtenir son dû. Autrement, il ne prendrait même pas la peine de se coiffer, de changer de vêtements. Pas qu'il soit spécialement crado. Les concepts de besoins et actions primordiales envers soi-même étaient devenus quelque peu flous, à ses yeux. Pour lui, la vie s'était tout bonnement arrêtée… Alors pour quelle autre raison ferait-il un effort ? Tant qu'il aurait de l'argent pour réclamer ses doses, il se plierait aux exigences de ces êtres arrogants – qu'il continuait de haïr au plus haut point.
Entre le vide et la lassitude subsistait toutefois un sentiment fort qui ne le quitterait sans doute jamais, du moins aussi longtemps qu'il continuerait d'offrir sa nuque à des vampires : la culpabilité.
La culpabilité de nourrir des monstres, les mêmes qui avaient foutu sa vie en l'air. Les mêmes qui avaient tout détruit. Les mêmes qui avaient réduit son ancienne meute à un souvenir. Les mêmes qui avaient fait deux morts parmi ces gens qu'il considérait comme sa deuxième famille.
Il y avait Liam, certes. Le premier à avoir succombé.
Et puis il y avait eu celui qu'on pensait invincible. Celui qu'on croyait pouvoir sauver, mais dont le cœur avait cessé de battre dans les bras de l'alpha de cette meute brisée. Celui dont il voyait l'image à la place de son reflet dans le miroir de la salle de bain.
Le coup partit bien plus vite et plus fort qu'il ne l'aurait pensé. Dans la tête de Jackson, rien de plus qu'un silence tonitruant accompagné d'un sifflement discret. Du miroir, il ne resta plus que des éclats sur les rebords du lavabo, à l'intérieur de celui-ci et au sol. Quelques petits morceaux incrustés dans sa peau alternant entre pâleur et pourpre par endroits. Nuances et reflets la zébraient alors qu'il respirait lourdement, le cœur battant à tout rompre, les yeux fuyants, perdus. Confus, il leva son poing pour le regarder et constater la misère vivante qu'il était devenu. Incapable de regarder un miroir plus de quelques secondes sans que son esprit ne décide de lui jouer des tours. A fleur de peau chaque fois qu'il sortait de son lit, chaque fois qu'il s'y réveillait sans réellement savoir comment il y avait atterri.
Jackson décida d'ignorer le problème en tant que tel. Au pire, il paierait les dégâts à l'hôtel une fois qu'il s'en irait. Il décida alors de se détourner du fruit de sa terreur, car il avait véritablement peur de cette folie qui le rongeait petit à petit. S'il était capable de voir un souvenir à la place d'un reflet, quelle serait la prochaine étape ? Jackson secoua la tête alors qu'il se déshabillait, ignorait la douleur irradiant de sa main dont s'écoulait son sang surnaturel. D'ici quelques minutes, les plaies, aussi petites et nombreuses soient-elles, se seraient refermées. Il fallait juste… Qu'il retire le plus gros de la multitude de morceaux de miroirs toujours incrustés. Et bien sûr, il se couperait… Qu'importe.
Les gestes du kanima furent terriblement imprécis, terriblement brouillons. L'eau s'écoulant sur son corps ne lui facilitait pas la tâche : tantôt bouillante, tantôt glacée, elle perturbait Jackson dans ses opérations. Son corps lupin ne régulant plus la température comme avant, il se retrouvait plus sensible à tout, y compris à ce qui n'était autrefois qu'un détail. Ainsi, le jeune homme à la courte chevelure blonde mit un temps monstrueux à retirer chaque bout tranchant de sa peau, d'autant plus que sa main libre et saine tremblait. Le manque, terrible, se faisait ressentir et la raison dudit manque continuait d'étouffer son cœur au point de maintenir chez lui un rythme de battement très élevé.
Lorsqu'il eut terminé, Jackson se lava rapidement et enfila une tenue décente, avec une chemise dont aucun bouton n'avait été arraché par un vampire qui se serait quelque peu emporté. Une fois qu'il eut terminé, il sortit de sa chambre et prit bien soin d'en verrouiller la porte. Il ne tenait pas à ce qu'on rentre dans sa froide intimité… Et qu'on découvre le fruit de sa folie.
Car si sa main avait rapidement guéri, le miroir restait inextricablement brisé et maculé de son sang contaminé.
