Allez, on passe à la suite pour continuer de planter le décor et surtout, rassembler notre groupe :)

Journal des reviewers :

Seulie : OMG! Je pensais que personne ne viendrait jamais lire! ç_ç Merciiiiiiii! J'espère que tu apprécieras le voyage, y'en a pour longtemps!


CHAPITRE II – CEUX QUI ONT SURVÉCU

Après avoir ratissé l'épicentre du crash sur la plage, les deux rescapées décidèrent d'explorer l'épave en elle-même. Peut-être qu'elles trouveraient d'autres survivants encore coincés dans leur capsule.

Il était difficile de juger si le nautiloïd était plus ou moins effrayant en plein jour que dans la pénombre. La carcasse mêlée d'acier et de chair mise au clair, bien qu'en morceaux, conservait cet aspect horrifique et dégoûtant sauf quand elle continuait de se consumer par des braises ou des flammes encore vaillantes ça n'en devenait plus qu'un combustible charbonneux et difforme. Le vaisseau qui les avait emportées était d'une taille démentielle et ce qu'il en restait s'éparpillait sur des centaines de mètres. Dans ce qu'il restait de l'épave éventrée telle une horrible pièce de gibier se trouvaient majoritairement des technologies illithid partiellement détruites dont de nombreuses capsules et autres éléments difficilement identifiables. Des « cadavres » de cerveaux sur pattes jonchaient le sol organique par endroit. Silesta grimaça. Même mortes, ces choses étaient horribles à regarder.

Une douleur déflagra soudainement dans son esprit en lui arrachant un cri de douleur.

« Des dévoreurs d'intellect ! s'alarma Ombrecoeur en attrapant masse et bouclier. Il y en a qui ont survécu ! »

En effet, trois charmantes bestioles rampantes surgirent d'une plate-forme renversée avec des petits cris stridents. Ombrecoeur frappa le plus proche d'un coup ferme et le fit exploser dans une bouillie immonde pendant que Silesta retrouvait sa lucidité. Elle s'empara de son harpon et se fit un plaisir d'embrocher celui qui commençait à s'approcher dangereusement. Le dernier cerveau restant envoya une nouvelle décharge mentale qui la mit à genou sa tête était comme un ballon trop gonflé prêt à exploser. La cléresse se mit devant elle et repoussa le dévoreur qui bondissait, prêt à finir le travail. Hélas pour lui, il ne rencontra pas une tête à dévorer mais le rebond métallique d'un bouclier qui l'envoya valser contre un mur pour s'écraser.

« Merci, souffla Silesta en se massant les tempes. Saletés. »

Ombrecoeur lui renvoya un hochement de tête et toutes deux reprirent leur exploration.

Entre la cendre et les flaques de feu qui épaississaient l'atmosphère et les débris rendus inutiles, les deux femmes pensaient qu'elles ne trouveraient rien de plus, jusqu'à ce qu'une forme ne se dégageât entre la fumée : un flagelleur mental blessé et à terre. Elle avancèrent prudemment elles ignoraient à quel point la créature était touchée.

Il était visiblement mal en point car il ne parvenait pas à se relever en dépit des forces qu'il jetait dans ses bras tremblotants. Un frisson parcourut Silesta : elle avait reconnu le flagelleur qui l'avait torturée. Elle était prête à mettre fin à son existence d'un seul coup de harpon bien placé et pourtant, une part d'elle n'éprouvait que... de la pitié ? Pour cette chose ? Non, non, ce n'était pas normal. Pas après ce qu'elle avait enduré par sa faute. Silesta recula avec angoisse et ses doutes prirent fin en même temps que la vie du flagelleur qui fit l'expérience d'une autre forme de compassion de la part d'Ombrecoeur : sa masse dans la tête.

« Je ne sais pas à quoi vous pensiez et je ne tiens pas à le savoir. Cette créature était en train de vous faire quelque chose », morigéna la prêtresse avec malaise.

Silesta secoua la tête, libérée de cette main froide qui avait enlacé son esprit sans qu'elle ne s'en rende compte. La créature avait-elle essayé de l'influencer via la larve dans sa tête ? Cela avait été si aisé, si naturel, aussi efficace que le baratin finement ciselé d'un charlatan sur une place de marché. Le pouvoir des flagelleurs mentaux était effrayant et elles risquaient d'y succomber à tout moment. Il fallait faire vite.

Les deux femmes quittèrent rapidement l'épave du nautiloïd afin d'élargir leur cercle de recherche. À mesure que les décombres du vaisseau se faisaient de plus en plus éparpillés, l'interrogation croissait dans l'esprit de Silesta : pourquoi n'avaient-elles toujours pas trouvé la guerrière githyanki ? Si elle avait été tuée, elles auraient bien dû finir par trouver son corps.

« À moins qu'il ne soit écrasé sous quelque chose, essaya Ombrecoeur comme elle aurait parlé du changement des saisons.

_ Vous n'aimez vraiment pas les giths, n'est-ce pas ? »

Son accompagnatrice eut une grimace pincée. Les githyankis n'étaient pas réputés pour leur bonté d'âme, loin de là. C'était un peuple cruel qui ne vivait que pour le pillage, les mises à saque et tout autre dérivé de la guerre. Rien de bon ne restait dans leur sillage sanglant et cette githyanki semblait être une parfaite représentante de sa race . Silesta ne put la contredire sur le coup. Le peu qu'elle savait sur cette race du Plan Astral n'avait rien d'un tableau élogieux. Nonobstant ce triste portrait, la githyanki l'avait quand même aidée en dépit de la gêne qu'elle pouvait représenter et personne ne méritait d'être transformé en flagelleur mental. La cléresse eut un ricanement froid.

« Elle vous a utilisé comme un moyen de sauver sa peau, rien de plus. Si elle a survécu, elle a tôt fait de vous abandonner à votre sort. »

Silesta gonfla les joues, frustrée. Ombrecoeur avait sans doute raison. En même temps, qui pouvait lui en vouloir de privilégier sa propre survie et encore plus quand il s'agissait d'une githyanki, une créature dont le peuple avait réussi à se défaire du joug des flagelleurs mentaux avec en avoir été esclave ? Silesta était déçue autant qu'elle pouvait compatir.

L'air perdit peu à peu l'âcreté nauséeuse de la fumée tandis que les deux femmes progressaient vers l'ouest en longeant le rivage. Des morceaux du vaisseau ressortaient ici et là sur le chemin de gravillons ou dans les fourrés mais de façon bien plus éparse. Se retrouver en pleine nature sans savoir exactement où elles étaient avait de quoi être intimidant mais n'importe quelle situation était toujours plus avantageuse que leur capsule étroite.

Le soleil était encore haut dans le ciel clairsemé de poudre nuageuse, elles avaient plusieurs heures devant elles pour espérer trouver quoi que ce fût qui pourrait les aider. Le terrain montait doucement en pente dans les hauteurs de granit. La végétation était sèche entre les rochers mais elle offrit par chance aux rescapées quelques spécimens de plantes connues notamment pour les élixirs de soin. Chaque foyer connaissait les rudiments de l'herboristerie qui concernait la santé, tout le monde n'avait pas les moyens de rendre visite à un apothicaire. Après avoir récupéré une nouvelle racine de bouchée-de-roublard, Silesta s'autorisa à délester un buisson de baies voisin de quelques fruits pour les manger tout de suite. L'acidité des fruits lui fit frissonner l'arrière de la langue autant que cela lui redonna un coup de fouet.

« Regardez », l'appela Ombrecoeur à voix basse.

Elle se redressa un peu au-dessus de son buisson, aux aguets. En haut du chemin qu'elles empruntaient, la silhouette élancée d'un homme se détachait sur le bas-côté. Difficile de distinguer grand chose hormis la blancheur éclatante de ses cheveux et la couleur raisin et bleu de minuit de son habit. Ce n'était là les couleurs ni d'un pèlerin ni d'un pêcheur et il ne semblait rien à voir avec la nature aride des lieux. Les deux femmes échangèrent un regard entendu : cet homme devait être à bord du vaisseau lui aussi. Elles avancèrent et une fois assez près, Silesta confirma ce qu'elle avait entrevu. L'homme était élégamment vêtu d'une veste brodée de velours prune et de brocard finement décorée de broderies dorées il tenait plus du noble dandy que du paysan.

Il sursauta faiblement à leur approche, l'air tendu.

« Par ici, vite, pressa-t-il en se tournant vers les fourrés en contre-bas de la route. J'ai vu l'un de ces cerveaux étranges, là, dans les herbes. Pouvez-vous le tuer comme vous avez tué les autres ? »

Le doute n'était plus permis : il faisait bien partie des personnes enlevées et vu comment il était habillé et distingué, ce gentilhomme devait être aussi à l'aise au combat que Silesta. Cette dernière échangea un rapide coup d'œil avec Ombrecoeur qui comprit. La prêtresse rejoignit le bord de la route pour inspecter les lieux, sans se méfier.

« Quelle bonté d'âme », susurra l'homme en se glissant dans son dos.

Rapide comme l'éclair, l'inconnu attrapa Ombrecoeur d'un bras autour du buste et la renversa lourdement au sol. La seconde suivante, le fer étincelant d'une lame effilée de dague brillait sous la gorge de la demi-elfe. Silesta sursauta.

« Quant à vous, je vous déconseille de tenter quoi que ce soit, la menaça aussitôt le brigand. Ne rendons pas les choses plus déplaisantes. »

Pour son malheur, il n'avait pas choisi la femme la moins sans défense. Ombrecoeur se débattit, l'œil noir.

« Espèce de... ! »

Même entravée par son armure, la cléresse eut quand même la force de repousser son assaillant. Il roula sur le côté comme elle et tous deux se remirent prestement debout, sur leurs gardes. Silesta se tendit, prise au dépourvu par cette désagréable surprise et dévisagea plus attentivement l'homme. C'était un elfe aux longues oreilles pointues dont la pâleur éburnéenne de sa peau se perdait dans le blanc lunaire de ses cheveux bouclés et de ses sourcils nettement dessinés. Son visage se fronçait d'une froide défiance et pourtant la finesse de ses traits jeunes et lisses exultait sa beauté féerique. Impossible de lui donner un âge, tant par sa pâleur que par sa grâce naturelle mais sa voix laissait à penser qu'il avait une vingtaine d'années humaines. Il jaugea silencieusement les deux femmes face à lui et quand son regard se mêla au sien, Silesta remarqua aussitôt la couleur inhabituelle de ses iris d'un rouge grenat profond.

« Je vous ai vue arpenter le vaisseau alors que j'étais prisonnier dans cette capsule. Qu'est-ce que vous m'avez fait, vous et ces horreurs à tentacules ? » somma-t-il d'un ton menaçant.

Il tenait toujours fermement sa dague et la vivacité dont il avait fait preuve juste avant avait suffi à Silesta pour ne pas chercher à l'éprouver une deuxième fois.

« Vous vous trompez complètement. Nous avons été enlevées, comme v... »

Son esprit vrilla et enlaça celui de l'elfe. Des rues inconnues et enlisées dans une nuit noire s'esquissèrent autour d'elle pendant que des impressions confuses s'emparèrent d'elle. La lumière. De la peur.

La nature rocailleuse chauffée par le soleil revint. L'elfe gémissait, pris d'un tournis.

« Qu'est-ce que... Que se passe-t-il ?

_ Je... Je ne sais pas, répondit Silesta à toute allure, craignant que l'expérience ne le braque davantage. Je pense que c'est la larve qui nous a liés. »

D'abord méfiant, l'elfe prit cependant un instant pour réfléchir à haute voix. La larve... Cela expliquait beaucoup de choses, d'une certaine façon. Il finit par se détendre et son visage s'illumina d'une élégante prestance.

« Quand je pense que j'étais sur le point de vous éviscérer. Je vous prie de bien vouloir m'excuser », regretta-t-il dans un sourire gêné vers Ombrecoeur.

La prêtresse haussa un sourcil peu convaincu mais soit. Les circonstances appelaient à la méfiance, sa réaction se comprenait. L'elfe étira son sourire et inclina le buste.

« Merci de votre indulgence. Je m'appelle Astarion. J'étais à la Porte de Baldur lorsque ces monstres m'ont capturé.

_ Je suis Ombrecoeur et voici Silesta, répondit la cléresse.

_ Ravi de faire votre connaissance. Je vous en prie, dites-moi ce que vous savez à propos de ces choses dans notre tête. Je sens que cette larve est déjà en train de m'affecter. »

Ces interlocutrices n'eurent malheureusement pas beaucoup à lui apprendre de plus. Tout ce qui était certain, c'était que personne ne voudrait garder ces habitants indésirables. Silesta eut un instant d'hésitation. Cet Astarion était dans la même infortune qu'elles, il était presque évident de vouloir lui proposer de les suivre afin de trouver un remède ensemble. Néanmoins, il se dégageait de l'enjôleuse affabilité de cet homme quelque chose d'insaisissable. Certes, Astarion avait été aussi prompt à l'assaut que la githyanki sur le vaisseau et pourtant, toute son attitude, de la musicalité ondulante de sa voix à l'éclat presque rieur au fond de ses yeux était intrigante. Silesta essaya de se mettre à sa place un instant. Il était visiblement aussi effrayé qu'elles avec cette histoire de larve, cela s'entendait dans sa voix. S'il venait avec elles, quel intérêt aurait-il à vouloir leur faire du mal ? Et puis une part d'elle se désolait un peu de ne pas l'avoir trouvé plus tôt dans le vaisseau comme elle avait aidé Ombrecoeur.

« Nous... Nous faisons route dans l'espoir de trouver un remède, expliqua-t-elle en consultant son accompagnatrice des yeux. Nous n'avons pas encore de vrai plan établi mais si vous souhaitez vous joindre à nous... »

Au premier abord, Astarion parut surpris de cette proposition. Il eut un silence réfléchi puis un sourire espiègle.

« Je pensais continuer par mes propres moyens mais vous me semblez plutôt fiables. L'expérience s'annonce des plus intéressantes. J'accepte votre invitation. »

Il semblait bien être le seul à trouver quelque chose d'amusant dans cette affaire.

Sur ces entre-faits, le trio nouvellement constitué reprit le chemin dans les falaises. La rencontre avec Astarion avait redonné à Silesta l'espoir de retrouver la githyanki vivante. Elle demanda d'ailleurs à leur nouvel accompagnateur s'il l'avait aperçue, hélas, l'elfe répondit par la négative. Quand il avait repris ses esprits, il avait été directement attaqué par des dévoreurs d'intellect et avait préféré s'éloigner rapidement de l'épave du vaisseau.

« Une chance que vous soyez adroit à la dague, glissa ironiquement Ombrecoeur qui revoyait le tranchant de la lame caresser sa peau. Voyageons-nous donc avec un égorgeur des bas-fonds? Histoire de savoir si je pourrai dormir sur mes deux oreilles.

_ Quel terme inélégant et barbare, riposta Astarion, presque vexé. Je préfère arpenteur des ombres, si vous voulez bien.

_ Vous restez quand bien même un voleur, décréta nûment Silesta.

_ Peut-être mais il peut s'avérer utile de ne pas toujours être dans les règles.»

Ceci expliquait donc cela en partie cela. À en juger par son élégance et son élocution maîtrisée, Silesta vit plus en Astarion une sorte de gentleman charlatan qu'un implacable assassin, ou du moins c'était ce dont elle voulait se convaincre. Une nouvelle pointe d'incertitude la toucha avant d'être vite chassée d'un secouement de tête. Elle préférait ne pas plus s'interroger sur le bien-fondé d'avoir accepté un roublard dans le groupe et se cantonner à sa réflexion première : leur but convergeait et ils avaient tous intérêt à coopérer les uns avec les autres. Quel étrange groupe hétéroclite allaient-ils former.

Le soleil avait déjà amorcé sa descente dans le ciel bien qu'il y eût encore du temps avant de voir poindre le soir. Les voyageurs repassèrent par l'épave du nautiloïd car leur route avait fini par s'égarer dans un cul-de-sac montagneux et entamèrent une nouvelle progression plus à l'intérieur des terres plus verdoyantes. Sur le chemin, Astarion fit remarquer par endroits la présence de nombreux pièges qui n'avaient rien à voir avec d'inoffensifs collets à lapin. Il s'agissait de pièges rudimentaires mais assez élaborés pour capturer un pauvre hère peu attentif directement dans un filet ou une cage bien cachée. D'où pouvaient-ils bien venir et surtout, que faisaient-ils dans ce coin perdu ? Le seul point positif à leur présence laissait entendre qu'il y avait sans doute quelque part un point de passage important ou une zone de rassemblement – un village peut-être ? - qui faisait que des individus fussent amenés à traverser cette région. Il fallait trouver cet endroit.

« Regardez, là-bas », intervint Silesta en s'immobilisant tout d'un coup.

Dans le mur de falaise en amont d'eux tourbillonnait un étrange vortex d'énergie violacée telle une porte béante vers l'inconnu. L'énergie qui le constituait ronronnait d'un bourdonnement continu peu avenant, forçant les voyageurs à s'arrêter de loin, méfiants. Le cercle crépitait de façon hiératique et instable à croire qu'il ne fonctionnait pas comme il le devrait. Ils reculèrent d'un pas, craignant une explosion soudaine. L'émergence brutale d'un bras depuis le vortex les surprit encore plus.

« Ohé ! Un coup de main ? Quelqu'un ? »

Une voix d'homme implorait depuis les profondeurs du portail et sa main s'agita dans le vide dans l'espoir de s'accrocher à quelque chose. Le groupe approcha du tourbillon magique et reconnut la forme et la carnation d'une main humanoïde qui sortait d'une manche de tunique violet pourpre faite d'un riche tissu.

« Qui êtes-vous ? » exigea Ombrecoeur, échaudée de sa précédente naïveté avec le roublard.

Astarion, lui, prit moins de gant et donna littéralement un coup dans la main comme pour s'en débarrasser.

_ Aouch ! J'aurais dû être plus clair. Une main secourable, s'il vous plaît ? répondit tranquillement la voix en dépit de la situation. Tirez-moi de là et nous pourrons faire plus ample connaissance. »

La main continuait de happer l'air sans succès mais avec toujours autant d'énergie. Le visage d'Ombrecoeur laissait clairement paraître qu'elle n'était pas rassurée et Astarion ne semblait pas plus enclin à remuer le petit doigt. Poussée par son instinct qui lui dictait de faire quelque chose, Silesta se résolut à tendre le bras vers le portail.

« Vous ne devriez pas mettre votre main dans n'importe quel trou », lui conseilla l'elfe d'un air méfiant.

Elle l'ignora et attrapa le bras par le poignet et la main inconnue se referma autour du sien. Elle tira de toute ses forces contre l'attraction du vortex qui agissait comme une ventouse de rétention. La tâche était ardue mais Silesta sentait que ses bras avaient la constitution nécessaire pour y arriver. Elle serra les dents, tira de plus belle et enfin, la pression se relâcha d'un seul coup lorsqu'un corps fut projeté à ses pieds. La surprise du choc passée, un bel homme d'une fringante trentaine d'années se releva en époussetant sa robe pourpre. Brun, le teint un peu halé, les cheveux légèrement ondulés rejetés en arrière et doté d'une fine barbe de quelques jours, il arborait une noble prestance sous ses traits à la fois jeunes et affirmés et des yeux pétillants. Une pendeloque en argent ornait son oreille gauche et un tatouage fait de délicats lacets remontait de son torse vers son cou.

« Bonjour. Je suis Gayle d'Eauprofonde, se présenta-t-il de sa voix enjouée. Mille excuses pour cette entrée en scène, d'ordinaire je me débrouille mieux.

_ C-Ce n'est rien, bredouilla sa sauveuse encore surprise. Vous allez bien ?

_ Oui, grâce à vous. Mais, un instant... Je vous reconnais? » Il la dévisagea ainsi qu'Ombrecoeur. « Vous étiez aussi sur le nautiloïd, n'est-ce pas ? »

Elle confirma, ébahie. Un autre survivant ? Décidément, le nombre de rescapés miraculés s'allongeait tellement que cela en devenait très étrange.

« Je suppose donc que vous aussi avez été gratifiés d'une délicate insertion dans votre globe oculaire, conclut l'homme avec un certain dégoût. Savez-vous qu'après une courte période de gestation cette larve va nous transformer en flagelleur mental ? On appelle cela une cérémorphose et devinez quoi, il vaut mieux l'éviter. »

Derrière le ton faussement plaisantin de sa voix se devinait la même détresse que les autres ressentaient. Gayle se hasarda à demander si par le plus heureux des hasards se cachait dans l'assistance face à lui un prêtre, un docteur, un chirurgien voire même un maître tailleur naturellement doué de ses doigts avec une aiguille à tricoter.

« Ce que je saurais faire avec une aiguille ne vous serait d'aucun secours, je le crains », réfuta Astarion dans un voile de mystère froid.

Silesta eut un frisson. Il était possible de tuer quelqu'un avec une simple aiguille à coudre, pour peu qu'elle fût empoisonnée ou simplement plantée au bon endroit. Ombrecoeur expliqua une nouvelle fois être une prêtresse mais l'extraction d'un parasite de flagelleur mental ne faisait pas partie de ses attributions, tout comme la plupart des autres clercs d'ailleurs.

« Nous allons vite avoir besoin d'un guérisseur. Pourquoi ne pas nous entraider encore un peu et le chercher ensemble ? » lança Gayle sans se départir de son optimisme engageant.

Silesta se laissa contaminer par son énergie. Cet homme lui inspirait une certaine confiance en plus d'avoir un fort capital sympathie. Elle accepta son aide aussi facilement que si on lui avait proposé une promenade agréable dans la tiédeur d'un soir d'été.

« Excellent, se réjouit-il avec vivacité. Si vous ignorez ce qui vient de se passer avec le portail, mes talents de magicien sont à votre service. Et avant de penser que vous aller faire route avec un homme dépourvu de manières : merci de m'avoir extirpé de la roche. Je reconnais que cette situation n'avait rien d'engageant et pourtant vous avez fait preuve d'une grande confiance. Je vous promets de vous retourner la faveur et mon petit doigt me dit que les occasions ne manqueront pas. »

Ombrecoeur et Astarion approuvèrent avec plus ou moins d'enthousiasme. Pour elle, un mage ne saurait pas être de trop, cela pourrait toujours s'avérer utile bien que tous espéraient trouver très rapidement une solution à leur problème de parasite.

« Nous prenons donc avec nous un magicien qui se coince dans un portail magique, résuma quant à lui le roublard avant de marquer un temps de silence. Voilà qui promet.»

Le groupe nouvellement agrandi reprit ainsi sa route au hasard des chemins sauvages, ce qui au demeurant paraissait être un exercice peu habituel pour les deux hommes de l'expédition. Gayle était bien plus à l'aise dans une bibliothèque entouré de ses précieux ouvrages de magie et Astarion préférait de loin l'organisation d'une cité comme la Porte de Baldur au bucolique foisonnant de la nature. Rien de bien étonnant quand on savait qu'il était un voleur mais le voir pester contre un insecte qui volait trop près de son visage ou une racine qui heurtait son pied avait quelque chose d'assez comique. Ombrecoeur elle, avait une endurance incontestable qui laissait entendre que l'exercice physique ne lui faisait pas peur. Quant à Silesta, la randonnée ne semblait la déranger nullement bien que la robe citadine qu'elle portait ne lui facilitait pas les choses.

Le magicien d'Eauprofonde n'aimait guère les silences et chercha à briser la glace en demandant à ses accompagnateurs s'ils avaient déjà visité la merveilleuse citée qui était la sienne et se fit un plaisir d'en vanter les splendeurs. Ce n'était d'ailleurs pas pour rien que cette magnifique ville maritime était aussi connue sous le nom de « Cité des Splendeurs ». Elle était un carrefour vibrant pour le commerce, autant louée pour sa localisation avantageuse que pour la beauté de son décor. Le quartier commerçant ne dormait presque jamais, fourmillant toujours de badauds dont les yeux ne se reposaient jamais non plus : de la ferronnerie à l'orfèvrerie rutilantes venues des riches terres minières du nord, des innombrables épices parfumées aux riches tissus moirés de mille couleurs apportés par les marchands d'Amn et de Calimshan ou encore des cargaisons de poissons d'argent directement pêchés de la Mer Intérieure chaque achalandage était un régal pour les yeux autant qu'il était difficile de résister aux appels des commerçants qui haranguaient les visiteurs.

« J'ai la chance d'avoir tout cela à portée de main, narra le magicien avec fierté. Rien ne vaut la magnificence d'un coucher de soleil à l'horizon depuis mon balcon avec un excellent ouvrage dans une main et une coupe d'un grand crû dans l'autre. »

Silesta l'écoutait discourir dans un silence religieux, portée par ces images rêvées qui l'emmenaient loin de la folie qui l'avait mise ici. Le temps d'une description, elle ne pensait plus à la peur qui restait tapie dans un coin de son être.

« Comment avez-vous fait pour vous retrouver coincé dans ce portail, au fait ? finit par couper Astarion qui se lassait de cette visite guidée imposée.

_ J'ignore exactement ce qu'il s'est produit mais le vaisseau s'est tout à coup brisé et j'ai été éjecté. Alors que je tombais de plus en plus vers une mort certaine, j'ai remarqué une sorte de lueur magique non loin de ce que j'avais identifié comme mon point d'impact. Je m'en suis approché et avec quelques incantations, je me suis retrouvé de l'autre côté. Qu'en est-il de vous ? Comment en avez-vous réchappé ? »

Il y eut un silence étrange entre les rangs. Silesta découvrit que même Astarion ignorait à quoi il devait sa survie lors du crash. Gayle fut aussi désarçonné qu'eux mais il ne faisait aucun doute que cela faisait beaucoup de coïncidences. Toujours était-il qu'ils devaient se réjouir de s'en être sortis... même s'il leur restait sans doute peu de temps avant de se risquer à une nouvelle mort atroce.

Des voix qui s'élevaient plus loin leur firent tendre l'oreille. Au bout du chemin, les silhouettes brunes de deux tieffelins se découpaient dans la lumière safranée du soir grandissant en-dessous d'une cage de bois dans laquelle se trouvait une femme en armure d'argent. La githyanki du vaisseau !

« Elle a survécu », s'exclama Silesta en même temps que marmonnait Ombrecoeur.

Les tieffelins débattaient avec vivacité autour du sort de l'infortunée prisonnière. La femme prévint son compagnon que cette « chose » était dangereuse et l'enjoignit d'abandonner son sort aux gobelins.

« Et si elle s'échappe ? objecta l'homme en secouant la tête. Comment... »

Il se tut à l'arrivée des aventuriers qui venaient de les rejoindre sous l'impulsion de Silesta. En croisant le regard furibond de la prisonnière, elle sentit son crâne pulser. La femme à la peau verte ne parla pas et pourtant sa voix autoritaire lui invectiva de se débarrasser des deux gêneurs. Toujours aussi commode.

Silesta réfléchit lorsque la figure peu rassurée de la femme tieffelin en regardant la githyanki lui donna une idée.

« C'est une githyanki, vous savez comment ils sont, prévint-elle en forçant volontairement un ton alarmiste.

_ Oui, laissez-la-nous, quémanda la prêtresse derrière elle avec un peu trop de calme dans la voix. Nous saurons quoi en faire. »

Les tieffelins eurent l'air soulagé par cette proposition.

« Elles ont raison, dit l'homme à son amie. Allons-y, nous devons encore voir ce qu'était cette détonation.

_ Une détonation ? répéta Gayle, interpellé.

_ Vous ne l'avez pas entendue ? Ça a fait trembler tout notre campement, nous nous devions d'aller jeter un œil. »

Astarion tiqua aussitôt et demanda où se trouvait ce campement en question, ce à quoi on lui répondit qu'il se trouvait au nord-ouest, non loin d'ici. Ils pourraient l'atteindre demain dans la journée.

« Soyez prudents, conseilla la tieffeline d'un air lugubre. Il y a des pièges gobelins partout. »

Voilà qui expliquait la présence des pièges vus précédemment. Ils devaient se trouver sur un territoire gobelin. Sur ces mots, les deux tieffelins quittèrent vite les lieux, trop heureux de ne pas avoir à gérer un problème supplémentaire à leur mission. Dès qu'ils furent assez loin, la githyanki somma de la faire descendre.

Ombrecoeur étira un rictus narquois.

« Avec un « s'il vous plaît », nous allons y réfléchir.

_ Jamais. »

Silesta roula des yeux. Était-ce bien le moment pour se permettre des mesquineries d'enfant ? Elle se tourna vers Gayle et lui demanda s'il pouvait faire quelque chose. Une petite incantation suffit au magicien pour faire céder les liens qui retenaient le fond de la cage au reste de la structure et la githyanki atterrit souplement au sol. Elle darda un œil lourd de rancœur vers la cléresse et méfiant pour les autres.

« Ce sont d'autres survivants comme nous, lui expliqua Silesta. Où alliez-vous donc avant d'atterrir ici?

_ Vous êtes encore lucide, c'est de bon augure, siffla la githyanki avec ironie. Mon peuple possède un moyen de nous débarrasser des parasites de ghaik. Je partais à la recherche d'une crèche.

_ Une... crèche ? »

La githyanki expliqua qu'il s'agissait de beaucoup de choses à la fois : un couvoir, une caserne militaire, un abri. Le protocole githyanki était formel : en cas d'infection par une larve, il fallait se faire connaître auprès d'un ghustil pour être purifié. Ombrecoeur émit des réserves : pour elle, il ne faisait pas de doute que cette githyanki prenait la gentillesse pour de la faiblesse et Silesta ne pouvait la contredire car elle réalisait bien à quel point elle s'était montrée compatissante jusqu'ici. Était-ce si répréhensible de vouloir trouver une solution pour tout le monde ? Quoique d'un autre côté, se retrouver dans une base githyanki avait quelque chose d'assez effrayant en parallèle de leur larve dans la tête. Le champ des possibles était bien mince.

« Si nous parvenons à trouver cette crèche, nous pourrons toujours essayer, tenta Gayle qui avait vite cerné le caractère tempétueux de la guerrière.

_ Alors vous venez de gagner une alliée de la Crèche K'liir, peu de gens goûtent à cet honneur, déclama-t-elle en bombant le torse. Appelez-moi Lae'zel. »

Elle partit devant, laissant derrière elle ses acolytes qui se demandaient tous s'ils n'avaient pas commis une erreur. Plus on est de fous, plus on rit disait le dicton mais dans le cas présent...

« Je ne lui fais pas confiance, déclara Ombrecoeur avec défiance. Pas tant qu'elle n'aura pas fait ses preuves.

_ Je la trouve absolument charmante, déclara pour sa part Astarion avec entrain. Dans le genre « regardez-moi de trop près et je vous démembre », bien sûr. »

Silesta eut un soupir et implora la clémence des dieux. Aurait-elle la force d'y arriver avec ces étranges alliés ?


Le décor est planté, tout le monde est là, on va commencer à mettre les choses tranquillement en place