Boya aurait dû être étonné. Vraiment, il aurait dû.
"- Je suis navré, Boya. Je vais aller dormir avec Sha ShengShi."
Ils étaient censés être mariés, alors un seul lit, ils auraient dû s'y attendre.
Boya soupira. Encore quelques mois plus tôt, il aurait hurlé. Maintenant…
"- Cessez donc d'embêter Sha-ge. Aidez-moi à retirer cette sucrerie que j'ai sur le crâne et vous avez autant besoin d'un bain que moi." L'air des marais lui laissait une pellicule graisseuse, collante et puante sur la peau.
QingMing resta figé. Boya venait bien de … de… De….
"- … Vous voulez que je dorme avec vous ?"
"- Vous allez me violer dans les couvertures ?"
"- BOYA !" QingMing était horrifié
"- Bon, alors je ne vois pas le problème." Il était loin le temps où Boya ne supportait pas qu'on le touche. "S'il vous plait, QingMing. Je suis fatigué, j'ai mal à la tête et mal au cou avec ce machin sur le crâne."
Le guan était beau pourtant. Beau mais lourd.
QingMing n'attendit pas davantage. Il héla sèchement des serviteurs pour qu'on leur prépare un bain pour tous les deux pendant qu'il aidait Boya à retirer les multiples épingles qui tenait leur poids en or et en pierreries sur sa tête.
"- Vous ne serez pas obligés de porter ça demain, Boya. Juste un guan en argent avec mon sceau dessus suffira."
L'humain soupira de soulagement.
"- S'il vous plait. Je n'en peux plus." Il avait fait un scandale à MiChong, ce n'était pas pour accepter volontairement de porter des machins pareils.
Sha ShengShi entra dans la chambre prêtée par Long Ye pour la nuit avant qu'ils ne descendent dans le Domaine Souterrain. Il fit signe aux serviteurs d'installer la baignoire pour son maître. Une fois remplie d'eau froide, les serviteurs voulurent faire chauffer l'eau mais Zhuque sauta dans l'eau. Elle se réchauffa très vite.
"- Zhuque…"
"- Lave moi !" Ordonna le dieu-gardien.
Boya obéit à son shishen jusqu'à ce que ses plumes soient bien propres. QingMing colla un talisman de purification sur le côté de la baignoire pendant que Boya finissait de sécher son shishen. L'eau n'était plus brulante mais agréablement chaude.
"- Tu peux nous laisser Sha ShengShi."
Le jeune démon hésita. Il lança un coup d'œil à Boya mais le chasseur était détendu. Il ne craignait pas de faire ses ablutions en compagnie QingMing.
"- Appelez-moi si vous avez besoin de quelque chose."
Il se retira pour prendre un peu de repos lui aussi. Les quelques unités de la Multitude qui avaient accompagnés leur maître avaient déjà eu le temps de lui préparer son propre lit et à manger. Ils allaient évidemment demander de nouveaux cancans sur le couple.
QingMing avait lâché ses propres cheveux. Maintenant seul avec Boya, Il hésitait sur la marche à suivre. Il lui fallait se déshabiller pour prendre son bain. Il avait déjà vu Boya nu bien sûr. Mais le jeune homme n'était pas au courant. Enfin, il l'espérait en tout cas.
Lorsque le renard démon entendit des bruits d'eau dans le bac en bois, il sentit ses neuf queues se raidir l'une après l'autre et leurs poils s'ébouriffer l'une après l'autre avec un petit "pof" duveteux.
"- Boya Daren ?"
"- On refait des politesses, Seigneur Anbei ? Venez donc dans l'eau."
"- N'avez-vous donc aucune pudeur ?" Le renard se retrouvait timide et scandalisé.
Maintenant qu'il en avait l'autorisation, il se retrouvait incapable de se retourner pour voir ce qui clapotait dans l'eau.
"- J'ai perdu ce qui m'en restait au Yin Yang. Et je ne vous savais pas pudique non plus." Il y avait presque du défi dans la voix de l'humain.
QingMing se sentit rougir. Il se débarrassa de ses vêtements en pestant à mi-voix. Lorsqu'il se retourna enfin, sa pudeur conservée par ses queues, ce fut pour tomber sur la vision de Boya allongé de toute sa taille dans l'eau chaude, les bras sur le bord du baquet et la tête penchée en arrière.
Le renard démon avait la bouche sèche. Ce n'était pas la première fois qu'il voyait Boya nu, non. Mais c'était la première fois qu'il le voyait en ayant le droit de le faire.
"- Boya…"
L'humain ouvrit les yeux sans besoin. Ses yeux étaient toujours cotonneux. Kuang HuaShi lui avait dit que Boya connaissait son Nom à présent. QingMing avait pu en constater les bienfaits sur ses blessures et cicatrices les moins graves. Mais pour ses yeux…Ils avaient en partie guérit, mais Boya n'avait pas retrouvé la vue. La destruction de sa vue devait aller au-delà de simplement l'impact sur ses yeux. Tant que Boya ne lui donnerait pas son Nom et l'autorisation d'essayer, QingMing ne pouvait tenter d'Harmoniser son Nom pour le réparer.
"- Je vous attends, Seigneur Anbei."
Cette fois, le renard était vraiment intimidé. Depuis quand n'avait-il pas ressentit cette impression ? Des siècles. Et c'était exaltant.
Il se glissa finalement dans l'eau toujours bien chaude. C'était étonnant et… Une plume de Zhuque flottait mollement dans le liquide. Ce n'était guère plus qu'un duvet mais suffisant pour que l'eau reste à bonne température.
QingMing s'installa en face de Boya. Leurs jambes se touchaient à peine. A chaque effleurement, QingMing sursautait. Sa peau lui semblait brûler du moindre contact comme s'il n'avait jamais été touché par qui que ce soit de sa vie. Il n'avait pas été aussi réactif depuis son adolescence.
"- QingMing ?"
Le renard sursauta.
"- Pardonnez-moi, Boya. Je suis… distrait."
"- Par mon cul ?"
"- BOYA !"
Le chasseur avait une capacité à casser ses fantasmes aussi aisément qu'une tasse jetée par terre.
"- C'est à moi de m'excuser, QingMing. Je me suis comporté comme un goujat avec votre amie. Pendant un instant, j'ai oublié que cette situation n'était qu'une stupidité forgée de toute pièce. Je me suis laissé aller à un fantaisie charmante."
La gorge de QingMing se serra. Non non ! Ce n'était pas qu'une fantaisie ! Il voulait que ce soit vrai, lui ! Boya n'avait qu'un mot à dire et..
"- J'ai bien réfléchit à votre demande, QingMing."
"- Ma… Demande ?"
"- De vous servir de géniteur." L'estomac de QingMing lui tomba dans les talons lorsque Boya quitta son coté de la baignoire pour venir à tâtons s'asseoir près du renard. Pendant une seconde, QingMing avait craint (espéré ?) qu'il allait s'asseoir sur ses genoux "Je vous ai dit que cela me serait difficile sur le moment mais… j'y ai réfléchit. Si c'est toujours ce que vous voulez bien sûr. Je peux essayer. J'en serais même… heureux. Heureux de vous aider avec nos petits aussi si vous le voulez encore."
QingMing aurait dû sauter de joie. Il aurait dû remercier avec enthousiasme. Il aurait dû lui proposer de tester tout de suite. Alors pourquoi avait-il envie de pleurer ? Il avait déjà reculé une fois parce que Boya n'était pas très chaud. Maintenant qu'il semblait certain, QingMing était encore plus perdu.
"- Ha. Je vous remercie Boya Daren. C'est… très généreux de votre part. je vais… y réfléchir." Le renard démon avait l'impression qu'il étouffait.
Il se sortit de l'eau aussi vite que possible. Il ne prit même pas le temps de couvrir sa nudité mais changea de forme pour fuir littéralement la chambre qu'on leur avait donné. Il aurait dû être fou de joie. Alors pourquoi avait-il ainsi le cœur crevé. Boya acceptait de lui donner ce qu'il lui avait demandé. Et voilà que ce n'était pas assez pour le renard. Pas alors qu'il avait la cicatrice de la morsure de Boya sur la gorge.
Long Ye le trouva en train de hurler sa peine au bord d'une grosse mare perdue au milieu d'une ile oubliée au fond des marais.
"- Ming-ge ?"
Le renard enfouit sa grosse tête contre le vaste abdomen bulbeux de l'énorme araignée.
"- Je suis un idiot imbécile bien trop exigent." Parvint-il enfin à murmurer après avoir longuement pleuré sur lui-même.
La reine-araignée le laissa pleurer dans ses bras jusqu'à ce qu'il se calme. Elle n'était pas idiote. Il se passait quelque chose entre son grand frère d'adoption et son épouse. A moins que…
"- L'humain n'est pas réellement ton époux n'est-ce pas ?"
"- … Si. Et en même temps, non."
"- Voilà qui est bien compliqué. Veux-tu m'expliquer ?"
QingMing n'hésita pas une seconde. Il raconta tout, depuis le premier coup d'œil qu'il avait jeté à Boya bien des années avant lorsqu'il était de passage au Palais Impérial par le plus grand des hasards, jusqu'à leur "mariage" pour faire plaisir au Domaine, puis les morsures échangées, la facilité de Boya de se couler dans la place que QingMing ne voyait personne d'autre prendre à présent et enfin… Cette offre qui n'avait plus la même saveur alors qu'elle était à la base de tout.
"- Je suis un idiot imbécile." Répéta encore le renard.
"- Tu es juste amoureux comme un gamin."
"- Je sais."
La reine-araignée avait pitié du renard. Son obsession pour sa progéniture ne lui était pas étrangère mais c'était un problème qu'elle n'avait et n'aurait jamais. Des petites araignées de son sang, elles étaient des milliers à vivre leur vie dans le marais autour de la secte et plus encore dans les couloirs du Domaine Souterrain. Les géniteurs de ses filles étaient tous morts après la fécondation, dévorés par Long Ye. Ça creusait de s'accoupler pour pondre. Ils étaient tous morts en sachant parfaitement ce qui allait leur arriver. C'était le destin des géniteurs de leur espèce.
"- Qu'est-ce que tu vas faire ?"
"- Je n'en sais rien."
"- Tu as dut l'inquiéter grandement."
"- Je…."
Zhuque se posa sur sa tête. Sans surprise, il avait été envoyé par Boya qui se rongeait les sangs pour le renard. Le dieu-gardien lui caquetait au museau sans la moindre pitié.
"- SEIGNEUR ANBEI !"
Sha ShengShi déboula à son tour. Il était couvert de boue et trempé comme une soupe. Son angoisse était presque palpable.
"- Sha ShengShi ? Qu'est-ce que tu fais là, tu devrais dormir."
"- Anbei Furen est à la limite de l'hystérie. Personne ne vous trouvait et… et…"
Le renard l'enroula dans ses queues pour le serrer contre son épaule. Le jeune shishen s'accrocha à ses poils de toutes ses forces.
"- Je n'arrivais même plus à vous sentir !"
Dans son angoisse, QingMing avait clos le lien entre lui et ses shishen.
Le Chef de JingYun grinçait des dents.
Les morts s'empilaient autour de lui.
Trop, trop vite.
Il n'était pas idiot.
Jamais une guerre interne au sein de la Secte n'avait eu un tel taux de décès.
Il n'y avait pas que JingYun qui se battait contre elle-même. Des éléments externes avaient été engagés contre eux.
S'il n'avait jamais pensé que ce serait possible, pas alors que les membres de JingYun étaient dressé à ne jamais se retourner contre la secte, il avait dû se rendre à l'évidence.
C'était sans doute paradoxal, mais jusque-là, aucun disciple n'avait jamais pensé à utiliser des outils externes pour se battre pour sa place. On se massacrait entre disciples, mais on ne confiait pas son linge sale à l'extérieur.
Et quelqu'un avait trahis cette règle sacrée pour marquer des points.
Il ne fallait pas être grand clerc pour savoir qui.
Tànli et son clan étaient ceux qui avaient le plus profité de la débandade actuelle.
Le chef de secte avait voulu éradiqué le clan parce qu'il savait qu'il serait sa perte. Et c'était en les massacrant qu'il avait assez secoué la stupeur de Tànli pour qu'il se révèle être un monstre plus dangereux que Boya.
S'il avait su, c'était Tànli que le chef de secte aurait fait tuer. Pas ses élèves.
Il avait mal analysé la situation était en train de perdre lentement la face devant les autres. Même ses alliés de toujours commençaient à prendre leurs distances avec lui et son clan.
Il était impossible de tolérer ça.
Il fallait qu'il retrouve son prestige et la peur que les autres avaient de lui. Pour ça, la solution évidente était d'en finir avec le clan Yuan.
Mais le chef de secte était trop consumé par sa colère et sa rancœur pour être logique. Il était dans cette situation parce qu'il n'avait pas réussi à tuer Boya.
Il fallait qu'il l'élimine une bonne fois pour retrouver son statut auprès de ses alliés. C'était évident !
Alors puisque Tànli avait loué les services de professionnels extérieurs, il allait faire de même. Et il allait faire un exemple.
"- Deux cents taels d'or maintenant. Le triple lorsque vous me le livrerez vivant et en bonne santé."
La vingtaine de mercenaires souriait largement.
"- Au total ?"
"- Deux cents par tête, la récompense finale à celui qui me le ramènera."
Quelques-uns allaient sans doute prendre l'or et disparaitre. Mais la majorité était cupides. Ils voudraient les six cent autres taels. Qu'ils se débrouillent entre eux. Un peu de compétition n'avait jamais fait de mal à personne. Et puis, ça nettoyaient un peu les rues en même temps.
Les paquets d'or disparurent sous les vêtements avant que les mercenaires disparaissent à leur tour dans les rues de la capitale.
Leur destination à tous était le nord.
Boya n'avait plus que quelques courtes semaines de liberté.
Boya avait bondit de la baignoire. Le temps de jeter quelques vêtements sur lui et il était déjà trop tard pour rattraper QingMing.
La terreur de Boya était si forte que Zhuque enfonça ses serres dans son épaule pour le sortir de son angoisse.
"- Z… Zhuque. Qi… QingMing. Il…"
"- Je vais le retrouver mon élu. Mais tu dois te calmer."
"- C'est ma faute. C'est ma faute !"
Boya avait pourtant proposé à QingMing ce qu'il voulait, ce pour quoi il l'avait accueilli finalement. Alors pourquoi cette fuite ? Qu'est-ce que Boya avait fait ? Avec la peur pour QingMing, c'était la peur d'être chassé de chez lui, encore, qui revenait lui réduire l'estomac en cendre. Il avait perdu JingYun, il avait dû fuir le yin Yang. Il s'était trouvé une place aussi improbable que chère à son cœur auprès de QingMing. C'était même pour ça qu'il avait finalement accepté sa requête. Mais le renard n'en voulait finalement pas ? Allait-il le chasser ? Il allait devoir encore partir ? Il allait encore…
Zhuque lui pinça cruellement l'épaule jusqu'à lui arracher un cri.
"- Zhuque !"
"- Tu as finit ? Te perdre dans tes émotions ne sert à rien." Non, pour l'instant, ils devaient retrouver le renard.
"- Je l'ai cherché, je n'y arrive pas." S'angoissa encore Boya.
S'il était totalement autonome au Yin yang, dans le Domaine Intérieur et de plus en plus dans la Capitale parce qu'ils les connaissaient et qu'il pouvait s'aider de sa "vision" autant que de son troisième œil, il était incapable de se déplacer assez vite et suffisamment en sécurité dans la secte sud pour retrouver QingMing. Pas alors que le moindre mauvais tournant au détour d'un couloir pouvait le faire tomber dans le marais et s'y engloutir. Le moindre mouvement devait être prudent et réfléchit.
"- Boya Daren ? Où est le Seigneur Anbei ?"
"- Ha ! Sha ShengShi ! Je ne sais pas. Je ne le retrouve pas. Il est partit alors que… que…"
Le shishen mourrait d'envie de savoir ce qui se passait. Son maître avait soudain bloqué le lien entre eux. Pour la première fois depuis des mois, le jeune démon était une fois de plus seul dans sa tête et seul dans son cœur. C'était une expérience terrifiante.
"- Je vais le chercher. Vous, vous restez à l'abri."
"- Sha ShengShi. Par ici."
Ha ! Shi Hujian. Il était aisé de l'oublier, lui.
Shi Weilan venait de passer son bras sous celui de Boya alors que Zhuque s'envolait à la recherche de QingMing maintenant sur que son maître ne risquait pas de se noyer au détour d'un couloir.
"- Que s'est-il passé, Anbei Furen ?" l'assassin était inquiet lui aussi.
"- Je… j'ai proposé à QingMing de lui faire les petits qu'il veut et… Il est parti !"
Si la première partie de la phrase était digne d'une fête à tout casser, Weilan ne comprenait pas le départ de QingMing. Quel était le problème ?
"- Il a peut-être paniqué maintenant qu'il est au pied du mur et qu'il a une chance d'avoir ce dont il rêve depuis des siècles ? Il est facile de rêver et d'espérer après tout. Mais avoir ce rêve à portée de main est souvent bien plus compliqué."
Boya ne pouvait qu'espérer que c'était ça. Il en avait les larmes aux yeux. Il savait qu'il avait de l'affection pour le renard mais il fallait regarder la réalité en face. Ce n'était pas "que" de l'affection. C'était bien plus profond que ça. Sinon, il ne se languirait pas de lui comme il le faisait chaque jour quand il n'était pas près de lui. Il ne serait pas dans l'attente de sa présence dès qu'il le laissait pour aller s'occuper de son Domaine. Boya avait… besoin de son seigneur démon
La prise de conscience lui fit comme une gifle. Il n'avait jamais eu besoin de quiconque. Et voilà… voilà qu'il… Le spectre de réels sentiments n'étaient plus une vague impression.
Il aimait le renard-démon.
Il aimait Anbei QingMing.
Sa jalousie envers Long Ye avait une véritable cause.
Et pourtant… Dieux, il aimait QingMing mais c'était une sensation qu'il connaissait pour l'avoir ressenti avec un autre aussi même si moins intense.
Malgré les mois passés sans lui, Seimei lui manquait toujours.
….Pouvait-il avoir des sentiments pour les deux hommes ?
Il se prit le visage dans les mains en gémissant.
"- Anbei Furen ?"
"- Comment est-ce que je peux aimer deux personnes à la fois ?"
L'assassin renifla. Si ce n'était que cela, il pouvait se charger de régler le problème.
"- Qui d'autre ?"
Le chasseur soupira.
"- Je ne sais si tu connais Abe no Seimei ?"
Weilan resta interdit un instant avant d'éclater de rire.
"- Ce vieux grigou ? Je commence à cerner vos gouts, Anbei Furen. Et si vous aimez vraiment le Seigneur Anbei et ce vieux bâtard, il est bien le seul que le Seigneur Anbei vous laissera aimer autant que lui." Après tout, Seimei était QingMing.
Ou plutôt, une partie de lui, indépendante en partie, ce qu'il y avait de plus humain chez lui mais capable de se détacher momentanément de QingMing. Que Boya les aime tous les deux était même flatteur.
Boya aimait même le pire de QingMing.
A JingYun, les anciens se déchiraient une fois de plus à cause de Boya. La majorité avait décidé d'arrêter les frais. JingYun subissait une vague de malchance inconnue jusque-là depuis le départ de Boya. Si on ajoutait à ça l'ordre impérial, ils ne pouvaient continuer. Boya était une épine à leur flanc, mais Boya était loin. Il fallait être raisonnables. S'ils n'avaient pas tout fait pour le récupérer, plus personne ne parlerait de lui. Même Tànli n'aurait pas eu la bêtise de remettre son ancien élève sur le tapis. Ceux qui entretenaient son souvenir dans leurs murs étaient ceux qui voulaient l'en voir extirpé en l'y ramenant.
C'était ridicule !
Dans son coin, Tànli écoutait d'une oreille distraite ses pairs se hurler dessus.
Il n'était pas assez idiot pour ne pas réaliser que ses pairs allaient prendre un énorme risque. Ils voulaient défier l'Empereur et continuer à chercher Boya. Bien sûr, personne ne lui demandait son avis. Sa présence était même une façon peu subtile de l'humilier et de le faire souffrir. Mais Tànli savait où était son fils adoptif. Il le savait en sécurité. Et il savait aussi qu'à chaque fois qu'un ancien prenait le risque de quitter ses appartements, un assassin attendait dans l'ombre pour lui causer un accident mortel.
Tànli eut un petit reniflement moqueur.
"- Et vous trouvez ça drôle?" Hurla l'un des anciens
Tànli haussa un sourcil.
"- De vous voir vous entre-déchirer et risquer de mettre Sa Majesté encore plus en colère, juste pour retrouver mon élève est assez cocasse, oui. Je ne comprends vraiment pas pourquoi vous voulez à ce point le retrouver. Vous me l'avez arraché. Vous avez choisi de le vendre alors qu'il était utile et indépendant. Même s'il n'aurait jamais pu se libérer, il aurait pu rejoindre les rangs des chercheurs. Et maintenant que vous avez ce que vous voulez, vous n'êtes toujours pas content. On dirait des enfants qui se débarrassent d'un jouet mais font une colère parce que quelqu'un a été le chercher dans la poubelle." A l'exprimer, c'était exactement ce à quoi leurs actes ressemblaient. C'était les actions de gamins mal élevés qui faisaient une colère.
Le chef de secte lui sauta à la gorge.
"- TU !"
Mais ses alliés le rattrapèrent avant qu'il ne cherche à se battre pour de vrai. En duel contre Tànli, tout le monde savait qui serait le gagnant. Boya n'était pas craint que parce qu'il avait tout du leader. Il était craint aussi pour être le meilleur élève de son maitre. Tànli aurait tous pu les mettre à genoux. Lorsqu'il l'aurait non seulement réalisé et assimilé mais surtout comprit qu'il pouvait le faire sans que la secte s'écroule, il serait inarrêtable.
C'était ce qui les avait tous protégés si longtemps de l'assassin embauché par Tànli. C'était ce qui les protégeaient tous jusque-là les uns des autres dans une certaine mesure. Même si les anciens étaient tous des salopards finis, ils étaient tous le produit de leur éducation. Se retourner contre JingYun en utilisant des ressources extérieures ne leur venait pas à l'esprit parce qu'ils avaient été dressés à ne pas y penser. C'était presque à croire qu'un démon était à l'origine de leur création, qu'il était toujours profondément caché dans les entrailles de la secte et qu'il se nourrissait du sang répandu.
On lâcha enfin le chef de secte qui s'écroula sur le sol. Même si ses alliés l'avaient retenus, ils n'avaient rien contre le voir à genoux, ses robes souillées de poussières. Ils étaient alliés. Pas amis. Tànli porta sa tasse de thé à ses lèvres.
Il voulait des nouvelles de Boya.
Il voulait retourner auprès de ses élèves pour s'assurer qu'ils allaient tous bien.
Il allait envoyer un courrier à Zhong Xing pour le prévenir qu'il envisageait de faire de He Shouyue son élève et de l'integrer pour de vrai à JingYun. Sans le dire au gamin bien sûr. Mais le garder à ramper par terre était du gâchis. Ce gosse était né pour s'épanouir à JingYun. Il avait la fourberie nécessaire pour ça. Etrangement, il développait une conscience parmi les salops alors qu'il n'avait jamais réussi à en développer une parmi des gens bien. Vraiment, He Shouyue était bizarre. Curieusement parfaitement adapté à leur mode de vie.
Même s'il ne serait jamais un chasseur, il pourrait avoir une place parfaite et déterminante parmi eux.
C'est un renard-démon penaud qui revint accompagné de son shishen dans l'appartement fourni par la secte sud. Boya l'y attendait en se rongeant les sang. Dès que le grand renard blanc entra, le chasseur lui sauta au cou sans réfléchir. C'était plus facile face à un animal que face à un humanoïde. Il y avait longtemps que Boya avait oblitéré sa terreur et sa haine face au renard blanc. A croire qu'elle aussi avait été construite, comme sa haine globale envers les démons.
QingMing se figea.
Très vite pourtant, il enroula ses queues autour de Boya, enfoui son museau dans son cou pour se gorger de son odeur puis lécha son épaule jusqu'à ce que le chasseur le lâche et lui donne une gentille tape sur la truffe.
"- Je suis désolé, QingMing. Je pensais vous faire plaisir. Pas que vous réagiriez... ainsi."
Boya était penaud. Il n'avait jamais été très doué pour lire les autres. Il était même régulièrement incapable de prendre en compte les états d'âme des gens à part les plus jeunes. Avec les petits shidi, c'était facile. Ils avaient leurs émotions à fleur de peau. Mais les adultes ? Boya ne savait pas comment les gérer. C'était trop compliqué pour lui.
Là, il avait encore mis ses deux pieds dans sa bouche en même temps alors qu'il avait juste voulu faire plaisir à un ami.
Le renard secoua la tête. Il força pour enfouir à nouveau son museau sous le bras de Boya qui répondit à la demande implicite. Les doigts puissants du chasseur s'enfoncèrent dans l'épaisse fourrure pour lui gratter le cou et les oreilles. Petit à petit, aussi bien le chasseur que l'humain se détendirent. Assez pour que les deux frères Shi les cornaquent jusqu'au lit pour les y abandonner, QingMing couché dessus avec les pattes et les queues qui pendouillaient lamentablement et Boya assis avec l'énorme tête posée sur ses genoux.
Une fois certain que leurs deux protégés étaient en sécurité l'un avec l'autre, les deux frères disparurent comme ils savaient si bien le faire. Les deux frères avaient hâte que les deux hommes finissent par se mettre en couple pour de vrai. Ils étaient des assassins et des guerriers. Pas des nounous. C'était plus le rôle de Sha ShengShi et MiChong de border leurs deux maîtres. Ils le faisaient par défaut mais commençaient à en être vraiment saoulé. Une fois rentrés à la maison, ils allaient y mettre le hôla. En attendant, ils continueraient à jouer les baby-sitter à leur corps défendant. Les grands drames romantiques, très peu pour eux. D'ailleurs, il était temps que Weilan s'achète une femelle et se reproduise.
Boya continua à papouiller le renard jusqu'à ce que ce dernier relève enfin la tête de ses genoux.
"- Il nous faut discuter de ce qui s'est passé je crois." Soupira QingMing. "Je devrais reprendre forme humaine."
"- Vous pouvez rester comme vous le voulez, QingMing. Je ne vois pas la différence après tout." Répondit Boya drôlement. "Sous les doigts, la différence est notable mais à l'œil, vous êtes de toute façon une grosse boule de poils." QingMing lui pinça les doigts entre ses incisives, s'attirant un petit rire de la part du chasseur.
Mais puisque Boya n'était pas gêné par son apparence, le renard démon préférait encore rester ainsi. Ce serait plus facile de parler sexe avec la distance de l'espèce entre eux.
"- Boya, je vous suis reconnaissant de votre proposition. Je ne sais pas pourquoi j'ai réagi aussi violement alors que vous acceptez de me donner ce que je vous ai moi-même demandé."
"- Peut-être parce que vous avez peur d'être déçut ?"
QingMing releva la tête des genoux de Boya.
"- Déçut ? Je vous ai vu nu, Boya. Il n'y a pas de déception de ma part."
"- Je ne parlais pas de ma plastique !" Rougit Boya. "Mais du résultat attendu. Je peux faire de mon mieux, mais je ne suis pas le seul concerné."
QingMing soupira lourdement. Il reposa sa tête sur les genoux de Boya.
"- Vous n'avez pas tort. J'ai à la fois peur d'avoir ce dont je me languis depuis des siècles et peur de ne pas l'avoir." Les caresses de Boya sur ses oreilles lui faisaient du bien. Il avait aussi peur de perdre Boya. "Boya... J'ai aussi peur de vous perdre." Avoua finalement le renard. Il sentit le chasseur se raidir.
"- Je me suis grandement attaché à vous." Souffla l'humain. "Vous êtes un ami. Un ami proche. Je ne veux pas que... que ce... partenariat commercial change quelque chose entre nous."
"- Je crains malheureusement que ça ne change tout pour moi. Avant... Avant de vous connaitre, non. Mais maintenant..."
La main de Boya s'était immobilisé sur le crâne du renard démon comme s'il réalisait soudain leur installation et ce qu'il faisait.
"- Que voulez-vous dire QingMing?"
"- Les renard roux sont des solitaires. Les femelles élèvent leurs petits en solitaire et les chassent dès qu'ils sont en âge de vivre seul. A l'inverse, les blancs ont une obsession pour le clan ou la famille." Le ton du Seigneur Démon était penaud.
Petit à petit, à mesure qu'il commençait à comprendre, Boya rougissait en même temps qu'il
palissait. C'était un exploit en soi-même, il fallait le reconnaitre, mais fort peu utile en la circonstance.
"- Seigneur Anbei... Dois-je comprendre que vous me demanderiez d'élever vos petits avec vous ?" Il l'avait proposé lui-même. Ce n'était pourtant pas pareil si c'était QingMing qui le lui demandait.
"- Vous comprenez mon problème à présent. Je crains de vous voir effectivement comme ma Furen. Hors toute question sordidement sexuelle. Je suis très attaché à vous, Boya."
L'euphémisme cosmique du millénaire.
Le renard démon n'osait pas bouger de peur de précipiter une réaction violente du chasseur.
Boya était connu pour réagir avec colère d'abord, puis à réfléchir ensuite.
A la grande surprise de QingMing, la main sur son crane repris ses caresses même si elles étaient un peu plus nerveuses. Le chasseur resta silencieux un long moment avant de se racler la gorge.
"- Seigneur Anbei... Qu'est-ce que je dois comprendre réellement ?"
Le Seigneur Démon se sortit gentiment de sous la main de Boya. Il reprit forme humanoïde avant de lâcher un petit coassement outragé. Il était tout nu! Il avait fui la baignoire à poils, au sens premier du terme. Il cacha sa pudeur avec ses queues mais l'offre qu'il allait faire n'était pas très digne ainsi.
"- Boya Daren, je crois que ma proposition parle d'elle-même. Vous êtes déjà Anbei Furen pour tout le Domaine. Vous avez accepté d'essayer de me donner des petits. Vous êtes la meilleure chose qui soit arrivé au Domaine depuis l'invention des nouilles et l'huile de piments. S'il vous plait. Acceptez de devenir officiellement Anbei Furen."
Le Renard se prosterna le front au sol à la grande consternation de Boya. Comment en étaient-ils arrivés là !
Il se rua sur QingMing pour le forcer à se redresser
"- Ne faites pas ça ! Enfin !"
"- Boya... S'il vous plait..."
Le pauvre chasseur hésitait entre le rire hystérique, l'outrage de voir QingMing à genoux, la terreur instinctive, l'envie de fuir et celle de dire oui.
C'était sans doute cette dernière notion qui le consternait le plus. Il réfléchissait à accepter. Pas à trouver une excuse pour fuir ! Mais à accepter sans directement.
Boya ferma les yeux très fort tout en prenant de grandes inspirations.
"- Seigneur Anbei... QingMing... Je... C'est inattendu." Mais il n'avait ni fuit ni attaqué.
QingMing prit la chose comme une bonne nouvelle. Avec le caractère du chasseur, s'en était une !
"- Je ne veux pas vous troubler ou vous importuner, Boya. Dans l'absolu, rien ne changerait vraiment. Si vous arrivez à me donner des petits, vos devoirs s'élargirons un peu pour m'aider dans leur éducation bien que cette option puisse être réduite au maximum si vous ne souhaitez pas vous occuper d'eux." Mais cela blesserait QingMing. Boya sentait le qi troublé du renard à cette idée. "Pour tout le reste, vous ne serez pas obligé de partager ma couche ou quoi que ce soit. Vous pourrez continuer à faire ce que vous voulez tant que vous continuez à faire ce que vous faites déjà en jouant le rôle de Anbei Furen. Si vous souhaitez prendre plus de place dans le Domaine, vous le pourrez. Si vous voulez retourner au Yin Yang périodiquement par exemple tous les hivers, ou tous les étés, personne ne vous en empêchera. Vous..."
"- QingMing! Stop".
Il y avait de la précipitation et un peu de désespoir dans la voix du démon qui touchaient de plus en plus Boya. Il n'avait pas envie d'en entendre davantage. Pas pour l'instant.
"- Seigneur Anbei. Pour l'instant, nous sommes en voyage diplomatique. Lorsque nous serons rentrés à la maison, j'aurais besoin de temps pour y réfléchir. Sans doute de retourner quelques temps au Yin yang pour faire le point loin de vos poils bien trop doux et de votre Domaine bien trop luxueux. J'aurai besoin aussi de faire la paix avec JingYun d'une façon ou d'une autre. Et de retrouver mon Shifu. Et de faire la paix avec He Shouyue. Alors seulement, je pourrais vous répondre. D'une façon ou d'une autre. Mais je ne suis pas opposé à l'idée d'y réfléchir."
C'était déjà bien plus que ce que QingMing imaginait !
"- Merci de votre générosité, Boya." Et si le délais qu'il demandait ressemblait davantage à la liste de trousseau de fille à marier avant son départ de la maison de ses parents qu'autre chose, QingMing n'allait pas se plaindre.
"- Je ne sais pas où cette histoire va nous mener Seigneur Anbei. Mais en tout cas, je crois que je vais aller dormir sur le toit si vous me permettez, J'ai besoin d'air."
"- Prenez un drap pour vous couvrir complètement en ce cas. Les moustiques sont agressif ici. Ils ne piquent pas, ils empalent."
Boya eut un petit reniflement amusé.
"- Je vais laisser le soin à Zhuque de cramer les bestioles si elles s'approchent."
"- COUAC !"
Le cri de Zhuque qui sursauter QingMing. Non seulement il avait oublié le divin volatile, mais le phénix le fixait avec une lueur proprement terrifiante dans l'œil. QingMing avala sa salive. Il avait la bouche soudain bien sèche. Zhuque leva une aile pour la pointer vers lui. Il le surveillait.
Ils allaient discuter.
Demain.
Zhuque l'avait à l'œil.
QingMing eut envie de fuir en hurlant.
