Il n'était d'aucune surprise d'apprendre qu'Hermione avait toujours été une Miss-je-sais-tout. Qu'importe l'âge, l'activité ou les circonstances, elle avait toujours préféré la lecture aux batailles de boue, la solitudes aux joies de groupes, le calme aux bêtises de fripouilles et la culture aux jeux de cailloux… Aussi et là encore, il n'est d'aucune surprise d'apprendre que tous l'avaient toujours vu comme une sorte d'attraction, de phénomène d'amusement et de clown. Pourtant et bien que cela ait souvent embué son regard, blessé son cœur et noyé ses joues, il était une chose qui avait bel et bien été à la surprise de tous : sa détermination à ignorer les regards jaloux, à toujours lever la main en cours… et à poser pas moins d'un millier de questions par jour.

Pourquoi la terre tourne ?
Pourquoi l'herbe pousse ?
Pourquoi le sang est rouge ?
Pourquoi l'eau éclabousse ?
Pourquoi on a deux pouces ?
Pourquoi les oiseaux gazouillent ?

Pourquoi toutes ces questions, demanderez-vous ? Pour les mêmes raisons qui l'avaient plus tard poussé à s'interroger sur l'Arithmancie, la fabrication chamanique des tambours, l'Histoire de la Magie, le mythe des Sorcières du Bayou, la Trigonométrie ou encore le métabolisme des Loups-garous… elle était curieuse de tout.

Curieuse du monde, de ses travers et inévitables tours.
Curieuse de la vie, de ses revers et entêtant comptes à rebours.
Curieuse des hommes, de leurs promesses et savants discours.
Curieuse des esprits, de leurs faiblesses et perpétuels détours.
Curieuse des âmes, de leurs détresses et inépuisables ressources.
Curieuse des cœurs, de leurs rêves et de indescriptibles quêtes d'amour…

Pourquoi une telle curiosité, demanderez-vous ? Parce que l'inconnu et l'ignorance laissaient sans recours… parce que l'ineptie et l'insouciance avaient de quoi rendre fou… et parce que la bêtise et la complaisance n'étaient d'aucun secours. Ainsi Hermione avait voué son existence à la quête d'un savoir sans tabou, de connaissances sans verrou et d'un bonheur sans eaux troubles. Un dessein certes non pas dénués d'épreuves, de chagrins et de doutes ; mais un dessein dont elle n'avait jamais craint le joug… et pour lequel elle avait toujours été prête à tout. Oui… absolument tout. Cependant et bien qu'elle en ait déjà amèrement payé le coût, la vie lui avait appris que le savoir ne s'acquérait jamais quand on restait enfermé à double tour… qu'il ne servait à rien de convoiter la moindre connaissance quand on regardait le monde au travers d'un judas aux reflets trop flous… et qu'il était inutile de s'interroger quand on s'obstinait à rester sourd. De ce fait, il lui était très vite apparu que sa recherche d'absolu connaissance devrait elle aussi se risquer aux dangers de quelques nouvelles escales, chemins et détours… non pas pour la détourner de sa route, mais pour lui permettre une chose : vivre de tout son soul.

Ainsi, elle devait se mêler à la foule
Ainsi, elle devait s'esquinter les genoux.
Ainsi, elle devait faire preuve de bravoure.
Ainsi, elle devait se laisser aller à ses fougues.
Ainsi, elle devait voguer au cœur des pires houles…

Et tout cela pourquoi, demanderez-vous ? Pour enfin comprendre le monde, la vie, l'homme, l'esprit, l'âme… et l'amour.

Oui… même l'amour.

Cet étrange sentiment au regard fou.
Cette étrange transe aux odieux coups.
Cette étrange certitude aux mots doux.
Cette étrange vésanie au rythme jaloux.
Cette étrange tyrannie au divin courroux.
Cet étrange absolu, en quête d'un indivisible tout…

Pourquoi un tel intérêt pour l'amour, demanderez-vous ? La réponse était cette fois bien plus simple : il était partout. Dans le regard des hommes et leurs traits d'humour, dans le sourire des femmes et leurs robes de velours, dans le rire des enfants et leurs joyeuses frimousses, dans l'éclat du soleil et sa lueur du jour… oui, partout. Or, comment Hermione pourrait-elle se proclamer savante si elle en ignorait tout ? Si elle y restait indifférente ? Sourde ? Hostile ? Et farouche ? Elle ne pourrait alors rien en apprendre ! Rien en tirer ! Et plus que tout… elle ne pourrait rien connaître de l'absolu bonheur qui en découle. Ainsi et malgré sa rationalité, son intellect et profond désintérêt pour ce genre de sentiments désuets, Hermione avait tenté de s'y laisser aller ; de se mettre à rêver d'amour, de s'imaginer un avenir d'épouse, de se laisser séduire par quelques mots doux, de se laisser porter par la beauté masculine de puissants discours, ou encore de croire aux légendaires promesses de papillons, d'émois juvéniles et joues rouges… Une expérience pour le moins instructive, intrigante et même divertissante certains jours ; mais une expérience dont le palmarès ne valait aucun détour. Pour preuve... ce dernier était bien court.

A sept ans, elle avait laissé son petit voisin lui faire un bisous.
A quinze ans, elle avait laissé Victor Krum lui faire la cour.
A dix-huit ans, elle avait laissé Ron croire en leur couple.

Et… et c'était tout. Soit un florilèges de fausses romances menant à une pluie de trahisons, de peines et de coups, dont les seuls souvenirs ne lui évoquaient aujourd'hui qu'un profond dégoût. Pourtant et avec de telles histoires, il n'était pas surprenant qu'elle fasse fausse route ! Et pour cause… aucune d'elles n'était porteuse du moindre amour.

Mais alors, où était-il… ce majestueux amour ?
Mais alors, où se cachait-il… ce glorieux amour ?
Mais alors, où se trouvait-il… ce somptueux amour ?

Bien proche, lui direz-vous. Et c'était vrai… car là où elle s'était attendue à rencontrer la mort, à connaître milles supplices et endurer les pires sorts, l'amour l'avait prise de court. L'amour l'avait mis en joug. L'amour l'avait fauché dans sa course. L'amour l'avait frappé sans détour ! Un amour comme il n'en avait jamais existé de plus puissant, de plus aveugle et de plus sourd... et qui bien qu'il lui demande courage, endurance et bravoure, avait su valoir toutes les souffrances qu'Hermione avait pu subir jusqu'à ce jour.

Oui... ce jour.

Ce jour où son âme ne serait qu'un tout.
Ce jour où elle rencontrerait enfin son véritable amour.
Ce jour où elle contemplerait son fils… endormit sur ses genoux.

Ainsi et bien que tout autour d'elle semble en ruine, que son corps souffre toujours de sa céleste agonie, que ses pensées s'effacent et vacillent, que sa prothèse ne possède que de fébriles appuis, et que tout son être frémisse sous les restes de son sommeil magique… c'est du bout des lèvres et la larme aux cils, qu'Hermione se mit à chanter une petite comptine. Oh, il n'y avait pas grand-chose à en dire ; et pourtant, jamais mélodie n'avait semblé plus appropriée qu'en ce jour béni...

Lora lie lo
Lora lie lay…

Une mélodie simple, légère et féérique.
Une mélodie aux aires d'enfances et de rêverie.
Une mélodie qui sembla presque… prendre vie.

Lay lo, lay lo
Lay lay..

Oui, prendre vie… à tel point que pendant un court instant, c'est le monde entier qui sembla s'effacer sous la beauté de son rythme. Un rythme à la musique délicieusement mystique ; un rythme à la douceur indéniablement hypnotique… un rythme à l'envoûtement somptueusement irrésistible. D'où venait-il ? De nulle part ? Partout ? D'ailleurs ? Hermione n'aurait pu le dire… si ce n'est que sa mère le lui murmurait quand elle était petite, que cet air avait toujours bercé ses plus beaux souvenirs et qu'aujourd'hui, il berçait son fils.

Lora lie lo
Lora lie lay…

Ainsi et comme si les Dieux l'avaient prédit, c'est les yeux lourds et l'âme fragile que Connor se laissait tendrement porter par sa musique... Presque endormi, le pauvre enfant luttait désespérément contre l'appel de sa fatigue, ses petits poings fermement accrochés à celle pour qui son cœur n'avait cessé de se languir. Et pour cause ; il ne voulait pas la voir partir… il ne voulait pas s'endormir, il ne voulait pas s'éveiller les bras vides, il ne voulait pas prendre un tel risque ! Non… pas après tout ce qu'il avait enduré pour la voir lui revenir. Pas après tout ce qu'il avait prié pour la voir survivre ! Et certainement pas après avoir pu goûter à l'indescriptible bonheur de ses étreintes, baisers et merveilleux sourires… Des étreintes dont il ne pouvait plus se passer, des baisers dont il ne pouvait plus se suffire, des sourires dont il ne pouvait se priver ; le tout condensé dans un amour sans lequel il ne pouvait plus vivre... Ainsi et bien qu'il sente son esprit lentement sombrer dans les limbes d'un sommeil paisible, Connor resta là, blotti contre sa poitrine, le nez enfoui dans ses cheveux tandis qu'Hermione s'évertuait à l'envoûter de ses rimes.

Un instant intemporel, profond et unique.
Un instant que rien au monde n'aurait su ternir…
Un instant face auquel la jeune femme sentit son cœur frémir.

Lay lo, lay lo

Le cœur d'une mère conquise.

Lay lay…

Confortement installée devant une cheminée aux braises timides, Hermione raffermit tendrement son emprise sur lui, son chant s'élevant majestueusement autour d'eux à mesure que le feu commençait doucement à tarir. Perdue dans ses pensées, elle aussi ne put que se laisser bercer par l'absolu de cet instant bénit, mélange d'insouciance et de rêverie… de pleures et de sourires… de bonheur et de vie… à tel point que même en sentant sa respiration s'alourdir, son corps se ramollir et sa poigne s'adoucir, jamais la jeune femme ne put se résoudre à lâcher prise. D'ailleurs, comment aurait-elle pu ? Il était si petit, si menu, si fragile ! Jamais elle ne pourrait trouver le courage de le laisser partir ; de l'allonger dans un lit, de lui dire bonne nuit et d'attendre jusqu'au petit matin l'esprit tranquille... Non, cela lui semblait impossible... Inconcevable. Inadmissible. Insoutenable. Chimérique ! A moins qu'elle ne s'égare ? Ne dépasse les limites ? Et ne se montre déraisonnable ? Peut-être... mais comment savoir ? Elle n'était mère que depuis un soir.

I'll fly for you
My child, my son

Bon Dieu… un soir. Cela semblait si peu comparé à la puissance de sa joie, si peu comparé à la grandeur de son émoi, si peu comparé à la certitude de son âme ! Et pourtant, c'était le bien le cas… tout cela ne datait que d'un soir. Oh bien sûr, son amour pour lui était né bien avant cela ! Mais ce n'est que dans la Mort que l'évidence l'avait frappé de son glas ; une évidence qu'elle n'avait jamais osé formuler de vive voix, reconnaître ou ne serait-ce qu'avouer jusque-là… mais qui s'était révélée à elle dès l'instant où elle avait vu l'éclat de son ultime Avada. Aussi, les rimes de sa petit comptine ne mentaient pas ! Qu'importe ce que lui réservaient encore la vie, les Dieux ou ses combats…

Elle s'envolerait pour lui.
Elle sacrifierait tout pour lui.
Elle accepterait tout pour lui.
Elle supporterait tout pour lui.
Elle défierait le monde pour lui.
Elle déchirerait la terre pour lui.
Elle incendierait les cieux pour lui.
Elle renverserait les Dieux pour lui.
Elle déchaînerait les Enfers pour lui !

Lui, Connor… son fils.

Sweet dreams to you.
My only one…

Seigneur… et dire que sa propre mère lui chantait cette chanson pour l'endormir ; qu'elle n'en comprenait en ce temps pas un mot, qu'elle se laissait simplement porter par sa mélodie et s'endormait heureuse et naïve au fond de son lit. A croire qu'on ne connaît la valeur d'un instant comme celui-ci que quand ce dernier tombe dans l'oubli, se perd dans les méandres de l'esprit et devient souvenir. Mais grand Dieu… que n'aurait-elle pas donné pour que celui-ci ne se fige ? Pour que le monde entier ne se paralyse ? Et que le temps lui-même ne pétrifie ses aiguilles ?! Elle n'aurait su dire. Mais la jeune femme le comprit… Quoi qu'il arrive, cet ultime instant habiterait désormais l'essence même de toutes ses mélodies, de tous ses rêves et de tous ses souvenirs ; de tout son univers, de tout son monde et de tous ses récits… soit l'incarnation même de son plus beau paradis, caché au creux de son cœur et de son esprit pour le reste de sa vie.

I'll fly for you
My child, my son
Sweet dreams, my only one…

Etait-ce déplacé de le dire ? Mal venu de l'avouer ? Etrange de le ressentir ? Ou encore grossier de le revendiquer ? Quand elle avait fait face au médicomage et son regard éberlué, Hermione ne se l'était pas demandée – et ce, pas même quand ce dernier s'était mis à hurler ! Pourtant et maintenant qu'elle avait retrouvé sa seule raison d'exister... qu'elle contemplait ses longs cils recourbés, caressait sa chevelure bouclée et embrassait son front entre deux rimes murmurées... la jeune femme ne pouvait s'empêcher de s'interroger. Non pas sur ce qu'elle avait fait subir à ce pauvre médicomage et son équipe d'infirmiers ! Mais sur ce qu'elle éprouvait, sur ce que cela signifiait, impliquait et représentait… mais aussi et surtout, sur tout ce que cela changeait. Car Hermione n'était pas naïve ; pas plus qu'elle n'était aveugle, sotte ou en proie à une quelconque folie ! Certes, elle convenait volontiers que son comportement n'avait pas été des plus compréhensibles… en particulier après une mort clinique, un coma magique et une renaissance aussi chaotique ! Mais contrairement à tous ceux qui s'attelaient à la croire maudite, perdue ou bonne pour l'asile, Hermione savait pertinemment ce que son cœur tentait de lui dire ; tout comme elle savait pertinemment ce que son âme hurlait désespérément depuis l'abîme… De quoi s'agissait-il ?

D'une vérité honnête, vibrante et audible.
D'une vérité parfaite, puissante et sublime.
D'une vérité céleste, incandescente et divine…

Connor était son fils.

Une vérité qui l'avait arraché à la Mort pour lui redonner vie.
Une vérité qui s'était enracinée dans son cœur, sa chair et son esprit.
Une vérité qui enlaçait désormais son âme au rythme d'un seul et unique cri…

Connor était son fils.

Une vérité qui était aujourd'hui écrite.
Une vérité qui était aujourd'hui acquise.
Une vérité qui était aujourd'hui infaillible….

Connor était son fils.

Une vérité que rien ni personne ne pourrait jamais salir.
Une vérité que rien ni personne ne pourrait jamais détruire.
Une vérité que rien ni personne ne pourrait jamais conquérir…

Connor était son fils.

Une vérité au sceau incorruptible.

Connor était son fils.

Une vérité à la portée irréductible.

Connor était son fils.

Une vérité à la promesse insubmersible.

Connor était son fils.

Une vérité qui aujourd'hui, lui donnait un fils pour le reste de sa vie…

Lora lie lo
Lora lie lay…

Oui… quoi que le monde puisse en dire, Connor était son fils. Son enfant. Son avenir. La chaire de son sang. Le but de sa vie. Le fruit de son existence. Le cœur de sa poitrine ! Aussi, il n'était pas là question de génétique… d'adoption magique, de connexion d'esprit, de pitié hypocrite ou encore d'un acte de charité à visée cathartique ! Non… mais d'une simple vérité. D'un fait. D'une réalité. D'une évidence que nul en ce monde ne serait jamais en mesure de réfuter !

Lora lie lo
Lora lie lay…

Connor était l'enfant que son âme appelait.
Connor était l'enfant que son cœur attendait.
Connor était l'enfant que les Dieux lui destinaient…

Lay lo, lay lo
Lay lay…

Alors qu'importe que cela puisse surprendre… intriguer ou même offenser ! Qu'importe que le monde s'étrangle, s'interroge ou cherche à la raisonner ! Qu'importe même le sang, la généalogie ou les lignées ! Elle n'avait rien à justifier ; rien à expliquer ou à prouver ! Non, elle n'avait besoin que de lui ; de son petit vagabond aux boucles blondes et regard vif… de son petit briguant aux joues roses et rires faciles… de son petit Capitaine aux mots durs et souvenirs antiques… de son petit ange au cœur lourd et rêves fragiles… de son petit bébé aux pleures amères et cris inaudibles… de Connor, son fils.

I'll fly for you.
My child, my son…

Par tous les Dieux… comment était-ce possible d'aimer à ce point ? De sentir son âme trembler sous la douceur d'une si petite main ? De sentir son cœur se gonfler sous les effluves d'un si léger parfum ? De sentir son esprit se déliter sous la profondeur d'un regard marin ? De sentir ses yeux s'embuer sous la candeur d'un rire enfantin ? De sentir son être s'envoler sous l'écho de quelques mots latins ? Ou encore de sentir son corps chavirer sous la chaleur de quelques étreintes ?! Elle ne le savait pas et ne le saurait probablement jamais… mais qu'importe. Qu'importe qu'elle parvienne à le comprendre, à y trouver un sens, des réponses ou qu'elle y reste éternellement ignorante !

Sweet dreams to you.
My only one…

Ce genre d'amour n'avait aucun bon sens, n'honorait aucune foi et ne s'agenouillait devant aucun rang.
Ce genre d'amour n'accordait aucune réponse, ne servait aucun Roi et ne capitulait devant aucune prison.
Ce genre d'amour ne répondait à aucune question, n'obéissait à aucune Loi et ne cédait devant aucune raison.

I'll fly for you
My child, my son
Sweet dreams, my only one…

Tel était l'amour qui battait dans son sang.
Tel était l'amour qui auréolait son existence.
Tel était l'amour qu'elle chantait pour son enfant...

Lora lie lo
Lora lie lay…

Tel était le véritable amour d'une Maman.

Lay lo, lay lo
Lay lay…

- Her… Hermione.

Perdue dans sa contemplation, ses rêveries et légers fredonnements, la jeune femme n'entendit de son prénom qu'un écho fuyant… qu'un son tremblant… qu'un vague murmure sans grande signification… et pourtant, il ne fallut pas longtemps avant que ce dernier ne commence à se faire persistant.

- Hermione…

Résonnant avec force par-delà son halo de bonheur et de comptines pour enfant, il ne tarda pas à se répéter, s'étoffer et s'accompagner de quelques hésitations, soupirs et murmures incessants… des murmures qui n'eurent à ses yeux pas le moindre sens, mais dont l'étonnante fébrilité, douceur et insistance ne parvinrent qu'à frapper son cœur de nouveaux battements.

- Hermione ?

Car elle le savait ; cet instant ne pouvait pas durer plus longtemps… en particulier quand elle pouvait entendre son prénom résonner depuis l'ourlet satiné d'une paire de lèvres tremblantes. Ses lèvres… à lui.

Voldemort.

L'homme dont elle se languissait, mais dont seule la voix lui parvenait.
L'homme qu'elle attendait, mais dont seule la distance l'effleurait.
L'homme qu'elle aimait, mais dont seule l'ombre la couvrait…

Voldemort.

Le Sorcier le plus puissant, adulé et redouté de cette Terre.
Le Vainqueur incontesté de l'aube de la Dernière Guerre.
Le Seigneur vénéré de son cœur et des Ténèbres...

Voldemort.

L'auteur de ses plus grands Rêves.
Le vœu de toutes ses Prières.
L'artisan même de son être.

Voldemort.

Son Maître.

Tom…

Accoudé dans l'embrasure d'une fenêtre éventrée, c'est le regard vague et les traits tirés que le Mage Noir scrutait le dehors d'un œil égaré. Silencieux, blême et effacé devant les première lueurs d'une aube à peine née, il contemplait le ciel sans le regarder, indifférent à sa beauté, douceur et tendre obscurité… indifférent à ses reflets, couleurs et éclats mordorés… indifférent à sa rosée, senteur et parfums par milliers. Pourtant et il ne pouvait le nier… cette aube était la plus belle auquel il n'ait jamais assisté. Le halo du soleil matinal, la fébrilité de son éclat hivernal, le tracé de ses rayons à travers arbres, ses reflets sur l'eau du lac… le scintillement du givre sur les berges écarlates, les reliefs cendrés de l'herbe pâle, l'ombre de quelques buissons épars, l'envolée des premiers rapaces, la fuites des derniers renards… le velours des ultimes brouillards, le chant des brumes sauvages, le bruissement du vent glacial, le murmure des feuilles bavardes. Oui… baignée d'or et de paillettes de glace, de volutes hypnotiques et de contours fugaces, cette aube était à n'en pas douter la plus somptueuse ayant jamais croisé son regard. Et pourtant, jamais plus grande indifférence n'avait ébranlé son âme… De marbre, il ne s'émut devant aucun reflet, aucune couleur, aucun éclat, ne laissant alors qu'une profonde sévérité s'inscrire sur ses traits d'albâtre ; des traits étonnement froids, sévères et blafards, dont les quelques frissons et légères grimaces ne réussirent qu'à alourdir son souffle d'un silence macabre. Et pour cause… en proie à la plus étrange des stoïcités, Voldemort n'avait pas parlé depuis leur retour dans ses appartements privés ; pas bougé, pas oscillé, pas tremblé, ni même balbutié… non, il n'avait rien fait. Semblable à une statue de sel, son corps s'était raidi, sa mâchoire s'était contractée, ses iris s'étaient rétrécies et ses lèvres s'étaient pincées, n'offrant alors qu'un portrait inanimé aux contours cernés… qu'une ombre pétrifiée aux rebords floutés… qu'un tableau délavé à l'encre effacée. Une image auréolée d'obscurité, de soleil levant et d'éclats de verres brisés, que les Dieux eux-mêmes ne purent s'empêcher de contempler à la dérobée… pour la simple et bonne raison que jamais plus pareille image ne serait à contempler.

Oui…

Jamais plus Voldemort ne se montrerait aussi assommé.
Jamais plus Voldemort ne se retrouvait aussi dépassé.
Jamais plus Voldemort ne s'avouerait aussi aculé…

Pourquoi ?

Parce que jamais Voldemort n'avait été plus désarmé.
Parce que jamais Voldemort n'avait été plus troublé.
Parce que jamais Voldemort n'avait été plus sonné…

Non… jamais.

Pourtant – et les travers de sa vie l'y avait grandement aidé – il pensait avoir déjà tout enduré… tout vécu, tout éprouvé ! La douleur, la cruauté, le malheur, le rejet, le deuil, la pauvreté, l'aigreur, la méchanceté, l'horreur, la lâcheté… absolument toutes les formes de souffrances, de monstruosités, de violences et de brutalités dont le monde ne cessait de regorger. Mais non ; cela n'avait pas été assez… ou tout du moins, pas assez pour le dénuer de ses dernières onces d'humanité, le priver de ses ultimes brides de sentimentalité et lui épargner l'agonie sous laquelle son âme se tordait. Une agonie comme il n'en avait encore jamais expérimenté, connu ou imaginé, et qui alors même que tout en cet instant aurait dû le transporter, le réjouir et l'enivrer, ne parvînt qu'à le laisser là… prostré, vide et muet devant les restes d'une fenêtre brisée… figé, livide et accablé devant l'ombre de son feu de cheminée … hébété, groggy et défait devant la silhouette de la femme qu'il aimait.

Seigneur…

Cela semblait insensé. Ridicule ! Dénué de toute rationalité ! Pour ne pas dire profondément absurde ! Et ça l'était… Mais il avait beau le conscientiser, tenter d'y remédier ou ne serait-ce que se raisonner, jamais Voldemort n'avait senti un tel mal être le posséder, une telle tourmente le hanter – que dire ! – un tel effroi le submerger ! Pourtant, il ne devrait pas… pour preuve, Hermione était enfin là. Là, nonchalamment assise devant un feu de bois. Là, heureuse et vivante après deux semaines de coma. Là, radieuse et souriante, un Connor endormi dans les bras ! Ainsi et en toute logique, il devrait exulter de joie… réveiller tout Poudlard, faire prévenir Drago et Narcissa, convoquer ses soldats, faire chercher Luna, hurler à pleine voix et révéler à tous la grandeur d'un tel miracle ! Mais ce n'était pas le cas ; à tel point que même après leur retour, il… il était resté sans voix. Déboussolé. Pantois. Pétrifié. Las. Médusé. Blafard. Sidéré ! Et encore tant d'autres choses qu'il n'arrivait pas à nommer… et tout ça pourquoi ? Pour ne laisser de lui qu'un esprit voguant dans un univers vide de toute lucidité ; qu'un ombre balbutiant entre les spectres de milles réalités… qu'un corps flottant dans l'inconstance d'un Océan de doutes et d'incertitudes infondées. A croire que les Dieux l'avaient planifié ; qu'ils avaient tout orchestré, prévu et agencé dans le seul et unique but de pouvoir le moquer ! S'amuser ! Se gausser ! Et s'étrangler d'hilarité entre deux rires de gorges étouffés ! Peut-être… mais quand bien même cela serait vrai, qu'est-ce que cela changeait ? Dans sa frénésie, il s'était surestimé. Dans sa folie, il s'était laissé aveuglé. Dans son délire, il s'était laissé dépasser ! Et dans sa bêtise, il… il avait tout raté. Ainsi et malgré l'hémorragie sanglante de sa fierté, la plaie ouverte de son orgueil, l'éventrement de sa souveraineté et l'annihilation de tout ce qu'il avait toujours cru être vrai, Voldemort ne pouvait le nier : dans son ultime arrogance, il avait échoué…

Oui… échoué.

Oh bien sûr, il ne doutait pas que beaucoup jugeraient un tel ressenti incompréhensible… inapproprié, risible, infondé et même franchement illogique. Pour preuve, Hermione était en vie ! Ainsi et pour tous les simples d'esprit, sots et ignares de ce pays, un pareil exploit suffisait à constituer l'une de ses plus grandes réussites… à prouver sa puissance Divine et à assoir son incontestable suprématie ! Pourtant rien ne servait de mentir : une telle glorification ne serait que calomnie… mensonge, comédie, désillusion, parodie, trahison – que dire ! – la preuve de sa suffisance la plus ultime ! Or, il n'avait pas la force d'entretenir pareille supercherie ; pas plus qu'il n'avait le cœur de prétendre être l'artisan de sa survie. Et pour cause… les faits étaient là. Là, devant lui ! Là, concrets, visibles, certains, tangibles ! Et la vérité aussi… une vérité qu'il peinait encore à dire, mais dont le seul visage lui donnait le plus amer des vertiges.

Car oui…

Ce n'était pas lui qui l'avait ramené.
Ce n'était pas lui qui l'avait éveillé.
Ce n'était pas lui qui l'avait sauvé.

Non… lui, n'avait rien fait.

Pourtant, il avait essayé ; plus encore, il tout tenté ! Tout envisagé ! Tout testé ! Tout imaginé ! Tout considéré ! Mais malgré son absolue dévotion, ses innombrables efforts et son indéfectible détermination, seul le plus magistral des échecs avait été sa récompense… Semblable à une couronne d'épines incrustée sur son front, à l'attribut royale de son éternelle honte et la marque avilissante d'un fer chauffé à blanc, ce dernier avait apposé son sceau à même la chaire de son cœur agonisant ; un sceau dont le stigmate, la brûlure et le symbole battaient déjà la mesure de son sang… et qui, il le savait, l'ornerait jusqu'à la fin des temps.

Alors, oui… Voldemort se sentait affligé.
Alors, oui… Voldemort se sentait bafoué.
Alors, oui… Voldemort se savait désavoué.

Lui… le soi-disant Plus Grand Sorcier ayant jamais existé.

Ainsi et bien que cela puisse sembler déplacé, Voldemort ne parvenait pas à se raisonner ; à oublier ou ne serait-ce qu'à faire taire le miasme de pensées hurlantes qui l'assaillait ! Non… il ne parvenait à rien. Rien faire. Rien prétendre. Rien dire. Rien comprendre. Soit un insondable et implacable néant dans lequel il se sentait peu à peu sombrer, lui et sa confiance… lui et son arrogance… lui et ses croyances… lui et tout ce qui avait toujours guidé son existence.

Lui… et son mensonge de toute puissance.

Grand Dieu… quelle blague. Quelle hilarité. Quelle farce. Quelle indignité ! Lui Voldemort, incapable d'ancrer une âme décharnée. Lui Voldemort, incapable de résorber le mal qu'il avait lui-même créé. Lui Voldemort, incapable de comprendre ce qui lui avait échappé. Nul doute que Salazar lui-même s'en étranglerait ! Mais il ne pourrait pas l'en blâmer… en particulier quand un enfant était parvenu à le surpasser.

Seigneur… un enfant.

Un enfant. Un enfant. Un enfant. Un enfant. UN ENFANT ! Certes, il ne s'agissait pas de n'importe quel enfant… et que Morgane lui en soit témoin, son aigreur ne dissimulait aucune rancœur envers Connor et son accomplissement ! Aucune jalousie ! Aucun ressentiment ! Aucune fourberie ! Aucun jugement ! Au contraire même, jamais il ne lui avait été plus reconnaissant ! Mais bien qu'il le pense sincèrement, qu'il soit profondément impressionné et immensément fier de ses talents, Voldemort ne parvenait à cacher sa honte…

Oui… sa honte.

Sa honte de ne pas avoir été l'homme de la situation.
Sa honte d'avoir été tout aussi défaillant qu'impuissant.
Sa honte d'avoir été dépendant des aptitudes d'un enfant.
Sa honte de ne pas avoir trouvé les réponses à ses questions.
Sa honte d'avoir failli à son devoir de réussite et de protection.
Sa honte de ne pas avoir été en mesure d'honorer son serment.
Sa honte de ne pas avoir su voir la profondeur de son ignorance.
Sa honte de ne pas avoir compris l'étendue de son inaptitude criante.
Sa honte d'être resté aveugle à la plus voyante de toutes les évidences.

Mais plus que toute autre chose en ce monde… sa honte de ne toujours pas être en mesure de comprendre comment Connor était parvenu à créer une nouvelle ancre.

Oui… une nouvelle ancre.

Car là était le véritable exploit… que dire, le véritable prodige ! Et miracle ! Le fait qu'en une seule nuit, sans aide, entrainement, ni le moindre appuie, Connor soit parvenu à accomplir l'impossible… l'inimaginable, l'imprédictible, l'inconcevable ! Ou en d'autres termes : l'ancrage d'une âme.

Par Salazar… l'ancrage d'une âme.

L'ancrage d'une âme. L'ancrage d'une âme. L'ancrage d'une âme. L'ancrage d'une âme. L'ancrage… l'ancrage de SON âme ! Et encore, il n'y avait pas que cela ! Car Hermione était plongée dans un coma ! Et se faisant, une réussite aussi incroyable impliquait nécessairement la préservation quantique des fondements de son esprit… la stabilisation astrale et magnétique de son énergie vitale… l'absorption de toutes ses interférences magiques… le re-paramétrage de son Plan Astral… la restauration de toutes ses mécaniques psychiques… la suppression des résidus de Magie Noire… ainsi que le rééquilibrage intégrale de son identité spirituelle et physique ! Sans compter les innombrables risques, complications et autre défis qu'une telle démarche pouvait naturellement engendrer dans un cas aussi critique ! Et pourtant, tel était tout ce que Connor avait accompli. Tel était ce qu'il avait fait pour lui sauver la vie. Tandis que lui… tandis que lui n'était parvenu qu'à la garder étendue, inerte et à moitié morte dans un lit. Aussi et après une telle prise de conscience, son état ne suscitait aucune surprise !

Voldemort était rongé…

Rongé par la plus odieuse des culpabilités.
Rongé par la plus infâme des impressions d'inachevé.
Rongé par la plus harassante des sensations d'inutilité.
Rongé par la plus puissantes des hontes ayant jamais existé.
Rongé par la plus ignobles des impuissances ayant jamais été avérées.
Le tout condensé dans la plus inextricable et impardonnable des indignités…

Malheureusement pour lui et bien qu'il ne désire que se cacher, s'enfermer et s'enterrer là où nul n'aurait jamais plus le déplaisir de croire en ses capacités, Voldemort ne pouvait se permettre de rester éternellement muet ; plus encore, il n'en avait pas le droit. En particulier quand la femme qu'il avait tant prié retrouver se tenait là… à seulement quelques pas… leur petit protégé paisiblement endormi entre ses bras.

- Hermione…

Oui, il ne pouvait plus se taire. Il ne pouvait plus l'éviter. Il… il ne pouvait plus se défiler.

- Je… je sais que tu dois être épuisée. Dit-il alors sans respirer.

Epuisée…

- Et que tout doit te paraître confus et… et désordonné mais…

Confus, désordonné…

- Mais nous… nous devons parler.

Parler.


Hello tout le monde !

Désolé de publier si tard, j'ai dû faire quelques corrections de dernières minutes mais j'espère que l'attente en aura valu la peine !

J'avoue que ce chapitre me tient particulièrement à cœur... j'ai adoré l'écrire pour de nombreuses raisons, mais le plus important pour moi était avant tout de décrire ce que je considère comme étant le but même de l'amour d'une mère. Ca va peut-être vous paraître un peu désuet dis comme ça, mais le lien qui unit une mère à son enfant (une mère digne de ce nom, j'entends) est selon moi le plus précieux, vivant et puissant qui existe au monde. Et je voulais faire ressortir ce sentiment ; je voulais mettre en avant sa viscéralité, sa toute puissance, sa supériorité ainsi que tout ce qu'il représente.

J'ignore si c'est réussi et je suis par avance désolée pour la rythmique un peu exagérée de ce chapitre, mais j'espère qu'il vous plaira malgré tout.
Oh et n'hésitez pas à écouter la magnifique chanson I'll Fly for You, de Carnival Row ! Elle vaut vraiment le détour !

Sur ce, je vous dis à mardi prochain !
Bizzze