Chaque jour de plus était un jour de moins. Chaque heure passée vous rapprochait de la fin. Chaque minute écoulée n'aurait plus jamais à être vécue.

Drago Malfoy, allongé, les yeux fermés, les mains sagement posées sur son abdomen, se répétait ces mantras, s'efforçant d'exister aussi peu qu'il était possible. Il entendait Macnair renifler dans le lit voisin. Il entendait Rockwood déambuler, longeant sans relâche, dans un sens, puis dans l'autre, les 4 mètres de grilles qui fermaient leur cellule. Son pas était assourdi quand il passait sur l'épais tapis de laine que Malfoy Père était parvenu à se procurer… Malfoy Père, quant à lui… Nul ne l'entendait. Il fallait espérer que son silence était dû à l'ennui, ou bien qu'il soit occupé à fomenter un plan pour obtenir un quelconque bibelot, un service, une information, la soumission d'un rival… Il fallait espérer, en tout cas, que ce n'était pas l'agacement qui lui faisait pincer ses lèvres délicates, car l'agacement du père était toujours une torture pour le fils…

Soudain, Rockwood grommela un nom qui fit s'hérisser le duvet recouvrant les avant-bras de Drago :

« Waren. »

Aussitôt, Lucius Malfoy descendit avec grâce du lit superposé à celui de son fils, et rejoignit en deux pas son comparse devant les grilles. Drago ouvrit un œil pour jauger l'expression de son père – contrarié, mais pas hors de lui – et le referma immédiatement pour simuler le sommeil.

« Surveillant Brigadier Waren, interpela Lucius, quelques minutes, s'il vous plait.

– Pas le temps Malfoy. Ce soir. »

La voix de Waren était sèche, catégorique. Au contraire, celle de Malfoy se fit aimable, enjôleuse :

« Surveillant Waren, s'il vous plait. La colère gronde, c'est la troisième fois cette semaine qu'un tel confinement est décrété. Informez-moi, donnez-moi l'occasion d'apaiser les esprits.

– Malfoy… »

L'avertissement était audible. Drago frissonna.

« Surveillant Waren, j'entends votre exaspération et j'imagine la pression que vous supportez. Vous savez pouvoir compter sur ma famille pour aider à votre soulagement… »

Un silence suivit cette tirade. Même dans les cellules voisines, les conversations s'étaient tues, et on imaginait sans mal les détenus tendre l'oreille vers l'échange qui avait lieu. Waren grogna, puis baissa d'un ton, afin que sa voix ne résonne pas dans le couloir et qu'elle échappe ainsi aux oreilles indiscrètes.

« Le Survivant en personne nous rend visite. Tu as lu les journaux, Malfoy ? Tu as vu que Potter et Shacklebolt sont en froid. Et bien on dirait qu'Azkaban est leur nouveau terrain de bataille. Ça s'engueule à propos de la gestion, ça parle délocalisation, radiations… Détraqueurs aussi… »

Waren baissa encore un peu plus la voix, et Drago l'entendit à peine murmurer :

« Parait que le ministre voudrait carrément tout fermer. »

Le corps immobile de Drago se crispa, ses poumons incapables d'expulser l'air qu'ils contenaient. Était-ce possible ? Fermer Azkaban ? Retrouver enfin la liberté ? Rentrer au manoir ?

Non bien sûr. Drago se força à souffler doucement et à reprendre une respiration régulière. Non bien sûr. Si Azkaban fermait, les détenus seraient simplement transférés ailleurs. Ça parlait Détraqueurs ? Retour des Détraqueurs ? Peu de chance alors que les nouveaux locaux soient beaucoup plus accueillants que les actuels. Était-ce la réclusion qui était visée ? Mais des sorts pires que celui-ci pouvaient attendre les détenus sortis de prison. Les travaux forcés. L'esclavage. La suppression des pouvoirs magiques.

Trois années d'enfermement avaient appris à Drago que les choses allaient rarement en s'améliorant, et qu'il ne fallait jamais souhaiter qu'elles ne le fassent, l'espoir apportant toujours une sévère déconvenue.

« Bref, reprit Waren d'un ton autoritaire, raconte ce que tu veux aux autres, mais essaye de garder les choses… En ordre. D'une façon ou d'une autre, ils veulent de la discipline, et il vaut mieux que ce soit la nôtre que celle qu'ils vont nous pondre, au putain de ministère. » Waren conclue ce monologue d'un reniflement de dédain. Puis après quelques secondes, ajouta : « Je viendrais chercher ton fils ce soir. Qu'il soit niquel.

– Bien sûr, répondit Lucius Malfoy d'un ton distrait. Je ne te retiendrais pas plus longtemps, Waren. »

Après quoi, Drago entendit les pas du surveillant s'éloigner, et les conversations reprendre dans le couloir :

« Malfoy ?! Quelles sont les nouvelles Malfoy ?

– Qu'est-ce qu'il t'a dit Malfoy ?

– Malfoy ! Combien de temps Potter va passer ici ?! Tu sais s'il va revenir ?!

– Potter ? Comment ça Potter ?! Faîtes tourner les infos par les glandes de Merlin !

– Malfoy ! »

Drago sentit la présence de son père devant lui et ouvrit les yeux. Lucius Malfoy avait le regard lointain, calculateur. Deux doigts élégamment posés sur ses lèvres, il réfléchissait à tout ce qu'il venait d'entendre, calculait, tirait les conclusions, devinait ce qui n'avait pas été dit… Mais, alors que le vacarme enflait, ses sourcils commencèrent à se froncer.

« Rockwood, interpela Drago en se redressant vivement, fais-les taire !

– LA FERME, BANDE DE CHIENS ! »

La voix puissante de Rockwood résonna dans le couloir, et le calme revint.

Rockwood fusilla Drago du regard pour avoir osé lui donner un ordre, mais celui-ci n'en avait cure, toute son attention focalisée sur son père. Le visage paternel resta immobile un long moment, avant que ses yeux ne se baissent finalement sur son fils. Aucune critique ne franchit ses lèvres, ce qui équivalait à un compliment.

Enfin, Malfoy fit un signe de tête à Rockwood et Macnair afin de les inviter à discuter – à voix basse – de la marche à suivre. Drago se recoucha, tâchant d'écouter la conversation, car bien qu'il n'y ait pas été conviée, il lui aurait été reproché d'agir en ignorant. Le fait que Harry Potter soit en visite à Azkaban ne tarderait pas à être connu de tout le corridor, inutile donc de taire l'information. En revanche, ses désaccords avec le ministre Shacklebolt ne devaient pas être évoqués : Concernant les Détraqueurs, par exemple, il était de notoriété publique que Potter les haïssait. Cela supposait-il que c'était le ministre qui souhaitait leur retour ? Ses ambitions étaient-elles qu'ils reprennent leur rôle de gardiens, ou bien attendait-on d'eux des châtiments plus ponctuels ? Tant que l'on n'était sûr de rien, il valait mieux se taire. La panique pouvait provoquer des catastrophes. Si des restructurations étaient prévues, alors les détenus du corridor 3 devraient se montrer aussi courtois et obéissants que possible. Les récompenses viendraient plus tard.

Les consignes de Malfoy furent transmises de cellule et cellule, et chacun s'y soumit. Il y avait souvent à gagner à suivre ses conseils. Les détenus du corridor 3 avaient bien plus de temps de quartier libre que leurs homologues. Chaque jour à chaque repas, ils étaient les premiers à pouvoir se rendre au réfectoire et profiter d'un plus grand choix dans les plats. De même, ils avaient la priorité sur la douche hebdomadaire, leur permettant d'avoir de l'eau chaude et d'échapper à la corvée de nettoyage des sanitaires, qui écrouait invariablement aux détenus des corridors moins organisés. Et puis, parfois, il y avait Drago.

Ce soir-là, quand leur cohorte se mit en route pour aller dîner, leurs rangs étaient aussi réguliers que ceux d'une armée, et aucune insulte ne fusa en direction des gardiens, comme c'était habituellement le cas après les confinements exceptionnels.

Pourtant, un léger brouhaha alerta Drago quand les premiers individus pénétrèrent la vaste cantine. Il tâcha de garder un air impassible, mais sentit la panique l'envahir. Son père avait donné des consignes, et si elles n'étaient pas tenues, il ne serait pas le dernier à en subir les conséquences. Heureusement, le niveau sonore resta tolérable, et Drago put rapidement découvrir les raisons des messes basses.

Il était là.

Harry Potter, l'Elu, le Survivant, Celui-qui-avait-vaincu, il était là, derrière un simple cordon de sécurité, et discutait calmement avec trois gardiens. Les bras croisés, il prêtait à peine attention à la file des détenus qu'il avait fait emprisonner et qui souhaitaient sa mort.

Harry Potter, le héros des sorciers, le protégé du ministre, la coqueluche de la Gazette, il était là, et il n'avait pas changé. Toujours les mêmes cheveux hirsutes, les mêmes yeux verts moqueurs, le même sourire arrogant, la même cicatrice ridicule narcissiquement mise en valeur entre deux mèches de cheveux. Sa mâchoire s'était faite plus virile, et sa stature s'était étoffée, mais à part ça, il avait eu le privilège de pouvoir rester le même, comme si quelques jours seulement avaient passé depuis la chute de Celui-dont-on-ne-prononce-pas-le-nom…

Drago Malfoy n'avait pas eu cette chance. Lui était méconnaissable. Maigre à en faire peur, sa peau blanche était devenue terreuse et maladive. Ses ongles rongés et sales ornaient désormais des mains difformes, aux doigts tordus à force d'être cassés et mal soignés. Drago n'avait pas vu son reflet depuis trois ans, mais il savait avoir vieilli prématurément, il devinait sans peine les cernes, imaginait les cicatrices, ressentait comme un tiraillement permanent la peau sèche, craquelée, défraichie…

Il fit un pas de côté pour se dissimuler derrière l'imposante silhouette de Macnair. Le temps de reprendre contenance. Il redressa les épaules et la tête, saisit un plateau d'un geste sûr, et s'apprêta à ignorer aussi superbement Harry Potter qu'il était possible d'ignorer un homme.

Celui-ci était en grande conversation avec Waren, le Surveillant Brigadier de son couloir, et Mullan et Runcorn, les Surveillants Majors.

« Dans ce cas, disait-il, pourquoi réserver une aile aussi importante aux femmes ? Elles ont des cellules individuelles alors que les hommes s'entassent à quatre, cinq, par cellule ? C'est un gâchis d'espace, si vous voulez mon avis.

– Monsieur Potter, répliqua la Surveillante Major Mullan, vous n'y pensez pas. Il y a trois fois plus de détenus masculins que de femmes, et…

– Et d'après mes souvenirs, la coupa Potter, elles ne sont pas trois fois moins cruelles ni moins douées que les hommes. Je les pense tout-à-fait aptes à se défendre.

– Monsieur, ce n'est pas tant les violences sexuelles que nous craignons, expliqua Runcorn, mais plutôt les grossesses.

– Rappelez-vous, M'sieur Potter, si je peux me permettre, qu'on a surtout affaire à des Sang-Purs. Ceux-là sont à peu près prêts à tout pour répandre leur foutue descendance », ajouta Waren.

Drago posa sur son plateau un gobelet de bois, ainsi que les couverts courts des détenus, au design soigneusement étudié pour empêcher quiconque de pouvoir s'en servir comme arme. Le couteau à bout rond, en particulier, n'était même pas suffisant pour trancher du pain. La plupart des prisonniers avaient cessé de les utiliser et déchiraient la nourriture avec les dents ou les mains, mais les Malfoy continuaient à respecter les convenances, quitte à se priver de manger quand la viande était trop dure.

« Répandre leur descendance ? Est-ce que vous parlez d'êtres humains ou d'animaux ? »

Waren ricana méchamment.

« Si vous passez plus de temps parmi nous, vous vous apercevrez vite qu'on a bien du mal à faire la différence, parfois. »

Cette remarque, venant de cet individu, irrita Drago au plus haut point, mais c'est l'éclat de rire sincère et décomplexé de Potter qui lui fit tourner la tête dans leur direction. Il se moquait joyeusement de ceux qu'il avait soumis, en compagnie de l'homme sadique et hypocrite qui avait tranquillement discuté avec son père quelques heures plus tôt, et leur avait recommandé la discipline.

Harry Potter, son sempiternel sourire victorieux aux lèvres, parcouru la file de détenus des yeux, et son regard croisa celui de Drago. Si la haine pouvait tuer, il serait mort sur le coup. Mais il se contenta de s'exclamer :

« Et elle ? Est-ce qu'elle… »

Ses yeux s'écarquillèrent tandis qu'il réalisait, et Drago sentit le sang lui monter au visage pendant que son père se crispait à ses côtés.

« Malfoy ?! »

On aurait cru que c'était Noël pour ce foutu traitre à son sang tant son sourire s'élargit.

« Malfoy, putain, qu'est-ce qui t'est arrivé ?! »

Son éclat de voix avait attiré l'attention, et tous, désormais, suivaient l'altercation avec avidité. Drago serra les mâchoires, et s'apprêta à lui sortir une remarque bien cinglante, mais Waren reprit la parole avec empressement.

« Malfoy Junior est un épis-pousseur, M'sieur. Quand on lui coupe les cheveux, ils repoussent deux fois plus long qu'avant. Au début, il fallait lui raser le crâne tous les jours. Mais maintenant qu'il se tient sage, on a laissé tomber.

– Un « épis-pousseur » ? répéta Potter en fixant crânement Drago. Je ne savais même pas que ce mot existait. »

Cette fois, ce fut Lucius Malfoy qui prit la parole, sa belle voix grave résonnant élégamment dans le réfectoire, et chargée de juste assez de menace pour que la plupart des détenus se détournent du spectacle en ricanant.

« Monsieur Potter. C'est un honneur de vous voir parmi nous. Mais j'imagine à quel point votre temps est précieux, et j'espère que vos obligations ici-bas ne vous maintiendront pas trop longtemps loin de Londres et du ministère…

– Monsieur Malfoy, répondit-il sans cesser de fixer Drago, posant un instant le doute sur l'identité de son interlocuteur. C'est bien la première fois que nous nous avons le même espoir, et j'ai bien peur que nous ne soyons tous les deux déçus. »

Drago sentit son père faire un pas et comprit qu'il lui fallait faire de même pour ne pas bloquer la queue des détenus. Il baissa donc les yeux vers son plateau, et suivit le mouvement de la file en direction des prisonniers assignés au service des portions de nourriture. Il entendit toutefois son père poursuivre la conversation dans son dos.

« Vous m'en voyez navré. Dois-je comprendre que c'est votre brillant plaidoyer anti-Détraqueurs qui vous a amené ici ? A moins, malheureusement, que celui-ci ne vous ait éloigné de là-bas. »

Un silence suivit ces paroles. L'orateur Lucius Malfoy produisait souvent cet effet-là. Le Surveillant Major Runcorn commença à lui ordonner de suivre la file des détenus, mais Potter lui coupa la parole :

« Vous devez comprendre, Lucius, que je suis désormais le Directeur de cet établissement, et que ma position anti-Détraqueurs pourrait s'en voir chamboulée. »