Il y avait quelque chose de rassurant dans la situation actuelle de Boya.
Vraiment.
Il avait attendu ce moment avec angoisse et s'y trouver enfin confronté apportait une touche de normalité dans cette secte trop proprette, trop gentille et trop accueillante pour être honnête.
L'attaque était venue, comme toujours dans ce genre de cas, par derrière. Quelqu'un l'avait rudement poussé alors qu'il négociait de son mieux la pente douce qui le conduirait des ateliers au grand couloir qui menait au Hall principal du temple.
Boya ne s'y attendait pas sur le moment. Il était partit en avant. Sans son entrainement intensif pendant des années, il aurait roulé boulé tout en bas de la pente et se serait probablement gravement blessé.
mais il n'était pas un chasseur pour rien. L'instinct prit immédiatement le dessus. Sa canne en métal se planta dans le sol, un torsion du bassin et il était sur ses pieds, sa canne tenue comme une épée.
"- Pour un peu, j'aurais presque pu être surpris. Mais je suis heureux de voir qu'enfin tout est normal." Railla Boya.
Il était CONTENT. Visiblement content. Et sa satisfaction perturbait grandement ses agresseurs. Il en comptait une dizaine qui l'entouraient sans trop savoir quoi faire.
La secte nord apprenait à se défendre. Pas à attaquer.
Boya vendit chèrement sa peau. Il parvint à amocher environ la moitié de ses adversaires avant que plusieurs ne pensent à appeler leurs shishen à l'aide qui, malgré leur outrage que leurs maîtres leur demandent de s'en prendre à un handicapé, ne purent qu'obéir. Ceux qui voulaient vraiment lui faire du mal attendirent qu'il soit au sol pour venir le finir à coups de pieds.
Il ne lâcha pas une plainte ni le moindre cri.
Il ne répondit à aucune des insultes et accusations. Entre ceux qui lui crachaient à la figure qu'il n'était qu'une putain qui s'était vendu à Zhong Xing pour avoir la belle vie, ceux qui le méprisaient pour son handicap et ceux qui lui crachèrent physiquement dessus entre autre, Boya ne pouvait pas faire grand-chose à part se satisfaire d'avoir cassé quelques nez, quelques dents et quelques genoux. Il fallait qu'il reprenne son entrainement martial au plus vite.
Lorsque ses agresseurs se lassèrent et le laissèrent en tas sur le sol, il se remis douloureusement sur ses pieds pour se trainer jusqu'à sa chambre.
Il était heureux de n'avoir rencontré personne lorsque Gold Spirit le surpris en train de rentrer dans sa chambre.
"- Boya Daren ? Mais qu'est-ce qui vous est arrivé ?" Le ton horrifié du shishen était aussi satisfaisant que l'attaque que Boya avait subi.
"- Pas grand-chose. Certains ne sont clairement pas content de ma présence et me l'ont fait savoir. C'est tout."
"- Il faut que vous alliez à l'infirmerie ! Vous…"
"- NON ! Non… Ça va. J'ai juste besoin de me laver."
"- de… urk." Le shishen venait de voir les glaviots dans ses cheveux trop courts ainsi que remarquer l'humidité de ses vêtements et leur odeur. "Ils n'ont pas fait que vous cracher dessus."
"- Non."
"- Allez vous laver. Je vais m'occuper de ça."
"- Zhong Xing Shifu…"
"- N'a pas besoin d'être au courant." Boya remercia l'esprit d'un signe de tête. "Boya Daren… Je ne remets en question ni vous compétences, ni vos capacités. Mais vous avez besoin d'un shishen. L'extrême majorité des disciples ici sont bienveillant. Mais vous êtes vu comme faible à cause de votre vue absente. Il y aura toujours quelqu'un pour vouloir prendre avantage sur vous à cause de ça. Ce n'est pas votre faute. Mais pour votre propre protection, pensez-y. Vous avez besoin d'un shishen. Et il y a quelque part un esprit, un démon ou une créature qui vous attends et qui a besoin de vous."
Puis Gold Spirit laissa Boya seul dans les appartements de Zhong Xing pour qu'il aille se laver.
Boya se débarrassa de ses vêtements couverts de salive et d'urine avec tout le dégout qu'il ne s'était pas permis de montrer jusque-là. Il se glissa dans le baquet remplis d'eau chaude avec soulagement. Débarrasser ses cheveux des glaviots ne fut heureusement pas aussi long qu'il l'aurait fallu mais le jeune homme réalisa avec plaisir que ses cheveux devaient être assez longs maintenant pour qu'il les attachent en une petite queue de cheval. Il faudrait encore du temps pour qu'ils soient de la longueur adéquate pour un homme de son rang mais…
La réalisation fut comme une gifle, le rappel plus douloureux encore. Son rang ? Quel rang ? Il n'était qu'un esclave qu'on laissait faire mumuse dans les murs du temple. Il appartenait corps et âme à Zhong Xing qui aurait pu faire ce qu'il voulait de lui. Pour l'instant, il lui était utile dans sa tentative de faire de son fils un adulte fonctionnel mais après ?
Boya se mit la tête sous l'eau dans la pathétique tentative de ne plus entendre ses propres pensées.
Pour l'instant, il n'avait pas fait grand-chose pour tenter de reprendre en main He Shouyue. Il en était encore à trouver sa place et sa fonction dans la secte. C'était très aimable de la part de Zhong Xing de lui laisser le temps pour ça mais Boya connaissait assez la politique interne des sectes pour savoir qu'il allait très vite s'irriter du délais.
Boya refit surface. Il finit de se laver, vérifia que les petits imbéciles qui l'avaient agressés ne lui avait pas laisser davantage de cadeaux que leurs fluides corporels sous la forme de malédictions quelconques puis s'habilla de propre. Il était désolé de ne pouvoir savoir qui étaient ces jeunes crétins. Il leur aurait refait le visage à la phalange avec plaisir. Sa seule satisfaction fut de savoir qu'il en avait amoché une bonne moitié malgré tout et que leurs actions avaient heurté leurs shishen. De ce qu'il en savait, ils seraient plus efficaces pour leur faire payer leur geste que tout ce qu'il aurait pu leur faire.
C'est avec ce petit réconfort bien limité qu'il redescendit dans le grand hall pour manger.
lorsqu'il entra, ce fut pour être accueillit non par l'habituel gazouillement des plus jeunes mais par un silence respectueux.
"- Boya Daren." La voix de Zhong Xing était tendue.
"- Zhong Xing Zongzhu ?"
"- Plusieurs disciples sont venu se plaindre que vous les aviez attaqués dans les couloirs ?"
"- Avant ou après qu'ils vous ai expliqué qu'ils me sont tombés dessus à une dizaine pour me passer à tabac et qu'ils aient dû appeler leurs shishen pour certains parce qu'ils n'étaient pas de taille ?"
Ce n'était pas la première fois que Boya se trouvait ainsi dans la situation du bouc émissaire. Il n'aurait vraiment pas imaginés qu'ils seraient assez idiots pour aller se plaindre au chef de secte de s'être fait roser ! Ses agresseurs étaient STUPIDES ! On voyait bien que le Yin Yang n'avait pas l'habitude de frapper les gens dans le dos.
Le hoquet de surprise sur le côté lui fit tourner la tête. Il ne voyait pas les visages mais reconnaissait certains qi.
"- Quoi ? Vous pensiez que j'allais baisser la tête ? Juste parce que vous vous y êtes mis à dix pour pouvoir me cogner confortablement ? Apprenez à mener vos propres batailles, les mômes. Surtout quand vous n'êtes pas fichu d'assumer vos bêtises. Ceux qui ont le plus souffert ici, ce n'est pas moi. J'ai eu des shimei de huit ans qui cognaient plus fort que ça ! Par contre, vos shishen, EUX vous les avez blessés !"
Un gloussement se fit entendre de plusieurs tables. Boya avait assumé que ses attaquants étaient de jeunes disciples pour être aussi idiots. La majorité avait dépassés la cinquantaine.
Ils baissaient le nez comme des petits shidi, honteux de leurs actions. Boya avait raison.
"- Zongzhu…"
"- Ce n'est pas à moi qu'il faut présenter des excuses."
"- Ni à moi." Railla Boya. "Moi, je gère. On règlera ça entre hommes quand je le déciderai."
Un frisson d'angoisse passa dans le dos des maîtres qui avaient agressé Boya. Le chasseur était un guerrier. Pas eux. Ils avaient peur soudain. Le sourire de l'aveugle était une promesse.
Les plus intelligents du groupe demandèrent immédiatement pardon à leur shishen. Les autres s'excusèrent auprès de Boya. Le plus idiot refusa de baisser les yeux.
"- Je ne vais pas me coucher devant un misérable esclave qui n'est ici que parce qu'il a écarté les cuisses pour…" Il pâlit soudain en réalisant ce qu'il était en train de dire.
Zhong Xing était furieux.
"- Zhong Xing Zongzhu" Interpela le shishen du maître avant qu'il n'ait le temps de dire quoi que ce soit. "Je demande à être libéré de cet imbécile."
"- NON ! LAN YUN !"
"- Ça fait trop longtemps que je supporte son manque de retenue. Cette fois ! Me faire attaquer un innocent ! C'est trop. Et il refuse de s'excuser. Je n'en peux plus, Zhong Xing Zongzhu. Je n'en peux plus." Insista l'esprit aérien. Ses ailes frémissaient de détresse.
Zhong Xing hocha sèchement la tête. Cela suffit au shishen pour briser le lien avec son maître qui cria de douleur avant de s'effondrer.
L'esprit était livide.
Zhong Xing se précipita pour cautériser le lien déchiré. Il était rare qu'un shishen choisisse de quitter son maître de son propre chef. Normalement, le lien était à vie. Pour qu'il ait brisé ainsi, c'était qu'il devait y avoir bien plus entre eux que ce dernier évènement. Zhong Xing s'en voulait de ne pas avoir remarqué que le torchon brûlait entre les deux partenaires. Qu'avait-il raté encore ? Son fils lui prenait tellement d'énergie nerveuse qu'il en oubliait parfois son devoir auprès des siens.
"- Lan Yun, est-ce que tu veux un autre maître ?"
Le shishen hocha la tête. Il aimait sa place de shishen, il ne supportait juste plus son maître.
"- Est-ce que tu as déjà quelqu'un en tête ?"
"- Ju YoJia"
La petite disciple de quatorze ans se précipita vers le shishen oiseau.
"- Lan Yun !"
Elle prit immédiatement ses mains dans ses siennes.
"- Zongzhu…"
"- Tu sais comment faire, meimei."
La jeune fille hocha sèchement la tête.
"- Lan Yun, est ce que tu veux être mon shishen ?"
"- Oui." Il y avait de la douleur dans la voix de l'esprit aérien.
La jeune apprentie prononça le sort de lien à voix haute parce qu'elle n'avait pas encore la force de faire sans. Elle posa ses doigts contre le front de l'esprit qui ferma les yeux de soulagement lorsqu'il sentit le lien se créer entre eux. C'était autrement plus doux que son précédent maître. La douleur qui lui serrait le cœur depuis qu'il avait cassé le précédent disparaissait lentement. Ça n'avait duré que quelques instants mais la douleur lui avait semblé durer toujours.
L'ancien maître de l'esprit pleurait en silence sur le sol sans que personne ne s'occupe de lui. C'était lui qui avait fauté. Il ne méritait pas la compassion de ses pairs pour l'instant. Il aurait de la chance si son second shishen ne décidait pas de partir lui aussi.
Boya s'était écarté, aveuglé par le qi relâché par la rupture du lien puis la création du nouveau.
Il n'avait jamais voulu ça. Il culpabilisait.
Pourtant, personne ne semblait lui reprocher ce qui venait de se passer.
Les shishen n'étaient pas à moitié autant des esclaves que lui finalement.
Il se retira jusqu'à sa chambre sur la pointe des pieds. Il imaginait sans peine les regards haineux et méprisant des autres disciples. C'était sa faute.
D'où qu'on regarde, c'était sa faute. S'il n'avait pas été là, le maître qui venait de perdre son shishen ne l'aurait pas agressé. S'il avait accepté de s'humilier comme il aurait dû le faire comme un bon esclave, l'homme n'aurait pas perdu son shishen non plus.
Boya s'enferma dans sa chambre, le cœur au bord des lèvres.
Il tira son dizi de son écrin pour en jouer tristement, assis sur un gros coussins sur son petit balcon. Il avait toujours mis tout son cœur dans son jeu.
Il y avait toujours mis tout son qi.
Ce soir, il y mettait en plus sa peine, son malaise et toutes ses peurs.
Il n'avait aucun moyen de savoir qu'à l'extérieur de sa chambre, des shishen s'étaient rassemblés pour l'écouter jouer.
Il n'était pas rare que Boya joue pour lui-même. Petit à petit, il avait de plus en plus d'auditeurs. Certains des esprits voulaient l'encourager à se concentrer sur la cultivation musicale, mais le faire serait avouer qu'ils l'espionnaient. Alors ils venaient juste l'écouter en silence dès qu'ils le pouvaient.
Eux ne lui en voulaient pas pour ce qui c'était passé. Leur frère shishen était déjà au bord de la rupture avec son maître depuis des années. Là, ça avait juste été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. Boya n'avait pas à s'en vouloir. Il n'était pas rare que des liens entre maître et shishen soient coupés. Dans l'extrême majorité des cas c'était d'un commun accord, soit parce que le shishen avait envie de retrouver sa liberté, soit parce que le couple avait évolué et ne travaillait plus correctement ensemble. Les ruptures comme celles du jour étaient rares mais ce n'était pas une première, bien au contraire. Les maîtres du yin yang n'étaient pas parfait, loin de là. Les shishen non plus.
La journée avait été longue pour Boya.
Il avait passé la matinée avec He Shouyue, deux heures avec son shixiong, puis avait trouvé quelqu'un pour l'accompagner jusqu'au bureau des artisans où il avait finalisé la dernière version de son encre pour la présenter officiellement à Zhong Xing à qui il avait offert la recette.
Puis Meng JingFei était venu le chercher par l'oreille pour qu'il vienne s'entrainer comme le lui avait ordonné le chef des guérisseurs. Boya avait bien rechigné de fatigue mais il n'avait pas eu le choix. A peine avait-il eut le temps de se changer que Meng JingFei poussa Boya dans le bassin comme elle le faisait tous les soirs avant de sauter dans l'eau près de lui. La première fois, Boya avait paniqué. Il avait fallu que les deux shishen de la jeune femme l'attrapent et l'immobilisent pour qu'il réalise qu'il avait pied.
Les bassins d'eau tiède tout au fond de la secte étaient parfait aussi bien pour chauffer l'énorme bâtiment que pour permettre la remise en forme des malades et les blessés. L'eau était tellement chargée en nutriments et sels minéraux qu'il n'était pas rare que des nobles payent pour venir en cure quelques semaines pour des maladies de peau ou des affections récurrentes comme des problèmes de poumons. Le yin yang acceptait ces curistes contre rémunération mais exclusivement s'il restait des places pour eux. Un haut fonctionnaire souffrant de psoriasis avait été refusé à la dernière minutes quelques jours après l'arrivée de Boya parce qu'il avait besoin de la place.
"- Comment vous sentez-vous ce soir, Boya Daren ?"
Le chasseur faisait la planche avec un simple pagne sur les fesses pour cacher sa pudeur. Comme il ne voyait rien, il avait été mis sur un horaire où il y avait assez peu de monde donc il partageait le grand bassin chargé en calcium avec plusieurs femmes qui faisaient leur musculation toutes seules comme des grandes. Elles, elles étaient nues. Son pagne était pour les respecter elles. Même s'il était bien fait de sa personne, elles n'avaient pas forcément envie de voir un homme tout nu près d'elles pendant qu'elles travaillaient. S'il n'y avait eu que des hommes dans le bassin, le pagne aurait été superflu. Si ça avait été un des bassins mixtes de détente aussi. Mais là, on travaillait les muscles. C'était peut-être le seul et unique endroit de la secte où il y avait une toute infime ségrégation des sexes et encore. C'était plus du respect au travail qu'autre chose.
"- Un peu raide mais rien de comparable à mes premières années d'entrainement."
Le jeune femme glissa ses mains sous son dos. La première fois, il avait hurlé et littéralement grimpé à la plus proche colonne en couinant à l'agression. Depuis, il avait appris que la jeune femme lui évitait juste de se noyer. Comme il ne pouvait voir réellement ses gestes, c'était plus simple pour elle aussi bien que pour lui qu'elle reste près de lui pour l'aider. Et ça l'empêchait aussi de manquer se tuer d'une commotion cérébrale en se cognant contre les bords du bassin.
"- Mettez-vous sur le ventre." Boya roula dans l'eau pour obéir. "Maintenant que vous tenez sur l'eau sans difficultés on va vous apprendre à avancer." A sa grand honte, Boya ne savait pas nager alors même qu'il avait toujours vécu près de la mer. Mais l'apprentissage de la natation ne faisait pas partie du curriculum de JingYun.
Il passa l'heure suivante à apprendre à battre des jambes correctement puis à coordonner ses mouvements dans l'eau avec ceux de ses bras. C'était étrangement compliqué. Plus qu'il ne l'aurait imaginé. Mais lorsqu'il sortit enfin du bassin, ses muscles étaient agréablement mous et fatigués.
"- Vous mangez suffisamment ?"
Meng JingFei était contente de voir la musculature du chasseur reprendre de la vigueur. Elle avait bien fondue pendant les mois qu'il avait passé à JingYun à ne pas faire grand-chose. La natation faisait tout travailler en même temps sans faire souffrir ses os et ses articulations qui avaient pris un coup à cause de son alimentation déficiente. D'ici à ce que Boya puisse nager seul, elle était sûr qu'il aurait également assez raffiné sa cultivation pour ne plus se prendre les murs du bassin.
"- Les guérisseurs ont encore modifiés mon alimentation. J'ai une espèce de sirop assez dégoutant à boire avec un vague gout de viande."
"- C'est un complément pour aider vos muscles à retrouver toute leur vigueur. C'est une bonne chose qu'ils vous en donnent maintenant. Ça veut dire que vos articulations ne souffrent plus."
Boya soupira de soulagement. Il était content de le savoir.
"- On a fini pour aujourd'hui. Allez-vous habiller, manger, puis aller vous coucher. Vous êtes épuisé."
Boya ne la contredis pas. Ses journées l'épuisaient autant que lorsqu'il était un tout petit shidi.
Il la remercia encore puis sortit de l'eau sous les roucoulements des femmes encore dans les bains. Au début, il en avait été choqué. Maintenant, il se contentait de les saluer avec un petit sourire moqueur
"- Mesdames… je vous prive de votre vision du paradis."
Les disciples éclatèrent de rire et se mirent à le siffler. Tout ça restait bon enfant. S'il avait vraiment fait des avances à l'une d'elles, ça aurait été gênant. Mais là ? C'était juste du jeu. Et si Boya en restait quand même très mal à l'aise rétrospectivement une fois qu'il était seul, il progressait. Après tout, il avait effectivement un cul tout à fait sympathique à regarder.
Une fois sec et le grand hall retrouvé, il resta perdu à la porte quelques instants jusqu'à ce qu'une petite main se glisse dans sa main libre. Il était si fatigué ce soir… Avec en prime une migraine à décorner un bouquetin des montagnes.
"- Viens, gege ! Je te guide !"
Un des petits shidi le guida jusqu'à une place libre parmi les maîtres. On lui remplis ses bols très vite.
"- J'ai l'air si épuisé que ça ?"
"- Je suis à deux doigts d'aller chercher Yin RenShu." Soupira le maître près de lui.
Boya ne se rappelait même plus son nom. Il ne reconnaissait pas la voix.
Il avala ce qu'on lui rajouta dans son bol sans se soucier de savoir s'il aimait ou non jusqu'à ce que son estomac le supplie d'arrêter.
"- Est-ce que quelqu'un peut m'aider à retrouver ma chambre ?" Les premiers jours, il n'aurait jamais osé demander d'aide. Maintenant, il était trop épuisé pour se risquer à tenter de retrouver ses draps seuls
"- Bien sûr, Boya."
"- Je n'arrive pas à remettre un nom sur votre voix, je suis désolé."
"- Xiong GuWei." Sourit le quadragénaire. "Ne vous en faites pas, vous finirez par vous souvenir de nous tous. C'est déjà compliqué quand on a ses yeux, je ne sais pas comment vous faites sans. A votre place, je resterai attaché à mon lit en hurlant de terreur."
Boya prit le compliment pour ce qu'il était.
"- Je n'ai pas vraiment le choix vous savez."
"- Non, j'imagine que non. Mais ça n'est reste pas moins remarquable. Et mon fils adore quand vous vous occupez de sa classe, ce qui ne gâche rien."
Ainsi donc, il y avait des familles contrairement à JingYun où ce genre de faiblesses étaient interdites. Il n'y avait pas que le chef de secte à avoir le droit d'avoir une famille. C'était… Agréable d'en avoir la confirmation.
Boya remercia son guide avant de s'enfermer chez lui. Il se laissa tomber sur son lit avec un gémissement.
Le sommeil l'engloutit sans qu'il n'ait le temps de se changer ou de méditer un peu.
Dans ses rêves, il se retrouva à jouer sur son dizi une mélodie qui ne le quittait pas depuis quelques temps.
Il fallait qu'il l'écrive.
Boya méditait.
Il s'était trouvé un petit coin dans un des très nombreux jardins du yin yang. Il ne savait pas comment ils étaient parvenu à avoir des jardins de glaces qui cohabitaient avec des jardins tropicaux mais c'était le cas. Le travail des sigils de cette secte était remarquable. S'il avait pu les apprendre, il en aurait salivé. Malheureusement, pour l'instant, il avait bien autre chose à apprendre. Il lui était encore parfois compliqué de se rappeler qu'il était là pour le reste de sa vie et qu'il n'était pas dans le nord en stage juste pour quelques semaines.
Boya était tombé sur ce jardin quasi oublié, perdu entre deux salles de classes et accessible uniquement par une porte à moitié cachée par une grande armoire remplie d'ardoises, de craies et de matériel pour les plus jeunes shidi. Il avait demandé un peu discrètement si quelqu'un connaissait son existence mais personne n'avait pu le diriger vers lui. Alors il en avait conclus qu'il était oublié en général. Ce qui expliquait son état de sauvagerie et d'abandon assumé. Ici, aucune serpette n'avait coupé une branche depuis des années. Le petit bassin à moitié caché par l'énorme saule pleureur était habité de carpes sans doute assez grandes pour lui manger une main et les insectes devaient être de la taille de son avant-bras. Même s'il exagérait sans doute un peu, il était heureux qu'il n'y ait pas de moustique à ses latitudes. Il n'avait aucune envie de se faire empaler par un dard de la taille de son auriculaire et de se faire pomper deux litres de sang à chaque voyage.
Dès qu'il le pouvait, Boya venait s'installer sur la large pierre chauffée par le soleil pour méditer dans le calme relatif de sa petite retraite. C'était ici qu'il pouvait travailler réellement sur sa cultivation.
Sans personne pour le guider dans ses idées sans doutes un peu tordues, il expérimentait de son mieux.
En général, il méditait en silence une petite heure puis prenait son dizi pour jouer tout ce qui lui montait aux lèvres et au doigts. Au début, il l'avait fait juste pour la musique puis y avait ajouté son qi. Sous son "regard", il voyait les fils de qi se lancer à l'assaut vain du vide autour de lui. Plus il jouait et plus ils allaient loin. Plus il jouait et plus ils étaient épais.
Plus il jouait, et plus ils étaient nombreux.
Depuis quelques jours, il tentait de redécouvrir un secret perdu dans les âges dont il avait appris l'existence pendant un des "cours" de He Shouyue. Il ne savait pas trop si c'était une plaisanterie ou si c'était réellement un secret oublié mais finalement, il n'en avait que faire. A JingYun aussi il en avait entendu parler mais toujours présenté comme des contes plus qu'une connaissance perdue. Le résultat était le même : c'était une bonne idée qui pourrait lui permettre de chasser à nouveau. En entendre parler ici aussi ne pouvait que le conforter dans sa décision.
Alors depuis des jours, Boya s'essayait à imaginer comment ouvrir son troisième œil.
Il écrivait toutes ses idées sur le tableau noir de son esprit mais ses compétences en sigil étaient bien trop limitées pour qu'il parvienne à ce qu'il voulait. Son qi se tordait sans savoir quoi faire. Non. Son qi se tordait pour lui obéir mais ne savait pas comment répondre à sa demande. Boya sentait une sourde chaleur sur son front lorsqu'il concentrait son qi là mais il n'arrivait jamais à aller au-delà.
Irrité, il se décida à aller demander de l'aide.
Ce n'était pas quelque chose qui lui était naturel. JingYun voyait les demandes d'aide comme une faiblesse. Alors le faire délibérément ? Toute l'éducation de Boya se rebellait contre même s'il le faisait de plus en plus lorsqu'il était physiquement diminué après une journée trop longue.
Il quitta son petit jardin avec un grognement. Une fois dans le couloir si froid par rapport au jardin tropical, il frissonna puis mit un instant pour réfléchir à son trajet. La bibliothèque était au centre du temple, au niveau communautaire principal. Il avait donc deux rampes à prendre pendant mille pas, tourner sur sa droite, prendre la rampe plus inclinée qui montait vers les cuisines, tourner à gauche, passer devant la salle communautaire des plus jeunes shidi puis encore à droite, trois cent pas et il serait devant les grandes doubles portes en métal.
Boya prit une grande inspiration. A cette heure de la journée, au moins, les plus jeunes étaient en classe et les plus vieux vaquaient à leurs devoirs. Il ne devrait pas trop avoir de problèmes.
En espérant que ce ne soit pas un vœu pieux.
Boya était content de lui-même. Vraiment.
Il ne s'était pas perdu et avait trouvé la bibliothèque sans aide. C'était la première fois !
Une petite victoire sans doute un peu pathétique, mais il était fier de lui-même.
Il fallait bien que quelqu'un le soit, non ?
Maintenant, le problème était de trouver les informations qui lui étaient nécessaires. Il grimaça avec irritation. De plus en plus, il ne contenait plus les expressions de son visage. A ne plus voir, il oubliait que les autres le pouvaient encore.
"- Boya Daren ? Avez-vous besoin d'aide ?"
"- A qui ai-je l'honneur ?" Soupira Boya, dépité. "Je ne reconnais pas votre voix. Je suis désolé."
"- Ho ! Ne vous excusez pas. Je suis Niu ReFan, l'un des archivistes."
"- Salutation, Niu ReFan. Je suis à la recherche de textes mais je ne sais pas réellement ce que je cherche." S'agaça Boya après lui-même. "Je suis désolé, je ne sais même pas si…"
"- Et si vous m'expliquiez ce que vous cherchez devant une tasse de thé ?"
Boya n'eut guère besoin de davantage pour suivre l'archiviste jusqu'à un petit bureau remplis jusqu'au plafonds de rouleaux. Il l'aida à s'installer pour ne pas faire tomber les piles de documents.
"- Je passe mon temps à classer les rouleaux qui arrivent, recopier ceux qui s'abiment et réparer ceux qui ne peuvent pas être recopiés. Nous sommes une douzaine à travailler ici mais le travail semble sans fin." Souriait le maître.
Il prépara du thé qu'il offrit à Boya non dans une tasse mais dans un gobelet fermé en bambou avec une paille. Niu ReFan buvait dans un conditionnement identique comme Boya pouvait l'entendre aspirer dans sa paille.
"- Pour éviter les accidents si je renverse du thé."
"- Très ingénieux !"
"- Mais pas autant que votre encre. Tous les rouleaux qui doivent être recopiés le sont avec maintenant, vous savez." Boya se sentit légèrement rosir. Vraiment ? Il n'aurait pas cru. "Vous n'êtes pas le seul à avoir besoin d'aide. Les plus vieux maîtres qui commencent à devenir aveugles à cause de l'âge vous en sont très reconnaissants."
Boya n'avait pas vraiment pensé que quelqu'un d'autre pourrait réellement apprécier l'idée mais en était content.
"- Alors, dites-moi tout."
"- He Shouyue ne cesse de me taquiner avec une idée."
"- Taquiner ? Harceler vous voulez dire."
"- Pour lui, je crois que c'est la même chose. J'ai une patience cumulative. Il va arriver un moment où je vais lui écraser mon poing dans la figure et il ne pourra s'en prendre qu'à lui-même."
Niu ReFan eut un petit reniflement amusé. Il n'ajouta rien, mais uniquement parce qu'il ne pouvait se permettre d'être davantage insultant envers le fils du patron. Mais il n'en pensait pas moins. Le jour où Boya craquerait et lui referait le visage à la phalange, pas mal de monde allait applaudir. Fangyue parmi les premiers.
"- Et avec quoi vous taquine-t-il ?"
"- Avec la notion de troisième œil."
"- Ho ! Je vois… D'après les légendes, c'était une technique qui existait, mais elle s'est perdue il y a bien longtemps et personne ne l'a retrouvée depuis. Vous voulez vous y essayer ?"
"- J'ai bien le temps pour ça, non ?" Railla Boya.
"- Je vois, je vois… et bien… Je n'ai rien qui me vienne à l'esprit comme ça, mais c'est à ça que servent les index croisés."
Niu ReFan laissa Boya là où il était un instant puis revint avec un énorme livre indexé.
"- Alors… Troisième œil…" L'archiviste chercha longuement dans son bouquin. Il nota quelques références puis le reposa.
"- Vous avez quelque chose ?"
"- J'ai les références des index à consulter pour peut-être avoir des informations. Je reviens."
Le même manège se répéta plusieurs fois jusqu'à ce qu'il revienne avec un tout petit livre de contes qui ne faisait que quelques pages.
"- Pour l'instant, je n'ai que cela à vous proposer."
Boya ne put cacher sa déception.
"- Celui-là a été recopié avec votre encre. J'ai quelques autres rouleaux, mais il faudra que je vous les recopie avant."
"- Je suis désolé, je vous donne du travail."
"- Je suis là pour ça. C'est juste du travail de copie basique, je vais mettre mes apprentis dessus. Revenez d'ici une semaine et j'aurais tout."
Boya s'inclina profondément pour remercier.
"- Celui-ci vous remercie pour votre aide et votre générosité."
"- Ne voyez pas les choses comme ça, Boya Daren. Si vous parvenez à retrouver ce secret disparu, des milliers de chasseurs pour les siècles à venir en profiteront. Des centaines de vies en seront sauvées. Vous faites le plus compliqué. Moi, je me contente de vous sortir des vieux papiers." Mais Boya ne pouvait quand même que remercier chaleureusement. "N'hésitez pas à venir travailler ici. Vous le pouvez, vous savez ? Et vous aurez plus facilement quelqu'un pour vous lire quelque chose si vous ne restez pas dans votre coin."
Boya rosit légèrement sous le gentil grondement.
"- Je suis un solitaire et JingYun m'a appris à ne jamais demander d'aide."
"- Et ce sont des idiots qui vous en fichus dehors juste pour un bête problème physique. Comme quoi… Revenez ici quand vous voulez d'accord ?"
Boya remercia une fois de plus, prit le petit livret puis regagna sa chambre. Le petit conte était court, à peine quelques pages. C'était plus de la poésie qu'autre chose mais Boya put le lire en activant l'encre avec son qi. Celui qui l'avait recopié avait une calligraphie parfaite ou presque. Ce n'était pas comme ses propres pattes de mouche quasi illisibles.
Il lut et relut le conte jusqu'à ce qu'il soit l'heure pour lui de partir à son cours avec son shixiong Shao Zhiqiang. Le petit livre lui avait donné des idées. Maintenant, il allait devoir les mettre en pratique.
Il était impatient de voir ce que l'archiviste trouverait d'autre.
