C'était un de ces jours difficiles pour Boya. Ce genre de jour où il ne supportait rien ni personne, où utiliser son qi lui faisait presque mal, où réfléchir le blessait aux larmes et où les seuls sons qui voulaient passer ses lèvres étaient des hurlements.
Boya s'était réveillé avec les tempes bourdonnantes, les méridiens irrités et même son Node doré lui donnait l'impression de vouloir le brûler de l'intérieur.
Il lui avait fallu méditer longuement avant de pouvoir simplement se lever sans que la douleur n'explose dans chacun de ses muscles.
Boya savait ce qui lui arrivait mais ce n'était pas pour ça que c'était particulièrement agréable. Il avait déjà eu des "crises" pareilles quand il était plus jeune. Comme n'importe quel cultivateur de JingYun, lorsque le niveau de cultivation passait un certain seuil, les limiteurs qui étaient placés sur les enfants à leur arrivée devaient céder un à un. C'était une mesure de protection pour les disciples. En tout cas, c'était ce qu'on lui avait toujours dit. Le premier limiteur se déchirait lorsque le Node doré se formait. Le second lorsque le Node doré commençait à rayonner, le troisième… C'était le huit ou neuvième limiteur que Boya déchirait ainsi. Il ne savait pas combien il y en avait mais il espérait que c'était le dernier. Jamais la douleur n'avait été aussi forte.
Un petit sanglot lui échappa. Son Node était tellement occupé à ronger le limiteur qui le retenait de s'auto-consommer avant qu'il ne soit prêt à contrôler ses forces que Boya n'avait plus aucun des avantages de sa cultivation pour quelques jours. C'était comme s'il était un médiocre mais avec un creuset en fusion au fond du ventre qui le rongeait de douleur.
Les sons lui faisaient mal, la lumière lui faisait mal, l'air le blessait.
Il voulait juste se rouler en boule au fond de son lit et pleurer de douleur jusqu'à ce qu'elle passe et que le limiteur soit totalement détruit.
Sa canne s'échappa soudain de ses doigts gourds et tremblant. Elle tomba sur le sol avec force bruit qui lui déchirèrent les oreilles. Boya ne put que hurler de douleur.
Son cri attira évidemment du monde.
On l'aida à se redresser puis on le porta jusqu'à l'infirmerie. Il allait finir par y avoir un lit à son nom à ce rythme.
L'enfant qui avait demandé à son shishen de le porter s'était arrêté à la porte de l'infirmerie.
"- Je vais prévenir Zongzhu !"
Yin RenShu remercia l'enfant qui fila avec son shishen pendant que le guérisseur soupirait de revoir son client aussi vite.
"- Je vais finir par vous garder comme apprenti, Boya Daren. Au moins comme ça, vous apprendrez à soigner vos propres bobos."
Mais Boya n'était pas en état de lui répondre ou même simplement de le comprendre. Il avait juste mal, Mal, MAL !
Yin RenShu l'examina avant de jurer. On lui fit boire de force quelque chose pour l'endormir. Boya accepta le liquide avec reconnaissance.
L'inconscience fut comme une vieille amie lorsqu'elle le happa très vite. Trop vite.
Lorsque Zhong Xing se précipita à l'infirmerie avec Gold Spirit et Fangyue sur les talons, le maître guérisseur avait été forcé d'ouvrir le ventre du chasseur. Il avait du sang jusqu'aux coudes.
"- Yin RenShu…."
"- J'ai besoin d'aide. Il perd ses forces plus vite que je ne peux les recharger."
L'apprentie de Yin RenShu était blême. Elle aidait aussi bien pour l'opération que pour recharger les forces déclinantes du jeune homme.
Le chef de secte et son épouse se précipitèrent pour aider. Gold Spirit avait filé pour aller chercher des maîtres assez fort pour venir aider en transfusant une partie de leur qi à Boya pour l'empêcher de mourir pendant l'opération.
Yin RenShu continua à s'acharner les mains dans les tripes du jeune chasseur pendant un moment avant d'en sortir un petit bout de chair putréfiée et un petit anneau noir couvert de symboles dorés.
Dès qu'il eut retiré les deux des chairs de Boya, Zhong Xing sentit l'aspiration de qi s'interrompre et les énergies du jeune homme se stabiliser. Yin RenShu finit de nettoyer l'infection pour referma. Avec l'aide des maîtres présent pour aider, Boya était hors de danger lorsque le soleil se coucha.
Zhong Xing laissa Gold Spirit avec son élève pendant que les anciens de la secte étaient convoqués pour parler de ce qui venait de se passer. Et surtout de l'objet maudit que le guérisseur avait retiré de son ventre et qui avait failli le tuer en se brisant.
Boya se sentait groggy lorsqu'il se réveilla ENCORE à l'infirmerie. Une main se posa immédiatement sur son épaule pour le rassurer.
"- Vous êtes à l'infirmerie, Boya Daren. Vous avez failli mourir mais vous allez vous remettre très vite."
"- Gold… Spirit ?" Qu'est ce qui s'était passé ? Il avait juste passé une limite de sa cultivation. Il n'avait pas failli mourir, qu'est-ce qu'il racontait ?
"- Boya Daren ? Comment vous sentez vous ?" la voix de Yin RenShu était calme, comme toujours mais Boya sentait une certaine tension dans sa voix.
"-… Bien ?"
"- Bien bien ou bien pour que je ne m'inquiète pas ?"
"- Non, je me sens vraiment bien. Reposé. Un peu groggy mais… bien…" Comme si une taie cotonneuse autour de lui s'était déchirée. Comme à chaque fois que sa cultivation passait un palier. C'était normal. "Comme à chaque fois."
"- …. Comment ça comme à chaque fois ?"
Boya voulu se redresser. Gold Spirit l'y aida immédiatement sur un signe du guérisseur.
"- Et bien… A chaque fois que j'ai passé un niveau de cultivation et qu'un limiteur cède, c'est toujours comme ça ?"
"- Un limiteur ?" La voix de Yin RenShu était tendue comme une ligne de pèche avec un gros silure au bout.
Boya ne sut quoi répondre.
"- Vous ne mettez pas des limiteurs sur les disciple ici ? Pour éviter qu'ils ne se blessent ?"
"- Non Boya. Nous n'avons pas de ça ici." Zhong Xing était calme. Trop calme. Boya avait appris depuis déjà quelque temps que plus Zhong Xing était calme dans une situation comme celle-là, plus il était crispé en vrai. "Peux-tu nous éclairer ?"
Boya accepta docilement la tasse de thé qu'on lui mit entre les doigts. Il la but tout aussi docilement.
"- Lorsqu'un nouveau disciple arrive à Jing Yun, la première chose qui est faite est de tatouer la marque de la secte sur sa nuque. Elle est brulée au fer rouge lorsque le disciple arrive à racheter sa dette. Ou lorsqu'il est vendu ailleurs." D'ailleurs, la sienne n'avait jamais été brulée. Si jamais il retournait à la Capitale, n'importe qui pourrait utiliser cette marque pour le renvoyer à JingYun le cas échéant.
"- Nous avons retiré le tatouage à ton arrivée, Boya." Rassura Yin RenShu. "Avec moins de dégât qu'un fer rouge." Il suffisait de faire disparaitre l'encre, ce n'était pas très compliqué après tout. Mais ce n'était pas la question.
"- Ho… Merci… Vous l'avez remplacé par quoi et où ?"
Zhong Xing, Gold Spirit et Yin RenShu échangèrent un regard.
"- Ce n'est pas la question pour l'instant, Boya."
"- Ho… Après le tatouage, un ancien lance un sort sur chaque enfant pour les protéger de leur propre cultivation après lui avoir fait avaler un limiteur. Être un chasseur est dangereux. Il peut arriver un moment où l'on va trop loin. Avec ça, on ne risque pas une déviation de qi. Ni de chuter et de se transformer en démon." Avec leur mode de vie agressif, c'était un risque.
"- …. Je vois…." Yin RenShu était trop neutre dans sa réponse pour qu'elle soit sincère.
"- Régulièrement, lorsque la cultivation passe un palier, le limiteur s'ouvre un peu plus. C'est assez douloureux, mais ça ne prend que quelques jours. Ça faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé."
Un long silence fut la seule réponse qui fut offerte à Boya avant que Zhong Xing trouve la force de lui expliquer.
"- Boya… Le limiteur qui était sur toi. Il a failli te tuer."
"- … me tuer ?"
"- Boya, il a fallu t'opérer pour le retirer."
On lui mis dans la main un petit anneau en métal. C'était bien un limiteur. Il en avait vu avant qu'ils ne soit implanté à des jeunes disciples. Le plus dur était de les avaler. Heureusement, quand il était encore neuf, ils étaient souples. Avec un verre d'eau, ça passait bien.
"- Cette petite chose s'était lentement resserrée autour de ton appendice jusqu'à le faire pourrir. C'est pour ça que tu avais mal. Tu étais au bord de l'infection complète du ventre. Il a fallu opérer pour retirer cette chose et couper la chair nécrosée." Expliqua Yin RenShu d'une voix douce.
"- Les anciens ont eu le temps d'étudier cette chose, Boya. Son mode de fonctionnement est… Particulier."
Boya restait silencieux. Il ne comprenait pas exactement. Mais ce qu'il comprenait, c'était que JingYun l'avait trahis une fois de plus.
"- … Ce n'est pas du tout pour protéger les disciples n'est-ce pas ?"
"- Boya…" La voix de Zhong Xing était désolée.
"- Cette chose s'anime lorsque le Node doré d'un disciple s'allume." Expliqua froidement le guérisseur. "Plus le disciple croît en force et plus cette chose abime ses intestins. Avec la cultivation du disciple, les dégâts restent mineurs et sous contrôle. Mais à mesure qu'il croît en force, le sortilège s'en nourrit pour le blesser de plus en plus… Tu n'as pas souvenir de disciple qui soit mort pendant qu'une de ces "limites" se soit brisée ?"
"- … Si… Ça arrive… Assez souvent…. Ce n'est pas un limiteur n'est-ce pas ?"
"- D'une certaine façon, si. Les blessures infligées par cette chose croissent en proportion de la capacité à s'en soigner en permanence." Soupira le guérisseur. "Et lorsque le qi croit trop et trop vite…"
"- Les blessures infligés s'aggravent brutalement. Et si le disciple n'a pas la force de le dépasser et d'adapter sa cultivation aux blessures nouvelles… Il meurt." Boya souffrait visiblement d'apprendre la vérité.
"- Et comme dans ton cas, si la cultivation devient vraiment puissante, le maléfice est prévu pour tuer tout court. Même un cultivateur puissant ne peut survivre à la rupture de ses intestins dans son ventre."
Boya ferma les yeux. Il dut prendre une longue inspiration pour retrouver son calme.
"- JingYun fait en sorte que le pouvoir de son élite ne soit jamais remis en question par des disciples trop fort." Souffla-t-il enfin.
"- Boya… Je suis désolé." Murmura doucement Zhong Xing.
"- Ce n'est pas votre faute." Non, c'était la faute de celui ou ceux qui avaient mis en place cette politique de contrôle il y avait bien trop longtemps. Boya savait que cette pratique avait au moins trois siècles.
"- J'ai besoin de rester un peu seul, s'il vous plait."
"- Bien sûr, Boya."
Les maîtres se retirèrent un à un pour ne plus laisser que le guérisseur avec Boya. Il prit son poignet entre ses doigts une dernière fois pour vérifier son état puis le lâcha à son tour.
"- Reposez-vous Boya. Rien ne va jamais mieux au réveil, mais votre corps sera en meilleur état pour supporter cette mauvaise nouvelle supplémentaire."
Un petit sanglot échappa à Boya. Combien de fois allait-il se prendre de nouvelles trahisons en provenance de JingYun ? Il pouvait pardonner pour lui-même. Mais ses shidi ? Ses adorables petits élèves ? Combien d'entre eux avaient subi cette torture parce qu'il avait docilement obéit aux anciens en leur imposant des limiteurs sans savoir ce qu'il en était réellement ? Combien de ses petits shidi étaient morts parce qu'il ne savait pas ? Combien mourraient encore parce qu'il leur avait donné lui-même cet anneau de malheur à avaler à leur arrivée ?
Quelqu'un finit par s'asseoir sur le lit près de lui. Même s'il avait dit qu'il voulait être seul, la présence de Gold Spirit lui fit du bien.
L'esprit de chance ne dit rien. Il se contenta de rester là, près de lui, sans rien dire.
Qu'aurait-il pu dire de toute façon ? Il n'y avait rien à dire, ni rien à faire. Juste à accepter.
Ce n'était pas comme si Boya pouvait prévenir qui que ce soit. Ce n'était pas comme s'il pouvait sauver ses anciens frères de cette torture prévue pour les maintenir plus faibles que leurs oppresseurs.
Finalement, il renfonça sa peine au fond de son ventre pour ne laisser parler que la colère.
"- Je ne sais pas comment, mais je trouverai le moyen de les arrêter." Murmura-t-il, déterminé.
"- Je suis sûr que vous trouverez." Assura Gold Spirit avec douceur.
Boya se sortit du lit, les mâchoire serrées. Il était encore un peu instable sur ses jambes, mais il se sentait plus libre que jamais. Et ce n'était pas une question de maléfice ou de limiteur.
Une partie supplémentaire de ses attaches envers JingYun avait été détruite une fois de plus.
Un jour, il serait réellement libre d'eux.
Un jour.
"- Shao Zhiqiang!"
"- Boya ! "
Descendre dans les profondeurs de la secte prenait toujours du temps à Boya mais il commençait à moins se perdre. Il ne le savait pas, mais quelques juniors avaient eu l'idée lumineuse de proposer aux anciens d'utiliser le principe de son encre avec de la peinture pour l'appliquer sur les murs par petites lignes et touches pour guider ceux qui en avaient besoin et de repeindre les lignes texturées avec quand elles existaient déjà sur les murs. La proposition était à l'étude chez les anciens. D'ici quelques semaines, Boya aurait de quoi se diriger complètement seul dans les couloirs principaux de la secte, au soulagement larmoyant de plusieurs anciens qui ne sortaient quasiment plus de peur de se perdre seuls.
Xiao PaoMo laissa sa place à Boya pour pousser la chaise de son maître. Puisque son maître était entre de bonnes mains, il lui demanda quelques heures pour lui-même ce que Shao Zhiqiang lui accorda avec plaisir.
"- Ça lui fait du bien de pouvoir avoir un peu de temps pour lui. Il s'inquiète toujours pour moi au point de se négliger. Ça fait des semaines qu'il n'a pas pu réellement aller nager."
Boya eut un petit sourire. Nager… Il aimait ça de plus en plus. Un gros soupir inconscient lui échappa. La vie lui était douce en comparaison avec JingYun. Presque trop. Boya avait eu du mal à trouver sa place, à savoir comment apprendre, quoi apprendre, et c'était sans compter sa relation plus que sportive avec He Shouyue mais il était… Non heureux mais content. C'était plus qu'il ne l'avait espéré depuis cette dernière chasse calamiteuse.
Si seulement He Shouyue pouvait grandir un peu, son séjour dans le nord aurait été parfait. Le jeune homme se comportait vraiment comme un sale môme. Il avait commencé par maltraiter Boya dans l'espoir qu'il finirait comme les autres par demander une réaffectation. Le traiter d'infirme et d'esclave blessait Boya mais il devait tellement à Zhong Xing qu'il serrait les dents et faisait des efforts pour se comporter en adulte.
Pour l'instant, il n'avait pas perdu son calme mais uniquement parce qu'il pouvait passer sa frustration sur son apprentissage avec Shao Zhiqiang. Son ainé était un très bon professeur sans compter qu'apprendre quelque chose à un adulte déjà entrainé était plus aisé qu'à un enfant de six ans. Même si Boya ne voyait rien.
Ici, tout le monde était prêt à l'aider ou presque mais ce n'était pas pour ça qu'il devait ennuyer tout le monde. Même les maîtres et les séniors qui l'avaient passés à tabac quelques mois avant avaient fini par faire l'effort de chercher à le connaitre. Il s'entendait relativement bien avec eux maintenant. Sa relation était encore assez froide avec le maître qui avait perdu ses deux shishen à cause de lui, mais là aussi, il y avait non une certaine détente mais au moins une ignorance polie. Le maître avait réussi à séduire un nouveau shishen et se comportait mieux avec lui. Il avait appris sa leçon.
Malgré ses progrès, Boya s'en voulait toujours du travail supplémentaire qu'il donnait à Niu ReFan qui croulait déjà sous le boulot.
"- Comment évolue ton bouclier ?"
"- J'ai du mal avec."
Boya poussait la chaise jusqu'au bureau de son shixiong, dans les cavernes intérieures. Il n'y avait que très peu d'escaliers dans la secte. Heureusement une fois encore que tout était en pente douce. Les tours de glace et de pierre étaient d'énormes colimaçons sans fin, sans réellement d'étage. Pour Boya, c'était souvent difficile de savoir à quelle hauteur il se situait dans la secte. Il n'y avait pas de volée d'étage à compter. Mais pour son professeur et ami et certains shishen, c'était une nécessité.
"- Qu'est ce qui te bloque, didi ?"
"- L'aspect émotionnel je crois. J'arrive à lancer le sort, j'ai le qi pour ça sans aucune difficulté mais… Mon bouclier s'étouffe tout seul. Je n'arrive pas à l'étape d'expansion."
Son shixiong hocha la tête.
"- Ha. Oui. Je vois. C'est un problème connu. Le bouclier fonctionne par le désir de protéger quelqu'un de tout son cœur. En tout cas les premières fois. Mais pour ça, il faut que tu ais quelqu'un de vivant à protéger. Qui utilises-tu ?"
"- J'ai essayé avec ma mère et mon Shifu. Avec ce dernier ça marche un peu mieux mais le bouclier explose en quelques secondes."
"- Mais tu arrives à l'expanser."
"- Oui, sur une largeur d'avant-bras environ."
"- Ne t'inquiètes pas, didi. Ça viendra." Rassura Shao Zhiqiang.
Boya soupira doucement.
"- Qu'est ce qui te troubles ? Ne me dit pas rien. Je vois sur ton visage que quelque chose ne va pas."
C'était le soucis depuis que Boya avait perdu la vue. Il ne voyait pas les visages des gens autour de lui et oubliait que eux voyaient le sien.
"- C'est He Shouyue." Encore.
Toujours.
Il était la première chose à laquelle il pensait le matin et la dernière le soir quand il allait se coucher.
Zhong Xing avait demandé à Boya de faire quelque chose pour son fils mais il n'arrivait à rien.
C'était usant.
Alors Boya culpabilisait.
"- Qu'est-ce qu'il a encore fait."
"- Toujours les même insultes, il tente de saboter mes efforts. Si je n'apprenais pas de toi, je n'aurais pas avancé. Il prend un malin plaisir à me dire tout et son contraire."
"- Il est peut-être juste un très mauvais pédagogue." Mais Shao Zhiqiang était dubitatif.
Boya secoua la tête.
"- Non, c'est au-delà de ça. Je suis aveugle, mais le perçoit les modifications de son qi. Il fait exprès. Il aime me voir peiner. Il prend plaisir à mes erreurs. Et quand je n'arrive pas à faire ce qu'il me demande, il me menace de me faire chasser."
"- Il ne peut absolument pas le faire. Seul son père et l'intégralité de tous les anciens ensemble le peuvent. Et il les a tous tellement saoulés qu'il y a plus de chance que ce soit lui qui soit mis dehors que toi."
Boya et Shao Zhiqiang restèrent silencieux un moment. Malgré sa cécité, Boya avait assez apprit les lieux pour pouvoir aider son Shixiong dans une certaine mesure. Il pouvait lui faire du thé, ranger sommairement le bureau qui dégueulait de paperasses diverses et introduire les fournisseurs et les maîtres ou les séniors qui voulaient soit vendre leurs produits, soit demander un pack de mission avant de partir.
Les deux hommes étaient handicapés, mais dans ce bureau que l'un connaissait par cœur et que l'autre commençait à maitriser, leurs handicaps n'avaient plus la moindre importance.
Ils travaillèrent en silence un petit moment puis Shao Zhiqiang se lança dans un de ses petits quizz dont il avait le secret. Boya ne pouvait rien lire qu'il n'ait écrit lui-même, ou en tout cas rien qui n'ai été écrit avec l'encre qu'il avait développé. alors tout son apprentissage se faisait oralement. Ça marchait heureusement très bien. Boya avait tout son entrainement de fashi derrière lui pour avoir une mémoire efficace et précise.
Après de nouveaux tests, Zhong Xing avait été tellement satisfait de son encre , il lui avait demandé la permission de la déposer et de l'utiliser. Boya avait été perplexe. Il l'avait offert à Zhong Xing avec la recette. Alors pourquoi lui demander quoi que ce soit sur quelque chose qui ne lui appartenait déjà plus ? Le chasseur était content que tout soit à présent écrit avec son encre dans la secte, mais il n'avait pas conscience que Zhong Xing avait décidé de faire enregistrer l'invention pour vendre l'encre, maintenant produite par hectolitres dans les cavernes inférieures, aux autres sectes et aux divers monastères de l'empire. Les moines aveugles étaient innombrables, pouvoir lire à nouveau était un miracle pour eux.
Boya ne réalisait pas non plus qu'il touchait un pourcentage sur chaque vente. Zhong Xing aurait pu en prélever la petite fortune que Boya lui "devait" mais il voulait que le jeune homme ait la satisfaction de payer lui-même le rachat de sa lettre de créance. Enfin, quand Boya serait au courant. Bien sûr.
"- Parfait ! Tu connais la théorie. Maintenant, il faut juste que tu trouves ce qui te manques pour l'utiliser. Et là, je ne peux rien faire pour toi" Souriait largement son ami.
Boya eut malgré tout un petit sourire content.
Il progressait.
Boya était retourné à la Bibliothèque. Il n'était pas là pour harceler les archivistes mais maintenant qu'il savait que des livres avaient été recopiés à sa nécessité, il s'était découvert une faim incroyable pour de nouvelles connaissances.
Dès qu'il le pouvait, dès que la fatigue de ses méridiens, surtout, le laissait avec assez d'énergie pour pouvoir lire, il venait quel que soit l'heure du jour ou de la nuit. Comme le reste du temple, tout y fonctionnait en permanence. La nuit était un peu moins active, mais active quand même.
C'était pour ça que Boya était recroquevillé dans "son" coin, à moitié allongé dans le noir avec un livre sur le ventre, très occupé à lire un traité sur le développement des talismans depuis la création de la secte.
Chacun des quatre temples principaux avait sa spécialité. Si celle de JingYun était la chasse et la maltraitance de ses membres, celle du yin yang était la coopération et les talismans. Cette double capacité s'était élargie jusqu'à la création des portails, du bouclier et du sort de lien avec un shishen. Tout découlait de cela et des recherches de leurs fondateurs, plusieurs siècles auparavant.
Comme Zhong Xing le lui avait déjà dit, le temple s'était installé là parce que la vallée n'était revendiquée par personne mais sous la protection tacite de leur voisin démoniaque.
Boya ne savait pas quelles tractations avaient eu lieu pour que les fondateurs obtiennent du Seigneur Anbei l'autorisation de s'installer sans une guerre mais le Temple et le Domaine vivaient en bonne intelligence. De ce que Boya lisait, il n'était pas rare que les deux s'échangent des informations, voir des connaissances. Une bonne partie des sigils que Boya tentait d'apprendre contenaient au moins des radicaux de structures indéniablement démoniaques. Pourtant, ils travaillaient en parfait équilibre avec la structure plus conventionnelle que les humains y avaient intégrés.
Boya s'allongea carrément sur la méridienne sur laquelle il était installé. Il tira la couverture en fourrure posée sur le dossier pour réchauffer ses jambes, glissa un bras derrière sa tête et resta à observer la nuit sans fin qu'était sa vision lorsqu'il ne faisait pas l'effort de se concentrer dessus. Il y avait tellement de choses qu'il voulait apprendre. Tellement de connaissances qu'il souhaitait engranger.
Il voulait pouvoir prouver qu'il n'était pas inutile.
Un gros soupir lui échappa.
Il ferma les yeux pour les reposer. A utiliser son qi en permanence sur sa vision, il savait qu'il créait de force des ersatz de méridiens jusque dans ses yeux, mais la chose était longue et douloureuse parfois. Il ne comptait pas le nombre de migraines qu'il avait déjà eu.
Le rouleau lâchement tenu entre deux doigts, il s'assoupit à moitié sous sa couverture, bercé par le bruit du vent qui hurlait comme toujours à l'extérieur, un peu étouffé par la neige qui tombait comme d'habitude.
Lorsque des bruits de pas se firent entendre non loin, son cerveau les enregistra sans le réveiller plus que ça. Il était à l'abri. Ici, personne ne viendrait lui reprocher quoi que ce soit. Il n'était plus à JingYun où une telle offense lui aurait valu au moins deux heures à genoux dans les arènes d'entrainement avec les mains sur la tête.
C'est finalement le bruit de rouleaux qui tombent au sol suivit de lourd jurons qui le réveillèrent en sursaut.
Le chasseur se frotta les yeux par reflexe pour éclaircir sa vision avant de se souvenir que ça ne servait à rien.
"- Il y a quelqu'un ?"
Les jurons s'interrompirent comme coupés dans leur élan. Le silence s'étira de longues secondes sans que Boya ne se résolve à se lever pour aller vers la source du bruit et la voix. Était-ce un fantôme ? Il y en avait dans tous les temples un peu ancien. Il était juste rare qu'ils se montrent.
"- S'il vous plait, s'il y a quelqu'un, présentez-vous. Je ne peux pas vous voir."
Sans qu'il le sache, un prédateur s'était silencieusement rapproché de Boya et l'observait avec une curiosité évidente. Ainsi donc, c'était ça la nouvelle recrue du yin yang. Et dire qu'il lui avait échappé. C'était d'une tristesse.
"- Bonsoir ?"
Boya sursauta lourdement. Sa main se posa machinalement là où aurait dut se trouver son épée.
"- Bonsoir."
"- Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous effrayer. Je ne pensais même pas qu'il y avait quelqu'un ici à cette heure."
"- Qui… Quelle…" Boya voulait poser toutes les questions en même temps.
La voix inconnue était douce et tranquille, si infiniment tendre qu'il se sentait se détendre malgré lui.
"- Je suis Yuan Boya. Anciennement de JingYun. Et vous ?"
"- Pardonnez-moi, je manque à tous mes devoirs. Je suis Abe no Seimei."
