"- Sha ShengShi…"
"- Il se souvient de moi ! GEGE ! IL SE SOUVIENT DE MON NOM !"
Une boule de neige sortie de nulle part s'écrasa en plein sur la face du démon de pierre.
"- SNOW GEGE !" Il boudait.
La démone gloussa.
"- Excusez ShengShi-di. Il n'a pas rejoint le Domaine depuis très longtemps et n'est pas le shishen du Seigneur Anbei depuis très longtemps non plus. Il est encore un peu euphorique de sa situation. Il sera calmé dans quelques mois."
Boya ne comprenait pas trop comment un démon pouvait être le shishen d'un autre démon mais… Il avait entendu que c'était possible mais le savoir ?
"- Comment quelqu'un peut-il accepter d'être volontairement l'esclave d'un autre ?" Vraiment, il ne comprenait pas ? Lui qui avait lutté si longtemps contre son propre esclavage était révulsé par cette idée.
"- YUAN BOYA !"
"- Il faut que j'y aille."
Sha ShengShi s'assit sur le banc à sa place pour attendre son retour. Il aurait pu lui expliquer mais ils ne se connaissaient pas assez pour ça. Ils ne se connaissaient même pas du tout. Boya avait cherché à le tuer bien longtemps avant. C'était le genre de chose qui créait des liens et la raison qui avait poussé son maître en l'encourager à aller vers le chasseur. Mais à part ça ?
Boya revint en grimaçant sur son banc. Il était encore qualifié pour le tour suivant mais avec quatre points de retard sur le premier. La cible était deux fois plus petite, le centre également. Ça devenait difficile pour lui ainsi. Même avec l'arc magnifique qu'il avait, l'objet n'était pas encore assez chargé de son qi pour être une véritable arme spirituelle éveillée. Il faudrait encore des mois et des mois d'usage pour ça. He Shouyue avait perdu, à sa grande satisfaction mesquine.
"- Je vais vous laissez avec votre conquête, Yuan Boya. AIE ! Mais c'est qu'elle frappe fort en plus !"
"- Et je peux mordre aussi, tu sais ?"
"- Des promesses, toujours des promesses…."
Sha ShengShi détala sous la colère de la démone.
"- Excusez-le. Il est insupportable en ce moment. Un vrai gamin."
Boya se contenta de calmement secouer la tête. Il tentait de garder un masque impassible mais il lui était difficile de le faire quand il était en si étroit contact répété avec des démons. Et que ces démons se comportaient davantage comme des shidi mal élevés que comme des monstres écumants qui voulaient juste tuer des gens pour se nourrir.
"- Vous ne mangez pas d'humain ?"
La démone faillit en tomber à la renverse. Pendant une seconde, elle se demanda si c'était une insulte mais réalisa que non seulement l'humain était sérieux, mais qu'il était honnêtement curieux.
"- Il y a peu de démons qui s'attaquent naturellement aux humains pour les manger vous savez. Il n'y a que quelques parasites, quelques criminels comme vous en trouvez chez les humains. Ou par praticité. Mais des démons supérieurs qui ne vivraient que pour se nourrir d'une façon ou d'une autre des humains…. Vous devriez en parler au Seigneur Anbei vous savez. Si quelqu'un connait toutes les espèces de démons qui existent ou presque, c'est bien lui. Il est très, très vieux. Je ne sais pas s'il y a plus de dix démons plus vieux que lui dans tout le Domaine. Alors il devrait pouvoir vous répondre." Il y avait de l'affection et de la fierté dans sa voix. "Le Seigneur Anbei sait tout ou presque."
Boya ressentit l'affection de la démone pour celui qui les protégeaient tous depuis longtemps. Elle l'aimait comme on aime un grand oncle protecteur et affectueux. Mais elle l'aimait.
Boya n'avait pas eu de contact extensif avec des démons mais à chaque fois que le sujet du Seigneur Renard venait sur le tapis, il ressentait la même affection chez tous ses sujets. Contrairement à l'Empereur qui régnait autant par la loi des us et de la coutume que par la peur et une poigne de fer, le Seigneur Anbei semblait aimé de ses sujets et ne pas hésiter à marcher dans la boue à leur coté sans se soucier que des taches maculent ces robes.
C'était étrange pour Boya qu'un souverain soit ainsi aussi proche de la plèbe.
Il resta silencieux à réfléchir à la chose un long moment. Plus il en apprenait sur le Domaine et plus il en venait à estimer que l'Empire était retardé. C'était… Un changement de paradigme presque douloureux pour un chasseur comme lui. Ceux qui avaient été ses ennemis de tout temps parce qu'on lui avait appris à les considérer comme des monstres étaient plus civilisés que les humains pour une bonne part.
C'était… Perturbant à minima.
Il sursauta quand une petite main douce se posa sur son poignet.
"- On vient de vous appeler pour les quart de finale."
Boya sauta sur ses pieds. Ils n'étaient plus que deux en lice. S'il gagnait les quart et qu'il gagnait la demi-finale, la finale aurait lieu dans quelques jours, juste après la finale à l'épée.
On le conduisit dans sa ligne.
Il se concentra, attendit qu'on lui donne le signe de tirer puis décocha sa première volée de flèches.
Lorsqu'il retourna s'asseoir, il soupira doucement.
"- C'est déjà un exploit d'être allé aussi loin, Yuan Boya." Sourit la démone.
"- La seule chose qui me console, c'est que He Shouyue a échoué avant moi." Il était aussi affreusement fier de voir un petit shidi de dix ans avoir réussi à se hisser jusqu'en demi-finale.
Lorsque le bambin gagna, il l'applaudit autant que les autres. L'enfant allait être le héros de son dortoir.
Le Seigneur Anbei s'agenouilla devant le petit disciple.
"- Voilà une prestation impressionnante mon garçon. Comment as-tu gagné une telle maitrise à ton âge ?"
Le petit haussa les épaules.
"- Mon petit frère devait bien manger. Après la mort de nos parents et avant qu'on arrive ici, il n'y avait que moi pour le faire manger. Alors j'ai appris à tirer à l'arc. On progresse vite quand on a pas le choix."
L'explication pleine de calme de l'enfant éclata comme une bulle d'humilité au-dessus de tous les spectateurs présents. La froide réalité de l'existence pendant cette parenthèse un peu folle qu'était les jeux était toujours une gifle douloureuse pour tous.
"- On a pas le choix en effet." Sourit doucement le Seigneur Démon avec douceur. "Quand tu seras un peu plus grand, si tu le souhaites, je suis sûr que tu profiteras grandement de quelques semaines passée sur mon Domaine avec ton petit frère."
Le visage trop sérieux de l'enfant s'éclaira soudain comme celui du petit garçon insouciant qu'il aurait dû être.
"- C'est vrai ?" Il se prosterna devant le Seigneur Anbei. "Merci ! Je ne vous décevrai pas !"
Le renard le fit se relever, toujours en souriant.
Un certain malaise remonta soudain dans le ventre de Boya.
Est-ce que le Seigneur Anbei invitait ainsi toujours tous ceux qui montraient des compétences hors normes ? Est-ce que ces jeux n'avaient finalement comme d'autre but que de révéler les disciples les meilleurs pour les mettre sous sa coupe ? Pour les éliminer ? Autre chose de plus malsain ?
Boya avait soudain envie de vomir. A avoir grandi à JingYun, il ne pouvait que voir des complots partout malgré son dégout de la chose. Dans une situation comme celle qui se déroulait devant ses yeux, il ne pouvait qu'imaginer milles évènements tous plus écœurant les uns que les autres. Ou sanglant.
Si l'enfant n'avait pas paru aussi follement content et qu'il n'y avait pas eu une absence totale de protestation des maîtres du yin yang autour qui écoutait, Boya se serait vraiment inquiété.
Là, il ne pouvait que ressentir un vague malaise qu'il peinait à comprendre et plus encore à extrapoler.
Il préféra rester silencieux, ses doigts crispés sur sa canne.
Quelqu'un tapa très fort dans ses mains.
C'était l'heure de déjeuner. Il ne s'était écoulé que la matinée ?
Boya avait l'impression d'être debout depuis déjà des heures et des heures.
Allait-il avoir la force de jouer de la flute ensuite ?
Son shixiong vint le chercher pour le pousser à l'une des tables du grand hall pour qu'il se restaure.
"- Je suis très, très fier de ta performance, Boya. C'était remarquable ! D'ici à l'an prochain, tu seras en finale, j'en suis sûr."
Boya n'était pas mécontent de son résultat, au contraire. Pour le peu de temps qu'il avait eu pour prendre en main l'arc que son Shifu de JingYun lui avait fait passer par Abe no Seimei, ses résultats étaient même remarquable.
"- Tu as vu Abe no Seimei ? Il faudra que je le remercie pour l'arc. C'est lui qui me l'a transmis."
Son shixiong tressaillit près de lui.
"- Tu ne devrais pas trop faire ami-ami avec lui, tu sais. Il est… Bizarre. Pas dangereux, enfin… Si, mais pas pour nous. Mais il est surtout bizarre. Il fait des choses incompréhensibles, il sait des choses…."
"- Peut-être qu'il saurait comment ouvrir mon troisième œil ?" Boya piétinait depuis des semaines sur le concept.
Son Shixiong le prit sèchement pas les épaules.
"- Boya. Passe du temps avec lui si tu veux. Mais ne lui demande rien. S'il te plait, ne lui demande rien."
"- Shixiong."
"- Il n'est pas de notre temps, Boya. Et tu ne veux pas avoir une dette envers lui. Tu ne sais pas ce qu'il pourrait te demander pour la rembourser."
Il y avait de la crainte dans la voix du jeune homme en partie paralysé.
"- Qu'est-ce que tu voudrais qu'il fasse ? C'est un maître du yin yang."
"- Boya… Certains pensent qu'il était là avant même la secte."
"- Oui, qu'il en serait un des Fondateurs, je sais." Tout le monde connaissait cette rumeur.
"- Certains pensent… Certains pensent qu'il y avait un autre temple ici avant. Le temple d'un dieu oublié depuis bien des éons. Et que Abe no Seimei en est le dernier prêtre."
Boya renifla avec amusement. Qu'est-ce que c'était que ces bêtises encore.
"- Boya. Je ne plaisante pas. Ne lui demande rien. Ne contracte pas de dette envers lui. Il est DANGEREUX."
Le chasseur se sentit hocher lentement la tête sans le vouloir. Il écouterait. Peut-être.
"- Je…."
"- HE SHOUYUE ! RETIENT CETTE CREATURE !"
Boya bondit sur ses pieds.
Qu'est ce qui venait de se passer ?
Le shishen de son shixiong chargea son maître dans ses bras pour le porter près de la commotion. Boya posa sa main sur l'épaule du grand démon loutre pour qu'il le guide dans la foulée.
Ils tombèrent sur une scène surréaliste.
Le Seigneur Anbei, le visage glacial et fermé tenait dans son poing le shishen de He Shouyue et l'écartait de son visage.
Le Serpent se tordait en sifflant avec colère pour se dégager sans succès.
"- QU'EST-CE QUI C'EST PASSE ?" Le rugissement de Zhong Xing fit s'écarter l'attroupement.
Alors seulement ceux qui étaient arrivés avec un peu de retard purent voir un jeune disciple du bureau serrer très fort contre lui un petit esprit avien qui avait perdu par mal de plumes et qui tremblait très fort, à moitié caché dans les robes de son petit maître.
"- IL A VOULU MANGER MON SHISHEN !" Hurlait l'enfant, à moitié hystérique.
Fangyue se précipita pour prendre l'enfant contre elle.
"- Pff ! Il ne lui aurait pas fait de mal ! Il voulait juste s'amuser un peu à lui faire peur."
"- IL LUI A FAIT MAL ! JE SAIS QU'IL LUI A FAIT MAL !"
Il y avait des petites marques rondes de brulures chimique sur le dos du petit esprit oiseau.
Le Seigneur Anbei tenait toujours le Serpent à bout de bras qui avait cessé de vouloir l'attaquer et le mordre pour s'enrouler autour de son bras et serrer, serrer le plus fort qu'il pouvait pour qu'il soit forcé de le lâcher s'il ne voulait pas perdre son bras.
"- HE SHOUYUE ! DISCIPLINE TON SHISHEN !" Rugit son père, scandalisé au dernier degré. Comment pouvait-il se comporter ainsi ? C'était une blague ! Mais surtout un outrage et une catastrophe diplomatique.
He Shouyue finit, la lippe boudeuse, par ordonner à son shishen de se calmer et de relâcher le Seigneur Démon. Il ne devait pas attaquer non plus.
Le Serpent se rebella bien un peu contre les ordres de son maître mais finit par obéir.
Alors seulement le démon renard le posa au sol. He Shouyue se précipita pour le prendre dans ses bras et le cajoler. Malgré tous les travers du jeune homme, au moins aimait-il son shishen. C'était ce qui donnait de l'espoir à sa famille. C'était peu mais…
Fangyue évacua le petit disciple hystérique de peur et de la douleur de son shishen.
Zhong Xing attrapa son fils par l'oreille et l'entraina avec lui pour qu'ils aient une petite discussion tous les deux entre père et fils d'abord, mais surtout entre Chef de Secte et Disciple. Ce que He Shouyue avait laissé faire à son shishen était une honte.
Le Premier Disciple se confondait en excuse auprès du Seigneur Démon.
Boya ne voyait pas son visage pincé de contrariété mais il sentait son qi agressif et irrité rouler autour de lui comme une vague glaciale et brûlante à la fois qui lui mettait les nerfs à vif.
Boya se frotta douloureusement le front. Cette débauche de qi l'aveuglait et lui faisait mal à la tête tout à la fois.
Il allait s'éloigner lorsque le son délicat d'un Xiao se fit entendre. Là où le qi agressif du renard était douloureux, la musique fut très vite comme un baume sur ses sens malmenés.
Il soupira très vite de soulagement. Non seulement la musique calmait l'irritation de ses sens et de ses méridiens, mais elle calmait aussi la colère du Seigneur Anbei. A mesure que la musique douce les caressait tous de ses notes apaisantes, le calme finit par se rependre comme une douce mousseline sur le grand hall.
"- Il est temps d'aller déjeuner." Boya connaissait cette voix mais ne se rappelait plus le nom.
Elle était sèchement autoritaire mais douce en même temps. Boya savait qu'il avait une voix identique quand il s'occupait des plus jeunes shidi. Il était doux avec eux mais ne souffrait pas les bêtises. Celui qui venait de jouer du Xiao et de sa cultivation pour les calmer par sa musique venait de faire la même chose. Le rythme même de sa voix était utilisée comme un instrument pour transmettre son qi et manipuler les réactions émotionnelles autour de lui.
"- Qui est-ce ?" Murmura doucement Boya à son Shixiong.
"- Je ne sais pas. Je ne l'ai jamais vu. Sa description me parle mais…"
Pourtant, un esprit avec les bras couvert de tatouages comme celui-là, ça ne se trouvait pas sous les ailes d'une poule.
L'ambiance était tendue pendant le repas.
La colère qui roulaient du côté du Seigneur Anbei était sensible pour tout le monde.
Boya avala péniblement sa salive, incapable d'avaler quoi que ce soit d'autre. Le renard démon était fort, il le savait. Mais sentir sa colère ainsi ? Il en frémissait encore et encore. C'était comme si quelqu'un lui faisait glisser des glaçons dans le dos sans le prévenir.
Zhong Xing n'était guère plus heureux de la situation mais parvenait à conserver son calme d'apparence.
Fangyue s'était retirée avec son fils. Le jeune homme avait également été exclu des jeux pour son comportement.
Zhong Xing voulait parler au shishen de son fils dès que Fangyue aurait terminé de faire connaitre son déplaisir le plus profond à leur rejeton. Avait-il lancé son shishen sur celui du jeune disciple ? Ne l'avait-il juste pas retenu ? S'en fichait-il ?
Le pauvre petit était étroitement serré dans les bras de son shixiong, un garçon déjà grand de dix-sept ans qui le couvait de son mieux. L'esprit avien n'avait pas été sérieusement blessé heureusement mais plusieurs de ses rémiges avaient été cassées. Il n'allait pas pouvoir voler pendant des semaines.
Gold Spirit s'approcha d'eux. Il avait à la main un petit panier remplit d'outils bizarre.
Personne ne disait rien mais tout le monde surveillait étroitement ce qui se passait.
Le second shishen de Zhong Xing discuta avec l'esprit-oiseau quelques minutes, jusqu'à ce qu'il accepte d'abandonner les bras de son maître pour ses genoux.
Gold Spirit travailla longuement sur ses plumes. Il ne pouvait les réparer totalement mais entre la colle, les longues plumes qu'il avait dans son petit panier, le papier épais et le fil de soie, il parvint à redresser les plumes abimées, les coller entre elles suffisamment pour qu'elles ne s'abiment pas plus et permettre au petit esprit de voler. Ce ne serait pas un vol gracieux ni très long, mais au moins ne serait-il pas cloué au sol le temps que de nouvelles plumes poussent pour les remplacer.
Le petit disciple sauta au cou de l'esprit de chance.
"- Merci gege"
Gold Spirit serra l'enfant contre lui pour le rassurer. Tout allait bien aller.
Dans son coin, Boya écoutait tout ce qui se passait puisqu'il ne pouvait rien voir.
Un soupir lui échappa. Ses bons résultats au tir l'avaient mis de bonne humeur et voilà que tout était gâché à cause de cet imbécile de He Shouyue.
Vraiment, il ne comprenait pas ce qu'il pouvait avoir dans le crâne. Qu'est-ce qu'il espérait à la fin ? C'était surement ce qui l'irritait le plus. Quel était le but de He Shouyue de se comporter ainsi ? Et pourquoi personne ne l'avait repris en main plus tôt ? A son âge, c'était déjà fichu. Il finirait par se faire tuer d'avoir agacé la mauvaise personne. Et de ce que Boya sentait, il n'était pas exclus que ce soit le Seigneur Anbei qui finisse par régler le problème.
Le chasseur regrettait de ne pouvoir avoir vu exactement ce qui c'était passé. Lui qui révérait la force aurait aimé pouvoir juger le renard démon à l'aune de ses actions.
Là, il ne pouvait que subir son qi glacial et brûlant à la fois qui lui mettait les nerfs à vif.
Le xiao se fit soudain entendre à nouveau. La musique était une fois de plus douce et délicate.
Son shixiong se pencha à son oreille.
"- C'est un Harmoniste qui joue. Il utilise sa musique avec son qi."
Boya haussa les épaules.
"- C'est juste de la cultivation musicale." Il n'était pas capable de faire la même chose, il n'avait pas l'entrainement pour ça, mais il en avait et en comprenait les bases.
"- Tu devrais lui demander de t'apprendre tu sais ?"
Boya se renfrogna immédiatement. L'idée lui plaisait assez, il devait l'admettre. Mais demander de l'aide à un esprit ? un démon ? Il y avait une différence entre accepter une aide offerte de bon cœur et demander quoi que ce soit. Surtout à un démon. Qui savait le prix qu'il devrait payer pour cette aide ? Zhong Xing le lui avait déjà proposé mais il rechignait toujours. Pourquoi tout le monde le poussait vers ça ?
"- Tous les démons ne sont pas des monstres tu sais." Boya refusait d'entendre d'un autre ce qu'il était en train d'apprendre.
Ça lui était déjà suffisamment difficile comme ça parce qu'il commençait à culpabiliser quand il s'y penchait vraiment. C'était plus facile de simplement socialiser sans réfléchir à ce qu'ils étaient et à ce qu'il avait fait.
Les démons étaient des monstres. Il l'avait appris. Et voyait lentement la vérité. Ils l'étaient mais surtout dans le royaumes humains finalement. Ceux qui ne pouvaient se conformer aux lois du mondes des démons cherchaient leur chance et leur salut dans celui des humains. Là, personne ne pouvait les forcer à suivre des règles d'un domaine bien trop lointain. Tant qu'ils ne se faisaient pas attraper par des chasseurs humain, la fête était ouverte. A moins que ce ne soit la chasse ? Les deux ?
"- Je n'ai encore tué personne." Rappela Boya.
Ce qui était réellement un bel effort de sa part.
Son Shixiong renifla, peu convaincu.
"- C'est bien le minimum."
Et il y avait encore la question du shishen.
Boya se tortilla encore un peu sur son coussin, encore plus mal à l'aise. Que pouvait-il dire à son ami ? Qu'il avait peur ? Son shixiong n'avait que faire de sa peur. Il serait le premier à lui balancer un coup de pied dans les fesses pour le forcer à avancer, comme il l'avait fait l'avant-veille pour le forcer à se battre. Le résultat était là bien sûr… Mais la méthode était quand même fort brutale et peu respectueuse de ses limites aussi bien que de ses sentiments.
Heureusement, le disciple plus âgé laissa tomber.
Boya se surpris à regretter que Abe no Seimei ne soit pas là pendant ces jeux. Il aurait pris plaisir à discuter avec lui de ce qui lui était arrivé. De ce qui se passait.
De ce qu'il découvrait encore et encore. Boya ne savait pas pourquoi il oscillait si fort entre ses réactions passées et davantage d'ouverture avant de revenir en arrière. C'était… Harassant.
La musique lui fit fermer les yeux pour l'écouter davantage. Un soupir silencieux lui échappa. Comme les autres, il se sentait plus calme et détendu.
Le joueur de xiao avait usé de sa magie sur eux tous pour les forcer à laisser s'évacuer la colère et la rancœur.
Boya trouva encore un peu de place à remplir dans son estomac. Il n'était plus aussi tendu. Surtout, le Seigneur Anbei n'émettait plus autant sa colère et son irritation partout autour de lui.
Le Seigneur démon eut un soupir silencieux lui aussi. Il avait mal à la tête et souhaitait juste aller se rouler en boule dans sa tanière. La journée avait mal commencé, mal continué et promettait d'être absolument affreuse dans les heures à venir.
Heureusement, la fin de journée devrait être plus tranquille. Il ne restait que les épreuves pour les musiciens avant que le soleil ne se couche. Une fois que le soleil aurait disparu derrière les montagnes, il serait l'heure pour tous de fabriquer leur lanterne de papier avec leur vœux et de l'envoyer vers les cieux.
C'était le moment des jeux préféré du démon renard. Le plus poétique aussi.
Dès que la cloche sonna la fin du déjeuner, les musiciens gagnèrent l'hémicycle intérieur de la secte. C'était l'endroit où l'acoustique était la meilleure et tout le monde pourrait s'asseoir.
Pendant que les musiciens s'affronteraient, ceux qui pratiquaient la sculpture s'occuperaient dans les cavernes inférieures.
Ce n'était pas prévu à la base mais plusieurs musiciens participaient aussi pour la calligraphie et la peinture. Il avait fallu modifier l'ordonnancement de la journée en catastrophe. Sans compter que la plus part des enfants n'étaient intéressés par aucun des trois. Par contre, la sculpture était bien plus à leur gout. Avoir les mains dans la glaise, voir des copies de leurs amis ou des animaux apparaitre là où des masses informes de terre s'étaient tenues avait quelque chose de magique pour eux.
Ce qui expliquait pourquoi il n'y avait quasiment aucun des plus jeunes parmi les spectateurs pour la musique.
Boya était fatigué.
L'arc lui avait épuisé les bras. Il aurait préféré que la musique reste au lendemain mais…
Au moins pour ça, son talent n'avait pas été affecté.
Il s'assit dans un coin et attendit qu'on l'appelle.
Les yeux clos derrière son bandeau, il se laissa bercer dans le jeu des autres avec un plaisir réel. Pour quelques-uns, il sentit leur timide tentative, généralement inconsciente, d'utiliser leur qi avec leur musique.
Il n'était pas encore passé mais il savait déjà qui allait gagner lorsqu'il entendit le son délicat du xiao. Puis un ehru presque aussi remarquable le remplaça. Un dizi ensuite, puis un autre ehru. Un guqin, puis un autre. Un xiao et un autre dizi, puis se fut son tour.
Le conçurent précédent le guida jusqu'au centre de l'amphithéâtre pour qu'il puisse s'installer tranquillement.
Boya le remercia puis porta son dizi à ses lèvres. L'instrument les effleura à peine sans qu'il ne sache quoi jouer. Pourtant, une première note plaintive s'éleva, douce et déchirante. Boya ne savait pas ce que ses doigts et ses lèvres jouaient. Il improvisait une balade douce et triste, si chargée de peine qu'il fut reconnaissant d'avoir un bandeau sur ses yeux pour absorber les larmes qui sinon auraient coulées sur ses joues. Il improvisait totalement mais mettait sa peine à nue devant ces gens qu'il ne voyait pas parce que la musique était un médium plus naturel pour s'exprimer pour lui que parler. Il mit naturellement son qi dans son jeu. Ho, pas beaucoup, bien moins que ce qu'il utilisait lorsqu'il chassait, mais juste assez pour que ces auditeurs les plus fragiles pleurent avec lui. Heureusement qu'il n'y avait pas d'enfant finalement. Les pauvres bambins auraient été désespérés dans les bras de leurs shixiong.
Boya cessa finalement son improvisation en laissant mourir une note déchirante comme ses anciens ainés de secte avaient laissés mourir ses frères pour de bêtes considérations de politique, comme si leur vie n'avait pour eux pas la moindre valeur.
La voix du juge principal était un peu serrée lorsqu'il appela le dernier participant qui commença par aider Boya à quitter sa place au milieu de l'amphithéâtre pour le laisser à Zhong Xing qui posa ses mains sur ses épaules.
"- Boya ? Ça va ?"
Le chasseur renifla lourdement.
"- Je ne sais pas ?"
La musique qui l'avait noyé peinait à l'abandonner. Il entendait encore à ses oreilles la peine dans les sons qu'il tirait de sa flute autant que la douleur de l'absence que lui causait la perte de ses frères.
On le fit s'asseoir sur un banc puis on retira gentiment son dizi de ses doigts pour le passer à sa ceinture avant qu'il ne proteste. Puis on prit ses poignets pour vérifier l'état de ses méridiens. Boya était tellement perdu en lui-même qu'il était incapable de savoir qui ou quoi l'examinait.
"- Seigneur Anbei ?"
"- Il a abusé de sa cultivation. Il va lui falloir un peu de repos mais il ne s'est pas blessé. Qui est votre professeur de cultivation musicale ?"
"- Nous n'en avons pas." Rappela Zhong Xing.
Le renard démon resta silencieux un instant.
"- Faites le manger. Quelque chose de chargé en yang. Il aura besoin aussi de se détendre. Je suis sûr qu'il aura assez de compagnie nocturne pour lui éviter toute surcharge de ses méridiens."
Si Boya avait été un peu moins flottant, il aurait sans doute affreusement rougit. Là… Il ne comprenait pas vraiment l'allusion.
Lorsqu'il finit par reprendre pied, les juges finissaient de délibérer. On avait mis une fourrure sur ses épaules et un chauffe-main entre ses doigts.
"- Boya, tu te sens mieux ?"
Le jeune chasseur était un peu honteux. Il s'était perdu dans sa musique comme ça ne lui était plus arrivé depuis des années. La première fois qu'il avait joué les appâts, il avait failli se perdre. Mais depuis, il avait toujours fait bien attention. Les coups de fouet lui avaient fait perdre l'envie de faire n'importe quoi. Eusse-t-il été encore à JingYun que son dos aurait été en sang pour la petite démonstration qu'il avait fait.
"- Ha, je suis désolé, je me suis laissé aller."
"- Ne t'excuse pas, Boya. C'était magnifique." D'une peine infinie et d'une tristesse qui aurait serré le cœur d'un démon de glace, quoi que l'image était stupide. Xue TianGou avait pleuré comme un veau pendant que Boya jouait.
"- Ils vont donner les résultats."
Sans surprise, le gagnant était le démon qui avait joué du Xiao. Kuang HuaShi. Boya connaissait ce nom. Il ne connaissait pas grand monde mais il avait rencontré celui-là. Le second était un nom qu'il connaissait aussi. Sha ShengShi. Le shishen était partout !
Le troisième…
On lui tapa sur l'épaule.
"- Bravo Boya !"
"- Boya Daren, nous aurions pu vous placer premier." Expliqua le juge après qu'il eut finit de donner l'ordre de tous les participants.
Boya serrait ses prix entre ses doigts. Ce n'était pas grand-chose, juste un kilo de bonbons au miel, un rouleau de soie et un service à thé de voyage dans sa housse.
"- Vous auriez été premier si votre cultivation musicale ne vous avez pas échappé. La même chose contrôlée, et vous auriez gagné."
Son shixiong lui tapa encore rudement sur l'épaule. Boya sentait sa fierté.
Boya baissa le nez, honteusement fier. Il s'inclina respectueusement pour remercier, sans trouver une parole.
"- Entrainez-vous, Boya Daren. Vous avez un talent rare qui mérite d'être entrainé et développé."
Cette fois, Boya parvint à remercier à voix haute.
Il était troisième. Il n'avait pas gagné, mais il avait le potentiel de gagner.
Il avait réussi à se battre.
Il avait réussi à tirer ses flèches.
Il n'avait pas été dernier dans aucune des deux épreuves.
Boya ne retrouverait sans doute jamais le niveau qui avait été le sien ici. Mais il n'était pas totalement incompétent. Il avait d'autres possibilités qui s'ouvraient devant lui.
Ce serait dur mais…
Pour la première fois depuis qu'il avait rouvert les yeux sur l'obscurité, il se voyait avec un réel avenir qui ne serait pas aux crochets de sa secte. Zhong Xing avait beau lui dire qu'il n'était pas un boulet, c'était comme ça qu'il se sentait.
Jusque-là.
"- Je… Je vais aller ranger tout ça." Murmura-t-il.
Boya fuit presque. Il s'éloigna le plus vite possible avec sa canne comme seul guide pour retrouver la sérénité et surtout la solitude de sa chambre.
Dans son dos, Kuang HuaShi le vit partir avec regret. Il aurait aimé lui proposer de lui apprendre. Mais ils étaient encore là pour quelques jours. Il avait le temps.
