Chapitre 21

Il y avait quelque chose d'étrange dans l'air de la secte nord. C'était quelque chose que Boya avait remarqué très vite après son arrivée.

Il ne savait pas si ça venait des lieux, de l'altitude, des gens, ou de quelque autre mystère insondable de l'existence, mais il y avait quelque chose.

Il ne pouvait comprendre autrement comment les gens du nord pouvaient être à ce point tactiles et affectueux sans qu'il n'y ait là quelque sombre sorcellerie pour l'expliquer.

Sinon, comment un aveugle handicapé comme lui pourrait-il se retrouver dans son lit avec une demoiselle de chaque côté de lui ?

Il avait cru se cacher dans ses appartements pour avoir du calme après être arrivé troisième en musique. Il était resté seul une petite heure avant qu'on ne vienne toquer à sa porte. Il avait été des plus surpris que la jeune démone qui était venu lui faire de timides avances dans la matinée pendant le concours d'archerie soit devant lui. Quand elle avait demandé à entrer, il l'avait laissé faire.
Par politesse, il lui avait proposé du thé. Il avait un service à thé maintenant après tout !

Comment avait-il finit pour le laver et le préparer pour un premier service avec son aide, il n'en avait aucun souvenir. Mais il se souvenait très clairement de leurs mains qui s'étaient pas mal touchées, des caresses de ses doigts à elle sur les siens… Comme sa précédente conquête de la veille, elle avait été très ouverte sur ce qu'elle attendait de lui. Il n'avait pas été moins ouverts sur ses désirs et ses limitations.

Il n'avait jamais couché avec une démone. Il avait eu besoin qu'elle le rassure. Elle n'était pas là pour le dévorer.
Etrangement, il avait accepté sa parole.

Lorsqu'on avait toqué à nouveau à sa porte, il était déjà torse nu et une disciple de la secte attendait qu'il lui ouvre.

Qu'est-ce que les deux femmes s'étaient silencieusement dit en s'échangeant quelques regards en utilisant cette capacité mystique qu'avaient les femmes de parler entre elles sans rien dire, il n'en avait pas la moindre idée.
Mais il s'était très vite retrouvé entre les deux à discuter de ce qu'il acceptait ou non de faire avec deux demoiselles en même temps. Malgré son expérience, c'était une situation inconnue pour lui qui l'émoustillait grandement. Il avait un peu râlé de ne pas pouvoir voir les deux demoiselles s'embrasser entre elles. Même s'il pouvait l'imaginer tout à fait, ce n'était pas pareil et il s'était désolé de rater ça, au grand amusement de ses amantes d'une nuit.

C'était finalement facile de découvrir les plaisirs du sexe pour ce qu'ils auraient dû être et non comme une prestation tarifée comme l'avaient été la très grande majorité de ses étreintes depuis son adolescence au point qu'il y était devenu totalement indifférent. Il avait appris tout ce qu'il fallait pour satisfaire une dame mais n'en avait jamais réellement profité pour son propre plaisir avant la veille.

Il ne dura pas très longtemps lorsqu'on lui fit découvrir ce qu'était une fellation autrement que dans un livre. Heureusement qu'il était un fashi avec l'endurance que ça sous-entendait. Ses amantes étaient elles aussi bien plus résistantes et exigeantes que de simples humaines.

Au moins, Boya devait reconnaitre que l'expérience lui avait agréablement sortit la tête des idées un peu noires que son improvisation musicale avait fait remonter à la surface.

Le chasseur n'était réveillé que depuis peu lorsque ses partenaires d'une nuit commencèrent à bouger contre lui.

"- Bonjour Boya Daren."

"- Bonjour Gao Song, Yin ZhiLan Daren."

Les deux femmes caressèrent avec délectation son torse et ses abdominaux musclés, un peu comme s'il était un doudou offert à leur caprice. Elles mirent un peu de temps à se réveiller pour de bon. Comme Boya était lui aussi encore un peu somnolant malgré tout, il en profita tout autant qu'elles.

Lorsqu'il proposa un peu timidement par quelques caresses qu'ils passent tous les trois leurs appétits du matin, il reçut avec plaisir leur approbation quelque peu endormit.

"- La baignoire est assez grande pour trois." Finit par remarquer Boya lorsque la sueur de leurs nouvelles étreintes eut refroidie sur leurs corps.

Ils s'y prélassèrent tous les trois encore un petit moment. Les jeux du matin avaient commencés mais Boya s'en fichait un peu. Que lui importait la calligraphie ou la peinture ?

Il profitait de cette matinée tranquille avec deux adorables jeunes femmes dans ses bras.

Lorsqu'ils se séparèrent enfin, chacun pour repartir chez soi pour elles et pour la bibliothèque pour lui, Boya se sentait agréablement reposé et satisfait.

Le sexe, tout au moins ses avantages physiques contre la dépression à défaut d'un plaisir qui jusque-là lui était plus ou moins étranger lui avait manqué, il fallait qu'il l'accepte.

Peut-être pourrait-il se mêler un peu plus aux disciples de son âge lorsque les démons seraient repartit ? il n'avait jamais rien eut d'un moine. Maintenant que sa libido avait été éveillée à la sensualité et plus simplement à son aspect mécanique, elle ne se rendormirait pas comme ça, il en était certain.

Si l'une de ses sœurs martiales l'avait trouvé à son gout une fois pour autre chose que juste le mater dans les bains en plaisantant de sa plastique parfaite, sans doute d'autres seraient intéressées malgré ses yeux morts.

Il n'y avait pas besoin de voir pour utiliser sa langue, ses doigts ou son pénis après tout.

Et comme il ne pouvait voir le visage de ses amantes elles n'avaient pas vraiment à se soucier qu'il aille claironner partout qu'il avait couché avec l'une ou l'autre. Ce n'était de toute façon pas son genre, mais il connaissait des disciples de JingYun qui adoraient se vanter de leurs exploits et de leur tableau de chasse. Et il ne parlait pas des démons que ses frères martiaux avaient tués. Plus du nombre de fleurs qu'ils avaient obtenus.

Boya n'osait espérer qu'aucune n'avait été arrachée de force mais il était tellement écœuré par son ancienne secte qu'il n'aurait pas été étonné plus que ça.

Maintenant qu'il était seul dans ses appartements, Boya prit le temps de choisir ses vêtements de la journée. Ses cuirs avaient été remisés pour être nettoyés dès qu'il aurait trouvé de l'huile pour ça.

Comme il ne pouvait voir les couleurs de ses vêtements, tous ceux qui lui avaient été donnés étaient identiques à peu de choses près. Les coupes en tout cas étaient toutes similaires. C'était des robes de nordiques, juste un peu plus moulantes que celles que portaient les disciples ordinaires. Les couleurs allaient toutes ensembles aussi Boya pouvait-il prendre n'importe quelle robe de dessous avec n'importe quelles robes intermédiaires et n'importe quelle robe de dessus, tout allait ensemble. Plus ou moins bien sûr, mais rien d'irritant pour l'œil ou de choquant.

Il enfila ses bottes de tous les jours, cacha ses cheveux encore trop courts avec une natte de crins qu'il pouvait camoufler avec une épingle à cheveux épaisse pour tenir la natte en place puis hésita à prendre une arme quelconque. Il renonça. Au pire, il avait sa canne et ne voyait pas trop qui pourrait tenter de l'attaquer. A part peut-être He Shouyue et ses sycophantes ? mais le jeune homme avait été fortement grondé la veille. Boya doutait qu'il tente encore de faire n'importe quoi dans cette situation.

Lorsqu'il quitta sa chambre, la secte était calme. La plus part des gens étaient dans l'amphithéâtre, les cavernes inférieures ou les arènes.

Boya profita de la joie simple d'avoir les couloirs pour lui ou presque, et surtout de ne pas être aveuglé par les qi des puissants démons et esprits qui avaient envahis les lieux depuis des jours.

Le bourdonnement permanent des voix était plus lointain également, ainsi que les odeurs multiples et inconnues de corps et d'espèces qu'il ne connaissait pas.

L'agression constante des sens que Boya subissait depuis des jours lui pesait plus qu'il ne s'en était aperçut.

A présent qu'il en était libéré pour quelques minutes, il mesurait l'épuisement constant de son qi que cette surcharge sensorielle lui causait. Il avait presque peur de se retrouver encore au milieu de la foule. Il savait que son Node doré avait crut encore depuis qu'on l'avait libéré des limiteurs qui l'oppressait, mais devoir utiliser son énergie pour filtrer ses sens surchargés n'était pas très agréable.

Boya suivit le chemin qu'il connaissait si bien à présent pour son petit jardin caché entre deux bouts de mur. L'air y était toujours tiède, la végétation exubérante, les carpes venaient toujours se frotter à ses doigts quand il plongeait sa main dans le petit bassin abandonné et les insectes n'étaient pas des piqueurs. Ils voletaient un peu autour de lui en vrombissant, mais ils s'éloignaient finalement pour retourner à leurs activités normales.

Boya y resta jusqu'à ce que la cloche de la mi-journée appelle les membres de la secte pour le repas de midi.

Le retour à la civilisation fut presque comme une gifle pour le chasseur.

Le grand hall était submergé de gens, tant et si bien que Boya dut se coller le dos au mur pour régner sur le tsunami de sensations qui le submergea une fois de plus. Il allait se laisser engloutir lorsqu'une main aux longs doigts fins se posa sur son poignet. La présence unique oblitéra tout le reste. Elle était immense mais unique. Boya retrouva sa propre existence au milieu de la multitude. Il s'accrocha à la présence pour se barricader mentalement un peu plus étroitement. A avoir été seul et au calme, il avait laissé ses défenses s'abaisser sans réaliser qu'il ne les avait pas relevées avant de revenir auprès des autres.

"- Comment vous sentez vous, Yuan Boya ?"

A… Il reconnaissait la voix maintenant.

"- Seigneur Anbei… Mes excuses, je me suis laissé submergé par pas grand-chose. Je suis navré que vous vous retrouviez régulièrement à me protéger de moi-même."

Le grand renard resta silencieux quelques secondes, comme mal à l'aise de quelque chose connu de lui seul avant de répondre.

"- Vous avez beaucoup à vous habituer. Je trouve déjà remarquable que vous n'ayez pas tenté de tuer qui que ce soit de ma suite."

"- C'eut été particulièrement mal élevé."

"- Mais compréhensible." Et c'était aussi pour ça que le vieux démon venait aussi facilement vers Boya quand il était submergé comprit soudain le chasseur.

Le Seigneur Anbei était bien assez fort pour le retenir si Boya devenait dangereux.

"- Marchez avec moi, voulez-vous ?"

Boya voulu protester. Il avait faim et…

Le Seigneur Anbei lui mit un bao bien chaud dans une main et un tube de bambou avec du thé dans l'autre.

Boya le foudroya du bandeau.

"- Vous êtes dangereux actuellement, Yuan Boya. Vous ne réalisez pas la pression de qi que vous mettez autour de vous ?"

Boya en resta bête. De quoi parlait…. Il suivit ses méridiens jusqu'à réaliser que le vieux démon avait raison. Il fuyait comme une outre percée. Il tenta de refermer l'hémorragie spirituelle mais n'y parvint qu'à moitié. Il savait ce que c'était. Ça arrivait régulièrement aux plus jeunes quand ils débutaient. Ce n'était pas grand-chose mais toujours ennuyeux. Quand c'était un enfant, c'était déjà désagréable pour les autres disciples autour, alors dans son cas à lui qui était déjà adulte avec un qi malgré tout stable et compact, il devait effectivement être presque douloureux d'être près de lui pour les plus jeunes.

Il se laissa guider jusqu'aux grands jardins de la secte.

Le Seigneur Anbei le guida jusqu'à un banc où ils s'assirent pendant que Boya mangeait. Il travaillait aussi à refermer la fuite de ses énergies.

"- Votre double prestation d'hier était remarquable." Souriait le démon renard.

Boya sentait les queues du renard s'agiter autour de lui. Il ne savait pas si elles étaient vraiment là ou s'il en sentait juste la présence fantôme mais la sensation était étrange.

"- Je… Merci."

"- D'ici l'an prochain, je suis certain que vous pouvez gagner aussi bien l'archerie que la musique."

"- Kuang HuaShi était remarquable."

"- C'est un très bon Harmoniste mais vous avez un certain talent pour l'improvisation."

Boya se sentit rosir.

"- Il n'y a pas de jeux à chaque fois que votre suite et vous venez ?"

"- Si c'était le cas, ni le yin yang ni moi ne ferions plus grand-chose d'autre."

La fête durait au total une grosse semaine. Comme le Démon renard venait avec sa suite au moins quatre fois par an, ce serait rapidement encombrant pour tout le monde.

Un second bao atterrit dans la main de Boya dès qu'il eut finit le premier.

"- Vous ne mangez pas assez pour ces latitudes, Yuan Boya. Vous êtes tout maigre. Il faut une certaine couche de graisse pour bien vivre le froid ici. " Il y avait du reproche et un peu d'inquiétude dans la voix du renard.

"- Je n'ai pas l'habitude de manger autant." Avoua Boya. "A JingYun, les quantités sont très limitées. Il faut payer pour manger davantage."

Un bruit étrange lui monta aux oreilles. Boya mit quelques secondes à comprendre que c'était le seigneur démon qui grinçait des dents.

"- Vous n'êtes plus dans l'Est, Yuan Boya. Mangez."

Docile, le chasseur avala une nouvelle bouchée du bao remplit d'une viande graisseuse absolument délicieuse. Il ne voulait pas savoir ce qu'il y avait là-dedans. Ni pourquoi il n'était pas davantage sur la défensive face au vieux démon.

Il n'avait presque plus le réflexe de tirer son arme dès qu'un non humain passait près de lui. Même avec un démon aussi puissant que le Seigneur Anbei près de lui, il avait juste une légère démangeaison des mains qui disparaissait bien vite.

Mais cette voix douce et profonde n'y était pas pour rien, Boya en était sûr.

"- Vous sentez vous mieux ?"

"- Oui, je vous remercie."

"- Je vous en prie. Vous appartenez à la secte nord à présent."

Boya resta perplexe. Que voulait dire ce commentaire exactement ? Ce n'était pas comme si la secte nord dépendait du Domaine du Seigneur démon n'est-ce pas ? Certes, ils vivaient en bonne intelligence et la secte ne serait pas là dans l'autorisation du Seigneur Anbei. Mais quand même… N'est-ce pas ?

Boya en ressentit un certain malaise.

"- Ne vous cassez pas trop la tête sur la politique du nord, Yuan Boya. Elle est aussi simple qu'elle est limitée. Nous ne sommes pas le palais impérial."

Un troisième bao apparut dans les mains de Boya. Le seigneur démon semblait apprécier grandement de le nourrir de la main à la main au lieu de lui donner le plat directement.

Boya mis cela sur son infirmité. Puisqu'ils n'avaient pas de table il lui aurait été délicat de trouver le plat sans risquer d'en mettre partout.

Il ne refusa pas davantage le quatrième bao et fut presque étonné qu'il n'y en ai pas un cinquième.

Le gâteau au lait et au miel par contre était inattendu. C'était le genre de sucrerie qu'il n'avait jamais pu gouter dans l'est.

"- Vous ne devriez jamais être privé de ce genre de petit plaisir" Murmura le vieux démon.

Boya se sentit rosir.

"- Ha. Le temple du yin yang est généreux, Seigneur Anbei." A mesure qu'il retrouvait son calme et son énergie, Boya retrouvait aussi le contrôle de son qi. Suffisamment pour qu'il ne soit plus une gêne autour de lui. "Je ne vais pas abuser de votre gentillesse plus longtemps." Boya s'inclina une fois debout. "Passez une bonne journée."

S'il ne s'enfuit pas, il détala quand même vitement, de plus en plus gêné par la proximité avec le seigneur démon.

Le Seigneur Anbei ne le retint pas.

Une fois seul, il ferma les yeux et inspira longuement les odeurs qui restaient autour de lui. La fragrance particulière qui était celle du jeune humain était délicate et absolument délicieuse pour le renard.

Il le regarda partir sans bouger. Il lui était difficile de ne pas se ruer sur lui pour le prendre dans ses bras et l'y garder.

"- Vous allez lui faire peur, Seigneur Anbei."

Le renard démon leva les yeux sur le démon arbre qui le regardait avec amusement. Il faisait partie des nombreuses protections que le renard avait laissé dans la secte lors de sa création. Ils étaient des dizaines de démons-arbre à vivre silencieusement dans les jardins de la secte et à la surveiller de l'intérieur.

"- Il est plus fort qu'il ne le croit lui-même."

He Shouyue boudait.

Depuis des semaines, il oscillait entre son orgueil et sa raison.

Assis sur son lit dans sa chambre, il caressait les écailles souples de son shishen.

Le serpent se laissait huiler avec délectation. La créature n'était bien aussi docile et affectueuse qu'avec lui. Dans leurs discussions silencieuse, le serpent l'appelait l'autre moitié de son âme. Ça avait toujours amusé He Shouyue. Son shishen était le seul qui le comprenait. He Shouyue s'était toujours débattu avec ce qu'il était. Avec qui il était. Ses parents n'avaient jamais compris sa sensibilité. Ils n'avaient jamais compris qu'il luttait pour ne pas succomber à la violence qu'il avait au fond du cœur. L'arrivée de son shishen l'avait à la fois soulagé et en même temps séparé des autres.

Sa brutalité, sa violence avec les autres, étaient une protection autant pour eux que pour lui. C'était aussi pour ça qu'il quittait si souvent la secte, en toute discrétion, pour noyer son mal être au milieu de réunions d'individus douteux qu'il méprisait totalement. C'était pour ça qu'il jouait avec les autres comme il avait l'impression que la vie elle-même se jouait de lui.

He Shouyue était un salopard mais un salopard qui acceptait d'en être un.

Et voilà qu'avait débarqué Boya.

Il voulait le haïr de toutes ses forces. Il y avait réussit. Malgré les efforts de Boya pour obtenir son respect.

Il avait joué de lui pour que son père le retire de sa vie le plus vite possible mais Boya s'était accroché.

Petit à petit, à son corps défendant, Boya avait fait son trou dans sa vie. Il le respectait avec un dégout aussi évident qu'il le respectait.

He Shouyue le haïssait autant qu'il était jaloux.

He Shouyue le voulait autant qu'il voulait qu'il parte.

He Shouyue était perdu et en souffrait.

C'était quelque chose que personne n'arriverait à croire, il le savait. Il n'était pas sûr de vouloir que quiconque le sache non plus.

Pendant que le reste du temple s'émerveillait des créations des uns et des autres, Boya avait fait retraite là où il était sûr qu'il n'y aurait personne en ce début d'après-midi.

Il ne se cachait pas vraiment des autres, il n'avait juste envie de voir personne. Enfin, voir personne… Il devait bien être le seul idiot à ricaner de sa propre bêtise.

"- Hola ?" Il patienta quelques instant puis appela plus fort. "Quelqu'un ?" Personne pour répondre.

Une fois sûr qu'il était totalement seul, il alla jusqu'aux vestiaires pour se déshabiller, se lava précautionneusement avant d'aller se glisser dans l'eau délicieusement chaude des bassins inférieurs de la secte. Depuis que la natation n'était plus obligatoire pour sa remise en état physique, il n'y venait quasiment jamais alors qu'il avait adoré apprendre à nager. Il se laissa aller, appuyé sur le bord du bassin pour ne pas perdre la ligne de vie qu'était pour lui le muret. A ne rien voir, il pourrait nager en rond jusqu'à épuisement sans même s'en rendre compte. Ho bien sûr, il pourrait toujours faire la planche et se laisser flotter jusqu'à ce que quelqu'un vienne le trouver mais il n'avait aucune envie de faire à nouveau baleine oubliée sur un lit de l'assistance publique. Même s'il ne nageait pas comme un poisson, il se débrouillait assez bien pour se mettre en danger s'il lâchait le bord sans quelqu'un pour le surveiller.

Il resta dans le grand bassin une petite demi-heure avant d'en migrer pour le petit bassin froid qu'utilisaient les guérisseurs pour les disciples et les malades qui avaient besoin de renforcer un peu leurs muscles ou les soulager.

L'eau était glaciale. Contrairement à celle des grands bassins qui venait des sources chaudes au plus profond du volcan sur lequel était installé en partie le temple, celle-là venait de la fonte d'un glacier dans les hauteurs. L'eau était si froide que la mettre en bouteille et taper la bouteille sur le sol faisait congeler instantanément l'eau. C'était un effet étrange que Boya aurait adoré voir.
Lorsqu'il s'y plongea, l'eau se gela immédiatement sur sa peau.

C'était affreusement désagréable et même dangereux pour un médiocre. Les quelques curistes payant qui venaient se faire soigner au temple n'y avaient jamais accès sous cette forme.

Boya s'installa en tailleur sur le fond lisse du petit bassin pour méditer longuement.

Le froid de l'eau apaisait la brulure des qi autour de lui, du sien qui rugissait dans ses méridiens et de cette frénésie sans repos qui lui grattait l'âme depuis qu'il s'était battu à l'épée.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, il réalisa très vite que s'il était encore seul dans l'eau, plusieurs disciples étaient appuyées contre le muret de pierre et… Le matait allègrement.

"- Quoi, vous ne m'avez pas assez vu dévêtu pour me reluquer ainsi ?"

"- Ha, Boya-di." Ronronna une des femmes. "Les concours de peinture et de calligraphie viennent de finir. Vous auriez dû être le sujet du premier et la muse du second pour les poètes."

"- Vous allez me faire rougir." Il se sortit de l'eau sans la moindre pudeur.

Les premières fois, il avait eu du mal. Maintenant, il s'en fichait.

"- Il ne faut pas, Boya, tu es absolument délicieux à regarder."

"- Et moi je ne peux même pas me rincer l'œil…"

"- C'est pour ça qu'on aiment toutes t'avoir avec nous. On peut mater comme des sales sans avoir besoin de se sentir reluquées de notre côté."

"- C'est outrageant ! Et ma pudeur ?" Protesta Boya mais sans se chercher à se couvrir. Il avait suivi les femmes avec lui jusqu'au bassin d'eau chaude pour retrouver un peu de sensations dans ses membres.

Elles étaient toutes aussi nues que lui mais comme ils en plaisantaient, lui ne pouvait rien voir.

"- Je veux un dédommagement !" Protesta encore le jeune homme pour filer la plaisanterie. Encore un an avant, il aurait été horrifié de la situation. Sa pudeur avait disparue avec sa vue sans doute…

"- Hum…" On poussa vers lui un petit plateau flottant avec des petites douceurs sucrées dessus. "Des petits gâteaux, ça suffit ?"

"- C'est un bon début." Il en prit un qu'il se colla dans le bec.

Entre sa rapide discussion avec le Seigneur Anbei, sa méditation dans les bains froids puis ce petit interlude en galante compagnie même s'il ne s'y passa rien de plus que quelques gâteaux partagés avec d'insignifiantes plaisanteries, Boya retourna à sa chambre après le diner plus calme qu'il n'avait commencé la journée.

Il avait vaguement entendu les résultats des jeux du jour, il savait que les finales pour l'arc et l'épée auraient lieu le lendemain, puis un dernier banquet et le Seigneur Anbei et sa cour repartirait le surlendemain en fin de matinée.

Assit sur le petit balcon de ses appartements, les fesses sur un coussin qui l'isolait de la neige, Boya se força à méditer encore. Il n'avait jamais aimé méditer sans ses armes. Pour lui, travailler sa cultivation était plus efficace quand il le faisait les armes à la main. Maintenant, il devait apprendre à changer. Son abandon dans la matinée lui avait montré tout autant que la violence dont il avait fait preuve pendant son premier combat contre Xie Weizhe qu'il avait perdu toute stabilité. Il avait vraiment cru qu'il l'avait retrouvé mais en était bien loin. Son contrôle n'était guère que poudre aux yeux parce qu'il ne forçait pas et ne se mettait pas en danger. Depuis des semaines, il avait lentement oublié son objectif pour un confort qu'il n'avait jamais connu à JingYun et dont il mourrait d'envie de profiter. Jamais il n'avait eu aussi peu de défis à relever et sa vie jamais n'avait été aussi peu en danger. Il se comportait comme un coq en pâte et… Il avait l'impression que s'il persistait ainsi, il allait s'y perdre.

Le maître d'arme l'avait bien vu et l'avait cruellement poussé de toutes ses forces.

Boya aurait presque pu se demander s'il était fait pour être heureux. Mais ce n'était pas la question ici. Il ne devait pas confondre bonheur et confort, satisfaction et sécurité.

Il avait besoin des quatre. Il fallait juste qu'il arrive à un équilibre qui ne tuerait pas en lui toute évolution.

Il avait trop l'habitude de se battre pour survivre pour pouvoir accepter facilement que tout lui tombe dans le bec.

Même méditer ici dans le froid lui était quelque part plus facile que dans les chauds jardins de la secte. Ici, son Node doré devait se battre pour lui éviter les engelures et que ses poumons ne gèlent dans sa poitrine à mesure que la nuit et la température tombaient.

Boya avait besoin d'opposition pour avancer. On ne pouvait se faire du muscle à soulever une plume.

Il resta immobile à méditer dans le froid jusqu'à ce que la cloche du petit déjeuner ne l'appelle.

Lorsqu'il rouvrit inutilement les yeux, il était couvert d'une épaisse couche de neige qui avait commencé à geler peu avant le lever du soleil.

Quitter son petit balcon dans ses vêtements gelés fut difficile. La transition avec la chaleur relative de sa chambre le fit frissonner.
Ce n'est que lorsqu'il fut dans l'eau chaude de sa baignoire qu'il se mit à claquer furieusement des dents. Le bout de ses doigts et de ses orteils lui faisaient affreusement mal au point qu'il se demanda s'il n'avait pas une engelure ou deux. Si bien qu'il passa à l'infirmerie pour faire examiner ses orteils.

Les hurlements du maître guérisseur durent être entendu de l'autre côté de la secte au moins.

Boya ne sortit de l'infirmerie que deux heures plus tard avec les pieds dans des chaussons chauds et moelleux pour épargner ses orteils. Ses mains aussi avaient été enveloppées dans des bandes de gaze et du baume.

Ce n'est que lorsque Boya comprit qu'il aurait pu perdre des doigts et des orteils, et encore, eux n'étaient pas tous tirés d'affaire, qu'il réalisa sa stupidité.

S'il voulait méditer dans le froid, qu'il demande à son shixiong de l'accompagner sur les plaines de glace. Mais rester sur son balcon ? Toute une nuit ? Sans rien de plus que ses robes d'intérieur ?

Ce n'était plus de la stupidité. C'était du masochisme.

Un guérisseur ne devait pas parler de la santé de ses patients mais dans une situation comme celle-ci, il ne pouvait faire autrement que prévenir le chef de secte.

Si Boya ne voulait pas avoir de shishen, il lui fallait quelqu'un pour veiller sur lui. Ce genre d'étourderie était de celle qui tuait des gens dans le nord. Il n'était plus à JingYun où une nuit dans le froid le ferait juste éternuer. Ici, il aurait pu simplement mourir de froid.

Boya protesta un peu. Son Node doré…

Les nouveaux rugissements du guérisseur lui firent baisser le nez. Il voulait parler de son Node ? Alors ils allaient en parler. Que Boya vérifie ce qu'il lui restait comme forces.

Il n'avait même plus assez pour "voir" les meubles autour de lui. Même le Seigneur Anbei serait invisible à sa "vision" pour l'instant tellement il avait vidé ses réserves pour ne pas mourir de froid.

C'était peut-être la méthode que JingYun utilisait pour forcer les disciples à progresser aussi vite que possible, mais ce n'était pas celle du Yin Yang. Personne ne forçait un disciple à utiliser toute son énergie à deux doigts de l'inconscience chaque jour pour que ses réserves croissent. Ou qu'il en meurt. Ce n'était pas rare parmi les disciples de l'Est.
Soient ils survivaient, soit ils déviaient d'épuisement avant d'avoir quinze ans. Un tiers des jeunes disciples ne voyait pas son seizième anniversaire à cause de ça.

Le guérisseur était écœuré. Il continua à gronder Boya sur tous les tons avant de finalement le mettre dehors. S'il revenait pour de la pure stupidité comme ce matin, ils allaient avoir un très gros problème tous les deux.

C'est donc les mains emmitouflées de bandages, penaud comme un gosse et la lippe en berne que Boya tenta d'aller se chercher à manger discrètement.

Malheureusement pour lui, le maître guérisseur avait eu le temps d'envoyer son shishen cafter auprès de Zhong Xing.

Gold Spirit attrapa Boya au vol du plus loin qu'il le vit.

"- Hop hop hop… On ne s'enfuit pas comme ça, Boya Daren. Zhong Xing veut vous voir."

Le jeune homme soupira lourdement.

"- C'est obligé ? je sais déjà que j'ai fait une bêtise. On pourrait peut-être passer à la suite ?"

"- Si c'était aussi simple… Mais non."

Le shishen crocheta le bras de Boya pour l'entrainer malgré lui jusqu'au bureau du chef de secte qui avait bien autre chose à faire. Avec la fête, il devait gérer tout l'administratif tôt le matin ou tard le soir. Il ne devait pas vraiment avoir dormit depuis des jours.

"- Boya… J'ai reçu un rapport troublant de la part de Yin RenShu. Qu'est-ce qui vous ai passé par la tête de méditer dans le froid comme ça ? Les plaines de glaces sont faites pour ça et vous ne risquez pas de vous y mutiler !" Ne serait-ce que parce qu'il était interdit d'y aller seul.

"- Je ne peux pas y aller sans aide de toute façon." Marmotta Boya comme un gosse prit en faute.

"- BOYA !"

Le ton était plus sec que Boya ne l'avait jamais entendu de la part de Zhong Xing. Il s'était pas mal fichu de se faire hurler dessus par les anciens de JingYun, mais ce simple rappel à l'ordre lui donnait davantage envie de se mettre à genoux que toutes les punitions qu'il avait pu recevoir à JingYun. Sans doute parce que c'était la première fois que le chef du yin yang était fâché contre lui. Même pas en colère, juste fâché. Et sans doute inquiet.

"- Je suis désolé."

"- vous auriez un shishen, vous n'auriez pas ce problème. Mais ce n'est pas la question. Pourquoi avez-vous fait ça ? La douleur doit être à la limite du supportable. Yin RenShu m'a dit que vos doigts n'avaient pas trop de dégâts mais que vous risquez de perdre trois orteils."

Boya grimaça. Il n'avait pas réellement réalisé qu'il pouvait réellement perdre des bouts. Il força sa cultivation à travailler davantage sur ses orteils. A forcer ainsi, la douleur augmenta mais il sentit la chaleur croitre dans ses extrémités et la guérison s'accroitre rapidement. Il censura la douleur comme il avait appris à le faire depuis longtemps. La douleur n'était qu'une information d'un problème quelque part. une fois au courant, le corps n'avait plus besoin de le signaler au cerveau. Couper cet influx d'information était quelque chose qu'on apprenait très vite dans l'est pour ne pas devenir fou de douleur pendant les premières années d'entrainement. Les tortures qu'il avait subi avaient été trop violentes pour qu'il puisse s'en défendre mais Boya savait que si elles avaient durés plusieurs jours, il aurait appris à les tolérer.

Zhong Xing l'observait avec inquiétude.

"- Boya…" Cette fois la voix était douce et chargée de tristesse. "Vous savez que vous pouvez toujours me parler. Ou parler à Yin RenShu. Même Gold Spirit est un bon auditeur si vous avez besoin d'une oreille attentive. Je suis même certain que Abe no Seimei serait d'accord pour vous écouter si vous en avez besoin. Que les dieux me pardonnent si je comprends pourquoi vous faites confiance à cet individu mais il semble s'être attaché à vous. Alors profitez-en."

Boya se sentait vraiment mal à présent. Il n'avait voulu inquiéter personne. Il avait juste… Il était arrivé à… Comment s'expliquer ?

"- Je crois… Je crois que je suis trop heureux ici. Et que j'ai peur de m'y habituer." Finit-il par murmurer doucement. "Et qu'une fois que je serais habitué, je m'empâte et que je ne sois pas prêt quand tout ça me sera arraché."